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Classiques Garnier

[Citation de l'introduction]

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Jean-Loup Trassard ou le paysage empêché
  • Pages : 15 à 15
  • Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 69
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406073093
  • ISBN : 978-2-406-07309-3
  • ISSN : 2260-7498
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07309-3.p.0015
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 19/03/2018
  • Langue : Français
15 Alors que les choses se disputaient mon regard, et que, ancré en l'une d'elles, je sentais la sollicitation que les autres adressaient à mon regard et qui les faisait coexister avec la première, alors que j'étais à chaque instant investi dans le monde des choses et débordé par un horizon de choses à voir, incom
5 possibles avec celle que je voyais actuellement, mais par là même simultanées avec elle, je construis une représentation où chacune cesse d'exiger pour soi toute la vision, fait des concessions aux autres et consent à n'occuper plus sur le papier que l'espace qui lui est laissé par elles. Alors que mon regard parcourant librement la profondeur, la hauteur et la longueur n'était assujetti
10 à aucun point de vue, parce qu'il les adoptait et les rejetait tous tour à tour, je renonce à cette ubiquité et conviens de ne faire figurer dans mon dessin que ce qui pourrait être vu d'un certain point de station par un oeil immo- bile fixé sur un certain «point de fuite », d'une certaine «ligne d'horizon » choisie une fois pour toutes. Alors que j'avais l'expérience d'un monde de
15 choses, fourmillantes, exclusives, dont chacune appelle le regard et qui ne saurait être embrassé que moyennant un parcours temporel où chaque gain est en même temps perte, voici que ce monde cristallise en une perspective ordonnée où les lointains se résignent à n'être que des lointains, inaccessibles et vagues comme il convient, où les objets proches abandonnent quelque chose
20 de leur agressivité, ordonnent leurs lignes intérieures selon la loi commune du spectacle, et se préparent déjà à devenir lointains, quand il faudra, où rien en somme n'accroche le regard et ne fait figure de présent. Tout le tableau est au passé, dans le mode du révolu ou de l'éternité ;tout prend un air de décence et de discrétion; les choses ne m'interpellent pas et je ne suis pas
25 compromis par elles.
MERLEAU-PONTY, La Prose du monder, Gallimard, coll. «Tel », 1969, p. 74-75.
1 Ce texte — en raison de la construction anaphorique de ses trois premières phrases —,
nous l'appellerons dans tout ce qui suit : le texte des trois «alors que ». (Le livre qu'on va lire, Jean-Loup Tra.rrard au le Paysage empêché, est issu d'une thèse de doctorat menée à l'Université de Paris-Sorbonne sous la direction de Didier Alexandre, et soutenue en février 2016 sous le titre : «Le Surplomb impossible, le paysage empêché. L'oeuvre de Jean-Loup Tra ssard lue à la lumière de Merleau-Ponty ».)