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Classiques Garnier

Homélie Andillac, 19 juillet 2020 (16e dimanche du Temps Ordinaire)

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : L’Amitié guérinienne Revue annuelle des Amis des Guérin
    2020, n° 199
    . varia
  • Auteur : Ferret (Jean-Claude)
  • Pages : 13 à 16
  • Revue : L'Amitié guérinienne
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406111740
  • ISBN : 978-2-406-11174-0
  • ISSN : 2554-8980
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11174-0.p.0013
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 07/12/2020
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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HomÉLie

Andillac, 19 juillet 2020
(16e dimanche du Temps Ordinaire)

(Sg 12, 13.16-19 ; ps 85 ; Rm 8, 24-27 ; Mt 13, 24 – 43)

Comme la semaine dernière, avec la parabole du semeur, nous avons la chance davoir une explication sur le sens de livraie par Jésus lui-même.

LÉvangile nous décrit une situation : nous sommes mêlés. Le bien et le mal habitent en nous. Nous ne pouvons quêtre davantage attentifs au bien. Arracher le mal, par nos propres forces, est impossible, mais nous avons les moyens de lutter avec la prière et lattention à nos frères. Jésus, dans la description quil fait de livraie, lorsquil répond aux Apôtres, nous donne quelques critères de discernement : « Celui qui sème le bon grain, cest le Fils de lhomme ; le champ, cest le monde ; le bon grain, ce sont les fils du Royaume ; livraie, ce sont les fils du Mauvais. Lennemi qui la semée, cest le diable ; la moisson, cest la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges. De même que lon enlève livraie pour la jeter au feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde. Le Fils de lhomme enverra ses anges, et ils enlèveront de son Royaume toutes les causes de chute et ceux qui font le mal ; ils les jetteront dans la fournaise : là, il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Celui qui a des oreilles, quil entende ! »

Il existe donc un ennemi qui agit contre Dieu et contre les Fils du Royaume dont nous essayons dêtre dignes. Le diable nest certainement pas une figure ridicule, « folklorique » – qui mettait saint Bernard en colère quand il en voyait les représentations dans des églises –, mais bien celui qui tente et sollicite, qui persuade ; il est séduisant, tout en pouvant parfois effrayer, il est assez fort pour contrarier nos projets, mais ne peut rien contre Dieu et ses anges.

Il y a donc un combat à mener, contre lennemi, contre le mal, en restant du côté du bien, en le pratiquant avec confiance dans le Christ, 14qui a déjà mené et gagné ce combat, et dans lEsprit qui nous donne la force. Car sans lui, sans Dieu, nous ne pouvons rien faire, ou si peu.

« LEsprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. LEsprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables. Et Dieu, qui scrute les cœurs, connaît les intentions de lEsprit puisque cest selon Dieu que lEsprit intercède pour les fidèles. » Cest ce que nous rappelle saint Paul dans lépître aux Romains. Le huitième chapitre, que nous lisons cette année entre les dimanches 5 juillet et 2 août, est le cœur de la lettre, tout entier consacré à lEsprit Saint. Cet enseignement est à rapprocher et à comparer avec celui de lÉvangile de Jean dans ses quatorzième et seizième chapitres notamment. Lesprit est notre force, notre mémoire, il agit en nous, il est celui qui met en relation, qui prépare. Il mène vers la vérité et rend libre (cf. Jean 8, 32). Ne craignons pas de linvoquer, de le « consulter », de « nous laisser » à lui, pour reprendre lexpression de Jean-Jacques Olier (1608-1657).

