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Classiques Garnier

[Introduction à la troisième partie]

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La figuration dun présent dialectiquement divisé entre présence et absence, la description dun monde sensible qui se manifeste toujours dans le mouvement de sa révélation et lévocation de spectres qui surgissent pour exhorter à linquiétude de lhéritage sont autant déléments diégétiques qui illustrent, de façon variée selon les auteurs que nous étudions, une certaine pensée de la trace.

Or cette pensée ne peut quaffecter également la forme même du récit. Si les œuvres de notre corpus ne paraissent pas proposer de façon explicite un profond renouvellement esthétique, nous pouvons distinguer entre eux des parallèles possibles qui nous aideront à définir quelques critères dune représentation littéraire qui correspond à ce que nous nommerons une « œuvre-trace ». Le sentiment dune présence qui ne peut plus être considérée comme plénitude engage une écriture au plus près de lévanescence propre à la hantise. La forme du récit – dun point de vue structurel comme stylistique – répond à une transmission de lincertitude ou de lindétermination. La démarche éthique de la représentation consiste à relancer lécart qui empêche de penser la présence – à soi ou au monde – comme un élément stable. La représentation littéraire la plus juste du réel serait celle qui proposerait, à tous les niveaux de son élaboration, les modalités dune image dialectique.

Ainsi linjonction éthique dictée par le spectre recouvre-t-elle un domaine plus large que celui de lhistoire récente. Elle est constitutive, pour les personnages, de toute subjectivité. En effet, dans les œuvres de Tabucchi, Handke et Péju, les protagonistes assimilent la quête de lautre à une quête de soi et à une quête de sens. Lautre devient lobjet in absentia qui justifie leur existence. Nous employons le verbe « justifier » au sens fort, il en va dune conscience éthique, qui lie linachevable quête de connaissance à la responsabilité envers un autre disparu, celui-ci prenant une valeur essentiellement métaphorique. La quête de connaissance est donc animée par un va-et-vient entre conscience de soi et conscience de lautre absent. Cest pourquoi nous proposons de rapprocher lesthétique des œuvres de notre corpus de la philosophie sceptique, qui refuse toute affirmation et prône la confrontation des contraires, le dialogue sans cesse 362relancé des opinions opposées, comme unique cheminement possible vers la vérité. Nous étudierons donc le lien entre une pensée de la trace et la suspension de jugement que propose la construction des récits.