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Classiques Garnier

In memoriam Hommage à Barbara C. Bowen

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : L’Année rabelaisienne
    2022, n° 6
    . varia
  • Auteur : Polachek (Dora)
  • Pages : 27 à 32
  • Revue : L'Année rabelaisienne
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406129431
  • ISBN : 978-2-406-12943-1
  • ISSN : 2554-9111
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12943-1.p.0027
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 23/03/2022
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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hommage à Barbara C. Bowen

Le 19 novembre 2019 a marqué le décès de Barbara Bowen, une des pionnières dans le domaine des études rabelaisiennes. Aucun sujet détude universitaire, soit grivois, soit philologique, soit ésotérique, ne lintimidait et elle abordait toute étude avec soin et brio, en déployant une érudition éblouissante, pourtant accessible à un lectorat varié.

Née en Angleterre le 4 mai 1937, Barbara (connue par ses intimes comme « Ba ») commença à apprendre le français à lâge de dix ans et bénéficia dune éducation en arts et lettres à lUniversité dOxford où elle approfondit son amour et ses connaissances de la littérature et de la culture françaises. Après y avoir obtenu ses diplômes de Bachelor et Master, Barbara poursuivit ses études à lUniversité de Paris, obtenant son doctorat de la Sorbonne en 1962.

Dès le début, le comique était une source de recherches fécondes pour elle. Sa thèse montrait une affinité pour une approche qui incluait un grand nombre douvrages (même les plus obscurs) quelle connaissait à fond et quelle voulait faire connaître aux autres. Toujours ponctuelle et diligente, elle fit publier sa thèse deux ans après, par les presses de lUniversité dIllinois, sous le titre Les Caractéristiques essentielles de la farce française et leur survivance dans les années 1550-1620. En sattachant à démontrer que la farce est un genre distinct, elle réussit à en faire une étude littéraire tout en examinant la tradition de la farce dans son contexte historique à travers les âges. Sa passion et son érudition transparaissent dans les postes universitaires quelle a occupés, les honneurs prestigieux quelle a reçus, les colloques auxquels elle a régulièrement participé, autant que dans ses publications.

Après avoir été professeure à lUniversité dIllinois Urbana-Champaign, elle fut recrutée en 1987 par Vanderbilt University à Nashville, au Tennessee, comme professeure de français pour diriger le Département de français et ditalien. Elle fut la première femme à diriger un département dans le College of Arts and Sciences à Vanderbilt. De son arrivée à sa retraite en 2002, elle exerça dimportantes responsabilités administratives. En tant que directrice de son département, elle mit en place 28un programme dentraînement pédagogique pour que les doctorants et doctorantes aient un avantage concurrentiel sur le marché universitaire. Grâce à ses efforts, son département parvint à faire embaucher un nombre record de diplômés dans des postes universitaires. En plus de son engagement au sein du département, elle joua un rôle important à Vanderbilt comme membre du FacultySenate, et fit partie de plusieurs comités, tels que le Comparative Literature Advisory Committee, le Committee on the Humanities, et le Humanities Center Advisory Committee. En 1974, elle reçut la prestigieuse bourse Guggenheim, et une autre bourse du National Endowment for the Humanities (NEH), qui lui permit de passer une année sabbatique à la Villa I Tati. Très active dans les sociétés savantes consacrées aux études de la Renaissance, Barbara Bowen fut présidente de la Renaissance Society of America de 1996 à 1998 et participa régulièrement, en tant que conférencière et organisatrice de sessions, à la Sixteenth Century Society Conference.

Peut-être la meilleure description de lapproche littéraire valorisée par Barbara est-elle celle quelle-même nous a donnée. Dans le prologue de son livre Enter Rabelais, Laughing, publié en 1998, elle décrit sa lecture comme résolument passée de mode. Se considérant plutôt comme une érudite que comme une critique, elle sintéressait moins aux débats dactualité (par exemple, la misogynie de Rabelais, le self-fashioning dans son œuvre, la valeur dune approche déconstructionniste) et privilégiait une approche contextuelle. Sagissant des autres perspectives critiques, elle avait ce dicton quelle utilisait souvent et quelle attribuait à son père : « Pour ceux qui aiment ce genre de chose, cest exactement la chose quils aimeront. »

Au lieu dimposer une perspective particulière sur Rabelais, Barbara Bowen avait le don de nous faire apprécier son auteur préféré à travers ses différentes facettes. Les analyses quelle nous offre témoignent dune multitude de connaissances remarquables, formulées dans un style décriture net et accessible à un public souvent moins érudit quelle. Toujours directe, elle ne mâchait pas ses mots quand elle voulait contester ou remettre en question une position quelle trouvait erronée ou insuffisante. Ainsi, dans un compte rendu dun ouvrage comprenant des articles écrits par ceux que le rédacteur considérait comme les principaux rabelaisants, Barbara nhésitait pas à demander : selon quels critères ? Les spécialistes de Rabelais quelle estimait ne figuraient pas dans ce volume ; elle soulignait quil y en avait dautres, parmi lesquels André Tournon, Florence Weinberg et Guy Demerson. Jamais timorée 29et toujours prête à appeler un chat un chat, Barbara avait en même temps une perspective réaliste et savait que la gloire universitaire est éphémère. Modeste, généreuse de son temps et de ses commentaires, elle incarnait un engagement passionné pour la recherche et la transmission du savoir, sans la prétention de croire quelle avait le dernier mot sur un sujet ou sur un auteur. Elle était un abîme de science, reconnue comme une seiziémiste incomparable ; mais elle assumait sa renommée sans prétention. Elle savait le sens profond et complexe du fait que rire est le propre de lhomme.

