Résumés

Jean Beuvier, Guillaume Pinet et Lorenzo Paoli, « Introduction »

Les auteurs s’interrogent sur les différentes conceptions et usages des catégories de la mémoire et l’oubli. Cela, à la fois chez les penseurs et les littéraires européens à partir du xve siècle, et chez les chercheurs contemporains en sciences humaines. Entre état de l’art et réflexion théorique, l’introduction discute du paradoxe qui relie toujours la mémoire à l’oubli : la prétention de l’une à éliminer l’autre tandis que l’une suppose toujours l’autre.

Laurent Gerbier, « Humanisme politique et mémoire de la liberté. Essai de lecture croisée de Machiavel et de La Boétie »

Cette contribution propose une lecture des œuvres de Machiavel et La Boétie, soulignant une tension constante entre une mémoire politique, émancipatrice, véritable « conservatoire de la liberté », et l’oubli, instrument de domination politique. La mémoire et l’oubli sont compris comme affrontement de temporalités politiques entre dominés et dominants : d’un désir collectif de non-domination chez Machiavel au travail individuel de résistance à l’asservissement chez La Boétie.

Lorenzo Paoli, « “Oblivione” et “connietture”. Paolo Mini, Innocent Gentillet, Machiavel et les anciens Toscans »

L’article est centré sur l’analyse de la Difesa della Città di Firenze et de i Fiorentini (1577) du Florentin Paolo Mini, médecin et philosophe. S’attaquant à Innocent Gentillet, Mini revient sur les accusations d’athéisme qui visaient sa ville, et qui s’attaquaient tout particulièrement à Machiavel, figure honnie chez les protestants français. La filiation étrusco-noaique de Florence que Mini retrace lui permet de prouver que Machiavel ainsi que Florence ne pouvaient être taxés d’athéisme.

Paul-Alexis Mellet, « “Du temps passé maintenant se souvienne”. La mémoire repentante contre l’oubli royale dans la pacification des guerres civiles en France (v. 1563 – v. 1580) »

En analysant la gravure « Le réveil de paix endormie », imprimée à Paris pendant les troubles, Paul-Alexis Mellet développe une étude de la réception et des limites de la politique de pacification « par oubliance » menée par l’autorité royale. Cette gravure présente un enchaînement causal et temporel différant du pardon par oubli promu par les édits. Seul le souvenir collectif, l’effort des chrétiens et la vigueur de leur foi amèneront à la repentance et donc au réveil de la paix.

Christelle Ehrhardt, « Construire sur le passé et reconstruire le passé au début du Moyen Âge. Genèse des premiers lieux de culte chrétiens dans le sud-ouest de la Gaule, entre Antiquité et haut Moyen Âge »

Cette contribution interroge le concept de memoria en s’appuyant sur l’étude de la genèse des premiers lieux de culte chrétiens édifiés sur des vestiges de temples, villae et espaces funéraires païens dans le sud-ouest de la Gaule entre le ve et le xe siècles. Elle décrit la diversité des modes d’exploitation du substrat antique pour édifier les premières églises chrétiennes, et soulève les raisons qui justifient une revitalisation des ruines qui vont du pragmatisme aux enjeux mémoriels.

Pierre Peresson, « Polémiques autour de la mémoire des ordres religieux. L’invention d’une fondation et d’une identité française par les clercs de Saint-Paul au début du xviie siècle »

Cette étude analyse les tentatives de la congrégation barnabite de façonner une mémoire française de l’ordre parallèle à leur expansion en France durant le premier tiers du xviie siècle. Les clercs de Saint-Paul mènent leur travail de légitimation hors d’Italie à travers plusieurs genres de textes. Cette mémoire française ne fait pas oublier l’origine transalpine de l’ordre ainsi qu’une autre mémoire, plus chère aux dévotes, celle d’une liturgie et d’une ritualité strictement romaines.

Marie-Lou Lanier, « Construire la mémoire. Les tombeaux et leur temporalité à travers l’exemple du monument de Robert d’Arbrissel »

Robert d’Arbrissel († 1516), fondateur de l’ordre de Fontevraud non canonisé, est commémoré à nouveau plusieurs siècles après sa disparition, dans une optique aussi religieuse que politique. L’artiste à qui l’abbesse Louise de Bourbon-Lavedan fait appel en 1621-1623 nous est connu seulement par ses œuvres de terres cuites, posant aussi la question de la formation des sculpteurs-architectes.

Rémi Demoen, « La fonction mémorielle de l’écrit délibératif amboisien dans la seconde moitié du xvie siècle »

L’article montre la fonction mémorielle de l’écrit délibératif dans la vie municipale d’Amboise. Par l’étude de quatre registres couvrant trente-huit années de la seconde moitié du xvie siècle, Rémi Demoen révèle les enjeux mémoriels que portent ces documents. Les registres délibératifs apparaissent comme une mémoire pratique de l’administration de la ville. L’oubli de la conjuration de 1560 montre qu’ils consignent moins l’événement qu’ils ne dévoilent ses conséquences sur la vie urbaine.

Rémi Ordynski, « Enjeux identitaires des défaillances de la mémoire dans les Essais de Montaigne »

L’article révèle la manière dont la mémoire et l’oubli traversent les réflexions de Montaigne sur l’écriture du moi, dans ses dimensions morales, affectives, esthétiques et philosophiques. L’autoportrait montaignien suit les discordances de la mémoire dont les écarts expriment la diversité des champs de l’expression de soi. L’impossibilité de retrouver un lieu originaire de l’être place en effet le présent de l’écriture au cœur d’une entreprise de réaffirmation de soi.

Marine Chevalier, « La mémoire œcoïatrique chez Christofle Landré »

Cette contribution étudie le rapport entre mémoire, oubli et éthique médicale à la Renaissance. Avec l’Œcoïatrie, Christofle Landré avait le but savant de transmettre une culture historique médicale et l’objectif strictement éthique de sortir de l’oubli ceux qui, car plus démunie, n’avaient ni 210l’argent ni les savoirs pour se soigner eux-mêmes. Pour Landré, sauvegarder une mémoire médicale collective est l’instrument d’émancipation des oubliés de la société.

Maria Antonia Papa, « Le passage du manuscrit à l’imprimé. L’importance des exemplaires de typographie »

À travers les premiers manuscrits d’imprimerie, Maria Antonia Papa montre le rôle central que des objets oubliés peuvent avoir dans les études historiques, bibliologiques, codicologiques et littéraires. L’analyse des notes et des références conservées est fondamentale : c’est à travers ces signes de mémoire qu’il est possible de comprendre le modus operandi des premiers ateliers typographiques.