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Classiques Garnier

Préface

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PréFACE

Dans le cycle de peintures que Rubens a consacrées au début de la vie de Marie de Médicis, aujourd hui au musée du Louvre, l artiste a su rendre avec puissance le mouvement du destin qui emporte cette princesse dans le tourbillon de l histoire. Si l échec et le malheur s y invitent, la jeune femme semble capable de les surmonter et de toujours triompher de l adversité. L ouvrage de Sophie Guérinot nous permet de retrouver la reine, mère de Louis XIII, lorsqu elle quitte la France en 1631 mais, cette fois, elle ne parvient pas à retrouver sa situation perdue et le chemin de la cour de France. Elle ne peut se douter en effet qu elle ne reviendra jamais dans ce royaume où elle fut puissante et que gouverne désormais d une main de fer son ancien protégé, le cardinal de Richelieu. Elle ne se résigne pas, elle conserve longtemps des bribes de sa splendeur passée, elle lutte et ne cesse de le faire, elle se débat, emportée par les événements. Si elle ne trouve jamais les moyens de retourner la situation, pourtant, elle n abandonne pas l action politique, la lutte pour le pouvoir, qui se trouve au cœur de cette étude.

Son combat se développe dans une Europe qui connaît un conflit interminable que les historiens ont désigné comme guerre de Trente Ans (1618-1648) et dans lequel la France s engage directement contre les Habsbourg à partir de 1635. Marie de Médicis avait voulu, lors de sa régence de 1610 à 1614, la paix avec cette maison d Autriche qui domine le continent, et son départ de France symbolise bien la marche inexorable vers la rupture entre le royaume de France et la multitude de territoires qui dépendent de Madrid et de Vienne. Son départ et ses voyages s inscrivent dans ce contexte dramatique et, peu à peu, toute initiative de Marie de Médicis prend un sens dans l imbroglio international. D opposante à la politique de Richelieu, elle tend ainsi à devenir une amie des ennemis de la France.

Sophie Guérinot a choisi d étudier l exil d une reine, l exil des princes étant une réalité historique passionnante à étudier : le royaume 12 de France voit passer nombre d exilés pendant la guerre de Trente Ans. C est souvent un effet de la guerre et des révolutions. Ici, ni la guerre ni la révolution ne sont en cause. Le cas de Marie de Médicis est singulier. Son exil naît des secousses intérieures dans le royaume, un exil qui n est pas vraiment voulu à l origine, mais qui débarrasse Richelieu d une opposition pesante, tout en créant à l étranger un milieu singulier de conspirateurs permanents autour de la reine mère.

Il entre, dans ce livre, une part de biographie, mais si la reine Marie occupe le devant de la scène, elle n y est pas seule. Une reine, même en exil, conserve auprès d elle des conseillers et des domestiques en grand nombre. Son action renvoie aux efforts et aux initiatives de tous ceux qui la servent ou qui l accompagnent. Elle peut également jouer des solidarités plus ou moins réelles de la société des princes : belle-mère de trois d entre eux, le roi d Espagne, le roi d Angleterre et le duc de Savoie, Marie de Médicis obtient des honneurs et des secours, mais elle encombre et embarrasse aussi les cours européennes.

Nous retrouvons également bien des personnages connus qui marquent ce temps-là, Rubens en négociateur, le peintre et diplomate Gerbier ou l abbé Scaglia, ambassadeur et collectionneur, mais nous découvrons aussi un grand nombre d inconnus, des noms qui passent dans les textes sans laisser beaucoup de traces. Sophie Guérinot s efforce de cerner et de situer avec soin ces hommes et ces femmes.

Marie de Médicis a goûté au pouvoir et elle est capable d action politique, et cette action se nourrit d information qu il faut obtenir au prix d une attention et d une vigilance permanentes. Cette association entre l action et l information fait toute la trame de ce livre, qui s appuie sur les acquis de la recherche historique la plus récente, qui révèle aussi un goût des archives et le souci d une enquête à l échelle de l Europe, répondant bien à la dimension européenne du sujet. Sophie Guérinot a recherché des documents, parfois difficiles à lire et même à comprendre et à interpréter, et elle a le souci de les citer longuement pour fonder un propos cohérent et savant. Elle a utilisé aussi des collections de correspondances pour donner des analyses fiables. Elle propose enfin des annexes très utiles. Une source privilégiée, la correspondance diplomatique, permet de comprendre les circuits de l information, la passion de savoir, la curiosité qui parcourt ce tout petit monde.

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Ce monde, quel est-il ? Politique, il propose une alternative aux décisions proposées par Richelieu à Louis XIII et une forme d alternance pour des équipes qui rêvent de récupérer pour eux-mêmes le gouvernement de la France. Diplomatique, ce milieu a des connexions internationales qui font de cet exil une affaire européenne. Ce monde a enfin une dimension curiale, car une reine mère conserve, même dans l adversité, un mode de vie singulier qu il faut financer et organiser.

