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Classiques Garnier

Chapitre 23 Collocations de symptômes somatiques

  • Publication type: Book chapter
  • Book: L’Expression des émotions et des sentiments en français
  • Pages: 387 to 389
  • Collection: Linguistic Domains, n° 22
  • Series: Grammaires et représentations de la langue, n° 14
  • CLIL theme: 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
  • EAN: 9782406145943
  • ISBN: 978-2-406-14594-3
  • ISSN: 2275-2803
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14594-3.p.0387
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 05-31-2023
  • Language: French
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Chapitre 23

Collocations de symptômes somatiques

Beaucoup daffects saccompagnent de symptômes somatiques. Pour Spinoza, dans la Partie III de lÉthique ([1677] 1990) intitulée De lorigine et de la nature des affects, les affects, en réalité, sont en eux-mêmes des phénomènes somatiques. Les travaux en neurologie des vingt dernières années confirment ce point de vue1. Les collocations du français dont nous traitons dans ce chapitre dénotent à leur manière cet état des choses. Elles ont été étudiées par Danielle Leeman (1991), telles :

(a) (blêmir, pâlir) de rage, rougir de honte, pleurs (de joie, de honte), griller (denvie, dimpatience), trépigner dimpatience

(b) trembler dindignation, hurlement dangoisse, moue de mépris, rouge de colère

Leur forme est fixe (« Prédicat de somatisation – Préposition de – N dAffect ») et on ne peut y insérer ni déterminant ni modifieur :

trembler dindignation

vs

? trembler dune indignation légitime

trépigner dimpatience

vs

* trépigner dimpatience irrationnelle

rouge de colère

vs

* très rouge de colère

moue de mépris

vs

? moue de profond mépris

Ces expressions de réaction somatique ne sont ni des locutions, ni des expressions tout à fait libres. Elles ont fait lobjet détudes approfondies de la part de léquipe du LIDILEM (Cf. entre autres Tutin & alii, 2006). La fréquence dans les corpus de certaines dentre elles est extrêmement élevée, ce qui a conduit beaucoup dauteurs à les classer dans la catégorie des collocations.

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Cela étant dit, on ne serait pas étonné de rencontrer dans des corpus des expressions de basse fréquence telles que :

(b) sévanouir de (honte, plaisir, peur, envie), pâlir de déception, rougir de (désir, convoitise), toussoter de mépris, etc.

Du reste ces expressions de forme « de N » peuvent sassocier à des prédicats ou des syntagmes à tête prédicative dénotant un phénomène quelconque de somatisation. Le segment « de N daffect » (ex. « de rage ») a une valeur dadverbe de cause, la préposition de fonctionnant alors comme un préfixe2 :

(c) casser une pile dassiettes de fureur, se rouler par terre dindignation, se cogner la tête contre le mur de désespoir

Tout cela montre que la frontière entre une syntaxe collocationnelle et une syntaxe « libre » nest pas toujours tranchée.

Du fait de la productivité de ce phénomène, on nest pas en présence dun phénomène lexicalisé. On se bornera ici à énumérer les principales catégories de prédicats de réaction somatique susceptibles dêtre associés à une collocation de forme « de N daffect », en renvoyant le lecteur, pour approfondissement, aux travaux de Danielle Leeman et des chercheurs du LIDILEM :

couleurs

blanchir, blanc ; blêmir, blême ; pâlir, pâle ; livide ; bleuir, bleu ; rosir, rose ; rougir, rouge ; sempourprer ; verdir, vert

états

délire, ivresse ; silence ; fou ; ivre, éperdu ; malade

évanouissement

défaillir, défaillant ; se pâmer, pâmé ; sévanouir, évanouissement

express. du visage

resplendir, resplendissant ; béer, béant, bouche bée ; grimacer, grimaçant, grimace ; rayonner, rayonnant, rayonnement ; moue ; air ; expression

langueur

dépérir ; languir, languissant ; se consumer, sécher

mourir3

crever ; mourir, mort

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manière de dire 1

bougonner, criailler, grogner, grognonner, grommeler, rouscailler

manière de dire 2

bafouiller, balbutier, bégayer, bredouiller

mouvements

bondir, bondissant ; danser ; sauter, saut ; se trémousser, trémoussement ; hausser les épaules, haussement dépaules ; piaffer, piaffant, piaffement ; piétiner ; piétinement, secouer, secousse ; serrer les dents ; serrer les fesses ; sursauter, sursaut ; taper du pied ; tomber ; trépigner, trépignant, trépignement ; geste ; recul, mouvement de recul

pleurs

pleurer, pleurs ; sangloter, sanglot ; verser des larmes, larmes

regard

briller, brillant ; étinceler, étincelant ; flamboyer, flamboyant, flamboiement ; luire, luisant, lueur ; pétiller, pétillant, pétillement ; coup dœil ; regard

rire

ricaner, ricanant, ricanement ; rire, riant, rire ; sourire, souriant, sourire ; pisser

secrétions

baver ; écumer, écumant ; saliver ; suer, sueur, sueur froide

sons, voix

crier, cri ; éclater, éclat ; exploser, explosion ; grincer, grincer les dents, grincement de dents ; grogner, grognement ; hurler, hurlement ; murmurer, murmure ; râler, râle ; rugir, rugissant, rugissement ; souffler, souffle ; soupirer, soupir

suffocation

suffoquer, suffocant, suffocation ; étouffer, sétouffer ; sétrangler ; boule dans la gorge

température

bouillir, bouillant ; bouillonner ; bouillonnant, bouillonnement ; brûler, brûlant ; être glacé ; griller

tremblement

vibrer ; frémir, frémissant, frémissement ; frétiller, frétillant, frétillement ; frissonner, frissonnement, frisson ; palpiter, palpitant, palpitation ; trembler, tremblant, tremblement ; tressaillir, tressaillant, tressaillement ; claquer les dents, claquement de dents ; grelotter, grelottant, grelottement ; trembloter, tremblotant, tremblotement

viscères

Verbes et nomsde maux de ventre, envie de vomir, sensations et phénomènes scatologiques liés à la peur ou au dégoût.

1 Voir notamment les ouvrages de vulgarisation du neurologue Antonio Damasio, notamment Spinoza avait raison (Damasio, 2005). Il y indique par exemple que dans lexpérience de la peur, le corps réagit avant même que le sujet ait pris conscience davoir peur.

2 Dans son ouvrage sur lexpression de lintensité, Clara Romero (2017, p. 183-184), observe, daprès Ewa Pilecka (2010), que toutes ces constructions de forme « Prédicat de réaction somatique de N<Affect> » apportent au nom daffect une valeur dintensification.

3 Dans cet emploi particulier, mourir et mort dénotent un excès de plaisir ou de déplaisir et ne sont pas appropriés exclusivement au lexique des affects, comme le montrent les collocations « (mourir, être mort)(de fatigue, de rire, de plaisir, de peur, de trac, dennui).