Aller au contenu

Classiques Garnier

[Introduction de la deuxième partie]

283

« Du point de vue corporel, les hommes proviennent dun même tronc : Adam et Ève. Sur le plan spirituel, ils sont issus dun même Créateur : Dieu ; tous ont dès lors une âme qui les assimile à Dieu et les rend aussi moralement libres et responsables ; tous ont été sauvés par le même Rédempteur ; et tous vivent assujettis au même devoir fondamental : la charité, en qui se résume toute la loi : “Hoc est præceptum meum1”. Doù lidentité fondamentale de la nature humaine et, à partir de là, limpossibilité, pour les sociétés, de priver lhomme de droits personnels qui, parce quils sont inhérents à sa nature, sont inaliénables et imprescriptibles2 ». En tant que président de la Commission permanente des SSP, Fezas Vital eut à cœur de délivrer le message servant de guide à toute laction des politiques et jurisconsultes catholiques – assumant en un sens le rôle de larchange Uriel, la « Lumière de Dieu » censée permettre aux hommes datteindre leur Lumière intérieure en acquérant la connaissance et la miséricorde du Tout-Puissant3. La doctrine sociale de lÉglise et les principes quelle affirme (dignité de la personne humaine, bien commun, solidarité, charité, subsidiarité…) dictent la marche à suivre ; les cathédocrates sauront en tenir compte, dans le droit corporatif mais aussi et surtout en matière administrative et pénale.

Ces deux droits déclenchent, par nature, la suspicion. Cela est dautant plus vrai dans le cadre dun État autoritaire que la vindicte populaire, après 1974, qualifiera de fasciste – au point de linscrire dans le préambule de la Constitution de 1976. Et pourtant, plus quen droit constitutionnel et en droit corporatif, la générosité du discours chrétien se diffuse à tous les étages du droit pénal et de la science pénitentiaire et, de façon certes moins marquée, technicité oblige, dans le droit administratif de 284lEstado Novo. Nous pouvons en ce sens souligner la pertinence de la remarque dHedhili-Azéma sur les origines du mot pénitentiaire : si le terme, né au xixe s., semble être le fruit éclectique dune rencontre entre différentes doctrines, il nen demeure pas moins étymologiquement lié à la pénitence, et donc au discours théologique chrétien4.

Conçu par le doyen Beleza dos Santos, et consolidé par ses disciples qui concevront lactuel Code pénal portugais, le droit criminel de la cathédocratie reste un modèle du genre, surprenant par les valeurs humaines et chrétiennes défendues même au plus fort de la tempête brune et rouge. Plus contrasté est en revanche le droit administratif élaboré et défendu au premier chef par Fezas Vital et Caetano. Si le message chrétien subsiste en filigrane, bien que les cathédocrates invitent le croyant à simmiscer dans la vie publique et à exercer ses droits en vue daméliorer son prochain, la cathédrale administrative révèle vite ses failles, où sengouffreront avec contentement les thuriféraires de lÉtat policier.

1 Référence à lévangile de saint Jean 15, 12 : Hoc est præceptum meum, ut diligatis invicem sicut dilexi vos (« Ceci est mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés »).

2 Domingos Fezas Vital, « Existência, legitimidade e princípios fundamentais, orientadores, da doutrina social católica », in SSP, 1940, p. 52.

3 Cette référence ésotérique et biblique est un classique de la littérature en ce premier xxe s. Il donne son nom à une œuvre de J. Benda : Le Rapport dUriel (1946). Les Portugais cultivent même ce nom : en témoigne Uriel da Costa (1585-1640), précurseur et parent de Spinoza. Si son activité de philosophe est le plus souvent retenue, noublions pas quil a aussi étudié le droit canon à Coimbra : Gomes, Jésué, 1981, p. 264.

4 Hedhili-Azéma, Hinda, 2014, p. 24-26.