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Classiques Garnier

Préface Redécouvrir Cécile Gazier

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Histoire du monastère de Port-Royal
  • Pages : vii à xi
  • Réimpression de l’édition de : 2019
  • Collection : Univers Port-Royal, n° 33
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406078302
  • ISBN : 978-2-406-07830-2
  • ISSN : 2491-2530
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07830-2.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 24/09/2019
  • Langue : Français
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PRÉFACE
Redécouvrir Cécile Gazier


Cécile Gazier (1878-193 fut pendant 34 ans l'âme de la Bibliothèque de Port-Royal, d'abord dans l'ombre et au service de son oncle Augustin Gazier, enseignant en Sorbonne et historien du jansénisme. Après la disparition de ce dernier, en 1922, elle déploya une intense activité de conférencière et d'écrivain, publiant en l'espace de quatorze ans six livres et de très nombreux articles.
Cette nouvelle édition de l'Histoire du monastère de Port-Royal, sans doute sa plus importante contribution, a été l'occasion pour la Société de Port-Royal, la Société des Amis de Port-Royal et les chercheurs gravitant autour d'elles, de revenir sur sa personnalité et son apport.
Non sans une certaine surprise, nous nous sommes aperçus que nous ne savions pour ainsi dire rien d'elle, ou si peu. Voici une femme de lettres, érudite, qui a consacré sa vie à la mémoire de Port-Royal, qui a passé trente-quatre ans à accueillir les chercheurs et à inventorier la Bibliothèque de Port-Royal - on lui doit 30 000 fiches -, qui a connu de vrais succès de librairie et a reçu deux prix littéraires, et à qui nous devons la brochure de présentation de cette même bibliothèque : et nous ne savions pas même quelles études elle avait pu faire, comment elle a vécu.. .
Peut-être subsiste-t-il dans quelque grenier ses papiers personnels, sa correspondance. Il n'en reste pratiquement aucune trace dans la Bibliothèque qu'elle a si bien servie. Puisées à des sources diverses et notamment les délibérations de la Société Saint-Augustin (qui gérait la Bibliothèque au rixe siècle et durant la première moitié du xxe siècle), les informations qui suivent ne lèvent que partiellement le voile sur la trajectoire de Cécile Gazier.
Née dans une famille qui vivait «dans le sillage de Port-Royal depuis le début du rixe siècle, elle était la nièce d'Augustin Gazier (1844-1922), qui a rassemblé les ouvrages et manuscrits composant la Bibliothèque de Port-Royal.
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Tout laisse à penser qu'elle n'a pas fait d'études supérieures. Elle fut embauchée en 1902 par la Société Saint-Augustin, donc à l'âge de vingt-quatre ans, pour assister son oncle dans ses tra- vaux. Elle a notamment établi avec lui le texte des Mémoires de Godefroy Hermant (6 volumes publiés de 1905 à 1910), sans que son nom apparaisse dans cette publication. Inventoriant progressi- vement les fonds Port-Royal, Le Paige, et Grégoire, elle acquit une connaissance approfondie de la Bibliothèque, dont elle devint la che- ville ouvrière. De façon très inattendue, on sait, grâce aux souvenirs de Marc-François Lacan recueillis par Élisabeth Roudinesco, que Cécile Gazier a joué un important rôle de mentor dans les années de formation de son frère Jacques, alors lycéen à Stanislas. Elle était en effet une amie d'enfance d'Émilie Baudry, la mère des frères Lacanl. Lorsque Augustin Gazier, au soir de sa vie, s'engagea en 1920 dans la rédaction de son dernier ouvrage, l'Histoire générale du mouvement janséniste, elle l'aida ligne à ligne, de citation en vérification.
À la mort d'Augustin Gazier, une autre étape de la vie de Cécile Gazier commence, dans la stricte continuité de la précédente mais désormais au grand jour. À partir de 1921, selon les informations dont nous disposons, elle publie articles et ouvrages et s'engage dans des cycles de conférences, fondant ses dires et ses écrits sur sa connaissance et sa fréquentation intimes des sources rassemblées à la Bibliothèque.
Les ouvrages rayonnent autour de Port-Royal, avec un point de vue la plupart du temps féminin voire féministe

