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Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : L’Identité du diplomate (Moyen Âge-xixe siècle). Métier ou noble loisir ?
  • Auteur : Bély (Lucien)
  • Résumé : Pendant longtemps le « diplomate » n’a pas existé puisque le mot même n’apparaît vraiment qu’au temps de la Révolution française. Au cours du xviiie siècle pourtant, le « corps diplomatique » semble déjà faire son apparition. Ce livre est né du désir intellectuel de comprendre le lien entre d’un côté des personnalités assumant une mission d’ordre politique et de l’autre les sociétés et les cultures dont ils étaient issus, sur lesquelles ils s’appuyaient et dont ils étaient partie prenante.
  • Pages : 7 à 10
  • Collection : Rencontres, n° 471
  • Série : Histoire, n° 8
  • Thème CLIL : 3382 -- HISTOIRE -- Histoire générale et thématique -- Europe
  • EAN : 9782406104667
  • ISBN : 978-2-406-10466-7
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10466-7.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 16/11/2020
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Monde diplomatique, caractère, négociateur, métier, élites, approche sociale, souverains, représentants, diversité
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Préface

Pendant longtemps le « diplomate » na pas existé puisque le mot même napparaît vraiment quau temps de la Révolution française, pour simposer ensuite dans de très nombreuses langues. Au cours du xviiie siècle pourtant, le « corps diplomatique » semble déjà faire son apparition, en particulier dans les écrits du chevalier dÉon.

Au-delà des mots, les sociétés anciennes se représentaient bien un ambassadeur, un envoyé, un résident, un négociateur, un simple agent, un secrétaire, un consul et, même si les froissements dhonneur restaient fréquents, les distinctions entre eux se faisaient en apparence aisément. Le représentant officiel navait pas le même « caractère » selon limportance du souverain ou de la république auprès duquel il était accrédité, selon le dessein politique aussi, selon son origine sociale enfin. Lhistorien lui-même voit intuitivement ces figures différentes et devine bien les milieux dont ils étaient issus. Il conçoit aussi que la plus grande diversité régnait. Nulle définition juridique ne simposait vraiment dans un monde qui aimait pourtant tout classer, comme si, dans le dialogue que les États esquissaient entre eux, ils avaient voulu avoir les mains libres pour désigner leurs représentants, cest-à-dire leur porte-parole, les interprètes de leurs intérêts et de leurs volontés. Ce livre est né du désir intellectuel de comprendre le lien entre dun côté des personnalités assumant une mission dordre politique, engageant parfois le sort de populations entières, et de lautre les sociétés et les cultures dont ils étaient issus, sur lesquelles ils sappuyaient et dont ils étaient partie prenante.

Dans ce magnifique recueil, Indravati Félicité a rassemblé des études originales et profondes sur ce métier si singulier quil nen était peut-être pas un, pour une longue période qui va du Moyen Âge au xixe siècle.

Aucun critère de type social ne définissait le métier de négociateur. Celui-ci avait simplement un certain accès à la sphère étroite de laction 8politique, telle quelle sexprimait par la volonté du souverain ou de lautorité souveraine. Néanmoins, une cohérence marquait ce petit monde diplomatique : il se caractérisait par une formation de qualité née de la force persistante des universités européennes et des échanges si vivaces dans la République des Lettres ; par un mode de vie et des valeurs communes à toutes les noblesses européennes, ce qui rendait souvent nécessaire pour les diplomates une fortune personnelle pour leur permettre de tenir leur rang à létranger et de faire honneur à leurs souverains ; enfin par une langue habituelle, le latin dabord, litalien ensuite, enfin le français.

