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Classiques Garnier

[Introduction de la deuxième partie]

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Joan Bodon . Contes populaires et autofictions
  • Pages : 247 à 249
  • Collection : Études et textes occitans, n° 7
  • Thème CLIL : 4029 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Langues régionales
  • EAN : 9782406099475
  • ISBN : 978-2-406-09947-5
  • ISSN : 2430-8269
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09947-5.p.0247
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 29/04/2020
  • Langue : Français
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De nombreux personnages dans lœuvre de Jean Boudou partagent ce point commun dêtre sensibles à la manifestation des « signes », en particulier ceux qui indiquent où est la vérité ou qui permettent de prévoir et de comprendre la destinée dun homme, quils émanent des morts, quils soient dorigine divine ou quils sinscrivent dans les croyances et les superstitions les plus anciennes. Tel est le cas dArdoïn qui sollicite de son père défunt un signe lui indiquant où est la vérité1, de Bernardon qui, dès sa naissance, est marqué du « signe du sang2 » ou encore de Tòni qui boit dans le même gobelet que sa cavalière : « Aquò siaguèt lo primièr signe3… » [Ce fut le premier signe].

Dans un même esprit, Catòia se dit que le destin est un signe, un Signe écrit avec une majuscule car envoyé par Dieu et qui fait de lépreuve imposée un mérite4. Le signe de la croix, au-delà de lauto-signation effectuée sur le corps, est aussi une marque de Dieu qui atteint lâme : ainsi, devant la cathédrale de Rodez, le jour de sa confirmation, Catòia en fait expressément la demande : « Senhor, marcatz-me del signe de la crotz5 » [Seigneur, marquez-moi du signe de la croix].

Comme « Lo Signe del sang » est le titre dun conte des Balssàs, « Lo Signe de la crotz » est celui dun chapitre du Libre de Catòia, et « Lo Signe » est le titre du chapitre 2 du roman inédit La Crotz de Tolosa. Là, le signe est précisément cette croix de Toulouse que le narrateur découvre sur le mur de léglise en ruine dun village aveyronnais et en laquelle il reconnaît cette croix dite du Saint-Esprit que portait sa grand-mère depuis son mariage, conformément à la tradition. Signe de la croix ou signe du sang, religion ou superstition, marquent et prédéterminent finalement de la même façon celui qui y croit.

Dans ce foisonnement de signes qui témoigne de lintérêt que Boudou porte aux diverses acceptions du terme, il y en a un dernier qui marque 248de manière ostensible toute son œuvre littéraire et quil est convenu dappeler ici le « signe du conte ».

Ce signe se manifeste de différentes façons. La plus apparente relève certainement de la principale caractéristique formelle du conte. Celui-ci est par essence une forme courte à laquelle il est en effet aisé davoir recours en lintégrant dans un récit principal, telle une narration seconde dont la puissance délaboration dégagée peut bien souvent dépasser son objectif premier dexplicitation ou dillustration de la narration première. Nous avons ainsi recherché la présence de contes dans lensemble de lœuvre, y compris là où elle peut sembler la plus improbable et où elle nest pas identifiée explicitement. Nous avons étendu cette recherche à tous les textes courts, plus ou moins autonomes, enchâssés ou successifs. Sur la base des constats effectués, nous avons tenté de déterminer quelles incidences, notamment en termes de structuration et de mode dénonciation, le recours aux formes courtes pouvait avoir sur les différentes œuvres de Jean Boudou.

Ce signe se manifeste également par la présence de traits caractéristiques dune poétique du conte qui vont marquer, chacun à sa manière, la production littéraire de lécrivain. Parmi ces traits, ceux de nature stylistique sont les plus apparents et ont été par conséquent les premiers recherchés. Surtout, nous avons tenté danalyser comment certains de ces traits touchant à lexpression, empruntés pour certains à la tradition orale (les chansons, la répétition,…), pouvaient se combiner et donner naissance, dans lœuvre romanesque, à cette infiltration de la parole dans le texte, à la fois singulière et caractéristique de lécriture boudounienne.

Enfin, une dernière manifestation du signe du conte est lutilisation transgénérique faite Boudou de certains marqueurs traditionnels du genre. Ainsi, parmi les éléments qui caractérisent la figure type du héros de conte, nous avons recherché ceux qui vont être repris et devenir des constantes, conduisant à la mise en place dun même profil récurrent du héros boudounien. De même, nous avons recherché dans quelle mesure le merveilleux et le fantastique de Boudou sinstallaient dans un même environnement quotidien, marqué par linstabilité du réel ou la relativité du vrai, et se manifestaient de la même façon, par exemple par des voies supranaturelles, de nature divine ou au contraire maléfique.

En même temps, force est dadmettre que Boudou va sémanciper de son modèle en le rendant malléable et en lui faisant subir les métamorphoses 249que dordinaire le conte impose lui-même à ses propres sujets. Après avoir analysé ces évolutions et transformations du conte, il conviendra den comprendre les objectifs, en particulier en termes de mise en œuvre par Boudou de sa propre stratégie décriture.

Mais le « signe du conte », comme tous les signes annonciateurs ou révélateurs de destinées, de personnalités, didentités, nest pas visible ni compris par tous : il faut être un peu « sorcier » pour le discerner et le comprendre. Il faut en tout cas rechercher ce qui se dissimule sous le texte, ce que lauteur a tenté de dire de façon détournée et ce quil a tenté de ne pas dire au lecteur tout en se le disant à soi-même. Boudou reconnaît que ses « contes » ne sont ni pour les enfants, ni pour les grandes personnes. Alors pour qui sont-ils, si ce nest pour lui-même ?

1 Contes dels Balssàs, « Ardoïn, lo primièr Balzac ».

2 Contes dels Balssàs, « LEnfant del carivari ».

3 Contes dels Balssàs, « La Caça del Tamarre ».

4 Lo Libre de Catòia, « La Farina ».

5 Lo Libre de Catòia, « La Confirmacion ».