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Classiques Garnier

[Introduction de la troisième partie]

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Ou temps que [Julius César conquista toute la terre dEurope et dOccident et Pompée conquesta toute la terre dOrient, Assie et une partie dAfricq], firent faire les offices royaulx pour gouverner et avoir congnoissance de tout ce qui appartient au mestier darmes et pour décider des droictz, et jugementz qui en doibvent dépendre. Et premièrement fut ordonné par lesdits princes loffice de connestable, secondement loffice des amiraulx, tiercement loffice des mareschaulx, quartement furent faictz les cappitaines, quintement, pour estre aulx jugementz darmes les héraulx, et chacun deulx servans en son degré1.

Encore copié au milieu du xvie siècle à Calais, le traité des cinq offices royaux établissait sans équivoque la nature de loffice darmes : il était une dignité dorigine royale, intimement liée à la chevalerie et destinée au gouvernement des nobles. En cela, il représentait bien cette interface entre le monarque et sa noblesse, identifiée par G. Melville et C. Boudreau2. La vocation de loffice darmes avait beau être de servir toute la noblesse, nombre de hérauts travaillaient directement ou indirectement pour le prince.

Comme les nobles, le prince que décrivaient les hérauts dans leurs traités était avant tout un roi-chevalier. La notion était double et les discours produits par les hérauts sur le sujet montraient bien le caractère composite dun tel souverain. Il était à la fois et prince et chevalier. Laspect un peu contradictoire de cette juxtaposition était en partie levé par une image qui revient régulièrement à lesprit, quand on étudie les missions des officiers darmes : celle du primus inter pares. Et de fait, limagerie à laquelle les hérauts furent associés sous les règnes de Charles Quint et Philippe II partait de lidée que ces princes étaient la chevalerie faite hommes.

Mais ici encore, le caractère composite de la littérature des officiers darmes leur faisait dire une chose et son contraire. À côté de ce prince chevalier, cédant volontiers à la camaraderie des armes et acceptant quun de ses sujets pût le vaincre en lices, il y avait aussi, de la part 434des hérauts, un discours sur la majesté et la souveraineté du monarque. Cest là quils se révélaient comme les détenteurs dun des cinq offices royaux. Ils étaient associés à une véritable mise en scène de la spécificité du pouvoir royal : un pouvoir souverain, supérieur et sacré. Leur participation réelle ou espérée à la collation des honneurs établissait également le prince en seul dispensateur, arbitre et contrôleur des dignités et de leurs marques.

Enfin, les hérauts du xvie siècle navaient pas complétement perdu une de leurs fonctions essentielles de la période médiévale : la diplomatie. Les traités établissaient en effet les hérauts comme les « légats généraux et messagers espéciaux » des princes et des nobles. Cette théorie correspondait encore largement à une réalité : les officiers darmes étaient des acteurs à part entière de la guerre et de la paix. Ce domaine dactivité, enfin, révélait à lui seul toutes les contradictions de loffice, à la fois au service des nobles et du prince, de la chevalerie et de la souveraineté.

1 BNF, Dupuy 259, fo 6, copie xvie défectueuse, corrigée sur BM Besançon, Chiflet 81, fo 97.

2 G. Melville, « Pourquoi des hérauts darmes ? », art. cité, p. 500 et C. Boudreau, Lhéritage symbolique…, op. cit., t. 1, p. 9 sqq.