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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : La Chanson de Roland
  • Pages : XXV à XXVIII
  • Réimpression de l’édition de : 1945
  • Collection : Classiques Jaunes, n° 217
  • Série : Lettres médiévales
  • Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
  • EAN : 9782812419386
  • ISBN : 978-2-8124-1938-6
  • ISSN : 2417-6400
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-1938-6.p.0025
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 08/04/2014
  • Langue : Français
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L'orthographe est le vêtement des mots. Elle suit la mode des siècles. Il convient donc que les mots quittent leur vieil habit d'autrefois et prennent celui de notre époque, c'est-à-dire l'orthographe moderne. Il est, semble-t-il, aussi ridicule de conserver l'an¬ cienne manière de les écrire que, pour un homme d'aujourd'hui, d'aller par les rues dans le costume du temps de François Ie1. C'est pourquoi dans l'édition que nous donnons de la Chanson de Roland, nous avons écrit avec l'orthographe moderne tous les mots, et ils· sont en grand nombre, qui sont demeurés dans notre langue. Nous n'avons fait exception à cette règle que lorsque la mesure du vers l'exigeait. C'est là une première originalité de notre travail. Quant aux mots qui ne sont plus en usage, nous les avons laissés tels quels. Mais nous en avons donné le sens, comme celui des locutions et manières de dire inusitées aujourd'hui, dans des notes expli¬ catives placées à chaque page au-dessous du texte
26 LA CHANSON DE ROLAND xxv ? qu'elles concernent. Grâce à cette disposition que n'offre aucune autre édition, le lecteur peut immé¬ diatement se rendre compte du sens d'un vers diffi¬ cile, et, au bout de peu de pages, il pourra comprendre le texte même aussi facilement que du français moderne. C'est ce qui lui est impossible avec les autres éditions, dans lesquelles, rebuté par les aspé¬ rités invincibles de la vieille langue, il ne lit que la traduction dont la prose fait perdre de vue la cadence du vers et ne lui offre comme sens, la plu¬ part du temps, que des à peu près. La Chanson de Roland est composée en vers de dix syllabes ayant la césure à la quatrième. Ce vers que nous trouvons plus tard dans Charles d'Orléans et dans Marot est donc le plus vieux vers français. Dans la Chanson de Roland il offre une particu¬ larité remarquable, c'est qu'il ne tient pas compte à la césure de l'e muet  : cet e est considéré toujours comme élidé, absolument comme si le vers se décom¬ posait en un vers de quatre syllabes et un vers de six syllabes. Cette licence, dont on ne trouve plus d'exemple plus tard, était sans doute de règle dans ce temps-là. Par contre, l'e muet formant la quatrième syllabe du vers et par conséquent se trouvant à la césure, ne se rencontre jamais dans la Chanson de Roland. Par exemple on n'y trouvera aucun vers semblable à celui-ci qui est de Charles d'Orléans  :
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Une lettre de créance bailla dans lequel la syllabe muette tre est mise à la césure. Tous les vers de la Chanson de Roland doivent être naturellement justes. Leur auteur parait un artiste consommé. Or il y en a un grand nombre de faux dans toutes les éditions précédentes. La nôtre n'en contient pas. Enfin notre texte est le plus complet. Le manuscrit d'Oxford offre des lacunes  : elles ont été comblées à l'aide d'autres textes par M. Léon Gautier dont nous avons adopté la dernière leçon, et les sous-titres. Quant aux recherches géographiques auxquelles on pourrait se livrer pour trouver les emplacements désignés par les noms de lieux de la Chanson de Roland, nous devons reconnaître que la plupart seraient vaines. En effet, ces noms, empruntés sans doute à des légendes du temps bien connues de tous, sont, pour beaucoup, des noms de fantaisie créés par les poètes et les conteurs, comme les noms des royaumes fabuleux de Thulé ou des Iles Fortunées. Les autres, qui répondent à des lieux réels, ont été trouvés exacts par les savants, historiens et géo¬ graphes, qui ont traité de la marche des armées de Charlemagne, lorsqu'elles revinrent en France après cette campagne. Car on a pu reconstituer historique¬ ment le grand drame de Roncevaux et établir par quelles villes et par quels cols Charlemagne a passé
28 LA CHANSON DE ROLAND xxvni les Pyrénées. Mais ceci n'est plus du domaine de la littérature. Tout ce que nous souhaitons seulement c'est que le lecteur français prenne plaisir à lire et à com¬ prendre, dans la Chanson de Roland, notre vieille langue française, beaucoup moins difficile qu'on ne croit, et qu'il en goûte en même temps ici la haute poésie, la noblesse, la force et la saveur. E. A.