Journal (extrait)

L’abbé Mugnier (1853-1944), surnommé « le confesseur du Tout-Paris », fréquenta les salons littéraires et les grands écrivains de son temps. Il collabora à plusieurs journaux et donna de nombreuses conférences. Il tint un journal de 1879 à 1939 : les noms de Bloy, Colette, Huysmans (qu’il aida à retrouver la foi), Mauriac, Proust, Renan, Renard, Verlaine, Zola… y figurent. Et l’on y trouve aussi celui de Maurice de Guérin.

1884

16 juillet

Oh ! que je me serais bien entendu avec Maurice de Guérin. C’est une âme qui s’emboîte merveilleusement dans la mienne. Je lis son journal. Cette Chesnaie était un nid d’aiglons. Il y avait plus de grands hommes réunis sous l’aile de Lamennais que dans deux ou trois générations de Saint-Sulpice1. Mon âme se retrouve et se mire dans l’âme de Guérin. J’ai rêvé mon identification avec la nature. J’ai essayé, en maintes pages, de la décrire avec un scrupule amoureux. Je me suis, comme le frère d’Eugénie, défié de moi-même, me trouvant inférieur à mes désirs. J’ai horriblement souffert de l’état confus de mon intelligence. Ah ! si j’avais rencontré un Maurice qui eût été un autre moi-même ! Maurice lit, à la Chesnaie, Bernardin de Saint-Pierre, Homère, Hugo, etc., etc. À la bonne heure ! Et moi, dont la jeunesse lévitique pâlissait sur les Institutions de Monseigneur Bouvier ! Entré en décembre 1832, Maurice quitte La Chesnaie en septembre 1833. Les persécutions contraignaient Monsieur Féli en dehors de toute congrégation. Monsieur de Guérin a donc connu, pendant une année, Lamennais blessé et s’efforçant de fermer ses blessures.

Ah ! si j’avais vécu en 1831, 1832, je me serais arrêté sous la bannière de l’oracle de La Chesnaie, sauf à le quitter, après sa condamnation. Mais en poursuivant M. Féli de mon impérissable vénération. Mais, en 761871, il n’y avait pas de Chesnaie et Saint-Sulpice ne ressemblait guère au manoir breton2.

Abbé Mugnier