Aller au contenu

Classiques Garnier

Préface de l’auteur

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : L’Économie intégrale de John Kenneth Galbraith (1933-1983)
  • Pages : 13 à 14
  • Collection : Bibliothèque de l'économiste, n° 41
  • Série : 1, n° 19
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406125693
  • ISBN : 978-2-406-12569-3
  • ISSN : 2261-0979
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12569-3.p.0013
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 19/01/2022
  • Langue : Français
13

Préface de lauteur

Pourquoi étudier lœuvre de John Kenneth Galbraith au xxie siècle ? Cette question appelle une réponse immédiate, puisque louvrage invite le lecteur à un voyage dans lhistoire de la pensée économique américaine au prisme de lœuvre dun économiste parfois méprisé en son temps et largement oublié présentement. Outre lintérêt en soi quelle revêt pour lhistorien de la pensée économique, trois raisons mont incité à entreprendre une reconstruction de la trajectoire intellectuelle de Galbraith.

La première est relative aux débats ayant agité la science économique française au cours de la dernière décennie. Je pense notamment au projet de création dune nouvelle section, au sein du Conseil National des Universités, intitulée « Institutions, Économie, Territoire et Société ». Les enjeux de ce schisme manqué, léventualité dune telle création ayant été pour lheure abandonnée, dépassent de loin la querelle de personnes, la virulence des propos et les considérations stratégiques. Cette controverse constitue une cristallisation de fractures disciplinaires fort anciennes. Et cest ici quun premier effet de contemporanéité de lœuvre de Galbraith surgit. Son projet théorique participe, en même temps quil donne à voir, des fractures relativement similaires au sein de lÉconomie américaine de la fin des années soixante. Si la science économique daujourdhui nest pas celle de laprès-guerre, létude de lœuvre de Galbraith permet tout de même de comprendre la nature des différences entretenues entre les économistes depuis un siècle. En sus de divergences politico-idéologiques, ces différences portent essentiellement sur lobjet de lÉconomie (différences substantives), la nature de cet objet (différences ontologiques) ainsi que les modalités de son étude (différences méthodologiques). LÉconomie intégrale de Galbraith permet ainsi de plonger notre regard dans un passé permettant de repenser sur le présent de notre discipline.

La deuxième raison ayant motivé lécriture de cet ouvrage est intimement liée à la première. Elle est relative à lexistence de ce quon appelle 14les courants hétérodoxes et orthodoxes et au devenir du pluralisme. LÉconomie intégrale de Galbraith, quil pense comme une alternative à lÉconomie quil juge dominante, à savoir la synthèse néoclassique, peut être qualifiée dhétérodoxe tant dun point de vue théorique que dun point de vue épistémologique. Elle se meut à rebours des tendances lourdes, au premier rang desquelles la formalisation, qui caractérisent la discipline à partir de laprès-guerre. Néanmoins, Galbraith ne fut jamais, au cours de sa carrière, un économiste en marge du point de vue institutionnel. Ce travail démontre même que le dialogue avec certains de ses pairs et les emprunts à leurs travaux, malgré les désaccords quil formule à leur encontre, ont été un facteur de production essentiel à son entreprise théorique. Cette étude dhistoire de la pensée permet incidemment de montrer quil nexiste alors aucune relation univoque entre les dimensions institutionnelles, théoriques et épistémologiques de lhétérodoxie.

La troisième raison est que nous assistons à un retour de lambition galbraithienne. Alors que lÉconomie daprès-guerre est marquée par un renforcement des tendances à la spécialisation et la professionnalisation, Galbraith sest durablement inscrit dans le champ intellectuel, tant américain quinternational, en proposant une pensée de système destinée à une audience non restreinte au cercle étroit des économistes de profession. Les stratégies de diffusion des œuvres de James Galbraith, Branko Milanovic, Thomas Piketty, Dani Rodrik et Joseph Stiglitz, de même que leurs volontés de « penser grand » en ce début de 21e siècle, font directement écho à lesprit de lÉconomie intégrale de Galbraith. Tandis que léconomiste contemporain intervient régulièrement dans les espaces médiatiques, politiques ou encore juridiques en tant quexpert, ces derniers font figure dintellectuels publics. Notre travail permet, en se concentrant sur le cas Galbraith, dinterroger les forces et les faiblesses dune telle posture. Que risque un économiste en sadressant en même temps à ses pairs et au grand public ? Ce statut dintellectuel public est-il le seul possible afin de parvenir à se faire entendre, en tant quéconomiste, lorsque lon porte une voix singulière ou dissonante ?