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Classiques Garnier

An ambitious project

  • Publication type: Journal article
  • Journal: L’Année rabelaisienne
    2022, n° 6
    . varia
  • Pages: 463 to 468
  • Journal: The Year of Rabelais
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406129431
  • ISBN: 978-2-406-12943-1
  • ISSN: 2554-9111
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12943-1.p.0463
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 03-23-2022
  • Periodicity: Annual
  • Language: French
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Vaste programme

Au pagnon G. F.

Le Conseil Supérieur de la Langue Française (ConSuLaF) en convient depuis des années : notre orthographe doit évoluer pour continuer dêtre entendue.

Cest une condition sine qua non.

Mais si les judicieuses propositions de rectification faites en 1990 servent désormais dutile référence dans les écoles, nul na remarqué que le plus nécessaire des avis donnés au siècle dernier avait été scandaleusement minoré, invisibilisé puis oublié. Passons sur les raisons idéologiques dun tel déni, lesquelles ne sont que trop évidentes. Il sagissait pourtant, dès 1970, de la proposition la plus inclusive qui soit – trop précoce peut-être, puisque en avance dun demi-siècle sur le vaste mouvement progressiste que nous connaissons aujourdhui.

Fig. 1 – Raymond Prince, Le [Con] souscrit, 1970, page de titre.

464

Dans une modeste plaquette publiée en 1970, Raymond Prince proposait de souscrire la syllabe con (et ses variantes) dans la graphie des mots la contenant. Il commentait :

Cest ainsi que le con souscrit apparaît comme susceptible de constituer une « première touche » de la réforme de lorthographe.

[]

Sous sa forme non altérée, il [i. e. le préfixe con] concerne un nombre de mots de lordre de 2 500. Il intéresse : 1 000 mots environ sous la forme com, 1 000 mots à peu près sous la forme cor, dans les 750 mots sous la forme col et 400 mots sous la forme co, soit un total dun ordre de grandeur de plus de 9 000 mots1.

On mesure lambition de cet aménagement graphique, et les conséquences significatives quentraînerait son adoption. Afin de marquer le considérable préfixe et ses allomorphes, Raymond Prince offrait à la postérité la solution la plus simple et la plus consensuelle : marquer par un symbole triangulaire placé sous la syllabe suivante toutes les occurrences concernées.

Ainsi naissait, dans lhistoire de lorthotypographie française, un nouveau symbole : le Triangle-pointe-en-bas, nommé par son créateur tantôt « pileux » (ou fendu en son milieu par une barre verticale, pour noter con), tantôt « non-pileux » (sans barre verticale, pour com, cor, col et co). Comme lécrivait Raymond Prince, « le Triangle Pileux semble rallier tous les suffrages, car il sait évoquer parfaitement lidée de réunion, dadjonction, daccompagnement, voire de pénétration attachée au préfixe2 ».

(Précisons que le khon – du thaï : โขน –, forme la plus stylisée de danse thaïlandaise, nest pas en cause ici3.)

Quon aimerait pouvoir écrire au Prince des devanciers, tel le Général de Gaulle : « Je vous ai pris » !

Hélas, nous sommes encore loin de pouvoir parler dun Con souscrit des cent villages : il reste à convaincre le grand public – et la confrérie des typographes, toujours encline à confondre âme et âne – du bien-fondé de cette solution graphique4.

465

Pour ce faire, nous voudrions pointer du doigt le profit quon trouverait à user du con souscrit dans les prochaines éditions de Rabelais, immortel concepteur de formules telles que : « Science sans conscience nest que ruine de lame » ou « Congnoys toy mesme ».

Dans un récent article5, Mireille Huchon a souligné le point aveugle – et pour ainsi dire névralgique – que représentait la syllabe susnommée et ses métamorphoses (coing, coingnée, coignoir, coignet, etc.), à la croisée des antécédents cunnus, cuneus et conus, savamment distingués par des lexicologues comme Bovelles, Sylvius ou Estienne. Ainsi Rabelais signalait-il déjà limportance de la « figure trigone equilaterale » (QL, Prol., 528), anticipant les travaux de Raymond Prince, successeur quil eût volontiers reconnu – par anticipation ique – me une nouvelle « Sibylle Cunnane » (TL, xxiii, 423).

