Préambule
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : L’Avènement de la métaphysique kantienne. Prémisses et enjeux d’une réception au xxe siècle
- Pages : 249 à 250
- Collection : Philosophies contemporaines, n° 26
- Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- EAN : 9782406148180
- ISBN : 978-2-406-14818-0
- ISSN : 2427-8092
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14818-0.p.0249
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 09/08/2023
- Langue : Français
Préambule
Précisons-le d’emblée, Martin Heidegger ne fait pas partie, à proprement parler, des représentants de l’interprétation métaphysique. Il est toutefois impossible de ne pas nous arrêter, dans notre enquête consacrée à la réception métaphysique de la philosophie kantienne, sur son rapport à Kant et aux penseurs appartenant à ce courant interprétatif. Cela, d’autant plus qu’en France, Heidegger a été et est probablement encore perçu comme le penseur ayant défendu le premier, ou le mieux, la métaphysique de Kant. N’a-t-il pas été d’ailleurs l’interlocuteur, ou plutôt le contradicteur – à en croire les témoignages de l’époque1 – d’Ernst Cassirer à Davos lors des célèbres dialogues consacrés à Kant, où il a représenté la nouvelle approche métaphysique au sens large, en s’opposant à la perspective néokantienne ? L’immense écho de sa philosophie, notamment en France, a contribué à donner l’impression qu’il avait découvert et imposé la métaphysique kantienne sur la scène philosophique allemande. Or, cette image n’est pas exacte, car non seulement Heidegger ne parle pas au nom de l’interprétation métaphysique, qui avait déjà droit de cité depuis plusieurs années, mais la perspective qu’il défend entretient un rapport complexe avec les textes de M. Wundt, H. Heimsoeth ou N. Hartmann. Ce rapport, nous en sommes persuadée, mérite d’être examiné à nouveaux frais à la lumière de l’enquête que nous proposons dans ces pages. Il permettra de mieux saisir, non seulement le cheminement emprunté par la philosophie de Kant au xxe siècle, mais également celui de la pensée heideggérienne.
250La lecture heideggérienne de Kant a fait l’objet de nombreux commentaires2. Nous souhaitons examiner de plus près ici ce qui a suscité l’intérêt de Heidegger pour Kant, ainsi que son rapport, non interrogé jusqu’à présent, aux thèses de l’interprétation métaphysique qui s’affirme avant sa propre lecture de la philosophie critique. Ces deux questions peu étudiées sont, à notre avis, intimement liées et essentielles, et ne sauraient être traitées sans être intégrées dans l’interprétation plus large que Heidegger propose de la philosophie kantienne. Elles contribueront en retour à mettre dans une nouvelle lumière le dialogue de Heidegger avec la pensée kantienne, dont nous proposerons une analyse plus détaillée dans le dernier chapitre de cette partie. Nous y examinerons les thèses centrales avancées en 1935 dans l’ouvrage Qu’est-ce qu’une chose ?, ainsi que la dernière lecture heideggérienne de la philosophie de Kant3, élaborée dans les années 1960 dans le texte « La thèse de Kant sur l’être ».
1 P. Aubenque parle de la « violence » de Heidegger, de sa « fureur de néophyte et d’iconoclaste », cf. Heidegger et Cassirer, 1972, p. 14-16. L’audience a apparemment été impressionnée par ce qui semblait être une confrontation entre deux mondes, Heidegger représentant bien entendu le monde nouveau et triomphant, surtout auprès des étudiants. Cassirer, figure aristocratique et « olympienne », clôt une époque non seulement de l’exégèse kantienne, mais aussi de la culture allemande. Cf. Jollivet, 2009, p. 131-171 et Aubenque, 1992, p. 208-221.
2 Voir par exemple Caron, 2005 et Rivelaygue, 1992, p. 357-474.
3 Heidegger reviendra brièvement, pour la dernière fois, sur le rapport de Kant à l’être et le comparera aux Grecs lors d’un séminaire à Thor en 1969, sans changer ses conclusions (« Abîme entre Aristote et Kant ») (QIII-IV, p. 417).