Aller au contenu

Classiques Garnier

Chronologie théâtrale 1869-1931

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Théâtre complet. Tome I
  • Pages : 9 à 60
  • Collection : Bibliothèque gidienne, n° 28
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406160427
  • ISBN : 978-2-406-16042-7
  • ISSN : 2494-4890
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16042-7.p.0009
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 07/02/2024
  • Langue : Français
9

Chronologie théâtrale

1869-1931

22 novembre

1869

Naissance dAndré Gide. La famille est installée au 19, rue Médicis, près du jardin du Luxembourg et de la faculté de droit où son père, Paul Gide, est titulaire de droit romain.

1876

Année de la rencontre avec le piano, Mlle de Goecklin est sa première enseignante. La première passion de Gide prend alors vie.

28 octobre

1880

Mort de Paul Gide, de tuberculose. André, dans Si le grain ne meurt, rappelle quil lui lisait « des scènes de Molière, des passages de LOdyssée, La Farce de Pathelin[La Farce de Maître Pathelin, pièce de théâtre imprimée en 1485], les aventures de Sindbad ou celles dAli-Baba » (SV, p. 86).

Octobre 1887

À lÉcole alsacienne de Paris, Gide rencontre Pierre Louÿs.

15 octobre

1890

Naissance dÉlisabeth Van Rysselberghe, fille de Maria Van Rysselberghe (1866-1959, née Monnom, surnommée « la Petite Dame »), et de Théo Van Rysselberghe (1862-1926), peintre belge.

Décembre

1890

Publication des Cahiers dAndré Walter, à ses propres frais, chez léditeur Perrin. Grâce à Pierre Louÿs, il rencontre, à Montpellier, Paul Valéry.

12 mars 1892

Depuis Munich, André Gide fait part à sa mère du charme subi à loccasion de la représentation dun opéra de Richard Wagner : « Hier, audition de Tristan et Isolde, au Grand Théâtre ; car je comprends maintenant que le théâtre où jétais allé dabord nest quune sorte dOdéon, où, les jours de pièces classiques, on joue devant des banquettes. Hier, salle comble – salle énorme, scène énorme –, très belles voix, excellent orchestre !

10

Acclamations, triomphes, couronnes de feuillage, etc… » (André Gide, Correspondance avec sa mère : 1880-1895, éd. Claude Martin, Paris, Gallimard, 1988, p. 120.)

26 mars 1892

Durant le même voyage en Allemagne, Gide se rend souvent au théâtre et lopéra continue à limpressionner, cette fois grâce à Robert Schumann : « Je sors dune représentation de Manfred ; je ne ten parle pas pour la même raison que je te disais tout à lheure : il me faudrait plusieurs heures pour débrouiller mes émotions ; lune poussant lautre, elles se compliquent à linfini. Ce qui commence à se dégager plus nettement, cest une impression générale de la mise en scène allemande ou tout au moins munichoise, du jeu des acteurs, et surtout de lART DRAMATIQUE [sic]. Songe que je navais jamais entendu dopéra ! » (Id., p. 137.)

12 novembre

1892

12e de ligne à Nancy (service militaire), réformé 9 jours plus tard pour tuberculose. (Voir la Correspondance entre Gide et Léon Blum, éd. Pierre Lachasse, Lyon, PUL, 2008, p. 31.)

17 mai 1893

Gide assiste à la création de Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck aux Bouffes-Parisiens. (JC, II, p. 444.)

11 décembre

1894

Sans enthousiasme, Gide annonce à sa mère quil travaille à une nouvelle pièce : « Jécris Philoctète – mais ça ne vaudra rien » (Corr. avec sa mère, p. 551). La même année, il entame la rédaction de Paludes et des Nourritures terrestres.

Janvier 1895

Gide rencontre Oscar Wilde à Alger.

Mai 1895

Paludes est édité par la Librairie de lArt indépendant à Paris.

31 mai 1895

Mort de la mère de Gide, Juliette Rondeaux.

17 juin 1895

Fiançailles de Gide avec sa cousine, Madeleine Rondeaux.

8 octobre 1895

Mariage de Gide avec Madeleine Rondeaux à Cuverville.

Fin

janvier 1896

Blum écrit à Gide, en annonçant son mariage, sur carte de visite avec en-tête « rue Turgot, Théâtre de lŒuvre ». Blum suit particulièrement la 3e saison du Théâtre de lŒuvre dirigé par Aurélien Lugné-Poe (Corr. Gide-Blum, p. 54). Gide et Blum, en voyage de noces, auraient pu se rencontrer en Italie : « Jeusse aimé te rencontrer à Naples,

11

mais nous sommes partis depuis déjà quelques semaines et tu ne devais pas y être encore. » Lettre de Gide du 7 mars (id., p. 55).

Mai 1897

Les Éditions du Mercure de France publient Les Nourritures terrestres.

Juillet 1897

Rencontre avec Henri Ghéon : naissent une amitié et une intimité profondes, qui sestomperont après la conversion de lauteur de la tragédie populaire Le Pain au catholicisme.

Été 1897

Gide écrit Saül à La Roque. La pièce ne sera achevée quau printemps 1899, à Arco, dans le Tyrol, et ne sera pas publiée avant 1903 au Mercure de France.

5 août 1897

Henri Ghéon écrit à Gide : « Que faites-vous ? et votre drame ? » Il sagit de Philoctète ou le Traité des trois morales dans la première lettre que Ghéon adresse à Gide. (Henri Ghéon, Gide, Correspondance, t. I : 1897-1903, éd. Jean Tipy, Paris, Gallimard, 1976, p. 137.)

25 août 1897

« Jécris peu, me livrant (pour ainsi dire) au difficile art dramatique, et comme lon ma dit quil fallait pour le théâtre beaucoup de pratique et que ses deux premières pièces on les ratait, jai soin den écrire trois à la fois et sur des “sujets faciles”. » Gide est ironique et prophétique, car ces trois pièces (Philoctète, Saül, Le Roi Candaule), qui sont encore en phase embryonnaire, napporteront guère de satisfaction à lauteur. (Gide, Henri de Régnier, Correspondance : 1891-1911, éd. David J. Niederauer et Heather Franklyn, Lyon, PUL, 1997, p. 224-225.)

Vendredi

[septembre]

1897

Henri Ghéon à Gide : « À bientôt donc, mon cher Gide, jespère que vous travaillez et ne mimitez pas, et que vous mannoncerez quelques progrès dans lexécution de Saül ou de Philoctète ». (Corr. Ghéon-Gide, t. I, p. 140.)

10 novembre

1897

Gide, de La Roque, écrit à Lugné-Poe après avoir reçu des invitations pour le Théâtre de lŒuvre : « Je ne rentre pas à Paris avant la fin du mois et mempresse de vous retourner ces deux billets pour que, sil en est temps encore, vous puissiez en disposer. Si, jécris bien à présent pour le théâtre ; merci de vous en informer ; peut-être,

12

puisque vous my invitez, viendrai-je à ma rentrée vous trouver et vous en parler. » (BAAG no 41, p. 10.)

31 décembre

1897

Ghéon communique à Gide son enthousiasme pour la genèse de sa pièce : « [] une idée subite de tragédie vient de me tomber dans lesprit ; mon sujet me passionne ; je ne songe plus quà cela et je prends beaucoup de notes. Si “cela” est, “cela” sera très rapidement fait. Car, je déborde. Titre : Le Pain. [] Ce sera moderne et lyrique, purement humain, parfaitement simple daction, de milieu très complexe…. Ceci est le projet ; rien nest plus décevant quune réalisation. » La rédaction de la pièce sachèvera au début de lété 1899 et la création scénique narrivera que le 8 novembre 1911 au Théâtre des Arts. LaNRF publiera la pièce lannée suivante. (Corr. Ghéon-Gide, t. I, p. 144.)

16 mars 1898

De Rome, Gide écrit à Marcel Drouin en avouant un manque de volonté pour achever Saül. En tâchant de se ressourcer, il lit du théâtre : « Pourrai-je finir Saül ? Jen doute et le souhaite à peine, car depuis que je suis ici jy travaille dune manière presque continue, avec à peine quelques jours de repos de temps à autre – et peut-être sera-t-il mieux de my remettre un peu plus tard avec une ferveur rajeunie. Ce nest pas une œuvre de brio qui demande à être enlevée ; au contraire ; si elle a quelque valeur, ce sera de gravité, de composition, de réflexion – de sorte que, si je quitte Rome sans lavoir achevé, ne vois pas là défection de ma part, mais bien décision raisonnable – car jen suis à lavant-dernière scène du quatrième acte et matériellement je pourrais finir, mais je ne sais si cest souhaitable. Vedremo… Madeleine ta dit que nous avions lu Coriolan et que nous commencions As you like it. Entre deux, je lui ai lu LHameçon de Phénice[El anzuelo de Fenisa, pièce de Lope de Vega imprimée en 1617]que je venais de lire pour ma part ; javoue à ma honte que du théâtre espagnol je ne connaissais encore que trois ou quatre pièces de Calderon. LHameçon ma ravi – je lis Aimer sans savoir

13

qui [ Amar sin saber á quien, pièce de Lope de Vega publiée en 1635]– je me promets den lire à Jeanne [Rondeaux, sœur de Madeleine et épouse de Drouin]. Que jaime vous savoir plongés dans Shakespeare ! » (Gide, Marcel Drouin, Correspondance : 1890-1943, éd. Nicolas Drouin, Paris, Gallimard, 2019, p. 395.)

1er mai 1898

Gide annonce à Marcel Drouin que sa pièce est terminée : « Jai tué Saül hier. » (Id., p. 431.)

Juillet 1898

Gide publie dans LErmitage la première « Lettre à Angèle ».

[11 novembre

1898]

Gide à Henri Ghéon : « Serais-tu homme (et ami) à lire (en partie) Saül à Antoine ? Et ceci passé minuit ? ? ? Je meffraie, ayant depuis quelques jours un enrouement qui diminue mes puissances expressives : ce serait bête dêtre aphone ce soir-là. De Max joue presque tous les soirs : peut-être ne pourra-t-il lire plus de quelques scènes… je ne sais… Je ne sais même quel jour se sera : lundi ou jeudi, je pense, après consultation des affiches du théâtre. » (Corr. Ghéon-Gide, t. I, p. 179.)

1er décembre

1898

Le texte intégral de Philoctète, « aux évidents échos dreyfusards », paraît dans La Revue blanche. (Corr. Gide-Blum, p. 68.)

21 mars 1899

Gide à Ghéon : « Acheté le Théâtre de Térence avec texte en regard []. Mon Candaule se forme et saffirme. » (Corr. Ghéon-Gide, t. I, p. 197)

Juin 1899

Chez Francis Vielé-Griffin, Gide rencontre Maria Van Rysselberghe. Loccasion en est donnée par la lecture de Saül, drame en cinq actes. Les Éditions du Mercure de France publient Philoctète.

