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Classiques Garnier

Le point sur l’ironie contemporaine (1980-2010)

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : L’Ironie : formes et enjeux d’une écriture contemporaine
  • Auteurs : Alexandre (Didier), Schoentjes (Pierre)
  • Pages : 7 à 16
  • Collection : Rencontres, n° 56
  • Série : Littérature des xxe et xxie siècles, n° 7
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812412066
  • ISBN : 978-2-8124-1206-6
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-1206-6.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 17/07/2013
  • Langue : Français
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Le point sur l’ironie contemporaine (1980-2010)

L’ironie : une actualité
qui ne fait pas toujours consensus

L’ironie constitue depuis plusieurs décennies une pratique centrale dans la littérature française contemporaine ; c’est aussi un concept critique de premier plan. Il apparaît qu’un nombre important d’écrivains qui se sont imposés après la génération du Nouveau Roman ont choisi d’inscrire leur œuvre dans une perspective ironique. La méfiance par rapport au récit traditionnel, héritée de la génération des années 60-70, les conduit à pratiquer le genre romanesque « à distance », en jouant sur les codes convenus. Des écritures parfois très différentes les unes des autres portent le sceau de l’ironie et sont qualifiées comme telles tant par la critique de réception que par les travaux universitaires.

Le phénomène ne se limite pas à la France, bien au contraire : l’actualité de l’ironie s’observe très largement dans la production littéraire du tournant du xxie siècle, qu’elle soit écrite en français, en anglais ou en espagnol, pour ne nommer que deux autres domaines linguistiques où elle s’exprime avec force. Le fait que depuis une trentaine d’années la France se soit ouverte bien davantage qu’auparavant aux influences étrangères explique d’ailleurs partiellement la popularité actuelle de l’ironie. Celle-ci se vérifie aussi dans l’univers de la francophonie, que l’on se tourne vers des pays comme la Belgique ou le Québec ou vers ceux de l’Afrique. Ce recueil prend acte de cette ouverture et intègre des contributions qui regardent également au-delà des frontières de l’Hexagone : Katrien Liévois aborde trois auteurs de la francophonie subsaharienne représentatifs chacun d’une des décennies passées. Stéphane Larrivée et Andrée Mercier étudient de leur côté deux écrivains

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québécois contemporains pour montrer comment l’ironie problématise l’autorité narrative.

Dans le même temps cependant qui voit l’ironie s’imposer comme un mode d’écriture de premier plan, l’on assiste aussi à l’expression d’une certaine méfiance ; la contribution qu’Irina De Herdt consacre à Pascal Quignard et à l’ambiguïté qui entoure chez lui le jugement sur l’ironie illustre d’ailleurs certaines des réserves qui trouvent à s’exprimer.

Perçue parfois comme « jeu gratuit » dont la finalité purement intellectuelle éloignerait la littérature aussi bien de l’engagement dans le monde que de la création d’un authentique univers romanesque, l’ironie connaît des détracteurs parfois acharnés au premier rang desquels il faut ranger Jedediah Purdy aux États-Unis1. Cette tendance ouvertement hostile demeure latente en France, contrairement au monde intellectuel anglo-saxon où elle s’est affirmée avec plus de force encore au lendemain du 11 septembre 2001. La demande d’engagement dans le concret, le rappel de la responsabilité éthique de l’écrivain, voire, diront certains, le retour d’un certain ordre moral, conduisent régulièrement à jeter la suspicion sur l’ironie.

Considérée comme mode d’écriture privilégié du postmodernisme triomphant, qui se serait aliéné les lecteurs par son élitisme, l’ironie ne fait plus automatiquement l’unanimité ; en témoigne l’interrogation menée en France autour de L’hégémonie de l’ironie ?, même si la réponse lui reste très largement favorable2. Il n’empêche : après les années qui ont vu un large consensus favorable s’établir autour de l’ironie, nous entrons peut-être aujourd’hui dans une époque où certains s’en défient. Jusqu’à présent toutefois, et contrairement à la situation qui prévaut aux États-Unis, il est rare qu’on lui adresse en France les reproches d’« élitisme superficiel » ou de « dissimulation couarde ». Dans l’ensemble, l’ironie reste très largement valorisée et la sévérité ne s’exprime qu’envers une ironie qui apparaît manquée, à des titres qui peuvent se révéler très divers.

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Quelle place pour l’ironie
dans le contemporain ?

