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Classiques Garnier

Avertissement

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Avertissement

On peut chercher lhistoire de ce gros livre dans ce gros livre même, si lon en est curieux, et on ly trouvera. Il a été écrit jour par jour depuis le 1er 7[septem]bre 1779 ; ce qui précède cette époque a été rédigé pendant lété de cette même année 1779, en grande partie sur les lettres par moi écrites à Mme la duchesse de Chartres, quelle voulait bien, disait-elle, me confier, pour écrire lhistoire de ce quelle aimait le mieux, et celle par conséquent quelle aimerait le mieux à lire.

Dans la grande entreprise dont jétais chargé, rien nétait plus utile pour moi que ce journal… Jy lisais le passé, le présent, lavenir… Rien ne me fut plus agréable que lidée que jen conçus, si ce nest son exécution. Je ne puis exprimer combien jai eu de plaisir à lécrire, combien jen avais à le lire… Jose croire que jen aurai encore à le relire… Je my verrai toujours homme de bien, toujours occupé de ce qui devait moccuper sans cesse… En le relisant, mon cœur ne me reprochera rien. Je me dirai : on pouvait y apporter plus de talent, mais non pas plus de zèle, de courage, plus de suite, plus de douceur, plus de patience, plus denvie de bien faire, plus de conscience, plus de vérité… Jai tout dit, jusquaux torts que je puis avoir eus ; … Cest mon âme, cest mon esprit ; cest lâme et lesprit de mes élèves ; cest notre histoire à tous. Cette histoire est petite ; mais elle peut, elle doit intéresser les pères, les mères, les instituteurs, les bons cœurs, les bons esprits… Ce journal, tel quil est, ne fait pas un bon livre ; il ne peut pas même faire un livre ; mais, je dis de bonne foi que ce sont dexcellents matériaux pour faire un excellent ouvrage… Ah ! sil eût été continué comme il devait lêtre, si au lieu de trois, il renfermait dix années… quinze années… de cette volumineuse collection, de ces gros manuscrits in folio, que jaurais fait deux jolis, deux bons, deux charmants petits volumes in-12 !

Jai eu un regret, un grand regret en écrivant chaque jour cette histoire de chaque jour ; cest de lavoir toujours soigneusement cachée à mes dignes coopérateurs, à cet excellent abbé Guyot, à ce bon M. Prieur, à 134MM. de Rochemont et de Broval, honnêtes gens qui métaient si chers, que jhonorais et que jaimais également… Mais je ne pouvais pas la leur montrer. Cest le secret qui fait la liberté ; jaurais peut-être été moins franc sans le vouloir ; je laurais craint du moins… La moindre gêne meût ôté mon plaisir et meût même privé de lutilité de mon entreprise… Je comptais la leur montrer un jour, à la fin de notre carrière commune… La mienne a fini trop tôt… Aujourdhui, la lecture de mon manuscrit leur serait inutile ; elle renouvellerait nos regrets à tous, et mouillerait peut-être nos yeux de ces mêmes larmes, de ces larmes de tendresse et de douleur que fit couler1 notre séparation.

1 Première écriture barrée : « nous arracha ».