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Classiques Garnier

Introduction à la première partie

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Introduction
à la première partie

Depuis la journée des dupes du 10 novembre 1630, Marie de Médicis est écartée du pouvoir. Louis XIII choisit le cardinal de Richelieu comme principal ministre et renvoie Michel de Marillac qu il fait enfermer dans son château de Châteaudun 1 . La reine mère cherche néanmoins à retrouver un rôle prédominant. Devant cette attitude, Louis XIII prend la décision le 22 février 1631, en Conseil d État, d éloigner sa mère de la cour en la reléguant à Compiègne 2 . Les historiens ont noté que cette situation marquait l aboutissement d un long processus opposant les partisans de la réforme intérieure et d une alliance espagnole, défendues par le parti dévot autour des figures de Marie de Médicis, Marillac et le fondateur de l Oratoire, Pierre de Bérulle (1575-1629), et la ligne politique tracée par le cardinal de Richelieu 3 . Les divergences entre Bérulle et le cardinal sont profondes, car l oratorien souhaite restaurer l unité de la chrétienté par l union des peuples, dont la France et l Espagne, pour lutter contre le protestantisme 4 . La situation se révèle cependant beaucoup plus complexe.

Le terme « dévot » a souvent été utilisé pour désigner deux réalités différentes. Si un courant de dévotion s étend dans l ensemble des élites catholiques, celles-ci ne défendent pas pour autant les idées extrêmistes développées par les jésuites Robert Bellarmin (1542-1621), Francisco Suarez 36 (1548-1617) et Juan Mariana (1536-1624), qui veulent faire triompher le respect de la morale chrétienne et l intérêt de l Église, légitimant le pouvoir du pape à intervenir dans la politique des États pour défendre la foi 5 . Plusieurs personnalités, évoluant ainsi dans des cercles sociaux promoteurs de la réforme catholique, furent appelées par Marie de Médicis pour jouer un rôle politique, à l instar de Marillac, constituant petit à petit un « parti dévot 6  », parfois qualifié de « parti de la reine 7  » même s il ne s est jamais déclaré comme tel. Il reste un groupe mal défini et relativement large : il rassemble des politiques, des religieux et des gentilshommes qui partagent plus ou moins les mêmes préoccupations sur le fonctionnement du gouvernement royal, la politique étrangère et la lutte contre l hérésie 8 . Jean-Marie Constant rappelle que le mot « parti », ancien terme de guerre, a été utilisé par extension pour décrire l union de plusieurs personnes qui étaient d opinion contraire ou avaient des intérêts différents avec d autres. Il faut donc entendre le terme parti comme un courant de pensée, une sensibilité plus ou moins bien organisée, un regroupement d intérêts et d individus qui souhaitent exercer une pression forte sur un gouvernement ou un autre parti 9 . En son sein, les divergences d opinion politique restent nombreuses et ne suivent pas une ligne de pensée stricte et unique, notamment sur le plan international 10 .

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La mise à l écart de la reine mère est, dans tous les cas, le point de départ d une opposition active au cardinal, rassemblant dévots, catholiques zélés, malcontents, nobles écartés du pouvoir et protestants, dans laquelle sont impliquées des puissances étrangères 11 . Au mois de juillet 1631, Marie de Médicis quitte le royaume de France et se réfugie dans les Pays-Bas espagnols. Jusqu en 1634, plusieurs actions diplomatiques et militaires sont menées avec l aide des princes. Ces relations jettent les bases de réseaux diplomatiques et politiques autour de la reine en exil et de Louis XIII. La déclaration de la guerre ouverte entre les couronnes de France et d Espagne influe ensuite profondément sur la situation politique de la reine mère, l obligeant à quitter les Pays-Bas et à vivre à La Haye, Londres, puis Cologne. Les premières relations nouées au début de son exil évoluent et les projets politiques élaborés en 1631 doivent être repensés dans une Europe déchirée par la guerre 12 . Les liens tissés par Marie de Médicis avec les différents princes, pour organiser des campagnes militaires ou pour négocier son retour en France, sont le reflet de sa place sur la scène internationale tout au long de ses onze années d exil.

