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Classiques Garnier

Annexe V Document – Stanislavski et Brecht

  • Publication type: Book chapter
  • Book: L’Art du théâtre. Tome II. Pratique du théâtre
  • Pages: 467 to 469
  • Collection: Studies on Theatre and the Performing Arts, n° 26
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406128717
  • ISBN: 978-2-406-12871-7
  • ISSN: 2275-2978
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12871-7.p.0467
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 06-22-2022
  • Language: French
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Annexe V

Document – Stanislavski et Brecht

Nous ne possédons malheureusement que de très brèves remarques de Jouvet sur Stanislavski et sur Brecht. Il avait rencontré le premier à Paris en novembre-décembre1922 et avait pris des notes furtives dans un de ses carnets à la suite de leurs conversations. Ces notes sont malheureusement lapidaires et peu exploitables. Il a cependant été possible den extraire le passage suivant, plus rédigé que les autres, dans lequel Jouvet fait part de ses réserves1.

Sur Brecht, nous avons ces quelques déclarations faites lors dun cours au Conservatoire après la Seconde Guerre mondiale ; elles montrent que Jouvet avait saisi les grandes lignes du travail du metteur en scène allemand : sa théorie, encore presque inconnue en France, rencontrait manifestement son assentiment pour une grande part2.

Note sur le théâtre russe et Stanislavski

Le théâtre russe, cest le confort psychologique de lacteur pour un personnage donné, or je pense que linconfort est la première nécessité 468pour ressentir et faire éprouver. Sans cela, cette perfection obtenue par la mise en son élément du personnage sera belle et plaisante à voir, mais il ny aura aucun choc direct, ce qui est essentiel. Lémotion ne viendra que de lillusion, du développement, de lintensité du déploiement qui gagnera peu à peu le spectateur, lequel finira bien par dégager quelque chose de lui-même, subjectivement, mais rien ne viendra de la scène directement.

Dans lordre, il y a les Meiningen, Antoine, Stanislavski, Copeau, dont les tendances saccusent et se subliment. Il faut aller plus loin encore, renoncer aux inventions de pittoresque réaliste, au réalisme même, qui subsiste encore là, pour dégager plus encore lâme et lesprit de linterprète.

Identification mentale du personnage, par laquelle lapparence physique et la sensibilité sont transformées. Seulement ne pas faire de lidentification par une sorte daccoutumance à un personnage (les Stanislavski), mais par une intelligence vive, simple, sinon par un corps obéissant et sensible (les Italiens, sorte de vivacité). Cette accoutumance, cette sorte de personnage acquis par une habitude, est le contraire de ce quil faut chercher. Cest une « manie ».

Brecht et la convention dramatique3

En ce qui concerne Brecht, il sagit dun dramaturge qui a émis récemment une théorie sur lart dramatique. Jusquici, déclare-t-il, on essayait de saisir le spectateur et de lintroduire dans laction pour quil y participe avec sympathie, quil se mette à la place de lacteur et subisse lui-même leffet de la situation : cette formule nest plus possible à lheure actuelle, dit-il, il faut une aliénation du spectateur qui ne doit plus être emporté par laction mais rester détaché en observateur intelligent, il peut continuellement intervenir par son jugement dans laction qui se déroule devant lui.

La théorie de Brecht nest intéressante que dans la mesure où celui-ci, désirant en faire un système, veut amener les acteurs à jouer dune 469façon plus détachée et, pour employer un mot que je naime pas, moins sincère. Selon Brecht, le comédien ne doit pas participer à son rôle avec une parfaite totalité, il doit employer des signes conventionnels pour son exécution.

Brecht était déjà connu dans le théâtre davant-guerre ; par une interrogation de lui-même, par la connaissance accumulée qui tout à coup sest cristallisée, il a trouvé cette explication qui résolvait pour lui les problèmes du théâtre. Je ne suis pas partisan des systèmes mais le sien est intéressant dans la mesure où il attire lattention sur un aspect de lexpression dramatique qui nest pas toute sincérité, ni dans lacteur, ni dans le spectateur. Il y a toujours une part daliénation, de convention dans le théâtre, et Brecht, en édifiant son système a simplement découvert la convention dramatique et la participation plus ou moins grande du spectateur et de lacteur.

1 Jouvet na pas pour Stanislavski la même admiration que pour Meyerhold. Voir à ce propos les deux articles publiés p. 132-138 de ce volume.

2 Alors quil répète La Puissance et la Gloire, Jouvet écrit à Pierre Renoir une lettre dans laquelle il se demande sil ne faut pas sinspirer pour cette pièce, quil qualifie lui-même d « épique », des méthodes de jeu préconisées par Brecht, « dont le souci est bien plus de susciter un jugement, une appréciation, une réaction dans lesprit du spectateur et donc de l“engager” dans lhistoire, plutôt que de le porter, de le faire participer, et communier avec les sentiments et les sensations que les acteurs expriment [] ». Cette lettre, citée par Bernard Dort dans un texte consacré au jeu de Jouvet, figure dans le volume I de la présente édition, p. 431.

3 Cours au Conservatoire du 7 février 1950.