La pratique littéraire de l’ironie et le débat actuel qui l’accompagne méritent que l’on s’y intéresse d’autant plus que, chacun à sa façon, ils posent de manière très aiguë la question de la place du roman entre fiction et vérité. L’introduction et plus tard la popularisation des techniques et des postulats portés par le romantisme allemand ont amené qu’au fil du xxe siècle, le terme « ironie » s’est rapproché de celui-là même de « littérarité ». Cette tendance a d’ailleurs été renforcée dans les années 70 et 80 par les grandes études de Douglas C. Muecke, de Wayne C. Booth et de Linda Hutcheon, qui ont assuré à l’étude théorique des bases particulièrement solides.

En France aussi plusieurs ouvrages, à commencer par celui de Philippe Hamon, sont venus jeter un nouvel éclairage sur une pratique qui avait acquis ses lettres de noblesse à l’époque des Lumières. Deux cent cinquante ans après Voltaire et Montesquieu, l’ironie reste d’ailleurs une arme au service de l’universalisme des droits de l’homme et du citoyen. Au xxe siècle, on la retrouve toujours dans l’arsenal de ceux qui, d’Anatole France à Ahmadou Kourouma ou à Milan Kundera, s’opposent aux totalitarismes.

Mais de l’antiphrase et du blâme par la louange à la littérarité, le champ est vaste… d’autant que le mot désigne encore les ironies de structure désignées par le terme « ironie du sort » ou « ironie de situation » ; celles que Jia Zhao étudie ici dans l’œuvre de Jean Échenoz. C’est aussi l’élargissement du champ d’application du terme qui explique le nombre toujours grandissant de recherches universitaires – thèses ou publications collectives3 – qui s’attachent à explorer le domaine jusque dans des œuvres où l’on n’aurait sans doute pas pensé la trouver naguère.

L’ironie apparaît aujourd’hui à la fois comme une pratique d’écriture qui voit des auteurs se tourner consciemment vers elle, et comme un regard de lecteurs qui se sont affranchis sans trop de regrets des questions d’intentionnalité.

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Est-ce à dire que l’ironie serait la catégorie première de l’extrême contemporain ? Il serait présomptueux de l’affirmer : dans la très vaste bibliothèque contemporaine, des pans entiers ne semblent pas concernés par la pratique. Si nous consultons le panorama que Dominique Viart et Bruno Vercier consacrent à la littérature française au présent, nous observons que la table des matières n’annonce aucun chapitre portant sur ce qui pourrait s’appeler les « Écritures ironiques ». Dans la section consacrée au « Renouvellement des questions », l’ouvrage choisit de se focaliser sur i Les écritures de soi, ii Écrire l’histoire, iii Écrire le monde. Il ignore de même l’ironie dans la section « L’évolution des genres, le conflit des esthétiques ». Est-ce à dire que les auteurs négligent le phénomène ? Bien au contraire, mais ils ont choisi de le signaler ponctuellement à l’occasion d’analyses consacrées à des auteurs particuliers ou à des problématiques spécifiques ; ainsi lorsqu’ils abordent la question de l’écriture féminine4. Le terme « ironie » entre d’ailleurs en concurrence avec d’autres qualificatifs, en particulier « fantaisiste » ou « ludique ». Confrontés à l’impossible mais nécessaire tâche d’organisation du champ littéraire contemporain, Viart et Vercier ont choisi de privilégier des catégories différentes : celle du « je », de l’histoire et de la société, parmi d’autres.

Certains ouvrages récapitulatifs ont cependant fait le choix de retenir une catégorie qui, sous des appellations parfois diverses, semble rejoindre celle de l’ironie. C’est en rapprochant ironie, parodie et minimalisme que Laurent Flieder aborde le domaine dans le chapitre du Roman français contemporain intitulé « De la parodie au minimalisme ». Dans cette première tentative de panorama de l’extrême contemporain, Flieder propose de situer ce type d’écriture en réaction aux pratiques de la génération antérieure. Selon lui, les nouveaux écrivains fusionnent les acquis dans « une forme d’écriture romanesque où le ludique et le détachement tendent à se substituer aux propositions esthétiques rigides [… :] l’humour et la distance ironique remplacent le sérieux obstiné de la génération précédente5 ».