Ce bel ouvrage marque une étape historiographique importante parce quil permet de mieux voir comment ces traits très généraux sont confirmés ou infirmés selon les situations ou les circonstances. Nous sommes dans les strates supérieures de la société, les élites. Un riche négociant, Mesnager, a négocié à Londres en 1711, ce qui permit louverture dun congrès de paix à Utrecht. Louis XIV le récompensa entre autres dun compliment : « Monsieur, vous mavez si bien servi par le passé que je ne doute pas que vous ne me serviez encore mieux à lavenir, si cest possible. » Il le nomma troisième plénipotentiaire au congrès, après un maréchal de France, le marquis dHuxelles, et un abbé, Polignac, déjà promis à la pourpre cardinalice. Dans le monde diplomatique, il est question de ducs ou de cardinaux, mais aussi de moines et de marchands, de peintres et de médecins, de religieuses ou de courtisanes. Les hommes du peuple sont bien sûr plus rares mais, à y regarder de plus près, nous trouvons des porteurs de message bien modestes et des hommes engagés dans des tractations locales. Un notable piémontais se déguisait en paysan pour venir négocier à Pignerol en 1693 avec le futur maréchal de Tessé.

La diplomatie créait également des situations sociales extraordinaires. Saint-Simon qualifia d« amphibie » le marquis de Saint-Romain, conseiller dÉtat dépée, sans être noble dépée, et qui avait des abbayes sans être dÉglise : ces honneurs et ces bénéfices récompensaient en fait les services quil rendait dans dimportantes négociations internationales.

Le choix dun négociateur était chose sensible. Le ministre des Affaires étrangères Torcy raconte dans son Journal comment le chancelier 9de Pontchartrain a essayé darrêter la nomination de labbé de Polignac en 1709 : « M. le Chancelier ne put sempêcher de dire à moitié bas que son esprit, son éloquence et sa vivacité seraient peut-être à craindre. Le roi lui fit redire ce que Sa Majesté navait entendu quà demi, et le mauvais office ne laissa pas de faire quelque impression1. » Une telle réflexion dessine le profil du négociateur, qui devait savoir rester à sa place, ne pas chercher à briller, ne pas tenter de brusquer les événements, ne pas prendre trop dinitiatives. Il devait accepter les règles du jeu. Sil échouait, même avec lapprobation de son gouvernement, il serait jugé peu capable, sil réussissait, tout le succès reviendrait à ceux qui le dirigeaient de loin, et bien sûr à lautorité souveraine qui ratifiait laccord.

La simple approche sociale débouche également sur des interrogations plus larges. Un diplomate défendait les intérêts de son prince, de son pays, de ses compatriotes. Une interrogation apparaît souvent désormais dans les recherches historiques : défendait-il aussi ses propres intérêts, ceux de son milieu, de sa famille ? Une autre interrogation affleure : sur quels réseaux sociaux et culturels un diplomate sappuyait-t-il pendant ses missions, dans son propre pays et à létranger ?

En tout cas, le refus du négociateur de métier se faisait parfois brutal, au nom dune simplicité, dune véracité, dune authenticité contrastant avec lartifice, la dissimulation, la prudence qui convenaient au diplomate. À la fin de 1709, Torcy, secrétaire dÉtat des affaires étrangères, annonça à labbé de Polignac que Louis XIV avait lintention de lemployer dans les futures négociations de paix. Alors que la situation de la France était dramatique, Fénelon écrivit au duc de Chevreuse, ministre secret, toujours pour contrer une telle nomination : « En un mot je ne voudrais pas un négociateur de métier qui mît en usage toutes les règles de lart ; je voudrais un homme dune réputation qui dissipât tout ombrage et qui mît les cœurs en repos. Au nom de Dieu raisonnez-en, en toute simplicité avec le bon [duc de Beauvillier, ministre et beau-frère de Chevreuse] ; M. de T[orcy] ne voudra quun homme de métier et dépendant de lui2. » La pénétrante formule de 10larchevêque de Cambrai, dont on sait la subtile intelligence, a offert une piste que ce livre a suivie, offrant au lecteur une somme impressionnante de connaissances et de réflexions.

Lucien Bély

Sorbonne Université

1 Journal du marquis de Torcy, pour les années 1709, 1710, 1711, Frédéric Masson éd., Paris, 1903, p. 127-128.

2 Fénelon, Correspondance de Fénelon, tome XIV, Guerre, négociations, théologie, Jean Orcibal, Jacques Le Brun et Irénée Noye éditeurs, Genève, Droz, 1992, Fénelon au duc de Chevreuse, 18 novembre 1709, p. 167.