[Introduction de la deuxième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : L’Étoffe des hérauts. L'office d'armes dans l'Europe des Habsbourg à la Renaissance
- Pages : 239 à 240
- Collection : Bibliothèque d’histoire de la Renaissance, n° 16
- Thème CLIL : 3387 -- HISTOIRE -- Renaissance
- EAN : 9782406101215
- ISBN : 978-2-406-10121-5
- ISSN : 2264-4296
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10121-5.p.0239
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 13/05/2020
- Langue : Français
L’office d’armes doit honnourer les nobles, et la noblesse les doit nourrir, soustenir et porter1.
Pour Olivier de la Marche, au xve siècle, tel était le contrat entre nobles et hérauts. Les deux se devaient un soutien indéfectible et réciproque. L’échange était mutuellement profitable : les hérauts servaient de faire-valoir aux nobles et les nobles assuraient la vie matérielle des hérauts. Au siècle suivant, l’affirmation semblait encore assez pertinente pour que Garci Alonso de Torres (Aragon) la traduise mot pour mot dans un de ses traités2. De fait, il y avait des rapports privilégiés entre l’office d’armes et le second ordre. Dans leurs écrits et dans leurs missions, les hérauts étaient les promoteurs et les propagateurs d’une certaine image de la noblesse. C’est une des causes qui amenait G. Melville à définir la hérauderie comme un produit et un symbole des structures de pouvoir de son temps3 : à travers elle, c’est aussi la noblesse qui se donnait à voir. Les hérauts remplissaient une foule de missions au profit des nobles et leurs traités parlaient beaucoup de cet ordre. Compilation de collages et d’extraits, ces traités donnaient des images parfois très contradictoires – et, par là, d’une grande richesse – du second ordre.
De leur passé d’organisateurs de tournois, les hérauts avaient en effet retenu une définition très chevaleresque de la noblesse. Ils avaient d’ailleurs construit une bonne partie de la mythologie de leur office par rapport à celle de la chevalerie. Dans les traités, le héraut semblait être une sorte de symétrique du chevalier. En même temps, ce passé d’organisateur de fêtes chevaleresques n’était pas oublié : tournois, chapitres de l’ordre de la Toison d’or et mise en scènes héraldiques participaient à maintenir l’image d’une noblesse belliqueuse et chevalereuse. Mais cette propagande chevaleresque menée par les hérauts n’allait pas sans difficultés.
Le second ordre n’était pas qu’un groupe d’hommes agissant comme des chevaliers. Il avait aussi des traits plus proprement nobiliaires, qui semblent peut-être s’être affirmés au détriment des précédents. 240Le lignage était une préoccupation ancienne des nobles, dans laquelle les hérauts – connaisseurs des noms et des armes – avaient un mot à dire4. Ils participaient par ailleurs à la mise en scène de la hiérarchie et de la prééminence, éléments essentiels de l’identité de cet ordre, au sens féodal du terme5. Ils furent enfin au cœur d’une nouvelle attitude de la noblesse : un goût du papier et du certificat rappelant les méthodes de l’administration et tranchant avec l’attachement traditionnel des nobles pour l’oral et la parole.
Hérauts et nobles se retrouvèrent enfin confrontés à une crise de leurs identités traditionnelles, qui les amena à un retournement de posture face au monde. En début de siècle, en effet, les hérauts participaient au songe chevaleresque des nobles, tel que l’avait identifié Huizinga6. La conscience d’une cassure entre ce monde idéal et meilleur du songe et la réalité commença à apparaître clairement dans le discours des hérauts. Dans les Flandres, les Troubles furent l’occasion de proposer une réforme conjointe de la noblesse et de l’office d’armes. Elle aboutit cependant à la construction d’un organe administratif de contrôle de la noblesse, géré par les hérauts. Un siècle plus tôt cette solution apparaissait comme une « semblance d’inquisition » ou un péché passible de l’Enfer.
1 O. de la Marche, « Estat de la maison… », op. cit., p. 69.
2 BNE 3258, fo 59vo.
3 G. Melville, « Pourquoi des hérauts d’armes ? », art. cité, p. 491-492.
4 M. Nassiet, Parenté, noblesse et États dynastiques, op. cit., p. 29-35 fait du nom et des armoiries les supports de l’affirmation lignagères dès le xiiie-xive siècle.
5 « Les Trois ordres… », art. cité, p. 526-529 et 533-540.
6 J. Huizinga, L’Automne…, op. cit., p. 124.