La nature même de l’ouvrage ne se prête pas aux développements, la brièveté de la synthèse oblige à l’économie. On ne tiendra donc pas

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rigueur au critique de la rapidité de la formule. D’autres observateurs s’efforceront d’ailleurs de préciser le domaine visé. Dans Les fictions singulières, Bruno Blanckeman regroupe sous la rubrique « Fictions joueuses » les « romans enjoués (jeux de l’ironie, de la désinvolture, du minimalisme) ». Conformément à l’idée que l’on se fait de l’artiste contemporain maniant l’ironie pour « s’approprier ce qui le précède tout en marquant sa différence6 », il souligne le pouvoir créateur de l’ironie. « Principe de décalage », elle permet de revisiter l’héritage littéraire tout en le maintenant à distance : « L’ironie assure dans le roman actuel une position pleinement créatrice, tout à la fois ludique, parodique et porteuse de dérision. Ludique, elle permet de disjoindre les synchronies élémentaires de la fiction, énoncer des faits et produire des sèmes par exemple7 ».

On observe que la liste des auteurs mentionnés est similaire chez les différents critiques : Jean Échenoz est présenté comme figure rayonnante autour de laquelle gravitent un certain nombre d’auteurs dont beaucoup publient chez Minuit. Les études qui ciblent l’ironie de manière plus spécifique tendent d’ailleurs à confirmer l’existence d’un noyau d’écrivains ironiques, la situation se vérifie notamment à travers la recherche qu’Olivier Bessard-Banquy consacre à Jean Échenoz, Jean-Philippe Toussaint et Éric Chevillard8.

Lorsqu’elle est abordée par la critique universitaire, la problématique de l’ironie dans la littérature française contemporaine est presque systématiquement considérée à travers un corpus privilégié : celui de la dernière génération des écrivains de Minuit. Sans surprise, cette « obédience » fait ici aussi l’objet de nombreuses lectures : Laurent Demoulin et Gianfranco Rubino reviennent à Toussaint pour pointer son évolution tandis que Pierre Schoentjes lit Chevillard en miroir avec Tournier. Sarah Sindaco, quant à elle, s’intéresse à Laurent Mauvignier, romancier de Minuit moins attendu dans un tel corpus, mais dont l’ironie joue sur des agencements particuliers du sort.

À côté des auteurs déjà mentionnés, on retrouve encore Christian Gailly, Christian Oster et Tanguy Viel. Ces écrivains sont extrêmement

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visibles et tendent à masquer le reste du corpus ironique, même si un certain nombre d’écrivains publiant chez P.O.L. tendent à s’inviter dans le domaine. L’on pensera en particulier à Marie Redonnet et à Marie Darrieussecq ; cette dernière étant lue ici par Vicky Colin qui montre la férocité de l’écriture. S’emparant des formes traditionnelles du roman, ces écrivains en exploitent les failles pour donner à la langue la possibilité de s’exprimer selon des logiques qui ne sont pas celles d’une psychologie de convention.

L’existence même d’un ensemble de textes labellisés ironiques conduit inévitablement à laisser du même coup hors cadre certaines œuvres. Il suffit de juxtaposer au hasard une série de noms d’écrivains chez lesquels s’observe une ironie essentielle pour voir combien la diversité est grande et réductrice la vision qui se cantonnerait aux « minimalistes ». L’on en jugera par cette liste, évidemment incomplète, d’auteurs plus ou moins (re)connus qui à des titres divers mériteraient le label d’ironiques : Frédéric Beigbeder, Renaud Camus, Éric Chevillard, Driss Chraïbi, Réjean Ducharme, Jean Échenoz, Christian Gailly, Michel Houellebecq, Milan Kundera, Dany Laferrière, Sony Labou Tansi, Alain Mabanckou, Laurent Mauvignier, Patrick Modiano, Christine Montalbetti, Tierno Monénembo, Amélie Nothomb, Georges Perec, Pascal Quignard, Yves Ravey, Olivier Rolin, Jean Rouaud, Boualem Sansal, Claude Simon, Gaétan Soucy, Christian Oster, Jean-Philippe Toussaint.

Le choix et les rapprochements suscités par l’ordre alphabétique invitent à la polémique : tel lecteur refusera de voir dans tel écrivain un auteur ironique, tel autre lui reconnaîtra de l’ironie mais la jugera mauvaise et donc indigne d’attention, tel autre encore jugera plus radicalement qu’un des écrivains mentionnés est bien ironique mais qu’il ne mérite pas de figurer dans la galerie.

En effet l’ironie appartient à l’outillage d’un large éventail d’écritures, et c’est autour d’elle que se posent aussi des questions de canonisation du corpus. Les contributions de Bruno Blanckeman et de Tara Collington le montrent bien, qui s’arrêtent respectivement à Michel Houellebecq et à Amélie Nothomb, des écrivains que certains rejettent comme des « phénomènes » éditoriaux. La question de la place de l’ironie dans la (représentation de la) vie littéraire reçoit un éclairage complémentaire par la lecture d’Olivier Bessard-Banquy qui analyse comment l’ironie peut être une manière de dire adieu à la littérature.