19 juillet 1899

Gide, après les désillusions du Saül, non représenté chez André Antoine, semble moins convaincu de ses possibilités comme dramaturge : « [] je travaillais encore la nuit ; mais en lui [Marcel Drouin] lisant mon Candaule jai senti les défauts des dernières pages qui pourtant mavaient coûté beaucoup defforts. Jai lâché pied pendant deux jours, et maintenant tout me paraît plus difficile encore []. Nyssia membête. Cest bien la dernière fois que je fourre une femme dans mes drames !

14

Et mon prochain projet, je le travaille aussitôt conçu ; toute joie de nouveauté sest usée, jai ruminé Candaule trop longtemps ; je ny trouve plus de saveur. Il me tarde aussi décrire autre chose que du théâtre – nimporte quoi, mais où ne me dominera pas sans cesse la crainte de me laisser aller à dire ce qui mamuse. » (Corr. Ghéon-Gide, t. I, p. 230.)

[28 juillet

1899]

Ghéon à Gide : « Dans la nuit de dimanche à lundi, dans la fièvre dune fâcheuse angine, jachevais le dernier tableau du Pain. Le mot fin fut écrit, je sentais soudain un grand soulagement – presque un manque – et je songeai à toi. » La tragédie de Ghéon est achevée. (Id., p. 232.)

2 août 1899

Gide écrit au directeur de la revue LErmitage, Édouard Ducoté [de 1896 à sa fermeture en 1906], et lui présente son Candaule sans enthousiasme. La pièce sera publiée peu après. Cest une période où Gide doute de ses qualités en tant que dramaturge et des possibilités de simposer au théâtre : « Je crains que mon Candaule ne vous ait paru morne et que vous ne mayez amicalement un peu caché cela ; je vous supplie, si cela était, de ne pas lenvoyer à la revue, je le regarderais encore et vous enverrais autre chose []. Pourtant, lorsque jy réfléchis, je ne crois pas avoir mal dessiné Candaule ; lindécision du début vient peut-être de ce que rien ne sest encore passé : songez que cela est très rare au théâtre, et que laction, avant que le rideau se lève, est dordinaire déjà préparée. Là point – il ny a rien que deux caractères, même pas encore en présence… Peut-être aussi faut-il faire la part dune imparfaite lecture ; je voudrais que vous le relisiez une fois – mais tout cela nest point pour excuse et si, après lavoir relu, votre impression est toujours terne – je vous supplie de ne pas craindre de me le dire en me rendant le manuscrit. – Si toutefois il vous semblait pouvoir intéresser quand même, veuillez corriger la phrase incriminée – il faut : “Après tout – moi – que mimporte le bonheur ?” [Acte I, scène 3] » (Gide, Édouard Ducoté, Correspondance : 1899-1921, éd. Pierre Lachasse, Nantes, CEG, 2002, p. 170-171.)

15

Ducoté lui répond trois jours plus tard en le rassurant : « Candaule est parti à limpression, avant que jaie reçu votre lettre ; je nai donc pu y faire les corrections indiquées []. Aussitôt après votre départ, je le relus, et je reste persuadé que cest une très belle chose. Limpression de longueur que javais éprouvée au début tenait uniquement à votre lecture. Vous étiez las, et nous avions aussi besoin de nous reconnaître au milieu de tous ces personnages. Quant à leffet scénique, je suis tout à fait mauvais juge en matière de théâtre… » (Id.)

28 août 1899

Première lettre de Paul Claudel à Gide : « Votre sympathie mhonore et les deux livres que vous avez bien voulu menvoyer me font grand plaisir. Jai surtout aimé les trois traités qui suivent votre Philoctète, et plus particulièrement El Hadj et le Narcisse. La qualité de votre esprit est rare autant que sa démarche est particulière. » (Paul Claudel, Gide, Correspondance : 1899-1926, éd. Robert Mallet, Paris, Gallimard, 1949, p. 45.)

1er septembre

1899

Léon Blum publie ses recensions sur Philoctète et sur Le Prométhéemal enchaîné dans La Revue blanche.

Automne 1899

Les trois actes du Roi Candaule paraissent en trois livraisons, septembre, novembre et décembre 1899, dans la revue LErmitage.

[Octobre 1899]

Ghéon à Gide : « Lugné-Poe joue Faramond [Maurice de Faramond (1862-1923), dramaturge et poète français] ; jai bien envie de le préférer à [André] Antoine ; il vaut mieux tenir que courir. Je verrai. Que te dire ? je reste sous limpression considérable que ma faite le 2e acte de Candaule. Dans le 3e cest une grande œuvre… » (Corr. Ghéon-Gide, t. I, p. 255) La Noblesse de la terre, pièce naturalistede Faramond, est jouée par la compagnie de Lugné-Poe, le Théâtre de lŒuvre. La création date du 9 février 1899 au Théâtre de la Renaissance. Cest Sarah Bernhardt qui dirige ce théâtre jusquà la fin de lannée. Firmin Gémier (1869-1933) en deviendra le directeur en 1901.

16

[30 octobre

1899]

Concernant les conditions qui ont rendu possible la création du Roi Candaule par Lugné-Poe, Ghéon, qui cherche à faire jouer Le Pain, relate à Gide : « Ah ! le théâtre est une belle chose ; on na pas fini décrire une pièce, quil faut sagiter encore davantage pour la faire jouer. Car je me démène tant que je peux, en attendant que tu viennes mimiter pour toi-même. Je tai dit que les promesses dAntoine meffrayaient par leur recul, aussi ai-je résolu de ne les point même solliciter pour linstant. [Le Théâtre de] LŒuvre prenant un nouvel essor grâce à une excellente combinaison qui réussira, je lespère, jai trouvé plus simple daller y chercher une certitude. Si ma pièce est prise. Voici donc une quinzaine, Faramond me prévint des projets de Lugné : il lui avait touché deux mots de ma pièce, avant son départ à Marseille. Je dus attendre son retour, ce qui me permit de graves réflexions et dès quil fut à Paris cétait mardi, je bondis chez lui – cest-à-dire que je ne le trouvai quà la troisième visite au [Théâtre du] Gymnase. Je fus reçu fort gracieusement et Lugné me promit de lire ma pièce aussitôt après la première dUn Ennemi du peuple[dHenrik Ibsen (1828-1906), pièce publiée en 1882]. Cétait hier même : aujourdhui jai déposé mon manuscrit. Et voilà jattends. Jusquici Lugné-Poe na que trois pièces dont une seule existante : celle de Faramond, elle doit passer dans un mois. Il ne tient quà nous de prendre la place. Fais jouer Saül ou Candaule. Je ten prie… Quelle joie dêtre joués ensemble ! » (Corr. Ghéon-Gide, t. I, p. 257.)

6 novembre

1899

Gide communique à Ghéon quil a terminé son deuxième grand drame : « Oui mon vieux, jai tué Candaule. Quelques retouches encore ; mais cest fini. » (Id., p. 259.)

13 mars 1900

Eugène Rouart montre laffection quil porte à Gide en critiquant Antoine qui na pas voulu monter les pièces de son ami et il souligne les défauts de certains cercles parisiens : « As-tu vu Trarieux [Gabriel Trarieux (1870-1940), André Antoine a monté plusieurs de ses pièces] et Antoine ? Ce dernier est vraiment un [mot illisible],

17

la médiocrité soutenue par largent triomphe. Dabord est-ce quune note comme celle de lautre jour de LÉcho de Paris sur T. et A. ne te venge pas, cher ami et admirable auteur, de lattente quon te fit faire dans les couloirs du Théâtre Antoine ? Alors ce sera toujours de même quon soit Antoine ou de Régnier, tout ça des Parisiens dune époque et des cabots : alors, vraiment la brusquerie dun Degas ou léloignement dun Huysmans ont de la grandeur. Mon amitié te fait trop noble aussi pour être atteint de ces choses. » (Gide, Eugène Rouart, Correspondance, t. I : 1893-1901, éd. David H. Walker, Lyon, PUL, 2006, p. 575.)

29 mars 1900

À La Libre Esthétique de Bruxelles, Gide donne la conférence « De linfluence en littérature ».

13 octobre

1900

Valéry connaît bien son ami et partage avec lui la méfiance sur les capacités du public de bien juger une pièce : « Jai reçu ton petit dernier [le recueil Lettres à Angèle 1898-1899], pas relu, refeuilleté ; revu une page sur le théâtre, la foule, etc., laquelle page est comme tu le devines, très parfaitement écrite. Tu fais très drôlement le dégoûté devant le sport dramatique. » (Gide, Paul Valéry, Correspondance : 1890-1942, éd. Robert Mallet, Paris, Gallimard, 1955, p. 578.)

Mars 1901

Les Éditions de La Revue blanche publient Le Roi Candaule.

30 mars 1901

Eugène Rouart veut jouer Candaule : « Jirai certainement à Paris pour ta pièce, jy enverrai même Yvonne [Lerolle, femme de Rouart], qui serait trop privée de rester ; je louerai même une loge pour la circonstance. Quand jai reçu ta lettre, je lisais justement Candaule, et ladmirais ; jallais técrire pour me proposer moi pour jouer Candaule ; dans mes promenades je me reprends comme il y a dix ans à rêver de théâtre, et je serai heureux davoir loccasion de jouer, mais le 20 avril et dans cette saison, cest trop peu de temps, je le regrette ; je taurais donné un Candaule considérable par la taille, mais par dautres choses, je le comprends beaucoup – et je crains que Lugné soit détestable, et il y faudrait être admirable et peu cabot. » (Corr. Gide-Rouart, t. I, p. 608.)

18

9 avril 1901

Répétitions du Roi Candaule : « Demain je répète chez Lugné – 22, rue Turgot – jusquà 4 et demie je pense. » (Corr. Ghéon-Gide, t. I, p. 330.)

8 et 9 mai

1901

Le Roi Candaule est créé au Nouveau Théâtre dans une mise en scène de Lugné-Poe qui interprète Candaule et Édouard de Max, Gygès. Cest la première pièce de Gide qui arrive à la scène. Le mercredi 8 mai a eu lieu la répétition générale et le jeudi 9 mai, la première représentation qui sera aussi la dernière, comme prévu par les accords entre Gide et Lugné-Poe.

10 mai 1901

Félicitations de Ducoté, directeur de LErmitage, pour les représentations du Candaule et la crainte du scandale : « Votre succès, votre joie me rendent doublement heureux. Quelles portes avez-vous ouvertes sur lavenir ! Ces soirées compteront et pour le théâtre et pour vous. Quelque chose est à présent qui nétait point. Mais que je ne semble point métonner dun événement dont je ne doutais pas. Ces deux soirs, je nappris rien, et jétais certain de vous. Mais la beauté de votre œuvre est apparue pleinement triomphante dans ce double fait : quelle a imposé lattention en un moment (au début du premier acte) où lon pouvait redouter quelle se dérobât ; et ensuite quelle a purifié (au second acte) tout ce que la situation pouvait contenir de scabreux. Il ny a pas plus de scandale dans Candaule que dans Phèdre ; cest le secret de la beauté ! Et il est encore prouvé que cette langue exquise que nous aimions dans vos livres sait être aussi la meilleure langue de théâtre. » (Corr. Gide-Ducoté, p. 210-211.)