Après Port-Royal : l'ordre hospitalier des soeurs de Sainte-Marthe de Paris, 1713-1918, Paris, I:Édition moderne, librairie Ambert, [1923], 308 p. Prix de l'Académie française 1924. [Ouvrage dédicacé : « À la mémoire de matante soeur Louise, de mes amies soeur Esther et soeur Simon, religieuses de l'Ordre de Sainte-Marthe »].
Histoire du monastère de Port-Royal. Préface de M. André Hallays, Paris, Librairie académique et C1e, Perrin, 1929, (3e éd., 1929).
1 Voir Élisabeth Roudinesco, Jacques Lacan. Esquisse d'une vie, histoire d'un système de pensée,
Paris, Fayard, 1993, p. 24. Nous remercions M~ Roudinesco pour les précisions qu'elle a eu l'amabilité de nous fournir. Frère cadet de Jacques, Marc-François (1901-1981) fut moine bénédictin à l'abbaye de Hautecombe, puis à celle de Ganagobie.
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Les Belles amies de Port-Royal. Paris, Librairie académique Perrin et
C1e, 1930, 255 p. (rééd., 1954). Ouvrage orné de 8 gravures.

Ces Messieurs de Port-Royal : documents inédits, Paris, académique Perrin et C1e, 1932, 254 p. Prix Victor Delbos.
Madame de Sévigné, Paris, Flammarion (Les grands coeurs), 1933, 220 p.
Histoire de la Société et de la Bibliothèque de Port-Royal. [1934] Avant- propos de Louis Cogner, Paris, [Société de Port-Royal, P.U.F.], 1966, 47 p.
Cécile Gazier a encore travaillé à la préparation de l'édition de deux textes capitaux de Port-Royal :les Mémoires de Godefroy Hermant et ceux de Nicolas Fontaine. Le premier ouvrage a paru sous le titre suivant Mémoires de Godefroi Hermant,... sur l'histoire ecclésiastique du xvr~ siècle (1630-1663) publiés pour la première fois sur le manuscrit autographe et sur les anciennes copies authentiques avec une introduction et des notes par A[ugustinJ Gazier,... Paris, Plon-Nourrit, 1905-1910, 6 vol.Z
Le second ouvrage préparé par Cécile Gazier et sa cousine germaine Marie Gazier, mais jamais imprimé, est l'édition critique des Mémoires de Nicolas Fontaine, à partir de l'édition de Michel Tronchay, complétée à l'aide des ms. PR23, PR24 et PR25 de la Bibliothèque de Port-Royal et des ms. de la Bibliothèque Mazarine 2465 et 24663.
Les articles que nous avons pu d'ores et déjà recenser pour la période qui se situe entre 1921 et 1936 —sans doute beaucoup d'autres manquent- ils àl'appel, dispersés dans de nombreux journaux et revues —sont au nombre de 24 et vont de Blaise Pascal à Mme de Lafayette, en passant par la duchesse de Longueville et Mlle de Joncoux. ); un d'entre eux examine «les sources de Sainte-Beuve4 ».
2 Il est à noter que le nom de Cécile Gazier n'apparaît nulle part. Les procès-verbaux de la Société de Port-Royal attestent pourtant qu'elle a collaboré avec son oncle pour ce travail éditorial. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle a été embauchée à la bibliothèque, ce qui est par ailleurs certifié par les notes préparatoires qu'elle a rédigées et qui se trouvent dans les fonds de la Bibliothèque de Port-Royal.
3 La version achevée de ce travail se trouve sous la cote PR246ms à la Bibliothèque de Pott-Royal. Voit l'édition moderne procurée pat Pascale Thouvenin (2001), dans la Bibliographie ci-dessous.
4 C. Gazier, «Les sources de Sainte-Beuve », La Revue politique et littéraire, Revue bleue, n° 14, 17 juillet 1926, p. 436-440. Voir la Bibliographie ce-dessous.
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Il faudrait, pour aller plus loin, avoir une vue d'ensemble de son oeuvre, dont la simple recension reste pour l'instant lacunaire.
