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Classiques Garnier

[Introduction de la deuxième partie]

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Loffice darmes doit honnourer les nobles, et la noblesse les doit nourrir, soustenir et porter1.

Pour Olivier de la Marche, au xve siècle, tel était le contrat entre nobles et hérauts. Les deux se devaient un soutien indéfectible et réciproque. Léchange était mutuellement profitable : les hérauts servaient de faire-valoir aux nobles et les nobles assuraient la vie matérielle des hérauts. Au siècle suivant, laffirmation semblait encore assez pertinente pour que Garci Alonso de Torres (Aragon) la traduise mot pour mot dans un de ses traités2. De fait, il y avait des rapports privilégiés entre loffice darmes et le second ordre. Dans leurs écrits et dans leurs missions, les hérauts étaient les promoteurs et les propagateurs dune certaine image de la noblesse. Cest une des causes qui amenait G. Melville à définir la hérauderie comme un produit et un symbole des structures de pouvoir de son temps3 : à travers elle, cest aussi la noblesse qui se donnait à voir. Les hérauts remplissaient une foule de missions au profit des nobles et leurs traités parlaient beaucoup de cet ordre. Compilation de collages et dextraits, ces traités donnaient des images parfois très contradictoires – et, par là, dune grande richesse – du second ordre.

De leur passé dorganisateurs de tournois, les hérauts avaient en effet retenu une définition très chevaleresque de la noblesse. Ils avaient dailleurs construit une bonne partie de la mythologie de leur office par rapport à celle de la chevalerie. Dans les traités, le héraut semblait être une sorte de symétrique du chevalier. En même temps, ce passé dorganisateur de fêtes chevaleresques nétait pas oublié : tournois, chapitres de lordre de la Toison dor et mise en scènes héraldiques participaient à maintenir limage dune noblesse belliqueuse et chevalereuse. Mais cette propagande chevaleresque menée par les hérauts nallait pas sans difficultés.

Le second ordre nétait pas quun groupe dhommes agissant comme des chevaliers. Il avait aussi des traits plus proprement nobiliaires, qui semblent peut-être sêtre affirmés au détriment des précédents. 240Le lignage était une préoccupation ancienne des nobles, dans laquelle les hérauts – connaisseurs des noms et des armes – avaient un mot à dire4. Ils participaient par ailleurs à la mise en scène de la hiérarchie et de la prééminence, éléments essentiels de lidentité de cet ordre, au sens féodal du terme5. Ils furent enfin au cœur dune nouvelle attitude de la noblesse : un goût du papier et du certificat rappelant les méthodes de ladministration et tranchant avec lattachement traditionnel des nobles pour loral et la parole.

Hérauts et nobles se retrouvèrent enfin confrontés à une crise de leurs identités traditionnelles, qui les amena à un retournement de posture face au monde. En début de siècle, en effet, les hérauts participaient au songe chevaleresque des nobles, tel que lavait identifié Huizinga6. La conscience dune cassure entre ce monde idéal et meilleur du songe et la réalité commença à apparaître clairement dans le discours des hérauts. Dans les Flandres, les Troubles furent loccasion de proposer une réforme conjointe de la noblesse et de loffice darmes. Elle aboutit cependant à la construction dun organe administratif de contrôle de la noblesse, géré par les hérauts. Un siècle plus tôt cette solution apparaissait comme une « semblance dinquisition » ou un péché passible de lEnfer.

1 O. de la Marche, « Estat de la maison… », op. cit., p. 69.

2 BNE 3258, fo 59vo.

3 G. Melville, « Pourquoi des hérauts darmes ? », art. cité, p. 491-492.

4 M. Nassiet, Parenté, noblesse et États dynastiques, op. cit., p. 29-35 fait du nom et des armoiries les supports de laffirmation lignagères dès le xiiie-xive siècle.

5 « Les Trois ordres… », art. cité, p. 526-529 et 533-540.

6 J. Huizinga, LAutomne…, op. cit., p. 124.