Barbara Bowen nest plus physiquement parmi nous, mais elle a légué un héritage significatif aux études rabelaisiennes et seiziémistes. Ses contributions comprennent quatre livres, cinq volumes dirigés, une soixantaine darticles, et soixante-seize comptes rendus qui se trouvent publiés dans vingt-et-une revues différentes. Que sa mémoire continue à nous inspirer tous et toutes.

Dora E. Polachek

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Publications rabelaisiennes de Barbara C. Bowen

« Rabelais and the Comedy of the Spoken Word », Modern Language Review, no 63 (1968), p. 575-580.

The Age of Bluff : Paradox and Ambiguity in Rabelais and Montaigne, Urbana, Chicago et Londres, University of Illinois Press, 1972.

« Rabelais and P. G. Wodehouse : Two Comic Worlds », dans The French Renaissance Mind, LEsprit Créateur, no 14, 1976, p. 63-77.

« Lenten Eels and Carnival Sausages », LEsprit Créateur, no 21 (1981), p. 12-25.

« Lépisode des Andouilles (Rabelais, Quart Livre, ch. 25-42) : esquisse dune méthode de lecture », dans Le Comique verbal en France au xvie siècle, Actes du Colloque…avril 1975, Les Cahiers de Varsovie, 1981, p. 111-121.

« Rabelais and the Rhetorical Joke Tradition », dans Rabelaiss Incomparable Book : Essays on His Art, dir. Raymond C. La Charité, Lexington, Kentucky, French Forum, 1986 (French Forum Monographs 62), p. 213-225.

« Rabelais and the Library of Saint-Victor », dans Lapidary Inscriptions. Renaissance Essays for Donald A. Stone, dir. Barbara C. Bowen et Jerry C. Nash (French Forum, vol. 16, no 2). Lincoln, NE, French Forum Publishers, 1991, p. 159-170.

Rabelais in Context. Proceedings of the 1991 Vanderbilt Conference, dir. Barbara C. Bowen. Birmingham, AL, Summa Publications, 1993.

« Rabelais et le propos torcheculatif », dans Poétique et Narration… (MélangesDemerson), Paris, Champion, 1993, p. 371-380.

« Rabelais and Folengo Once Again », dans Rabelais in Context. Proceedings of the 1991 Vanderbilt Conference, dir. Barbara C. Bowen, Birmingham, AL, Summa Publications, Inc. 1993, p. 133-147.

« Rabelaiss Unreadable Books », RQ, 40 (1995), p. 742-758.

« Les géants et la nature des tripes », ÉR, XXXI (1996), p. 65-73.

« Bragueta juris : notes sur Rabelais et le droit », dans Conteurs et romanciers de la Renaissance, Mélanges offerts à G.-A. Pérouse, dir. James Dauphiné et Béatrice Périgot, Paris, Champion, l997, p. 91-99.

Enter Rabelais, Laughing, Nashville, Vanderbilt University, 1998.

« Rabelaiss Panurge as homo rhetoricus », dans In laudem Caroli : Renaissance and Reformation Studies for Charles G. Nauert, dir. James V. Mehl, Kirksville, MO, Thomas Jefferson University Press, 1998, p. 125-133.

« Janotus de Bragmardo in the Limelight », French Review, no 72, 1998, p. 229-237.

« Rabelais scatologue ? », Humoresques, no 22, 2005, p. 17-27.

« Rabelais, Claude Cotereau et la tranquillité desprit », dans Les grands jours de Rabelais en Poitou : actes du colloque international de Poitiers, 30 août-1er septembre 2001, Genève, Droz, 2006, p. 173-181.

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« Laughing in Rabelais, Laughing with Rabelais », dans The Cambridge Companion to Rabelais, dir. John OBrien, Cambridge, England, Cambridge University Press, 2011, p. 31-42.

« Sens et non-sens chez Bridoye », ÉR, XLIX (2011), p. 175-183.

« Women in Rabelaiss chronicles », Le Verger – bouquet 1, janvier 2012.

« La poursuite du trivial », dans Rabelais et lhybridité des récits rabelaisiens, dir. D. Desrosiers, Cl. La Charité, Ch. Veilleux et T. Vigliano, ÉR, LVI (2017), p. 185-191.

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Fig. 1 – Leonhart Fuchs, De Historia stirpium commentarii insignes, Bâle,
Officina Isingriniana, 1542, p. 687 : BnF, Arsenal, FOL-S-557 (num. Gallica).