Cet ouvrage propose d abord le récit du départ de Marie de Médicis, de son installation dans les Pays-Bas et de ses errances. Ces faits connus sont éclairés de documents nouveaux et de réflexions inédites. La reine mère et son entourage semblent hésiter en permanence entre le désir d un retour en France grâce à une négociation avec le pouvoir royal et la volonté de conduire des complots ou de construire des alliances internationales contre le gouvernement du roi de France. Sophie Guérinot montre l indéniable soutien des princes européens à l égard d une reine qui est leur proche parente, mais aussi la prudence de ces puissances qui instrumentalisent Marie de Médicis, sans trop s engager néanmoins pour elle, car, au fond, elle ne compte guère. Le rapport aux autres exilés est essentiel, surtout avec Gaston d Orléans, frère de Louis XIII, et sa femme. L entrée en guerre de la France en 1635 constitue une césure déterminante car tous les choix supposent désormais un engagement pour ou contre la France.

Sophie Guérinot conduit une étude serrée de l entourage de Marie de Médicis, très divers. Nous découvrons des figures variées, depuis le grand seigneur ou l ancien ministre jusqu à l homme de lettres comme Mathieu de Morgues ou Jean Puget de La Serre, des parcours souvent dramatiques, des engagements dont les conséquences paraissent souvent difficiles à supporter sur le long terme.

Le train ordinaire d une reine apparaît ici à travers sa maison, décrite à des moments différents. L aspect financier est essentiel et des documents importants permettent de comprendre la force et la fragilité de cette petite cour en exil. Recoupements et comparaisons font avancer loin dans la découverte de cet univers singulier. L étude des voyages de la reine et de ses compagnons d exil montre bien cette itinérance dont les cours européennes conservent la tradition mais qui devient ici la conséquence de l exil.

Des changements s opèrent dans cet entourage, avec plusieurs étapes, le temps de La Vieuville, celui du père Chanteloube, enfin le triumvirat 14 Fabroni, Le Coigneux, Monsigot. Ces conseillers de la reine apparaissent comme des négociateurs ou des hommes d action : le père Chanteloube semble même employer des « tueurs ». Certaines relations laissent deviner le soupçon permanent et une forme de violence, même si la cour de Marie de Médicis n est pas faite que de cela.

Sophie Guérinot décrit l agencement des réseaux autour des émigrés, et cela constitue l un des apports importants de ce travail. On compte une représentation officielle, mais sa nature, pour une reine mère en disgrâce, suscite d importantes interrogations. L abbé Fabroni prétend ainsi avoir à Rome le titre de résident : il défend ses prérogatives et les impose en partie. L instruction qui lui est donnée permet d approfondir cette forme singulière de diplomatie. On perçoit le grand rôle de négociateurs étrangers auprès de Marie de Médicis, en particulier l abbé Scaglia ou Rubens.

Nous découvrons aussi les réseaux secrets et nous retrouvons cette nécessité pour un homme d action ou de réflexion d entretenir un réseau qu il peut mettre au service d une cause politique. Sophie Guérinot traque ces espions, comme ce Gédéon dont elle suit les informations à travers deux mémoires. En décrivant l imbrication des réseaux, elle démontre le rôle de Gerbier et, plus généralement, révèle le lien entre le métier d informateur et d autres préoccupations essentielles : le goût de l écriture et la passion des collections d art par exemple.

Ces réseaux imposent des pratiques concrètes et des mécanismes complexes, avec d un côté les récompenses et les rémunérations, de l autre, les risques encourus, et ce livre permet de découvrir quelles formes ce système prend dans ces années 1630. La description des postes et de la circulation du courrier nous fait pénétrer dans l univers du contre-espionnage avec d innombrables détails précis et passionnants. Les codes et les chiffres sont autant d éléments qui permettent de construire l information et de la faire circuler.

Cette réflexion se termine en décrivant la mise en forme de cette information. Sophie Guérinot étudie les publications au service de la reine mère, puis considère la diffusion de ces textes. Il s agit là d orienter l opinion publique, de transformer l image de la reine qui a fui pour une réhabilitation de son action, et cela conduit à critiquer les choix du gouvernement de Richelieu. Il s agit aussi de réécrire l histoire en laissant rêver et écrire les plus virulents adversaires du cardinal, face aux écrivains qui édifient en France un récit officiel à la gloire du premier ministre.

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La cour autour d une reine de France en exil peut rivaliser avec celle de certaines principautés plus modestes d Allemagne ou d Italie, et elle constitue ainsi un fragment de puissance. Néanmoins, cet acteur politique n a pas d assise territoriale, se trouve « hors-sol », sans sujets à dominer ou à taxer. C est ainsi une cour en miniature mais peut-être aussi une caricature de cour, comme si les difficultés exacerbaient les traits de tout milieu curial, de tout cercle de pouvoir, avec des tensions extrêmes et une violence latente, alimentées par le regret de la terre natale, une nécessaire nostalgie. Le regard pénétrant de Sophie Guérinot permet de retrouver cette petite société qui semble parfois un nœud de vipères, derrière la silhouette majestueuse de la reine Marie de Médicis. Celle-ci, comme femme, a sans doute aussi à compter avec les mauvaises façons que l on réserve à son sexe, même si elle a acquis par sa formation et son passé de régente l art du commandement, la capacité à se faire craindre. Confrontée à ces événements qui la dépassent et la maltraitent, elle prend ici une dimension tragique qu elle partage avec ses compagnons d infortune dans cette expérience de l exil.

Lucien Bély

Sorbonne Université