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Panorama et perspectives

Force est de reconnaître que le mode d’apparition de l’ironie est très différent selon les auteurs. Les appréciations peuvent diverger aussi selon les perspectives adoptées : met-on en exergue l’antiphrase, le jeu sur l’intertextualité, une manière de fragmenter le récit, des constructions en contraste, une technique consistant à défamiliariser la réalité, un mode allégorique qui joue sur l’implicite et le renversement… ? Entend-on marquer une opposition entre humour et ironie, voire distinguer entre une ironie « douce » et une autre qui serait « amère »… ?

Ce n’est évidemment pas ici le lieu pour aborder une fois de plus la définition de l’ironie. Cependant, dans un contexte qui témoigne d’un foisonnement d’écritures que les lecteurs qualifient intuitivement d’ironiques, il peut être utile d’esquisser une amorce de classification. Celle-ci permettra d’organiser à grands traits le champ de l’ironie dans la littérature française contemporaine, formule dans laquelle – on l’aura compris – « français » doit se comprendre comme faisant référence d’abord à une langue.

L’on retiendra ici quatre grandes catégories :

Le roman de l’ironie ludique a fait plus haut l’objet d’une première approche. Au-delà des écrivains qui publient chez Minuit, il conviendrait encore de mentionner Pierre Senges, qui est proche d’Éric Chevillard, et dont Anne Roche étudie ici l’écriture aussi ludique que baroque. L’on pourrait penser aussi au québécois Réjean Ducharme ou encore à Fouad Laroui, d’origine marocaine. Il est inutile de rappeler que Toussaint est belge, comme Nothomb d’ailleurs, même si certains rappellent volontiers qu’une ironie mêlée d’autodérision est la marque caractéristique de ce pays qui, à travers elle, ne se dessinerait qu’en creux.

Le roman ironique postmoderne à l’américaine est extrêmement débridé dans sa forme, et pousse très loin les libertés prises avec le récit. L’œuvre de Renaud Camus illustre bien cette tendance, qui se rapproche de la pratique d’un Thomas Pynchon aux USA, un écrivain que Camus admire d’ailleurs profondément. Un style débridé et allusif exploite les codes de la fiction sans qu’il soit possible d’assurer une base d’interprétation stable ; c’est ce que l’auteur nomme l’incohérence de la cohérence. Des écrivains comme Alain Mabanckou et Dany Laferrière, qui revisitent

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ponctuellement des modèles américains, participent d’une veine semblable malgré un univers de référence radicalement différent.

Le roman de l’ironie philosophique est représenté de manière exemplaire par Milan Kundera, qui écrit en se réclamant explicitement de Diderot. L’ironie est au centre de sa conception de la fiction et on trouve chez lui un usage intensif des techniques éprouvées de rupture de l’illusion romanesque et de clivage de l’identité. Il prend aussi explicitement position contre une écriture sentimentale et pour celle de l’ironie, regrettant que certains aient pu préférer « les petites choses dérisoires, les larmes aux yeux […] au scepticisme et à l’ironie9 ». L’œuvre de Patrick Modiano, qui se focalise autour de la question de l’ironie du destin individuel et des traces laissées dans des lieux, entre également dans cette catégorie : l’auteur se sert abondamment de la distanciation critique et affectionne le collage de textes hétéroclites. En dehors de la production hexagonale, il convient de citer l’Ivoirien Ahmadou Kourouma, qui s’efforce d’imaginer une langue nouvelle pour dire la réalité violente de l’Afrique. L’on retiendra aussi Tierno Monénembo et Patrice Nganang, qui, malgré la distance géographique qu’ils ont mis entre leur pays d’origine et eux, continuent à regarder la société africaine avec une lucidité ironique.

Les fictions ironiques des univers noirs se développent dans des univers grimaçants, marqués par l’après : elles s’inscrivent dans un monde post-concentrationnaire, post-goulag, post-apocalyptique. L’ironie y modifie par touches l’atmosphère globale de romans qui prennent pour point de départ la fin d’une civilisation humaniste. L’œuvre d’Antoine Volodine, étudiée ici par Joëlle Gleize, qui souligne l’humour du désastre, ou encore celle d’Agota Kristof témoignent de cette écriture dans laquelle le travail sur la langue joue un rôle prédominant. Cette catégorie particulière de fictions ironiques, comme la précédente d’ailleurs, montre qu’il est réducteur de ne considérer l’ironie que dans des textes souriants10. Dans l’univers francophone, l’on songera au carnavalesque noir mis en place par Sony Labou Tansi ou au québécois Gaétan Soucy dont l’imaginaire fait résonner une forme de drôlerie en contrepoint à la noirceur.