4 juillet 1901

Article favorable de Charles Maurras sur Le Roi Candaule dans La Gazette de France.

6 juillet 1901

« Cette nuit jai rêvé ceci : Nous étions tous à Cuverville, et je ne disais pas, javais dit à Édouard [Rondeaux, frère de Madeleine] qui maurait demandé ce que jaimerais le mieux être : “Ce que je préférerais dêtre – cest acteur – oui acteur dabord ; – et sinon ou ensuite : aveugle”. » (J, I, p. 307.)

19

5 août 1901

Ghéon écrit à propos de Claudel, avant sa conversion et bien avant la fondation de La NRF : « Je te parlerais bien du livre de Claudel que je me suis fait rapporter de Paris par ma sœur. Mais pourquoi ? Cest très bon, mais point du théâtre, mais de moins en moins du théâtre : La Ville reste une énigme prétentieusement sociale, Le Repos du septième jour nest quune parabole ; La Jeune Fille Violaine[pièce achevée en 1892, Claudel la remanie et en 1912 elle devient LAnnonce faite à Marie] tourne au Maeterlinck parfois ; et ces conclusions immanquablement catholiques ! ! ! Il y avait pourtant au cours de Tête dor des scènes singulièrement belles et dramatiques ; celle où le héros simpose à son peuple ! las-tu relue ? Et en somme, je garde une préférence pour la pièce que publia LErmitage. Mais quelle riche langue ! » (Corr. Ghéon-Gide, t. I, p. 346-347.)

[Septembre

1901]

Ghéon confie à Gide, au sujet de limportance délaguer les textes et sur la composition du Roi Candaule : « Du moins, tu auras à le lire, au prochain jour, puisque LImmoraliste… coupe… coupe, cest bien, mais point trop. Souviens-toi de Candaule et de sa sécheresse que tous les imbéciles ont pris pour de la pauvreté. » (Id., p. 360.)

[2 décembre

1901]

Gide achève LImmoraliste. Lettre du 2 décembre à Ghéon : « Mon livre est fini depuis 6 jours et rien de décevant comme mon attente depuis. » (Id., p. 377.)

20 mai 1902

Les Éditions du Mercure de France publient LImmoraliste.

27 juillet 1902

Jacques Copeau note dans son Journal : « Lu dun trait LImmoraliste dAndré Gide. Quil est noble de dénier toute certitude, valeureux daborder des effrois encore impossibles à définir ! Essayer de dire ce que lhomme daujourdhui a à dire, il ne le craint pas, ni la douleur dêtre sincère, affreusement ! André Gide désigne par le cri humain des abîmes inévitables. [] Je suis stupéfié de lidentité de certaines émotions dAndré Gide aux miennes, de la parenté humaine qui existe entre LImmoraliste et La Soif, et certains chapitres, projetés, de mes Tentatives passionnées » (Copeau, Journal, t. I : 1901-1915,

20

éd. Claude Sicard, Paris, Seghers, 1991, p. 125). Au long de cet été, Copeau travaille à la pièce du répertoire élisabéthain, Une femme tuée par la douceur, de Thomas Heywood, créée à louverture du Théâtre du Vieux-Colombier le 23 octobre 1913.

[Novembre

1902]

Premier contact (indirect) entre Gide et Copeau. Jacques Copeau, qui admire Gide depuis longtemps, écrit « Notes denfance », un article paru dans le numéro de novembre de LErmitage concernant LImmoraliste. Gide demande des renseignements à Ghéon : « As-tu lu dans LErmitage les “Notes denfance” de Jacques Copeau ? Jaimerais bien savoir qui cest. » (Corr. Ghéon-Gide, t. I, p. 479)

[30 novembre

1902]

À la suite dune lettre de Ghéon où il est question de la difficulté darriver à écrire tout en poursuivant son métier de médecin en province (« Je commence à te jalouser : la jalousie de limpuissance »), Gide raconte le contenu des trois scènes qui composent son « poème dramatique », quil considère quasi terminé : « Ne te frappe pas, pauvre ami : ma Bethsabé est la moindre des choses ; supputant, comme tu fis aussi, quil ny avait pas là matière à 3 actes, (poids théâtral) mais le sujet mapparaissant toujours plus beau, – à force de le tourner et de le pétrir dans ma tête, il sest “informé” dans trois monologues de David. La pièce – ou mieux le poème dramatique (cest en vers naturellement – en vers libres) comporte donc deux personnages : David et Joab (rôle muet). Au demeurant ça nen est pas plus facile pour ça à écrire ; mais depuis assez longtemps déjà je narrêtais guère dy penser. À présent que cest fait, ça mapparaît tout simple et durant plusieurs jours cependant jai pu croire insurmontables les difficultés. » (Corr. Ghéon-Gide, t. I, p. 484.)

18 décembre

1902

Nonobstant les interruptions continuelles au long des journées, Gide tâche de poursuivre son travail. Il écrit à Ghéon : « Ajoute à cela les continuelles visites des raseurs, quémandeurs ou amis, les mille petits soins de la vie et tu tétonneras avec moi que malgré tout un Sylla

21

magistral se dessine lentement dans ma tête, et que, pour achever Bethsabé je ne demande que quinze jours de nuit. » (Id., p. 486.)

10 janvier

1903

Maeterlinck nest plus un modèle pour Gide. Sa réaction après une représentation de Pelléas et Mélisande : « Et puis rien de bien particulier à técrire : tu sais déjà que jai rencontré ton oncle à Pelléas. Je ne suis pas resté jusquà la fin ; je ne fais plus la part de ladmiration et celle de la critique, mais je sais quà présent Pelléas na plus rien à mapprendre ; et quant à y chercher simplement une émotion agréable… » (Id., p. 492.)

[7 ou 8 mai

1903]

À loccasion de la publication de Saül, Gide revient sur sa pièce : « Hier soir [] jai mis au net une très courte préface pour Saül, où modestement je me mets à labri de la Bible. À le relire, Saül me paraît bon, très tragique et assez savoureux par endroits – mais enfantin. Je nen corrige, au reste, pas un mot, et pour les fins de scène que dans les derniers temps nous ne trouvions pas suffisamment mouvementées, je my tiens. Elles ne me déplaisent pas ainsi, et si je corrigeais, on y verrait trop la couture. » (Id., p. 517.)

27 mai 1903

Gide à Ghéon : « Un théâtre se fonde que va diriger un nommé Beaulieu (?) [Henri Beaulieu (1873-1953), acteur et directeur pour une seule saison, 1903-1904, du Théâtre Moncey (1882 ca.-1955), qui était situé au 50, avenue de Clichy, et qui avec lui prend le nom de Théâtre du Peuple] ex-cabot. Trois pièces y seront montées, doffice : Les Mauvais Bergers[dOctave Mirbeau, 1847], Les Aubes[dÉmile Verhaeren, 1898], Le Pain[dHenri Ghéon]… Voici du moins ce quavant-hier mapprenait Verhaeren, qui désirait savoir si tu voulais… etc. Jai pris sur moi de consentir pour toi » (id., p. 522). Cette même année paraît, dans la Revue des Deux Mondes, larticle « Le Théâtre du Peuple », de Maurice Pottecher, qui fonde et dirige le Théâtre du Peuple de Bussang depuis 1895 et qui est encore actif. Avec le même titre, Romain Rolland (1866-1944) publie son plus important livre de théorie théâtrale.

22

5 août 1903

Gide prononce, à Weimar, la conférence « De limportance du public », quil dédie à Harry Kessler.

Août 1903

Gide visite Weimar, puis Berlin et Dresde. Il y rencontre et fréquente assidûment Aline Mayrisch.

17 mars 1904

« Quel ennui davoir cette conférence à préparer : “sur le théâtre”. Et ce que je pense du théâtre mintéresse si peu moi-même ! – ce que je pense mimporte si peu. » (J, I, p. 423-424.)

20 mars 1904

La date de la conférence sur le théâtre approche et Gide voudrait se défiler en la proposant à Copeau : « Que nest-il possible que vous fassiez cette conférence du 25 à ma place. Vous ai-je dit que, précisément, cest sur “le théâtre” que je dois parler. » (Gide, Jacques Copeau, Correspondance, 1902-1949, t. I, éd. Jean Claude, Paris, Gallimard, 1987-1988, p. 97.)

25 mars 1904

À La Libre Esthétique de Bruxelles, Gide donne la conférence « De lévolution du théâtre », quil dédie à Émile Verhaeren.

30 novembre

1904

Copeau écrit à Gide, sur une pièce de Shakespeare qui se prépare à lOdéon (la mise en scène est dAndré Antoine qui joue le rôle-titre ; création, le 5 décembre 1904) : « Jai assisté hier à la répétition générale du Roi Lear. Cest très intéressant. Mais Antoine, comme acteur, y est bien médiocre. » (Corr. Gide-Copeau, t. I, p. 115.)

25 janvier

1905

Gide sétale longuement sur le théâtre dombre en Turquie : « Lobscénité de Karagous [lorthographe peut changer : Garagouz, Karagöz (œil noir en turc)] dépasse toutes les espérances. Au cours du spectacle, le plus souvent, Karagous trouve le moyen denfiler successivement lune après lautre chaque marionnette ; toutes y passent, et chacune avec une mimique spéciale ; et quelles onomatopées ! il y a le turc, le juif, le fumeur de kief, le nègre, la gardienne des bains, etc. De celle-ci quil engrosse, naît aussitôt un minuscule Karagous, au zeb dressé comme celui du père, ce qui réjouit ce dernier violemment. Il le lui caresse et le lui bichonne et le baise. Le bonheur des enfants assistant à cela est

23

sans nom ; ils trépignent. Les propos que tient alors Karagous à son fils doivent je pense ressembler fort à ceux de Gargantua au naissant Pantagruel. Du moins, cest ce quil me parut. Jallais au Karagous chaque soir… Que ny suis-je encore ! » (Gide, Christian Beck, Correspondance, Genève, Droz, 1994,p. 138.)

Mars 1905

Vers et prose, revue trimestrielle fondée par Paul Fort, publie son premier numéro, dans lequel Gide fait paraître Bou Saada, récit sur lhomonyme village algérois.

16 mai 1905

Gide : « Dîner tranquille. Je lis ladmirable 1er acte de Tête dor[de Paul Claudel] à Em. [Madeleine Gide] » (J, I, p. 448.)

11 juillet

1905

Gide avoue à Copeau ses orientations sexuelles que ce dernier note sur son Journal : « Enfin elle [la confidence de Gide] lui vient aux lèvres : il est pédéraste. On me lavait dit. Je ne lavais pas cru. Puis, plus dune fois, ma question sétait posée de nouveau à mon esprit, toujours non résolue. Ce quil en indique dans ses livres me paraissait une illustration théorique, une conséquence extrême, intellectuelle, un point logique auquel aboutissait son immoralisme. Cétait au contraire le point de départ, peut-être fondamental, le secret profond et essentiel de sa nature, de son caractère, de son esprit. » (Copeau, Journal, t. I, p. 220.)

