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Classiques Garnier

Avertissement de l’imprimeur

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : L’Homme-machine
  • Pages : 123 à 124
  • Collection : Textes de philosophie, n° 21
  • Thème CLIL : 3126 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie
  • EAN : 9782406142676
  • ISBN : 978-2-406-14267-6
  • ISSN : 2261-0693
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14267-6.p.0123
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 25/01/2023
  • Langue : Français
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Avertissement de limprimeur

On sera peut-être surpris que jaie osé mettre mon nom à un livre aussi hardi que celui-ci. Je ne laurais certainement pas fait, si je navais cru la Religion à labri de toutes les tentatives quon fait pour la renverser1 ; et si jeusse pu me persuader, quun autre Imprimeur neut pas fait très volontiers ce que jaurais refusé par principe de conscience. Je sais que la Prudence veut quon ne donne pas occasion aux Esprits faibles dêtre séduits. Mais en les supposant tels, jai vu à la première lecture quil ny avait rien à craindre pour eux. Pourquoi être si attentif, et si alerte à supprimer les Arguments contraires aux Idées de la Divinité et de la Religion ? Cela ne peut-il pas faire croire au Peuple quon le leurre ? Et dès quil commence à douter, adieu la conviction, et par conséquent la Religion ! Quel moyen, quelle espérance, de confondre jamais les Irréligionaires, si on semble les redouter ? Comment les ramener, si en leur défendant de se servir de leur raison, on se contente de déclamer contre leurs mœurs, à tout hasard, sans sinformer si elles méritent la même censure que leur façon de penser.

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Une telle conduite donne gain de cause aux Incrédules ; Ils se moquent dune Religion, que notre ignorance voudrait ne pouvoir être conciliée avec la Philosophie : ils chantent victoire dans leurs retranchements, que notre manière de combattre leur fait croire invincibles. Si la Religion nest pas victorieuse ; cest la faute des mauvais Auteurs qui la défendent. Que les bons prennent la plume ; quils se montrent bien armés ; et la Théologie lemportera de haute lutte sur une aussi faible Rivale. Je compare les Athées à ces Géants qui voulurent escalader les Cieux : ils auront toujours le même sort2.

Voilà ce que jai cru devoir mettre à la tête de cette petite Brochure, pour prévenir toute inquiétude. Il ne me convient pas de réfuter ce que jimprime ; ni même de dire mon sentiment sur les raisonnements quon trouvera dans cet écrit. Les connaisseurs verront aisément que ce ne sont que des difficultés qui se présentent toutes les fois quon veut expliquer lunion de lÂme avec le Corps. Si les conséquences, que lAuteur en tire, sont dangereuses, quon se souvienne quelles nont quune Hypothèse pour fondement. En faut-il davantage pour les détruire ? Mais, sil mest permis de supposer ce que je ne crois pas ; quand même ces conséquences seraient difficiles à renverser, on nen aurait quune plus belle occasion de briller. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

1 On retrouve dans le Discours préliminaire des positions très proches de celles évoquées dans cet avertissement, prétendument de limprimeur, Elie Luzac. Il y démontre que la philosophie ne produit pas les effets délétères que les théologiens lui reprochent, car la philosophie porte exclusivement sur la nature dont sont exclues la morale traditionnelle (et non la morale naturelle), la politique et la religion et, de plus, elle nest jamais comprise par le peuple. Ce dernier point est commun aux auteurs libertins du xviie siècle et à Spinoza qui distinguent la vérité philosophique que seule lélite intellectuelle est capable de saisir et les opinions soutenues par la religion à destination du peuple. Il sagit de reconduire la religion à sa fonction civile, comme le fait Spinoza dans le Traité théologico-politique et de la distinguer de la philosophie. Cest ainsi que « les Matérialistes ont beau prouver que lHomme nest quune Machine, le peuple nen croira jamais rien », écrit La Mettrie dans le Discours préliminaire et « Je ne prétends pas insinuer par là quon doive tout mettre en œuvre pour endoctriner le peuple et ladmettre aux Mystères de la Nature. Je sens trop bien que la Tortue ne peut courir, les Animaux rampants voler, ni les Aveugles voir. Tout ce que je désire, cest que ceux qui tiennent le timon de lÉtat, soient un peu Philosophes : tout ce que je pense, cest quils ne sauraient lêtre trop. », OP I, respectivement p. 20 et p. 42. La Mettrie défend ici la thèse du despotisme éclairé.

2 Dans la mythologie grecque, les Géants mènent une guerre contre les dieux Olympiens (la gigantomachie) quils perdent.