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Classiques Garnier

Composition du présent volume et principes éditoriaux

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Composition du présent volume
et principes éditoriaux

Parmi la masse considérable de cet édifice critique, il sagissait évidemment de faire un certain nombre de choix. Le point de départ de la présente anthologie a été limportant fonds constitué par le legs de Marie de Régnier à la Bibliothèque de lArsenal1 – une institution dont son père, José-Maria de Heredia, avait été conservateur de 1901 à 1905. Cet ensemble est constitué de 1 114 articles écrits par Régnier entre 1890 et 1936. Un souci croissant darchivage permet de trouver là lintégralité des 808 chroniques que Régnier livra au Figaro entre 1920 et 19362, mais plus on remonte dans les années, plus le matériau est lacunaire, et on ne trouve quune petite poignée de textes antérieurs à 1900. Pour donner une image plus complète du travail critique de Régnier, des apports complémentaires ont donc été nécessaires. À la base constituée par le fonds de lArsenal, jai donc ajouté une série darticles plus anciens, dont lintérêt était à la fois de donner la parole au jeune Régnier, à lheure où il était au cœur du débat littéraire, et de mettre en lumière le parcours diachronique dont les pages précédentes ont tenté de retracer les grandes lignes.

Face à une telle masse, lexhaustivité ne pouvait être une visée pertinente. Plutôt que de limiter le champ et denvisager la publication complète dun ensemble donné, il ma paru préférable détendre au maximum le corpus considéré en ajoutant aux articles de presse les volumes de textes critiques publiés par Régnier, et, dans ce vaste 42ensemble, dopérer un choix qui ne conserve que les pages les plus susceptibles dintéresser le lecteur daujourdhui. Mais évidemment, il nest pas unique ce « lecteur daujourdhui » (du moins espérons-le !) : les amateurs de lettres apprécieront surtout les délicates causeries au cours desquelles Régnier, de sa belle plume, nous entraîne dans des chemins de traverse de la littérature et nous fait partager sa tendre mélancolie. Les spécialistes du symbolisme sintéresseront plutôt aux aperçus de la vie littéraire des années 1880-1900, offerts par ce témoin de première qualité. Les amateurs et les spécialistes de Régnier (et ils sont de plus en plus nombreux3) espéreront quant à eux découvrir des aspects de son parcours et de sa personnalité quils ne connaissaient pas encore.

À la façon du Régnier décrié par Adolphe Retté, jai opté pour une approche qui ménage un peu les uns et les autres… Le premier choix qui ma paru simposer a consisté à conserver la plupart des textes portant sur les auteurs ou les ouvrages qui sont aujourdhui considérés comme les plus importants des années abordées. Pour les chroniques du Figaro, il nétait pas difficile détablir une première liste composée par les commentaires de Régnier sur les publications de Proust, Valéry, Giraudoux, Cocteau, Colette, Jammes ou Segalen. Mais il ne ma généralement pas semblé utile de conserver toutes les chroniques consacrées à chacun de ces auteurs, qui diffèrent parfois plus par le résumé de lœuvre singulière qui est chroniquée que par le point de vue que Régnier adopte sur lauteur et son œuvre. Jai donc, la plupart du temps, essayé déviter les redondances.

La deuxième grande catégorie est celle qui concerne les contemporains de Régnier – je veux dire : ses vrais contemporains, ceux dont il est resté contemporain jusquà sa mort, ceux qui faisaient la vie littéraire dans le dernier quart du xixe siècle. Il me semble que cest en tant que témoin de cette période si riche et si vivante que Régnier nous est le plus profitable. Les pages quil consacre à Mallarmé ne comptent peut-être pas parmi les analyses les plus fines qui aient été consacrées à ce poète, mais elles sont le fait dun de ceux qui lont le mieux connu, parmi les écrivains directement impliqués dans la grande aventure poétique 43dont il était létoile. Sur Mallarmé, jai peu trié et quelques redondances évidentes subsistent. Certaines anecdotes se trouveront dédoublées dans ces pages, mais cest quil y a autour delles des éléments qui me paraissaient susceptibles dapporter quelque chose à notre connaissance du maître de la Rue de Rome. Ces souvenirs du symbolisme composent la part quantitativement la plus importante du présent volume, et peut-être qualitativement la plus substantielle. Ils permettent de passer en revue bon nombre des figures les plus marquantes de cette génération littéraire. Les « maîtres » Mallarmé, Verlaine, Leconte de Lisle, Heredia, Villiers de lIsle-Adam ou Goncourt sy mêlent à leurs « disciples » Moréas, Valéry, Montesquiou, Schwob, Maupassant, Lorrain, Verhaeren, Gourmont, Wilde, Mirbeau, etc. Sur chacun de ceux-ci, et sur plusieurs autres, Régnier fournit des portraits étayés par des souvenirs personnels.

Enfin, une troisième catégorie ma semblé digne dintérêt : elle regroupe les textes où Régnier, plus ou moins explicitement, touche à des questions de poétique ou exprime sa conception de la littérature. Les deux conférences déjà mentionnées, « Le Bosquet de Psyché » et « Poètes daujourdhui et poésie de demain », sont évidemment les pièces maîtresses de cette catégorie, mais certains chapitres et certaines chroniques mont séduit pour les discrets clins dœil quils faisaient dans ce sens.