8 août 1905

Gide reporte, dans le Journal, ses échanges à propos du théâtre : « Copeau, avec qui je dînais, me redisait hier soir certaine phrase que je lui aurais dite à Cuverville : “Dût le drame se terminer dans le sang, je ne connais pas un sentiment dont la sincérité ne puisse être mise en doute”. Je ne reconnaissais pas cette phrase (dans le sens “reconnaître un enfant”) mais ne la désavouais pourtant pas ; et hier, reprenant ce sujet, jinsistai : “La sensation, elle, est toujours sincère ; elle nous est le seul garant de lauthenticité des sentiments ; nos sentiments nous sont garantis par leur retentissement physiologique. La littérature, les beaux-arts (modernes) ont fait de lhomme, pour leur commodité, une créature beaucoup plus sentimentale quelle nest ; quelle nétait au moins,

24

car bientôt lhomme sest conformé à limage quon lui présentait de lui-même.” » (J,I, p. 473-474). À la même date, Gide note le sujet pour une pièce de théâtre : « Il est étrange combien les cours du titre Humanité ont monté depuis les Grecs, ou même depuis Shakespeare. Rien ne nuit plus au drame que cette cote excessive, cest assez proprement là le sujet de mon Sylla. » (J,I, p. 474). La pièce restera à létat de projet.

27 septembre

1905

Copeau lit Les Frères Karamazov quil adaptera pour le théâtre, le spectacle sera finalement créé au Théâtre des Arts dans une mise en scène dArsène Durec en 1911. Gide suivra de près le travail de Copeau pour la transposition du roman à la scène. Dans le Journal de Copeau : « Ce matin, temps clair et froid. En omnibus, je lis Les Karamazov. Très excité. » (Copeau, Journal, t. I, p. 229.)

[25 janvier

1906]

Gide est à Vienne pour les représentations du Roi Candaule, traduit par Franz Blei, au Volkstheater, il assiste aux répétitions. Concernant les décors, il est enthousiaste, pour ce qui est dun des comédiens, il lest moins : « Je passe samedi soir au Volkstheater (Théâtre du Peuple) ; énorme, très beau ; contient deux mille spectateurs ; mise en scène dépassant en splendeur et en ingéniosité tout ce que je pouvais espérer. Le second acte surtout est aménagé de la manière la plus savante ; la scène est, au fond, exhaussée à la manière ancienne, et le lit exhaussé encore, de sorte quil se trouve deux mètres plus haut que le premier plan. Je voudrais tindiquer cela – qui permet à Gygès dadmirables effets et écarte encore plus du spectateur limmolation de la pudeur de Nyssia. [] Lexécution ? Les seigneurs, excellents ; Nyssia bonne, très bonne, peut-être ; complètement dévouée au succès de la pièce ; Gygès, excellent. Candaule, stupide. Il représente un voluptueux, bon par faiblesse, généreux par sottise, au lieu darriver presque au vice à force de générosité, vicieux par perversité, au crime, par lexagération dune vertu. Il dépouille le rôle de sa noblesse et de toute son âpreté, fait de la pièce quelque chose dassez

25

vilainement scabreux. Il dit : “Je suis très riche” en exprimant par son sourire un contentement satisfait. Ah ! misère ! ! pas moyen de lui faire comprendre. » (Corr. Gide-Ghéon, t. II, p. 632-634.)

7 novembre

1906

Gide à Claudel : « Il me serait meilleur décrire une étude sur [Le]Partage de Midi, que de vous en parler en quelques lignes. Jéprouve à certaines pages de votre drame ce tremblement de Moïse devant le buisson ardent ; cet enthousiasme secret, que notre littérature semble tâcher à vous désapprendre et qui doit être notre état normal. Voici qui vous mérite notre reconnaissance. » (Corr. Claudel-Gide, p. 67-68.)

14 mars 1907

Gide à Claudel : « Jai pu me remettre au travail, quune fatigue sénile avait dû interrompre longtemps ; ai terminé un Enfant prodigue que je vous aurais dédié si je ne [le] dédiais à Fontaine. » (Id., p. 72.)

Mai 1907

Publication dans la revue Vers et Prose, dirigée par Paul Fort, du Retour de lenfant prodigue. Cest la pièce la plus représentée et reprise de son vivant.

18 juin 1907

Au milieu dune période de santé fragile, Gide achève ce qui restera de son projet autour du personnage dAjax. Il écrit à Ghéon : « À force dhygiène pourtant et de modération, je me maintiens en selle, et jai pu mener à bien la première scène dun Ajax, que je porte depuis six ans. » (Corr. Ghéon-Gide, t. II, p. 675.) Concernant cette pièce, Gide avait noté sur son Journal à la date du 22 avril 1907 : « Jai voulu me remettre à Ajax, mais examinant mieux le sujet, je crains de ne pouvoir expliquer, excuser même le geste dAjax sans lintervention de Minerve ou de la folie ; il faudrait les deux à la fois : pratiquement absurde (il lest suffisamment) et, idéalement, admirable (il ne lest point)… Rien à faire. » (J,I, p. 565.)

23 octobre

1907

Gide à Émile Haguenin sur le rôle de Candaule : « La grande difficulté de cette représentation, cest le rôle de Candaule. Ce rôle, je sens, je sais, jai la conviction quil est VRAI ; mais je crois aussi quil est neuf ; cela suffit pour le faire juger faux ; il ne rentre pas dans le répertoire

26

des sentiments que lacteur a lhabitude dexprimer. – À Paris, Lugné-Poë [sic] en avait fait un lunatique ; à Vienne, lacteur dont le nom méchappe, un libidineux voyeur. – Candaule doit être dune admirable santé. Il doit être admirable à la façon du Timon (au 1er acte) de Shak[espeare]. – dont il est descendu tout droit, je lavoue. – Je ne mamuse à peindre que des êtres admirables – admirables diversement, inconciliablement – et à faire jaillir le drame de cette inconciliabilité même (Ainsi : Candaule, Gygès et Nyssia ; ainsi mon Immoraliste et sa femme.) » (RHLF, mars-avril 1970, p. 200-201.)

Juillet 1908

Ghéon, Gide et Copeau parlent des Karamazov dont ladaptation écrite par Copeau et Jean Croué narrivera à la scène quen 1911. Gide à Ghéon : « Copeau promet dapporter le Ier acte des Karamazov. » (Corr. Ghéon-Gide, t. II, p. 695.)

16 août 1908

Gide est très impliqué dans le projet dadaptation, de Croué et Copeau, du roman de Dostoïevski. « Il [Copeau] espère pouvoir nous lire les premières scènes de ses Frères Karamazov. Je relis le livre concurremment dans la traduction allemande et dans la traduction soi-disant complète de [J.-Wladimir] Bienstock. [] Les réflexions générales ou personnelles en particulier, sont systématiquement escamotées. Je prends note de chaque point. » (Id., p. 698.)

Septembre

1908

Gide écrit à Ghéon, concernant la mauvaise traduction en français des Karamazov : « Jenrage contre les traducteurs de Dostoïevsky. Ce Bienstock est maître fripon. On devrait pouvoir poursuivre ces gens-là… Monstrueux ! À justification égale, la page 40 du français correspond à la page 90 de la traduction allemande. Ils traduisent à peu près un mot sur trois. Finesses, audaces, allusions, moqueries, larmes, tics, tremblement, frémissements dindignation, damour, de peur, de piété – tout tombe ; il ne reste que le squelette du livre. La traduction de [Charles] Morice [en 1888] est, malgré les remaniements et les imputations [sic], de beaucoup la meilleure… » (Id., p. 704.)

27

31 décembre

1908

Gide écrit à François-Paul Alibert, au sujet du premier numéro de LaNRF : « Je crois que ce no aura bon aspect. Je crois aussi que les suivants se tiendront tout aussi bien, puisque déjà nous avons – pour article de tête : Lectoure[sic] ; Réflexions sur le Théâtre de Copeau ». (Gide, François-Paul Alibert, Correspondance, Lyon, PUL, 1982, p. 19.)

10 janvier

1909

La première lettre de Jacques Rivière à André Gide concerne, entre autres, un article qui a été déjà refusé par La Grande Revue, dirigée par Jacques Rouché, et par le Mercure de France où il est arrivé grâce à Gabriel Frizeau : « Vous avez été si simplement accueillant pour mon ami Lhote et pour moi quaprès plusieurs semaines dhésitation je me décide à vous envoyer mon essai sur une métaphysique du rêve, que le Mercure ma rendu. Vous apprécierez vous-même si La Nouvelle Revue française peut laccepter. » (BAAG no 25, 1975, et Gide, Jacques Rivière, Correspondance : 1909-1925, Paris, Gallimard, 1998, p. 33-35.)

17 janvier

1909

Maurice Denis est à Moscou où il assiste, au Théâtre dArt, à une mise en scène de Stanislavski dont la création date du 30 septembre 1908. En France, la pièce de Maeterlinck narrivera pas avant 1911 : « Connaissez-vous une pièce, une féerie de Maeterlinck, LOiseau bleu ? On la joue ici avec des décors surprenants pour la machinerie et la beauté. Cest le dernier cri de la mise en scène. Comme nos essais du Théâtre et Art, etc. ont été repris et amplifiés ! Il ny a quà Paris quon nait rien fait. » (Gide, Maurice Denis, Correspondance : 1892-1945, Paris, Gallimard, 2006, p. 282-283.)

1er février

1909

Après la rupture, en novembre dernier, avec Eugène Monfort qui guidait la première équipe de LaNRF, à cause de ses critiques adressées à Mallarmé et aux propos élogieux dédiés à DAnnunzio, le premier numéro de LaNouvelle Revue française (re)paraît.

18 février

1909

Gide essaie daider Claudel, qui est consul à Tientsin (près de Pékin), afin que LaJeune Fille Violaine puisse être jouée par Marie Kalff [née Johanna Maria Kalff (1874-1959),

28

comédienne franco-néerlandaise. Cest grâce à son mari, le dramaturge Henri-René Lenormand (1882-1951) quelle découvre Claudel] et montée par Bour [Armand Bour (1868-1945), comédien formé au Théâtre Libre dAntoine, puis metteur en scène et directeur de théâtre]. Claudel, qui nétait au courant de rien, répond à Gide : « Je viens de recevoir votre lettre relative au Théâtre dArt. Jy ai répondu immédiatement (par télégramme comme vous me le demandiez) : “Regrette – impossible”. Je suis vraiment touché des bonnes volontés que je rencontre autour de moi, et je vous prie dexprimer à ces messieurs du Théâtre de lArt, à M. [René] Lenormand, à Mlle Kalff et à M. Bour mes remerciements bien sincères. » Ensuite Claudel donne les trois raisons de son refus : « 1o La représentation dune pièce de moi ne peut se faire sans que je sois là. [] 2o De toutes mes pièces, LaJeune Fille Violaine est celle que je considère en même temps comme la plus pénétrée de poésie et la plus imparfaite. [] 3o Enfin, raison qui domine toutes les autres, je ne suis nullement sûr que cette représentation plairait au ministère où je suis déjà mal vu en raison de mes opinions religieuses []. Je ne puis aussi compromettre ma position pour un peu de gloriole. Comprenez mon existence disloquée. Consul, poëte [sic] et dévot, cest trop à la fois. Me voici père de famille par-dessus le marché. » (Corr. Claudel-Gide, p. 98-99.)