Afin de préparer le Grande Souscription, il fallait donc lister par avance les mots de la fiction rabelaisienne susceptibles darborer le Triangle-pileux.

En voici quelques-uns, issus du relevé proposé par la mode Concordance de J. E. G. Dixon :

Con

Conare

Concassez

Concave

Concedé

Concede

Conceder

Conception

Concepvoir

Concepvront

Concernant

Concernantes

Concerne

Conceu

Conceue

Conceus

Conceust

Conceut

Conche

Conchie

Conchié

Conchient

Conchier

Conchieront

Conchiez

Conchioit

Conchioyent

Concierge

Conciergie

Concile

Conciles

Conciliés

Concilio

Concilipetes

Concion

Concions

Conclaviste

Conclud

Concluds

Concluent

Conclure

Conclurent

Conclurre

Conclusions

Concoction

Concoctrice

Conçoipvent

Concordance

Concordans

Concordante

Concordat

Concorde

Concords

Conculqué

Conculquée

Concupiscence

Concupissance

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Concurrence

Concussion

Concution

Cond.

Condamné

Condamnées

Condemnade

Condemnation

Condemne

Condemné

Condemnée

Condemnées

Condemner

Condemnez

Condescendez

Condescendit

Condescendre

Condescendront

Condescendu

Condi.

Condieux

Condignes

Condit.

Condition

Conditionales

Conditionnez

Conditions

Conducteur

Conduict

Conduicte

[]

Continuellement

Continuelles

Continuement

Continuer

Continuerent

Continuerez

Continues

Continuité

Continuoient

Continuus

Contois

Contoit

Contoit

Contoporie

Contour

Contournant

Contourne

Contournée

Contournées

Contoys

Contra

Contract

Contractant

Contracte

Contractes

Contractz

Contradiction

Contradictions

Contradictoires

Contradictoria

Contrah.

Contraigne

Contraignent

Contraignoient

Contrainct

Contraincte

Contraincts

Contrainctz

Contrainte

Contraints

Contraintz

Contraire

Contraires

Contraria

Contrarieté

Contrarietez

Contrarieuses

Contrariis

Contre

Contrebas

Contremont

Contrepoint

Contrediction

Contredicts

Contredictz

Contredire

Contredisoient

Contredit

Contrediz

Contrée

Contrées

Contrefacent

Contrefactis

Contrefaict

Contrefaicte

Contrefaictes

Contrefaicts

Contrefaictz

Contrefaire

Contrefaisoit

Contrefil

Contrefortunoient

Contregarder

Contreguarder

Contrehastier

Contrehastiers

Contremejane

Contremines

Contremont

Contrepedant

Contrepoil

[]

Convent

Conventicules

Conventz

Convenu

Convenue

Convenuz

Conversans

Conversant

Conversation

Conversé

Conversion

Convertis

Convertisse

Convertissez

Convertit

Convertiz

Converty

Convie

Conviendra

Conviendroit

Convienne

Convient

Convierent

Convinst

Convint

Convioit

Convocquer

Convocquez

467

Convoicteux

Convoitant

Convoiteux

Convoitise

Convoitons

Convoy

Convoyteux

Convoytise

Convulsif

Convulsion

Cony

La liste nest pas exhaustive, mais elle montre la richesse dun système concerté : bien que les livres de Rabelais aient été rapprochés – à tort – de quelque « Sylva cunnorum » par des autorités assurément mal renseignées6, il est évident que sa fiction na que peu en commun avec la première Pronostication des cons saulvaiges venue7. Qui simaginerait encore y trouver telle munauté de vues avec la liste des « quatre cens quarante deux bourdons par equivocques sur ce deshoneste villain et de tresparverse nature mot, Con » donnée par Gratien Du Pont dans ses infâmes Controverses des sexes masculin et féminin8 ferait tout aussi crassement fausse route. Lauteur du meilleur des blasons anatomiques du corps féminin – quil soit ou non Claude Chappuys9 – en eût convenu. Et que dire dun Tabourot, seigneur de tous les accords majeurs :

