[Introduction à la quatrième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : L’Épreuve du fantôme dans la littérature des Lumières
- Pages : 361 à 362
- Collection : L'Europe des Lumières, n° 87
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406148135
- ISBN : 978-2-406-14813-5
- ISSN : 2258-1464
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14813-5.p.0361
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 12/07/2023
- Langue : Français
Les « fantômes de vertu », une fois dissipés, ouvrent comme on l’a vu la voie au bonheur des sens. Mais il n’est pas sûr que leur disparition comble cette autre forme de vacuité, creusée par une sensualité non totalement réalisée et vécue sur le mode de la fuite ou de la perte, de la nostalgie et du désir : les fantômes de bonheur qu’ils laissent derrière eux fugitivement ressurgissent et échappent. Sous cette perspective le fantôme désigne aussi bien l’objet vainement désiré que l’élan vers cet objet, un élan nourri de désir et de nostalgie, de remémoration d’un bonheur passé1.
La représentation de l’évanescence et du surgissement de ces « fantômes » du désir court ainsi, en se transformant, du rococo du premier tiers du siècle au genre sombre des années 1770. Avec le « sylphe » le fantôme partage un imaginaire érotique et onirique, une composante « pneumatologique2 » et un caractère déceptif. Il s’en distingue par sa densité et sa nature psychique ; plus matériel, en ce qu’il ne renvoie pas à la matière universelle spiritualisée des Élémentaires, le fantôme est aussi moins incarné : le sylphe permet de parler du désir d’un sujet en évoquant un « objet », le fantôme focalise l’attention sur le sujet lui-même. De même, si le fantôme partage avec le spectre un effet de surgissement spectaculaire et de scandale, le vague de sa forme rappelle qu’il émane de l’intériorité et qu’il est fait, là encore, de matériaux psychiques. Cependant, quoiqu’évanescent et insensible, le fantôme confirme comme ces deux autres figures l’avènement d’une civilisation de l’image. C’est en termes de visible et d’invisible que se pense une dialectique de la vérité et de l’illusion auparavant portée, essentiellement, par le récit ou l’histoire.
Les pages qui suivent détailleront, sans chercher l’exhaustivité, quelques-unes des réalisations littéraires du motif fantomatique en cherchant à rendre compte de la diversité des propositions qu’ont pu faire les 362écrivains en fonction des genres et des traditions esthétiques en matière d’expression de l’évanescence du désir et de la perte. Notons-le d’emblée : ce parcours fait apparaître la profonde articulation, dans l’imaginaire, d’une esthétique de la sensation et d’une métaphysique de la présence. Les nombreux phénomènes de transgénéricité et d’interconnexion artistique que le motif fantomatique autorise sont révélateurs non seulement de sa plasticité, mais aussi de la profonde imprégnation culturelle de l’imaginaire qu’il véhicule. Sources de plaisir, l’illusion, la chimère, le fantasme se révèlent sources d’un savoir inédit que seul peut-être l’art peut délivrer.
1 Voir à ce propos les analyses de Jean-François Perrin dans Poétique romanesque de la mémoire avant Proust, t. 1. Éros réminiscent (xviie-xviiie siècle), Paris, Classiques Garnier, 2017.
2 Ce mot de tradition ancienne est repris par Daniel Sangsue dans ses « essais de pneumatologie littéraire » : Fantômes, esprits et autres morts-vivants (Paris, José Corti, 2011) et Vampires, fantômes et apparitions (Paris, Hermann, 2018).