Fin février

1909

Gide est enthousiaste de larticle de Copeau en réponse au « Feuilleton du Temps » du 25 janvier, où Adolphe Brisson accuse Henry Becque davoir produit très peu de pièces de théâtre. Copeau plaide pour ceux qui produisent moins, mais en essayant de laisser une œuvre importante comme celle de Becque : « Jean S[chlumberger] mapporte le no 2 de La N.R.F. Votre Brisson contre Becque est remarquable ; je voudrais voir ça imprimé en énormes caractères et affiché sur les rideaux de théâtre ; ou gueulé par des phonographes pendant les entractes des pièces à succès. » (Corr. Gide-Copeau, t. I, p. 302.)

29

9 mars 1909

Jacques Rivière à Gide : « Jétais sur le point de vous écrire une très longue lettre, quand jai eu le chagrin de perdre ma grand-mère. Mon abattement môte en ce moment toute idée. Mais cette fois je tiens absolument à vous dire (à propos dIsadora Duncan) une foule de choses qui vous renseigneront sur moi un peu mieux que je nai pu faire jusquici. Cest pourquoi dès que jen aurai la force, je vous écrirai longuement. » (Corr. Gide-Rivière, p. 46.)

12 mars 1909

Jacques Rivière écrit à Gide, après avoir vu un spectacle dIsadora Duncan le 3 mars : « Jai donc vu Isadora Duncan, et je lai trouvée très belle et elle ma beaucoup ému. Seulement jai passé mon temps à me révolter intérieurement contre un mot que vous maviez dit sur elle et que jai senti par tout moi-même ne pouvoir accepter. À aucun instant je nai eu le sentiment dun “paradis perdu”. Cette paix dans le mouvement, cette mesure du désir, ces élans contenus, ces gestes, dont le simple déroulement est la satisfaction, ne me sont rien, ne peuvent rien être pour moi. Comment pourrais-je regretter un temps où le désir était par chaque minute comblé et sévanouissait sans cesse en son contentement. Mon paradis est autre et plus amer. Jai lu ce soir dans Le Banquet de Platon cette admirable pensée que lamour est pauvre, misérable, quil erre sur les routes dépouillé de tout, “mais avec le désir des belles choses”. Il nest pas lenfant délicat et beau quon simagine ; mais il nest pourvu que de son avidité. Ce qui pour Platon fait linfériorité de lamour est pour moi son privilège. Cest pour son manque que je le veux ; cest parce quil est âpre et plaintif et désirant. La joie pour moi nest pas cette “pathétique”, immédiate, placide effusion de la danse grecque. Ma joie cest lindigence ineffable de lamour, la plainte de lamour en moi. Je ne veux pas être heureux, je ne veux pas du bonheur comme on lentend. Mais mon bonheur mest donné en mouvement ; il senveloppe dans toutes mes pauvretés, et dans tous mes déchirements. » (Id., p. 49-50.)

30

Juin 1909

Les Éditions du Mercure de France publient La Porte étroite.

[28 ou

29 août 1910]

Gide réagit à la lecture des deux premiers actes de la pièce de François-Paul Alibert : « [] jai pris à lire votre Marsyas[ou la Justice dApollon] ; désireux de le relire encore, je ne vous le renverrai que dans quelques jours, si vous le permettez ; il me tarde beaucoup de connaître le troisième acte ; je souhaite que, rétrospectivement, vous y éclairiez le conflit entre lhomme et le dieu, car, sil est bon peut-être que la victoire du dieu continue à paraître inique (et cela dépend du point de vue), il serait fâcheux quelle parût arbitraire. Et jespère que dans les Champs-Élysées [où se situe le troisième et dernier acte] ils vont sexpliquer là-dessus. La lyre dApollon na résonné plus pure que précisément parce quelle était inhumaine, et le crime de Marsyas est précisément davoir essayé, en place dun art impassible, un art dexpression, auquel, si Apollon répugne, cest parce quil déformera la pure ligne de ses joues. Mais je pense que cest là la moelle de votre 2e acte. Quels intéressants approchements à faire entre Marsyas et Prométhée et le Christ, ces deux êtres victimes de la pureté inconciliable de Dieu ! » (Corr. Gide-Alibert, p. 34.)

[25 octobre

1910]

Ghéon écrit à Gide, à propos des comédiens qui devraient jouer sa pièce Le Pain : « Quelques soucis de théâtre. À propos, vu mon interprète au Théâtre Sarah-Bernhardt à coté de de Max. Peste ! quelle stature ! quel coffre ! et pas trop bête, il me semble, avec cela. De ce côté je suis tout à fait rassuré. » (Corr. Ghéon-Gide, t. II, p. 764.)

12 novembre

1910

Gide écrit à André Suarès : « Je viens de voir la direction de LaNouvelle Revue française qui se tient prête à vous faire exactement les mêmes conditions que vous eût faites [Jacques] Rouché [directeur de La Grande Revue], pour le Portrait du poète tragique, que vous me proposiez lautre soir. » Gide tâche de faire paraître cet essai sur Shakespeare dans les pages de La NRF. Finalement, Suarès publiera Poète tragique, portrait de Prospéro seulement

31

en 1921 chez Émile-Paul frères dans une version qui dépasse les quatre-cents pages. (Gide, André Suarès, Correspondance : 1908-1920, Paris, Gallimard, 1963, p. 48-49.)

9 mars 1911

Gide répond à Claudel : « Je me réjouis de vous voir attiré par Calderon et Lope de Vega ; il y a quelques années jétais plongé dans leur théâtre (celui de Calderon surtout). [] Dois-je déjà vous dire avec quel bonheur La NRF accueillerait LAnnonce faite à Marie dans les mêmes conditions quelle avait pris LOtage. » (Corr. Claudel-Gide, p. 167-168.)

11 mars 1911

Copeau écrit à Ghéon, sur les difficultés auxquelles il doit faire face pour monter Les Frères Karamazov : « Quelles brutes que ces cabots ! Ils ne comprennent rien, rien. Garry, quon a engagé pour jouer Ivan, est le plus bête de tous. Heureusement, mes rapports avec [Arsène] Durec sont tout à fait excellents [finalement cest Durec qui jouera Ivan]. Le premier acte est à peu près sur pied, matériellement. On commence à débrouiller le 2e et le 3e. La distribution est au complet et ne flanchera plus. » (Corr. Ghéon-Gide, t. II, p. 777.)

6 avril 1911

Au Théâtre des Arts dirigé par Jacques Rouché, Arsène Durec met en scène Les Frères Karamazov. Jacques Copeau et Jean Croué ont adapté le roman de Dostoïevski.

6 avril 1911

Jacques Rivière écrit à Gide concernant les Karamazov – Gide y a contribué en aidant Copeau dans le long travail dadaptation : « Quelle merveille que les Karamazov ! Jen suis encore tout occupé ! Et je crois que cest un succès. Je voudrais en parler infiniment avec vous. » (Corr. Gide-Rivière, p. 195.)

9 avril 1911

Après avoir assisté à une représentation des Karamazov, Gide écrit à Copeau : « Alors on ne se voit plus ! ? Je pars mardi. Été au théâtre hier après-midi avec un vague espoir de vous y rencontrer ; causé avec Karl [Roger Karl (1882-1984) joue le rôle de Dimitri Karamazov] Durec et Ghéon. Jai à peu près promis de votre part à Paul Fort des places pour les Kara. – il en voudrait

32

bien 4 ; je crois quil est bon quil vous applaudisse. []Teneramente vostro[“tendrement vôtre”, en italien]. » (Corr. Gide-Copeau, t. I, p. 472.)

23 avril 1911

Copeau écrit à Gide : « Et, hier soir, quand je suis arrivé au théâtre, tous mont dit : Gide est venu, il a dit ceci et cela. Van Doren [Fernande Van Doren (1877-1964), joue le rôle de Katherina] : Après le deuxième acte il avait des larmes aux yeux. Ah mon cher vieux, que jai besoin de vous revoir. [] À vous raconter encore : longue conversation avec Alain-Fournier. Très satisfaisante. Il sest montré pour les Karamazov dun dévouement extrême. » (Corr. Gide-Copeau, t. I, p. 476-477.)

13 ou

14 septembre

1911

Gide confie à Alibert : « Un événement considérable dans ma vie : il y a 8 mois, jai décidé dapprendre langlais. Depuis, jy donne quelques heures presque chaque jour, et suis parvenu à lire à peu près couramment ceux de leurs grands auteurs qui ne se piquent pas de beau langage, de termes rares, etc… : Defoe, Swift, Fielding, etc… [] Je pense rentrer à Paris dans une quinzaine de jours, appelé (entre autres choses) par la reprise des Karamazov et les répétitions du Pain de Ghéon. » (Corr. Gide-Alibert, p. 53.)

7 novembre

1911

Le Théâtre des Arts, dirigé par Jacques Rouché, donne la première représentation de la tragédie Le Pain dHenri Ghéon. Roger Karl et Charles Dullin sont dans la distribution. Gide confie à Ghéon ses réactions sur le spectacle : « Grande impression. “Rudement mieux que la pièce du Châtelet ! Ce quil doit gagner dargent M. Ghéon ! : il écrit des livres, il est médecin, il fait jouer ses pièces !” Ce à quoi ma femme ajoute : “Et vous savez quil fait de la peinture ! – Il vend sa peinture ? – Naturellement ?” La jeune femme de chambre a beaucoup pleuré. » (Corr. Ghéon-Gide, t. II, p. 788.)

3 août 1912

Claudel raconte à Gide quil a refusé de faire monter Partage de Midi : « Je trouve votre lettre au retour dun petit voyage en Bohème. Marie Kalff mavait déjà parlé des projets de Lugné-Poe relatifs au Partage. Jai refusé,

33

avec un certain regret, je lavoue, car javais entendu cette actrice qui me paraît avoir du cœur. Mais je ne veux pas que cette œuvre paraisse à la scène. » (Corr. Claudel-Gide, p. 202.)

5 septembre

1912

Gide reçoit une lettre de Claudel concernant lassentiment à voir monter une de ses pièces par le même metteur en scène qui avait monté, en 1901, Le Roi Candaule : « Enfin, je me suis décidé à laisser Lugné-Poe essayer de jouer LAnnonce faite à Marie. Jai confiance en Madame Kalff, qui a la plus grande qualité et la seule que je puisse demander, lenthousiasme et la foi en mon œuvre. Quel que soit le succès, japprendrai quelque chose. » (Id., p. 203.)