Pour ce qui est de lordre de présentation des textes, jai respecté lordre chronologique des publications, mêlant chroniques journalistiques et chapitres douvrages. Dans ce dernier cas, jai regroupé lensemble des chapitres sous la date affectée au volume, choisissant comme chronologie pertinente celle de la publication en recueil plutôt que celle de la rédaction (qui, au demeurant, nest pas toujours accessible). Mais lorsque la date de rédaction ou de première publication dun chapitre est connue, je lai indiquée entre crochets après le titre du chapitre.

Une dernière remarque : la diversité de formats des textes source imposait un inévitable compromis entre une perspective fac-similaire, visant à reproduire au plus près les typographies variées des sources, et une dynamique dhomogénéisation qui réduirait cette diversité à des normes éditoriales cohérentes, étendues à lensemble du volume. Sur le plan de la disposition typographique, je me suis, en règle générale, abstenu dhomogénéiser les pratiques qui me paraissaient être le fait de choix éditoriaux singularisants. Cest ainsi que des paramètres tels que la typographie des titres 44(caractères italiques ou romains, parfois petites capitales ou caractères gras) ou tels que la spatialisation des alinéas (disposition des blancs, astérisques ou autres signes de séparation) ont été conservés autant que possible. Jai en revanche homogénéisé certains aspects de la mise en page des textes source qui mont semblé relever davantage dune pratique par défaut que dun geste singularisant – cette évaluation restant évidemment largement subjective et sujette à discussion. Dans cette perspective, jai appliqué à lensemble des textes certains des critères, tels que le retrait de la première ligne dun alinéa ou laccentuation des majuscules.

Par ailleurs, si les textes de Régnier édités en volume sont en général quasiment exempts derreurs ou de coquilles, il sen faut de beaucoup quon puisse en dire autant de tous les articles de revues, notamment de ceux qui ont été publiés dans les petites revues de la fin du xixe siècle. Le parti que jai adopté sur ce plan a consisté à intervenir aussi peu que possible sur létat du texte présenté dans la source reproduite. Je me suis borné à corriger, sans les signaler, un certain nombre de coquilles insignifiantes ; jai parfois conservé des formes erronées en les rectifiant dans une note ; parfois, jai ajouté entre crochets un élément manifestement manquant ; mais dans la plupart des cas, jai simplement choisi de reproduire le texte source tel quel. On doit à ce choix quelques noms propres estropiés, quelques choix orthographiques ou typographiques peu canoniques, et surtout un usage de la virgule singulièrement flottant. Je me suis abstenu de marquer tous ces écarts par des « sic », limitant ce désaveu explicite aux citations que je prends moi-même en charge dans les notes, et à quelques rares cas vraiment ambigus4.

Mais toutes ces considérations portent sur des éléments de détail dont ni la nature ni la fréquence ne sont propres à entraver une lecture fluide : en dépit de ces quelques virgules intempestives, la plume de Régnier est généralement des plus élégantes.

Il est donc temps, à présent, de la laisser déployer ses attraits.

1 Ces lots de coupures de presse sont rassemblés sous la cote FOL-JO-REGNIER. Les coupures de presse sont subdivisées en quatre parties, respectivement relatives à Marie de Régnier, Henri de Régnier, José-Maria de Heredia, et Pierre de Régnier (qui est officiellement le fils dHenri et de Marie, mais dont le père biologique est en fait Pierre Louÿs). La partie relative à Henri compte 9 lots, dont 7 sont constitués darticles de sa main (les deux autres, darticles sur lui). Le catalogue de ce fonds a été édité en 2008 par la Bibliothèque de lArsenal, grâce aux soins de Monique Boukhédid.

2 Le lot en question en compte 807, mais la chronique du 15 août 1920 sest égarée dans la liasse rassemblant les articles du Gaulois.

3 Fayard vient de publier une biographie attendue de Régnier, signée Patrick Besnier (Henri de Régnier. De Mallarmé à lart déco). Après avoir édité en 2014 la correspondance entre Régnier et Jammes, Pierre Lachasse travaille à une anthologie des chroniques du Figaro, à paraître prochainement chez Bartillat. En mai 2015, une Société des Lecteurs dHenri de Régnier a par ailleurs été créée, sous la houlette de Bertrand Vibert ; elle prévoit déditer un bulletin annuel, sous le titre Tel quen songe.

4 Les cas auxquels jai réservé un « sic » dans le texte de Régnier sont de deux ordres : dabord, quelques noms propres dont jai estimé quils nétaient peut-être pas assez connus pour que lerreur de Régnier ne risque pas den entraîner dautres chez qui aurait à évoquer ces noms après lui (jai ainsi marqué lerreur d« Ançæus », mais pas celles de Berthe « Morizot » ou de « Tannhauser » et « Tannhaüser »). Le second cas de figure est celui de formules que lon serait tenté de corriger, mais dont la correction nest pas évidente et dont il est plausible quelles soient délibérées, bien quun peu excentriques (faut-il lire « descriptive » sous « discriptise » ? Que faire de points dexclamation survenant entre un adverbe et son adjectif ? etc.).