![L’Œuvre-trace. Questionnement de la présence (Antonio Tabucchi, Peter Handke et Pierre Péju) - [Conclusion de la première partie]](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/CieMS01b.png)
[Conclusion de la première partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : L’Œuvre-trace. Questionnement de la présence (Antonio Tabucchi, Peter Handke et Pierre Péju)
- Pages : 201 à 202
- Collection : Perspectives comparatistes, n° 147
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- EAN : 9782406167242
- ISBN : 978-2-406-16724-2
- ISSN : 2261-5709
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16724-2.p.0201
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 10/07/2024
- Langue : Français
Le double paradigme psychique de la trace mnésique et du retour du refoulé nous permet de constater les modalités d’un enchevêtrement des temporalités et de la figuration d’une origine-trace, dans la perpétuelle présence-absence, dans les œuvres de notre corpus. Le roman de Pierre Péju est celui qui aborde le plus frontalement la question d’un déni historique à l’origine de résurgences symboliques et réelles, que le roman décline sur différents modes, par la description de paysages déchirés entre les traces de la guerre et la tentation de leur effacement, dans l’élaboration de structures diégétiques qui polarisent l’opposition mnésique entre l’oubli et la répétition (notamment par la complexe disposition spatiale de la forêt de Kehlstein, de son sentier et de ses clairières) et dans les jeux de déplacements d’un « retour du pire » au cœur même de l’intrigue. Les récits de Peter Handke donnent davantage lieu à de contemplatives descriptions qui vont de pair avec un désir de solitude et d’apaisement sans cesse contredit par les manifestations de signes étrangers, vestiges de temporalités diverses. Ceux-ci se fondent souvent en un spectre d’une guerre que les personnages souhaiteraient oublier. La quête d’un lieu vide dans L’Absence et celle d’un temps antique pour l’archéologue amateur du Chinois de la douleur est la tension tout à la fois à un oubli désiré, refuge atemporel, et au dévoilement de la condition même de la résurgence qui est fuie. Les récits de Tabucchi permettent quant à eux une approche en diptyque de la présence-absence de la mémoire : d’un point de vue individuel, elle est à l’origine d’un sentiment de nostalgie qui peuple le présent d’images – vives, quoique fanées – du passé, mais d’un point de vue collectif, elle se trouve être la cause dissimulée d’une dangereuse « dérive » aux conséquences politiques considérables, quoique toujours opaques.
La mise en exergue de cette opacité-même du retour est l’un des points communs de nos trois auteurs. La tentative de figuration, par le biais du récit, d’une origine absente, qui ne peut s’appréhender que dans le mouvement de sa disparition et de ses retours déplacés, est en dernier lieu une mise en garde contre toute tentation de représentation linéaire de l’Histoire. Si les œuvres de notre corpus ne se font « transcription de l’histoire » que de manière sporadique, elles peuvent être interprétées 202comme une mise en image de l’impossible appréhension téléologique d’un temps historique qui distinguerait de façon nette passé et présent. Les différentes modalités de représentations d’un « espace-temps » de la trace dans les récits (un monde sensible où se rencontrent les temporalités, où se manifestent les retours du passé et de la mémoire) donnent à l’image littéraire le pouvoir d’un anachronisme fondamental, qui désigne la trace comme un paradigme du temps historique.