8 décembre

1912

Claudel invite Gide à assister à LAnnonce faite à Marie, montée au Théâtre de lŒuvre par Lugné-Poe : « Je vous écris à Paris à tout hasard. Jy suis moi-même depuis lundi. Comme vous le devinez, je suis en effet extrêmement bousculé. Je voudrais cependant vous voir, mais toutes mes après-midis à partir de 2 h. et bientôt toutes mes soirées sont prises. Peut-être pourriez-vous venir vous-même un matin ? (en me prévenant). Les représentations doivent avoir lieu les 20, 22 et 23. Naturellement je vous enverrai des places, si vous voulez bien surmonter pour moi votre aversion du théâtre. » (Id., p. 206.)

18 décembre

1912

Gide décide daller voir la pièce de Claudel avec Ghéon : « Maccompagnerais-tu à lŒuvre vendredi soir ? Jai deux fauteuils dorchestre pour LAnnonce faite à Marie. La pièce commençant à 8 heures et quart, il serait préférable que nous dînions ensemble dans le quartier (mais quel est le quartier du 56 bis, avenue Malakoff ? ?) » (Corr. Ghéon-Gide, t. II, p. 812.)

26 mars 1913

Copeau est à un tournant de sa vie, il ne semble lui rester quune voie possible : diriger un théâtre : « Jaurais beaucoup à dire. Mais je suis beaucoup plus disposé à reconnaître une chose évidente : que je nai pas fait depuis deux ans ce que jaurais dû faire, que je ne me

34

suis pas bien conduit. Tel est le fait. [] Cest dans cette pensée dune concentration nécessaire [] que jai repris et tâche actuellement de faire aboutir le projet dun théâtre. Dans ce projet, mon ami, vous craignez pour moi léchec et vous redoutez également le succès, lhumiliation et laccablement des soucis, ou la débauche de la réussite, et pour elle et par elle, la mise en œuvre, lexagération de mes facultés les plus triviales… Hélas ! Cher vieux, cétait une décision quil fallait prendre et que jai prise peut-être imprudemment ; une résolution qui simposait à quelquun de trop ému par ses possibilités, de trop déchiré depuis longtemps par des vocations contradictoires, dénervé par les hésitations et les repentirs, de ruiné par les faux frais, enfin de dominé par la nécessité – à laquelle il se sent presque joyeux davoir à obéir. Mais aujourdhui encore, en prenant cette résolution, soyez certain que jai, également impérieux, le sentiment dentrer dans ma voie, et celui de men écarter. Car je me sens également capable de devenir un excellent directeur de théâtre, ou un parfait ermite. Lermite aurait toutes mes préférences secrètes, mais il mourrait de faim dans sa solitude, avec le petit peuple dont il a la charge. » (Corr. Gide-Copeau, t. I, p. 703-704.)

26 mars 1913

Gide parle à Claudel du projet de théâtre de Copeau et de LaNRF : « Hier, dîné avec Copeau ; complètement consterné par ce quil mapprend au sujet de votre théâtre [Copeau imaginait que Claudel avait signé un contrat dexclusivité avec Lugné-Poe qui venait de monter LAnnonce]. Celui que nous voulons fonder, je dis “nous” mais en réalité je ne fais que suivre, et dassez loin seulement, Copeau, Gallimard et Schlumberger, perd presque à présent sa raison dêtre. Combien je déplore à présent de ne pas vous en avoir parlé plus tôt ! mais jai si grande horreur du bluff que, tant que la chose na pas été aux trois quarts faite… Je crois néanmoins que dans peu dannées La N.R.F. sera à même davoir un théâtre important, à représentations régulières, etc.

35

(Songez que le père de Gallimard est le propriétaire des Variétés.) Le théâtre dont il sagit présentement nest quun théâtre dessai, où Copeau, que je crois appelé à faire un excellent directeur de troupe, va se faire la main… » (Copeau, Registres III :Les Registres du Vieux Colombier I, Paris, Gallimard, 1979, p. 149-150.)

18 juin 1913

La troupe du Théâtre du Vieux-Colombier est constituée : « Jai aimé votre dernière lettre. Pouvez-vous savoir à quel point jattends Les Caves et combien jai besoin que ce livre soit admirable. Je le lirai avec génie. Travail forcené, mon vieux. Je vais dailleurs très bien, un peu nerveux, mais flambard. La troupe [du] Vieux Colombier est au complet et, je crois, capable de promesses. Les logements sont trouvés au Limon. On commence à travailler le 1er juillet exactement. » (Corr. Gide-Copeau, t. II, p. 27.)

21 juin 1913

Gide écrit à Ghéon, après que ce dernier lui a loué Petrouchka des Ballets russes. Il est en train de boucler Les Caves du Vatican : « Comme bien tu las pensé, cest le travail qui ma retenu ici, malgré tout le désir que javais dentendre Petrouchka et le plaisir que jaurais eu de te revoir. Si, je savais que Stravinski venait dêtre gravement malade ; la veille de mon départ [pour lItalie] javais été à lhôtel Meurice où se trouvaient rassemblés autour de Missia [sic] : Kessler, Sert, Diaghilev et Nijinski. Sert ma pris à part, pour me faire mille reproches de partir précisément au moment où Diaghilev, délivré de ses préoccupations, allait pouvoir prêter loreille à ma lecture. “Si Gide nest plus là, Ghéon pourra peut-être lire à sa place”, a dit Misia [Marie Godebska, mécène, pianiste et future épouse de José Maria Sert]. » (Corr. Ghéon-Gide, t. II, p. 824.)

24 juin 1913

Gide achève Les Caves du Vatican.

29 juin 1913

Oscar Wilde avait dit à Gide : « Jai mis tout mon génie dans ma vie ; je nai mis que mon talent dans mes œuvres. » Gide revient sur cette phrase : « Plus tard jespère bien pouvoir revenir là-dessus et raconter alors tout ce que je nai pas osé dire dabord. Je voudrais aussi

36

expliquer à ma façon lœuvre de Wilde, et en particulier son théâtre – dont le plus grand intérêt gît entre les lignes. » (J, I, p. 747.)

4 septembre

1913

Gide vise un réseau européen pour faire connaître le Théâtre du Vieux-Colombier : « Jaurais différentes petites choses à vous dire au sujet de La N.R.F.… mais crains, présentement, de ne pas avoir votre oreille. Voici pourtant : il importe que nos relations soient resserrées avec la revue Poetry and Drama qui du reste ne demanderait quà sintéresser à nous davantage, je crois, et au Théâtre du Vieux Colombier. Il est grotesque et inadmissible que, dans les pages dannonce de cette revue (cest lancien Poetry Review, devenu beaucoup plus important) le Mercure et La Phalange (passe encore le Mercure ! mais La Phalange ! ! !) sétalent chacun sur une pleine page, bien en vue, tandis que La N.R.F. se découvre avec peine dans un tout petit coin… Et du reste pourquoi, de notre côté, nannonçons-nous pas le Poetry and Drama ? Il ny a pas là une question de finances, mais déchanges et de bons rapports, simplement. Il faut que cette revue semploie à faire connaître le Vieux Colombier en Angleterre. De même il faut que The Mask de Florence (la revue de Gordon Craig) sy intéresse et vous fasse de la propagande. Mais vous nallez pas avoir le temps de vous occuper de tout ça… cest fâcheux ! » (Gide, Jean Schlumberger, Correspondance : 1901-1950, Paris, Gallimard, 1993, p. 533-534.)

8 septembre

1913

Copeau renseigne Gide sur laccueil à son article paru dans le no 57 de LaNRF, « Un essai de rénovation théâtrale : le Théâtre du Vieux Colombier », dont il est le seul directeur : « En général on fait très bon accueil à mon entreprise. Tous les journaux marchent. Il y a en ce moment environ un article par jour. Et chaque matin je reçois un très gros courrier : de tous les points de la France, et aussi de lÉtranger, applaudissements, encouragements, offres de concours désintéressés, enfin quelques abonnements et demandes de souscriptions.

37

Mon article va être réimprimé dans une brochure de propagande que nous allons tirer à 5 et peut-être à 10.000. Les travaux du théâtre avancent mais nous ne répétons pas encore sur scène. Nous y serons la semaine prochaine. Enfin tout sannonce bien. Il nous est permis despérer un bon départ. Jean [Schlumberger] maide avec le dévouement que vous savez. Je ne serais pas étonné que le lancement du théâtre fût très utile à la revue. Ne craignez pas, cher vieux, que nous la laissions à labandon. » (Corr. Gide-Copeau, t. II, p. 39.)

16 septembre

1913

Gide répond à Jean Schlumberger qui linvite à demander à Édouard de Max de faire la lecture de Bethsabé à loccasion de la huitième séance de la deuxième série des « Matinées poétiques » du Vieux-Colombier. Finalement ce sera Copeau qui sera chargé de la lecture du 7 mars 1914 : « Pour Bethsabé, volontiers mais de Max ne va-t-il pas faire le froissé, à la suite de mon long silence ? Et sans lui, pas moyen. Comment le pressentir ? Nous aviserons. » (Corr. Gide-Schlumberger, p. 538.)

27 octobre

1913

Rainer Maria Rilke exprime son enthousiasme à Gide pour le projet du Vieux-Colombier : « Je me propose de vivre tout à lécart dans mes quatre murs que voici, je me couche à neuf heures, je ne sortirai que pour le Théâtre du Vieux Colombier qui ma donné bien de joie lautre soir. Quel plaisir que de voir sur la scène des forces bien intentionnées, propres, droites, qui se développent devant vous sans arrière-pensée, ne voulant pas vous gagner malgré vous par des ruses, mais étant là tout simplement comme un bel arbre dhumanité qui aurait des saisons – son élan, son déclin, la chute des feuilles, une par une. Quelle belle et saine et heureuse conception du théâtre, et combien en avions-nous besoin, nous tous. » (Gide, Rainer Maria Rilke, Correspondance : 1909-1926, Paris, Corrêa, 1952, p. 73.)

11 novembre

1913

Les Fils Louverné de Jean Schlumberger est créée au Théâtre du Vieux-Colombier dans une mise en scène de Copeau.

38

23 novembre

1913

Gide imagine une rapide transposition scénique de la part de Copeau pour la première version du Protée de Claudel. Le projet ne se réalisera pas : « Je vous écris bien vite pour vous dire que le Protée de Claudel sera le triomphe du Vieux Colombier. » (Corr. Gide-Copeau, t. II, p. 45.)

22 décembre

1913

Gide adresse à Copeau, après une représentation au Vieux-Colombier : « Un simple petit mot pour vous dire lexaltation que jai remportée de ces quelques scènes de LAvare entendues hier (hélas ! Rivière mattendait rue Madame). Cest de lexcellent. Il me semblait tout à coup que toutes les autres représentations de Molière que javais vues, au Français ou à lOdéon, étaient des reproductions, des agrandissements, et quenfin je voyais loriginal. Cétait si bien que je nai même pas cherché à vous voir. » (Id., p. 48.)