Ce qui frappe à ce stade de nos découvertes est un mélange de continuité visible et de ruptures discrètes. C'est ainsi que Cécile Gazier a pu prononcer en 1930 un cycle de 6 conférences au siège de la Société d'horticulture (sic) avec l'appui et le patronage d'André Hallays (1859- 1930), écrivain et historien proche de Port-Royal. Celui-ci avait lui-même collaboré avec Augustin Gazier, sillonnant la France à la recherche de l'iconographie de Port-Royal. Ce travail devait aboutir en 1909 à la publication d'un important recueil d'illustrations et documents5. Dès 1927, Cécile avait donné deux conférences, l'une àPort-Royal de Paris et l'autre àPort-Royal des Champs, sous l'égide de l'association Fénelon présidée par la féministe Yvonne de Coubertin.
Son Histoire du monastère de Port-Royal, que le lecteur a dans les mains, s'inscrit doublement dans la continuité avec les travaux antérieurs d'Augustin Gazier et notamment de son Histoire générale du mouvement janséniste. D'une part formellement le livre de Cécile, publié chez le même éditeur, est organisé selon les mêmes règles d'exposition, et d'autre part il se présente comme son complément, centré sur le monastère lui-même et la vie de ses moniales.
Le livre trouve son originalité et sa force dans l'exploitation de sources inédites, au premier rang desquelles la correspondance des moniales et des personnalités qui gravitaient autour d'elles. Le propos s'avère ainsi d'une singulière modernité. Après la monumentale fresque de Sainte-Beuve et la mise au point austère, centrée sur les polémiques théologiques et les conflits politiques, d'Augustin Gazier, Cécile Gazier fait revivre, de l'intérieur en quelque sorte, l'essor et la lente extinction du monastère. Elle n'ignore pas les querelles théologiques mais les met à l'écart pour s'intéresser à une communauté de femmes prises dans les remous d'une aventure à l'issue tragique.
Ce déplacement de focale est parfaitement justifié, puisque Port-Royal, abbaye de femmes, s'est organisé autour de personnalités d'exception telles que la mère Angélique, la mère Agnès et la mère Angélique de Saint Jean, qui, elles-mêmes, quoique parfaitement instruites des enjeux de doctrine religieuse, s'en méfiaient et s'en détournaient, et avaient
5 A. Gaziet, Port-Royal au xvr~` siècle. Imager Fi Portraits. Avec des Noter Historiquer et
Icanagraphiquer, introduction par André Hallays, Paris, Hachette, 1909.
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mis au-dessus de tout leur vie intérieure et leur expérience de prière et de clôture.
Mais cet ouvrage est sans doute venu trop tôt pour être pleinement reconnu, notamment dans le milieu même qui veillait au destin de la bibliothèque de Port-Royal. Selon un arrangement bien caractéristique de son époque, Cécile Gazier a été embauchée et rémunérée pour travailler dans l'ombre de son oncle, qui n'évoque pas même son nom et encore moins sa collaboration dans ses mémoires. S'est-elle ou non accommodée de cette situation ?D'une part elle a pu agir dans la lignée de plusieurs femmes au service de la mémoire et des archives de Port-Royal, depuis Françoise-Marguerite de Joncoux et Marie-Scholastique Le Sesne de Théméricourt, et plus près de nous les deux soeurs Sophie et Rachel Gillet. D'autre part et plus subtilement, la tradition port-royaliste combine la défense souvent flamboyante d'un point de vue catholique fervent et exigeant, avec la recherche de l'effacement personnel et la méfiance vis-à-vis du «moi ». Telle une lampe dont les rayons sont uniquement focalisés sur l'objet qu'elle éclaire, mais reste quant à elle dans l'ombre, Cécile Gazier a sans doute subi, puis sublimé l'oblitération dont elle a été longtemps la victime.
Il est temps de la redécouvrir et de la lire.


Bernard GAZIER,
président de la Société de Port-Royal

Fabien VANDERMARCQ,
conservateur à la Bibliothèque de Port-Royal