1 Michel de Marillac (1563-1632), surintendant des finances en 1622, puis garde des sceaux en 1626.

2 G. Mongrédien, 10 novembre 1630 : la journée des dupes,Paris, 1961. P. Chevallier, « La Véritable journée des Dupes (11 novembre 1630). Étude critique des journées des 10 et 11 novembre 1630 daprès les dépêches diplomatiques », Mémoires de la Société académique de lAube,t. CVIII, 1974-1977. F. Hildesheimer, op. cit., p. 224-238. J.-F. Dubost, Marie de Médicis, op. cit., p. 767-783.

3 G. Pagès, « Autour du grand orage : Richelieu et Marillac, deux politiques », Revue historique,1937. R. Bonney, op. cit. W. F. Church, op. cit.

4 S.-M. Morgain, La Théologie politique de Bérulle, Paris, 2001.

5 S. de Franceschi utilise pour ces derniers le terme de « catholiques zélés », terme retenu aussi par J.-F. Dubost. L. Chatellier, LEurope des dévots, Paris, 1987. S. de Franceschi, dir., Antiromanisme doctrinal et romanité ecclésiale dans le catholicisme posttridentin : xvie-xxe siècles, Lyon, 2008. J.-F. Dubost, op. cit., p. 226.

6 J.-P. Gutton, Dévots et société au xviie siècle ; construire le ciel sur la terre, Paris, 2004. C. Maillet-Rao, La Pensée politique des dévots, Mathieu de Morgues et Michel de Marillac, une opposition au ministériat du cardinal de Richelieu, Paris, 2015.

7 F. Hildesheimer, op. cit., p. 236-237.

8A large ill-defined group that enjoyed powerful support in high places”, ainsi est-il décrit par W. F. Church, op. cit., p. 198-202.

9 J.-M. Constant, « Le comportement politique et moral des gentilshommes proches du parti dévot dans la première moitié du xviie siècle », dans Itinéraires spirituels, enjeux matériels en Europe. Mélanges offerts à Philippe Loupès, dir. A.-M. Cocula et J. Pontet, Bordeaux, 2005, p. 127-148.

10 J.-M. Constant, La Folle liberté des baroques, 1600-1661, Paris, 2007, p. 234. A. Jouanna, Le Prince absolu, apogée et déclin de limaginaire monarchique, Paris, 2014, p. 37. C. Maillet-Rao montre que les critiques de Marillac et Mathieu de Morgues contre Richelieu portent finalement moins sur la politique extérieure que sur le mode de gouvernement et le ministériat. C. Maillet-Rao, op. cit. Des divergences existent aussi entre Marillac et Marie de Médicis concernant, par exemple, lopportunité dintervenir en Italie en 1630. Voir J.-F. Dubost, op. cit., p. 773. Pour aller plus loin, voir aussi B. Pierre, La Monarchie ecclésiale, le clergé de cour en France à lépoque moderne, Seyssel, 2013.

11 R. Mousnier, « Les crises intérieures françaises de 1610 à 1659 et leur influence sur la politique extérieure française », dans Krieg und Politik. 1618-1648 : europäische Probleme und Perspektiven, dir. K. Repgen, München, 1988, p. 169-184. Plusieurs groupes sopposent ainsi à la politique de Louis XIII et Richelieu : ceux qui veulent faire triompher la subordination de lÉtat à lÉglise, les Grands, qui, écartés de plus en plus du gouvernement, déclarent la constitution coutumière du royaume violée, enfin les protestants.

12 H. Hauser, La Prépondérance espagnole, 1559-1660, Paris, réed., 1973. G. Livet, La Guerre de Trente Ans, Paris, 1991. V.-L. Tapié, La Guerre de Trente Ans,Paris, 1965. E. Straub, Pax et Imperium : Spaniens Kampf um seine Friedensordnung in Europa zwischen 1617 und 1635, Paderborn, München, Wien, Zürich, 1980. G. Parker, The Thirty Years War, 1984. K. Repgen, dir., Krieg und Politik 1618-1648, op. cit. L. Bély, J. Bérenger, A. Corvisier, Guerre et paix dans lEurope du xviie siècle, op. cit. J. Burkhardt, Der Dreissigjährige Krieg, Frankfurt, 1992. J.-B. Bois, Les Guerres en Europe 1494-1792, Paris, 1993. K. Malettke, Les Relations entre la France et le Saint-Empire au xviie siècle, Paris, 2001. J. Black, European Warfare, 1494-1660, Andover, 2002. C. Gantel, Guerre, paix et construction des États, op. cit. R. Babel, La France et lAllemagne à lépoque de la monarchie universelle des Habsbourg, 1500-1648, Villeneuve-dAscq, 2013.