23 décembre

1913

Copeau écrit à Gide, autour de LÉchange de Claudel : « Après les fêtes du Premier Janvier, il va falloir faire un gros effort pour procéder à une sorte de relancement du Théâtre. Cet effort ne saurait mieux coïncider quavec la représentation de LÉchange. Je tâcherai de donner à cette occasion toutes mes réserves. Ne verriez-vous pas bien un article de vous sur Claudel dans Le Figaro ? [depuis la publication des Caves du Vatican les rapports de Gide avec Claudel changent radicalement. Il ny aura pas darticle de Gide dans LeFigaro] » (Id., p. 50.)

3 janvier 1914

Gide assiste à une autre pièce de Molière au Vieux-Colombier qui joue en alternance : « [] Ghéon ma entraîné hier au Vieux Colombier pour assister au triomphe du Barbouillé [La Jalousie du Barbouillé de Molière est créée le 1er janvier]. La soirée sest prolongée à Lutétia [brasserie près du Vieux-Colombier] et je suis complètement abruti ce matin. Ma sympathie pour Martin du Gard tourne à lamitié véritable ; je crois que pour la revue et pour le théâtre il sera dun précieux secours. » (Corr. Gide-Schlumberger, p. 546.)

39

[Mars 1914]

Ghéon écrit à Gide, concernant la reprise des Frères Karamazov au Théâtre du Vieux-Colombier : « Hier, Karamazov ! Interprétation admirable, la folie de Copeau laisse bien derrière celle de Durec ! Jouvey [Louis Jouvet] très étonnant… etc. Un accident au 4e acte. Dimitri en frappant sur un verre se tranche une veine ! On le panse, il revient jouer. Acclamations ! » Ghéon annonce dans la même lettre que la préparation de LEau-de-Vie avance : « Je travaille. On va répéter… cest trop de choses. » (Corr. Ghéon-Gide, t. II, p. 838-839.)

23 avril 1914

1re représentation au Théâtre du Vieux-Colombier de LEau de vie, « tragédie rustique en trois actes », dHenri Ghéon. Elle ne sera jouée, en alternance, que dix fois, puis ôtée de la programmation, ce qui engendrera des réactions violentes de déception de la part de lauteur. (Id., p. 840.)

Mai 1914

Publication des Caves du Vatican qui engendre la rupture avec Paul Claudel.

2-6 juin 1914

Gide assiste, plein dadmiration, aux trois dernières représentations de La Nuit des rois de Shakespeare, montée par Jacques Copeau en Alsace.

5 juin 1914

Gide écrit à Ghéon : « Pu assister aux deux dernières Nuits des rois triomphales ! [] Le mardi, ballet russe [sic]Petrouchka et Midas dans la loge de Misia avec [Harry von] Kessler, Cocteau, Stravinski, [Abel] Hermant… et [Léonide] Massine. » (Ibid., p. 841.)

3-17 juin 1914

Séjour de Gide à Florence où il reçoit une lettre de rupture définitive de Claudel après la lecture des Caves du Vatican.

18 juin 1914

« Copeau me pousse à traduire As you like it. Ça me sourit beaucoup. » (J, I, p. 792.)

21 juin 1914

« Lu hier soir du Goldoni ; cest à peine meilleur que du Sedaine [Michel-Jean Sedaine (1719-1787) dramaturge et académicien français] ou du Scribe [Eugène Scribe (1791-1861), un des dramaturges les plus joués du xixe siècle] ; ce nest peut-être même pas si bon. Le désir décrire une

40

comédie me tourmente chaque jour et presque à chaque heure du jour. Je voudrais que Copeau me donnât un sujet, comme Pouchkine donnait à Gogol celui du Revisor. [] Lart dramatique ne doit pas plus chercher à donner lillusion de la réalité que ne doit faire la peinture ; il doit faire œuvre avec ses moyens particuliers et tendre à des effets qui ne ressortissent quà lui. Comme un tableau est un espace à émouvoir, une pièce de théâtre, cest une durée à animer. » (J, I, p. 793.)

22 juillet 1914

Roger Martin du Gard, sous lélan du succès du Vieux-Colombier, écrit pour la scène : « Me voici aux prises avec ces fameuses “contraintes” du théâtre, auxquelles il faut bien que je me soumette, tout en les méprisant, tout en les haïssant de tout mon cœur pour les beaux côtés de mon sujet quelles me forcent de rogner ou de laisser dans lombre. Ce pénible corps-à-corps nest pas fait pour atténuer la sévère opinion que jai sur lart dramatique… Et jen veux aussi au sujet lui-même, de sêtre si impérieusement imposé à moi sous la forme dun mélodrame en 3 actes, impeccablement fidèle davance aux trois unités chères à Boileau ! » (Gide, Roger Martin du Gard, Correspondance, t. I : 1913-1934, Paris, Gallimard, 1968, p. 133.) Il sagit dune pièce appelée dans un premier moment Près de mourants et finalement Deux jours de vacances. Elle est restée à létat de manuscrit.

Fin janvier

1915

Gide nest pas mobilisé, mais depuis novembre 1914, il est vice-président de ladministration du Foyer franco-belge, qui accueille les réfugiés des territoires occupés par les Allemands. Il y restera dix-huit mois. Il raconte ses journées à Roger Martin du Gard : « Lœuvre dont je moccupe ici ne me laisse pas un instant, je me persuade que, durant cette tourmente, je ne pouvais rien faire à la fois de plus intéressant et de plus utile ; même il mest impossible de mimaginer faisant jamais autre chose. [] le soir je fais les comptes des subventions accordées durant la journée et je dicte à la dactylographe du Vieux-Colombier le résumé de mes opérations. Que

41

de fois je souhaite à mes côtés soit Copeau, soit Jean Schlumberger, soit vous-même. » (Ibid., p. 135.)

17 janvier 1916

« Ghéon ma écrit quil a “sauté le pas” [il sest converti]. On dirait dun écolier qui vient de tâter du bordel… Mais il sagit de la table sainte. » (J, I, p. 915.)

21 janvier 1917

Départ de Copeau pour New York ; il y reste 4 mois. (J, I, p. 1665.)

25 février 1917

Copeau, à New York, envisage le futur de LaNRF et du Vieux-Colombier : « Vous avez eu de mes nouvelles, la traversée, etc. Je vous, ou plutôt je me fais grâce de mes débuts que je vous conterai pour voler à lessentiel. On moffre ici, pour la saison prochaine, avec dassez beaux avantages pécuniaires, la direction du Théâtre Français. Jai demandé à réfléchir, mais nous avons sans doute intérêt à accepter sans connaître votre sentiment. Il sagit naturellement damener ici le Vieux Colombier, de créer à New York un centre dinfluence artistique français tel quil nen a jamais existé, et puis de revenir en Europe en laissant quelquun derrière moi qui continuerait mon œuvre, c.à.d. que nous aurions une filiale à New York et pourrions y venir quand nous voudrions. Cest ici le pays de la jeunesse et des possibilités infinies. Tout le monde est après moi pour que jaccepte. Lanson, le consul général [Gaston Liébert], Otto Kahn [banquier et mécène des arts aux É.-U. (1867-1934)] et toute la société riche. Une dame espagnole de haut renom [Rita de Alba Acosta (1879-1929), femme de Philip Lydig] a pris en main nos intérêts, organise pour moi lectures et conférences, et sapprête, je crois, à men livrer le projet sans que je sache rien des dépenses. Les secours privés souvrent, et les Universités. Vous imagineriez difficilement quel est ici le prestige français. Et plus difficilement encore le rayonnement sur la jeunesse pensante de ces deux choses françaises : La N.R.F. et le Vieux Colombier. Il faut que La N.R.F. vive. » (Corr. Gide-Copeau, t. II, p. 166.)

42

21 avril 1917

« Je plonge dans la traduction dAntoine et Cléopâtre avec ravissement. » (J, I, p. 1031.)

Mai 1917

Début de la liaison de Gide avec Marc Allégret.

31 octobre 1917

« Personnage de drame : le bâtard méprisé, qui découvre quil est fils du roi. Son rétablissement au-dessus de ses frères, fils légitimes. » (J, I, p. 1044.)

30 novembre

1917

« La veille de mon départ, le 22 [novembre], javais achevé ma traduction de Cléopâtre – dont jai fait lecture à Ida Rubinstein chez Bakst [Léon Rosenberg, dit Léon Bakst (1866-1924), peintre et décorateur russe]. » (J, I, p. 1048.)

23 janvier

1918

Lettre de Copeau qui renseigne Gide sur les premières semaines de sa troupe qui a occupé le Garrick Theatre à New York : « Nous avons débuté le 27 novembre avec Les Fourberies de Scapin, LImpromptu du Vieux-Colombier et Le Couronnement de Molière [les deux dernières pièces sont de Copeau]et depuis lors, nous avons donné successivement quatre nouveaux spectacles, composés de :

I. La Navette de Henri Becque

Le Carrosse du St-Sacrement de Mérimée

La Jalousie du Barbouillé de Molière

II. Barberine de Musset

Pain de ménage de Renard

3. La Nuit des Rois de Shakespeare

4. La Nouvelle Idole de Curel

[][N]ous navons pas encore atteint un très grand public, cependant au point de vue artistique et au point de vue français je crois que nous avons parfaitement réussi. On peut sen rendre compte en parcourant les journaux ici de laccueil qui nous est fait. Quand on pense quà la fin de la saison dernière, le jugement porté aux États-Unis sur le théâtre français, qui nétait quun objet de dérision et de mépris, on se rend compte du chemin déjà parcouru et de ce qui pourra être fait dans lavenir, si la continuité de notre entreprise est assurée. Dans le courant de 1916-1917, on écrivait dans les journaux que le théâtre français existant était la meilleure réclame imaginable en faveur du… théâtre allemand !

43

Aujourdhui, on peut lire couramment dans la presse que les temps ont changé et que le seul théâtre artistique de New York est le Théâtre Français [cest-à-dire la troupe de Copeau]. Il est certain que la qualité de notre travail est propre à exercer une influence réelle sur le théâtre américain et en particulier sur les jeunes artistes dici, qui cherchent quelque chose. [] Nous donnons en ce moment Karamazov,avec le plus grand succès de public que nous ayons encore eu. Mon vieux, dans q[uel]q[ues] jours jaurai 39 ans. Que Dieu me donne vie et force pour accomplir ce que je dois accomplir. Chaque jour je vois plus nettement devant moi le chemin qui est mon chemin. » (Corr. Gide-Copeau, t. II, p. 182-183, 185.)

23 avril 1918

Gide note : « Achevé hier The Shaving of Shagpat[de George Meredith (1828-1909) poète et romancier britannique, publié en 1856] ; un des livres que je jalouse le plus, que je voudrais avoir écrits ! » (J, I, p. 1064.)