[] jentameray ce mot dEquivoque, sur equivoquons : Mes dames on a fait vos maris coquus : et qui ? vos cons, respond le bon compagnon10.

me lécrivait Richard Jorif, dans son excellent Navire Argo, roman aux consonances très rabelaisiennes11 :

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Con atrachèle

cornupète

éléophage

dendrobate

caliborgne

praséeux

oryzophage

hoplopode

dumicole

viscivore

oligotrique

héliophuge

hypospade

orbicole

macroglosse

lentigineux

caronculeux

némoral

gynécomaste

cruménifère

Con oscitant

léthifère

pogonophore

balanophage

cucumérin

dormitif

chalastique

inexuviable

subintrant

tétrique

ulotrique

hydropote

héméropathe

hirtipède

hippomane

sabulicole

crymophile

prurigineux

anisodonte

sex-digitaire

pyrophage

Un tel blason se passe de mentaire.

In nomine Rami

1 Raymond Prince, Le Con souscrit, Paris, Collège de Pataphysique (« Le Traître Mot », no 7), 1970, p. 9.

2 Ibid., p. 11.

3 Voir néanmoins Marcel Zang, « Petites histoires du mot “con” », en ligne sur Rue89 (publié le 17 novembre 2016, mis à jour le 30 juillet 2012), pour un semblable – et déplorable – contresens.

4 Nos claviers noffrent pour linstant, en fait de Triangle-pointe-en-bas, que la forme pour ainsi dire non-pileuse – raison pour laquelle nous ne faisons pas usage ici du symbole-roi, fendu en son milieu.

5 Voir Mireille Huchon, « Rabelais à mots couverts : la voix priapique », dans La Langue et les langages dans lœuvre de François Rabelais, dir. P. Cifarelli et F. Giacone, ÉR, LIX (2021), p. 19-29.

6 Voir Malcolm Jones, « Rabelais and the Sylva cunnorum… obscoenos illos Pantagruelem, Sylvam cunnorum… », dans ÉR, XXXV (1998), p. 191.

7 Sur cette pronostication joyeuse, connue par deux exemplaires (BnF, Rés. P V 1057 et Coll. J. Bonna : Vérène de Diesbach-Soultrait, Six siècles de littérature française. xvie siècle. Bibliothèque Jean Bonna, Genève, Droz, 2017, 2 vol., t. i, no 8, p. 29-30), voir Jelle Koopmans, « La Pronostication des cons sauvages, monologue parodique de 1527 », Le Moyen Français, nos 24-25, 1990, p. 107-129.

8 Gratien Du Pont, Les Controverses des sexes feminin et masculin, Toulouse, J. Colomiés, 1534, f. 61v : « Sensuyvent quatre cens quarante deux bourdons par equivocques sur ce deshonneste villain et de tresparverse nature mot, Con. Suppliant les lysans diceulx, nen vouloi mespriser redarguer, ne aulcunement en blasmer ny vituperer lautheur pour nommer icelluy. Et mesmement que ledict Autheur ne le nomme pour volupté ne pour plaisir de deshonestement parler. Ains pour demonstrer les grandz maulx, malheurs, et pouvretez que par ledict meschant, en sont venues et viennent et en peuvent advenir toutz les jours. Et principallement le fait pour labhomination dicelle meschante ordre [sic] sale trespuante et abhominable beste dessus nommée. »

9 Voir Blasons anatomiques du corps féminin, éd. J. Goeury, Paris, Flammarion, « GF », 2016, p. 83 sq.

10 Les Bigarrures du Seigneur des Accords [1588], éd. F. Goyet, Genève, Droz, 1986, p. 31.

11 Richard Jorif, Le Navire Argo[1987], Paris, Gallimard, « Folio », 1993, p. 216.