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Ces catégories permettent un premier débroussaillage du paysage, mais le panorama ne fait rien de plus qu’isoler les grands massifs. Comme l’illustrent les contributions regroupées ici, la réalité s’avère plus foisonnante et les frontières moins tracées. René Audet, qui lit en parallèle Éric Chevillard et Nicolas Langelier, l’illustre parfaitement : son analyse de la « poétique illusionniste » souligne la force heuristique que possède l’ironie de la forme et situe Chevillard – écrivain ludique par antonomase – dans la lignée du séminal Pale Fire de Nabokov, aux côtés de deux grandes figures de l’ironie américaine contemporaine : Dave Eggers et David Foster Wallace.

L’on aura compris que les études n’épuisent évidemment pas le sujet. Le volume n’a pas pour ambition de couvrir l’ensemble du champ, mais il désire l’ouvrir résolument au-delà du pré carré que constituent les Éditions de Minuit.

De nombreuses problématiques restent à explorer, tant chez des écrivains individuels que dans des genres spécifiques. Ainsi la question de l’ironie dans l’autofiction, qui ne reçoit pas ici un éclairage direct, mériterait de faire l’objet d’un travail ambitieux que justifie pleinement la place qu’occupe la question de la sincérité dans ce type de littérature.

Rappelons-le pour conclure : le succès durable de l’ironie, et qui semble se renouveler à chaque génération littéraire, est en effet intimement lié au fait que son domaine d’origine, dont témoignent les premiers commentaires d’Aristote dans L’Éthique à Nicomaque, est celui de l’éthique, pas la rhétorique. Aujourd’hui toujours, c’est parce que l’ironie est intimement liée à la problématique de la sincérité – une préoccupation constante dans la littérature occidentale – que son actualité est durable. Attitude critique qui invite à mettre le monde en question par des chemins détournés, l’ironie nous renvoie aussi à la place de la fiction entre réalité et mensonge.

Didier Alexandre

Université Paris-Sorbonne

Pierre Schoentjes

Ghent University

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Nous tenons à remercier chaleureusement Ivan Arickx (Ghent University), rédacteur de la Revue critique de fixxion française contemporaine, qui a pris en charge le travail de rédaction. Sans ses compétences et son engagement désintéressé, ce volume n’aurait pas pu voir le jour dans d’aussi bonnes conditions. Nos remerciements vont aussi à Vicky Colin, qui a géré l’amorce de ce volume en se chargeant des premiers contacts.

1 On verra à ce sujet : P. Schoentjes, « “Gentille fée ou vilaine sorcière”. L’ironie : le jugement jugé », in : Ironie/Parodie, A. Oliver éd., préface de L. Hutcheon, TEXTE. Revue de critique et de théorie littéraire, 35-36, 2005, p. 47-77.

2 À l’initiative de Cl. Perez, J. Gleize et M. Bertrand ; cf. http://www.fabula.org/colloques/sommaire978.php.

3 Rappelons en particulier : L’ironie : lectures d’un discours oblique, M. Trabelsi éd., Montpellier, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2006 et L’ironie dans les productions (para)littéraires en langue française au xxe siècle, I. Moreels éd., Cuadernos de Filología Francesa, 21, 2010.

4 D. Viart & B. Vercier, La littérature française au présent, Paris, Bordas, 2005, p. 329.

5 L. Flieder, Le roman français contemporain, Paris, Seuil, 1998, <Mémo>, p. 43.

6 P. Schoentjes, Poétique de l’ironie, Paris, Seuil, 2001, <Essais>, p. 224.

7 B. Blanckeman, Les fictions singulières, Paris, Prétexte, 2002, p. 59 ; p. 61.

8 O. Bessard-Banquy, Le roman ludique : Jean Échenoz, Jean-Philippe Toussaint, Éric Chevillard, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2003, <Perspectives>.

9 M. Kundera, entrée “Vie” de “Soixante-treize mots”, in : L’art du roman, Paris, Gallimard, 1986, p. 184.

10 Une première version de cette classification a été proposée par Pierre Schoentjes dans « Présence de l’ironie aujourd’hui », in : L’ironie contemporaine, Z. Mitosek, A. Ciesielska-Ribard éds, P.U. Sorbonne / P.U. Varsovie, 2009, p. 9-24. Nous remercions les éditeurs d’avoir autorisé sa reprise ici.