![L’Œuvre-trace. Questionnement de la présence (Antonio Tabucchi, Peter Handke et Pierre Péju) - [Conclusion de la deuxième partie]](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/CieMS01b.png)
[Conclusion de la deuxième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : L’Œuvre-trace. Questionnement de la présence (Antonio Tabucchi, Peter Handke et Pierre Péju)
- Pages : 357 à 358
- Collection : Perspectives comparatistes, n° 147
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- EAN : 9782406167242
- ISBN : 978-2-406-16724-2
- ISSN : 2261-5709
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16724-2.p.0357
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 10/07/2024
- Langue : Français
L’écriture doit se faire l’écho d’une inquiétude existentielle qui est tout à la fois structurelle – due à une présence scindée – et déterminée historiquement comme résurgence toujours possible de l’oublié, c’est-à-dire d’Auschwitz, de l’anéantissement de l’humain. Les œuvres littéraires que nous étudions se font lieu de la trace, voix du spectre, et répondent ainsi à une sommation éthique de « réserver » l’oublié. Cette nécessité éthique va de pair avec une écriture de l’inquiétude qui ne laisse pas la mémoire en paix (Lyotard, 1988, p. 25), qui se dessine au plus près de l’apparition pelliculaire, scindée, du réel. La représentation de cette inquiétude spectrale n’est pas du même ordre chez les trois auteurs de notre corpus. Si elle est explicite dans le roman de Péju, elle se fait plus discrète dans les récits de Handke et Tabucchi. Cependant, la question de la guerre est évoquée plusieurs fois de façon elliptique dans L’Absence et la présence de la croix gammée est un élément central de l’intrigue du Chinois de la douleur : la comparaison de ces deux récits dévoile la présence-absence d’un « écœurement » (« Unmut ») historique qui ne peut être apaisé. Les récits de Tabucchi quant à eux sont sans doute ceux où cette problématique se fait la plus discrète. Les jeux d’écho entre les lettres d’Il se fait tard de plus en plus tard permettent toutefois de dessiner les contours d’une éthique de la représentation qui évoque le malaise sans l’inscrire de façon trop littérale. Cette tendance va sans doute en s’accentuant dans les œuvres plus récentes de l’écrivain italien. L’ambivalence du personnage de Tristano meurt – héros de la résistance qui tente de lutter contre son propre sentiment de culpabilité – ou celle des protagonistes des nouvelles du Temps vieillit vite, en proie avec les souvenirs d’une histoire personnelle et collective douloureuse – des espionnages de la Stasi en ex-RDA à la guerre du Kossovo – témoigne d’un retour inlassable des blessures de l’histoire.
Le récit se présente bien, pour citer Emmanuel Bouju, comme une « forme sensible de responsabilité » (Bouju, 2006, p. 103), c’est-à-dire comme un « objet historique » au sens benjaminien, lieu de rencontre des temps, lieu de leur impossible désintrication, mais aussi lieu d’une éthique qui est celle de la poursuite d’une quête heuristique, le refus du découragement devant l’impossibilité de sa finitude. L’œuvre-trace 358cherche « à tâtons » les modalités d’une représentation de la présence-absence. Le récit se présente comme une œuvre en suspens qui, pour se loger dans l’écart éthique de la responsabilité, contourne toute forme d’assertion.