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Classiques Garnier

[Introduction à la première partie]

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Gus Van Sant. Le sens du rythme
  • Pages : 29 à 30
  • Collection : Recherches cinématographiques, n° 13
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406165446
  • ISBN : 978-2-406-16544-6
  • ISSN : 2556-4102
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16544-6.p.0029
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 10/04/2024
  • Langue : Français
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Les films de Gus Van Sant se construisent généralement autour dun ou plusieurs personnages (ou acteurs/actrices), comme en témoignent par exemple les noms propres présents dans les titres de ses films (« Good Will Hunting », « Finding Forrester », « Gerry », « Milk »). Certaines œuvres du réalisateur déploient une narration très biographique (les personnages de Nicole Kidman, dans To die for, celui de Sean Penn, dans Milk, qui enclenchent eux-mêmes le récit de leur vie, ou celui de Joaquin Phoenix dans Dont worry, he wont get far on foot). Dans Gerry, Elephant, Last days ou Paranoid Park, un choix de mise en scène revient par ailleurs fréquemment : « les travellings en steadycam cadrant le dos de leurs protagonistes respectifs, qui évoluent en apesanteur dans des lieux sans âme ni vie1. » Cette figure, également présente dans dautres films du réalisateur, mais de façon plus ponctuelle et avec quelques variations (caméra à lépaule plutôt que steadycam), permet à Gus Van Sant de suivre ses personnages au plus près, comme sil voulait vivre avec eux, « dans un temps identique2 ». Il explicite très clairement ce rapport de proximité, voire de fusion, avec ses personnages : « Les personnages sont immobiles, la caméra aussi. Lorsquils reprennent leurs mouvements, la caméra en fait autant, ce dont nous navions pas forcément conscience lorsque nous tournions la scène3. » Le rythme de ses films trouverait donc peut-être son origine dans le rythme de ses « modèles » pour reprendre le terme de Robert Bresson4.

Dans les films de Gus Van Sant, le rythme des personnages affleure à même lécran ; si le cinéma « offre directement cette manière spéciale dêtre au monde, de traiter les choses et les autres, qui est pour nous 30visible dans les gestes, le regard, la mimique, et qui définit avec évidence chaque personnage que nous connaissons5 », capter ce rythme des personnages nécessite une direction dacteurs préparée ou la mise en place de dispositifs de mise en scène. Par leurs mouvements propres, par leurs évolutions au sein du récit, les personnages possèdent en effet, en eux-mêmes, cette « manière particulière de fluer6 ». Chacun étant ainsi doté dun rythme, la coexistence entre toutes et tous na rien dévident. La figure du double, très présente dans lœuvre de Van Sant, permet de mesurer les écarts entre les différents personnages ou de mettre en évidence les tensions internes au sein dun même système rythmique (dans lhypothèse où deux personnages ne représentent quune seule entité). À travers les personnages se mesure aussi le rythme de leur environnement, dans le décalage ou lharmonie : « La dimension propre dune forme – ce que, sans pléonasme on doit appeler sa dimension formelle – est le rythme, son rythme. Un rythme ne se déroule pas dans le temps et dans lespace. Il est le générateur de son espace-temps. Il ne sexplique pas en lui, il limplique7. » Il nous faut donc penser dans le même mouvement le rythme des personnages et le rythme de leur environnement afin de comprendre comment ils interagissent. Les forces qui se dégagent des rapports entre les individus et leur espace-temps entraînent des mouvements énergétiques, qui se manifestent sous forme de dépense, daccumulation ou déquilibre et favorisent la perception dun autre rythme au sein dun film.

1 Noël, Valentin, « Tracer la route » in Eclipses no 41,Gus Van Sant, Indé-tendance (2007#2), p. 16.

2 Biro, Yvette, Le temps au cinéma, Lyon, Aléas Éditeur, 2007, p. 21.

3 Ma traduction de : « The characters arent moving so the cameras not moving. When they start moving again, the camera starts moving, which wasnt apparent at the time we were shooting it », Gus Van Sant in Falsetto, Mario, Conversations with Gus Van Sant, Lanham, Maryland, USA, Rowman and Littlefield, 2015, p. 81.

4 Lexpression est de Robert Bresson. Nicolas Droin développe cette proximité entre le rapport de Van Sant à ses acteurs et celui de Bresson avec les siens dans Paranoid Park de Gus Van Sant, Liège, Yellow Now, Côté films #28, coll. dir. par Marcos Uzal, 2016, p. 25-26.

5 Merleau-Ponty, Maurice, Sens et non-sens (Paris, Gallimard, 1996), p. 74.

6 Benveniste, Émile, « La notion de “rythme” dans son expression linguistique », in Problèmes de linguistique générale 1, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Sciences Humaines », 1966, p. 333.

7 Maldiney, Henri, « Notes sur le rythme » in Henri Maldiney : penser plus avant… Actes du colloque de Lyon (13 et 14 novembre 2010) réunis par Jean-Pierre Charcosset, Chatou, Les Éditions de la transparence, coll. Philosophie, 2012, p. 34.