La première lecture, le Livre de la Sagesse, résume bien la situation : « Mais toi qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement, car tu nas quà vouloir pour exercer ta puissance. Par ton exemple tu as enseigné à ton peuple que le juste doit être humain ; à tes fils tu as donné une belle espérance : après la faute tu accordes la conversion. » Nous retrouvons une présentation de Dieu à lorigine de toute chose, tout-puissant et, par cette capacité, tout empli damour pour sa Création. Le Livre de la Sagesse, quelques centaines dannées avant la naissance du Christ, est une belle méditation sur la grandeur et la bonté de Dieu, méditation sur la condition de lhomme dans la Création : autant de réalités à redécouvrir, qui ne sont pas forcément contradictoires. Après la faute, la conversion ? Oui, la conversion, elle est la condition dun véritable pardon, le gage dun véritable renouvellement, la preuve dune authentique réconciliation avec Dieu, avec ses frères et avec lEglise. Pour nous chrétiens, il sagit de « raviver le don reçu » (cf. 2 Timothée 6), la grâce du baptême, de vivre de manière à être dignes du nom de chrétiens, car, par le baptême, nous appartenons au Christ, ce qui conditionne nos attitudes, nos paroles, nos choix. Y pensons-nous ?

Le psaume 85 est dans cette même logique : faisons nôtre cette prière du peuple de Dieu, dont un verset, absent de notre louange ce matin, 15a cette belle demande : « Montre-moi ton chemin, Seigneur, que je marche suivant ta vérité ; unifie mon cœur pour quil craigne ton nom. » [Craindre, au sens de reconnaître la grandeur, dadorer, de vénérer, ou, pour prendre un terme – hélas – un peu vieilli aujourdhui : révérer.] Pourquoi ne pas reprendre aussi la belle prière du jeune Salomon qui inaugure son règne : « Donne à ton serviteur un cœur attentif pour quil sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal » (1Rois 3, 9) ? Dans ces deux exemples, il est demandé au Seigneur une aide. La seule condition, pour celui qui formule la demande est la disponibilité, la capacité à recevoir de Dieu.

La conversion est au cœur de notre foi, nous la retrouvons tout au long de notre vie. Pensons à celle, toute simple, dÉmilie de Vialar lors dune mission prêchée à Gaillac : elle a douze ans et décide de ne plus jamais mentir. Nous navons pas tous la grâce de la fulgurance ou de lévidence des conversions de Charles de Foucauld, Paul Claudel, André Frossard ou Maurice Clavel pour nen citer que quelques-uns. Comme eux, nous sommes faits de bon grain et divraie, comme eux, nous sommes incapables de les séparer, cest là une partie du travail que lEsprit opère en nous, pourvu que nous consentions à le laisser faire, et cest là quils nous devancent.

Demandons, comme dans la prière douverture, davantage de foi, despérance et de charité, cest-à-dire la capacité à garder la bonne direction, la force de patienter en sachant bien quà lhorizon se trouve la victoire, le réalisme en cette vie, envers nous-mêmes et envers nos frères ! « Convertis-toi et crois à lÉvangile », nous dit-on le Mercredi des Cendres. Cette parole, nous pouvons lentendre tout au long de notre vie. La conversion est au cœur de lexistence du chrétien.

Jose penser quEugénie et Maurice en ont fait lexpérience, différemment. Le frère a peut-être davantage eu lexpérience « romantique » à un moment de sa vie puis est revenu peu à peu à davantage de sérénité, alors que la sœur a vécu le quotidien, lexpérience patiente, au jour le jour, avec une confiance mêlée dinquiétude. Cest une simple intuition personnelle que jévoque là, une image pour montrer le contraste entre eux deux et la similitude dune expérience, la conversion, lapprofondissement de cette même expérience par deux tempéraments différents issus dune même famille. Je laisse les experts, dont je ne suis pas, en juger, autant que la faiblesse humaine le permet.

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Le professeur Marc Fumaroli qui est mort récemment, le 24 juin dernier, âgé de 88 ans, avait donné en son temps une belle et érudite préface au recueil Poésie de Maurice de Guérin. Il a éclairé avec intelligence notre manière de lire les classiques. Fascinante était sa culture, par son étendue qui ne se limitait pas à la littérature ni à une époque ; il travaillait avec acribie et ne craignait pas le débat voire la polémique. Je ne lai connu que par ses écrits, aujourdhui, avec vous, jimplore le Seigneur, quIl laccueille comme un serviteur de lintelligence en quête de la vérité, comme le furent Eugénie et Maurice, comme nous le sommes, nous aussi.

Amen

Jean-Claude Ferret