27 mai 1918

Ida Rubinstein demande lautorisation à Gide de pouvoir utiliser sa traduction dAntoine et Cléopâtre : « Le directeur du Théâtre-Français [Émile Fabre (1869-1955), dramaturge et metteur en scène, est administrateur de la Comédie-Française entre 1915 et 1936] me demande de jouer un acte de Cléopâtre à une matinée quil organise au Français le mois prochain au profit des artistes dramatiques nécessiteux. Je le ferai très volontiers et espère bien, le but étant si beau, que vous voudriez mautoriser à jouer votre belle traduction. » (BAAG, no 158, p. 185-186.)

Novembre 1918

Madeleine Gide détruit les lettres de son époux.

20 décembre

1918

Jean-Paul Allégret écrit à Gide quil pourrait travailler avec Gaston Baty (1885-1952) qui nest pas encore connu du grand public : « Un de mes camarades ici, duquel je me suis petit à petit rapproché, et qui ma pris en estime et affection, va sans doute être appelé à Strasbourg pour ouvrir un théâtre, dabord au compte de larmée qui le lance, ensuite pour lui. Tu le connais peut-être de nom ; il sappelle Baty, et Schlumberger lestime beaucoup.

44

Baty ma témoigné le désir, pour commencer, de me faire mobiliser avec lui, puis de continuer ensemble son œuvre. Il voudrait que je sois le secrétaire général de son théâtre. » (Archives Allégret.)

[Début mai

1919]

Gide accuse Cocteau davoir, avec la publication du Coq et lArlequin, mal défendu un spectacle qui fut un scandale. Il sagit de Parade, ballet réaliste créée le 18 mai 1917 au Théâtre du Châtelet. La musique est dErik Satie, les décors et les costumes sont de Picasso et la chorégraphie de Léonide Massine. Cest un spectacle produit par les Ballets russes de Serge de Diaghilev : « Il faut enfin que je vous avoue la gêne que jéprouve à lire votre “défense” de Parade. En général, il ne me paraît ni bien séant ni bien adroit pour un artiste dexpliquer son œuvre ; dabord, parce quil la limite du même coup, et que, lorsque cette œuvre est profondément sincère, elle déborde la signification que lauteur lui-même en peut donner ; et puis je tiens que la meilleure explication dune œuvre ce doit être lœuvre suivante. Dans ce cas particulier de Parade,ma gêne est augmentée par le fait que le lecteur de vos explications ne peut se reporter à la pièce, de sorte que le plus courtois que lon peut faire cest de lacquitter par défaut. Mais si le public et les critiques ont fait à Parade laccueil contre lequel vous protestez, je voudrais être plus assuré que cest à cause de leur sottise ; les commentaires que vous en donnez me paraissent justifier moins votre pièce, que leur incompréhension. Pouviez-vous raisonnablement espérer quils comprissent, ces spectateurs, que le vrai spectacle nétait point celui que vous leur présentiez ?… Et même il me paraît que votre erreur nest point seulement dans la mise en valeur dune donnée, mais dans cette donnée même : le vrai spectacle est à lintérieur. Car si, selon lopinion des mystiques, cela est vrai de ce monde apparent et de toute la comédie humaine, lœuvre dart, par contre, na dautre raison dêtre précisément et dautre but que de révéler, de mettre en parade cette secrète réalité, et

45

ny manque point sans faillite. » (Lettre parue dans le premier numéro de la revue après la suspension due à la guerre ; La NRF, no 69, 1er juin 1919, p. 127-128.)

24 août 1919

Gide écrit à Dorothy Bussy, au sujet du retour de Copeau à Paris et de la réouverture de son théâtre : « Jacques Copeau mécrivait dernièrement, soucieux de savoir si une tournée de conférences de lui dans les principaux centres anglais trouverait bon accueil et serait jugée opportune. Il voudrait, avant de rouvrir son théâtre, profondément modifié, sassurer de la sympathie, et réchauffer la ferveur de ceux qui sont susceptibles de sintéresser à son entreprise. Je crois pour ma part ses projets profondément intéressants et capables de renouveler, non seulement lart dramatique (je veux dire linterprétation) mais même la production dramatique, ce qui [est] encore plus important. » (Gide, Dorothy Bussy, Correspondance, t. I : juin 1918-décembre 1924, Paris, Gallimard, 1979, p. 147.)

[Novembre ?

1919]

Ida Rubinstein renseigne Gide sur les difficultés à monter Antoine et Cléopâtre : « Je ne puis décidément résister au désir de jouer Cléopâtre ce printemps et Madame Sarah Bernhardt me conseille tellement de ne plus remettre. Je dois voir Guitry chez elle mardi. Tout dépend maintenant du théâtre, question que jessaierai de résoudre dès demain. Si jai la possibilité de monter notre spectacle pour le mois de juin, il faudra nous adresser à Sert pour les décors, [Léon] Bakst ne pouvant plus commencer à travailler pour nous avant le 15 mai, à cause de la Revue quil est en train de faire. Je lavoue que cest un peu à cause de lui que je voulais tout remettre. Depuis hier jai beaucoup réfléchi à Sert, il nous fera dans tous les cas une chose dart. » (BAAG, no 158, p. 192, 194.)

Décembre 1919

Publication de La Symphonie pastorale.

27 décembre

1919

Gide écrit à Marc Allégret : « Audition de LEnfant prodigue de [Darius] Milhaud, hier matin, chez Gaveau [salle pour concerts rue de La Boétie, inaugurée le 3 octobre 1907, dont la jauge est denviron mille places]. Quatre interprètes. Auditeurs : Moi et Fauconnet [Guy-

46

Pierre Fauconnet (1882-1960), peintre et décorateur de théâtre. Il a collaboré avec Copeau pour La Nuit des rois]. On grelotte ; mais javais emporté un châle – que je trimballe ensuite à travers Paris. Deux pianos. Musique trépignatoire. Cest peut-être très beau. En tout cas ça force à écouter mon texte très lentement. On va tâcher de faire interpréter ça au Vieux-Colombier avec mise en scène de Fauconnet. Je propose de monter ça par souscription. » (Gide, Marc Allégret, Correspondance : 1917-1949, Paris, Gallimard, 2005, p. 304.)

9 février 1920

Réouverture du Théâtre du Vieux-Colombier avec Le Conte dhiver de Shakespeare, la représentation est pour les fondateurs et des invités. Le 10 février, le même spectacle est à guichets ouverts.

2 mars 1920

Marc Allégret raconte à Gide le premier « Spectacle-Concert » de Cocteau : « Il faut que je te raconte : la première du Spectacle-Concert de Cocteau. Cétait le samedi 21 à la Comédie des Champs-Élysées. (Local où a eu lieu la fête nègre.) Cela devait commencer à 4 1/2. Je suis arrivé juste à lheure. Beaucoup de monde connu – ou plutôt tout le monde y compris Copeau, Ghéon, J[ean] Schlumberger, Gallimard, Strawinsky, Diaghileff [sic], Massine, [Jacques-Émile] Blanche, les peintres, les musiciens etc… Fort gai. Dans lavant-scène de droite (côté cour) près de lorchestre (trop près), nous étions : la très belle Irène Lajut [Irène Lagut (1893-1994), peintre élève de Picasso] qui a lair dune petite fille dautrefois dessinée par Marie Laurencin, la grosse Simone [née Pauline Benda (1877-1985), comédienne célèbre, a été la femme de Charles Le Bargy, puis de François Porché], Germaine Taillefer [Tailleferre, qui fait partie du “Groupe des Six”] resplendissante comme un abricot de Californie – et qui gagne fort à être connue + une princesse polonaise fort silencieuse. Dautre part : [Emmanuel] Faÿ, [Marcel] Herrand, [Edmond] Radiguet, Moi + Durey [Louis Durey (1888-1979), membre du groupe des Six] (pianiste). Cétait très réussi. Ouverture

47

de Poulenc très bien. Fox-trot de Georges Auric fort bien. Mais ce qui taurait enchanté, cest (ou ce sont ?) les mouvements que faisaient sur cette musique Footit et Jackly en maillot noir, savates et gants blancs dans un décor très réussi de [Raoul] Dufy. Jackly a une figure merveilleuse, Footit est fort bien. Ils accomplissaient des mouvements comparables à ceux que nous avons vus dans le “cinéma au ralenti” lautre jour avec Domi [Dominique Drouin (1898-1968), filleul et neveu de Gide, est le frère aîné de Jacques (1908-1995) et Odile (1910-1942), les enfants de Marcel et Jeanne Rondeau, la sœur de Madeleine]. Mouvements lents, harmonieux, ne laissant voir aucun effort. Ils avaient lair de ne plus avoir de poids ; on avait limpression de rêver… etc… Cocardes [cétait une partie du concert avec trois chansons populaires (textes de Cocteau et musiques de Francis Poulenc) exécutées par le ténor dorigine russe, Alexandre Koubitzky (1881-1936)] fort réussies. Trois pièces de Satie excellentes ; du moins I think so. Bœuf sur le toit (musique pas bonne du tout). Décor merveilleux. Farce amusante. Paul et François Fratellini surtout épatants (François est lélégant. Avons pas mal causé). Tu vois que je ne suis pas en train décrire du tout et narriverai pas au bout. » (Ibid., p. 318-320.)

14 juin 1920

Martin du Gard écrit à Gide à lissue de la création de lopéra tiré dAntoine et Cléopâtre de Shakespeare, traduit par Gide. Ida Rubinstein, qui interprète le rôle-titre, produit le spectacle. Les musiques sont dIgor Stravinsky. Édouard de Max est Antoine : « Quelle étrange soirée ! Nous étions nombreux, je crois, à sentir la beauté définitive de votre traduction, mais comme à travers des épaisseurs de voiles, et avec la secrète excitation du plaisir quon ne parvient pas à atteindre, et que lon sait cependant être là, fixé, saisissable, et qui promet des félicités certaines le jour où, tous voiles écartés, il sera possible de létreindre de sa pureté. [] Jimagine que le jour où vous serez face à face avec lombre de Shakespeare,

48

sur les rives élyséennes, il vous embrassera un peu rudement, avec tendresse et avec rancune, vous qui avez mis au service de son génie, votre génie et votre savoir, mais qui lavez, ce soir de juin, – pour quelle curiosité ? – vendu en place publique, et laissé dépecer au son des tambourins, par cette bande de chantres dÉglise, de peintres et de danseurs, de marchands en soieries et paillettes, sous les yeux dun public de music-hall ! ! » (Corr. Gide-Martin du Gard, t. I, p. 159-160.)

2 février 1921

Gide parle à Alibert des incertitudes relatives à la création de Saül : « Cest Copeau qui mappellera pour commencer à préparer Saül, mais il ne sait encore sil pourra le faire passer en mai – fin avril même, peut-être – ou sil faudra le laisser en fin de saison (juin), ainsi quil en avait dabord lintention. Si jai bien compris, cela dépend des décisions de Claudel. » Copeau montera Saül à la fin de la saison suivante, en juin 1922, et il ne montera pas toute la trilogie de Claudel (LOtage, Le Pain dur et Le Père humilié), mais seulement le premier volet. (Corr. Gide-Alibert, p. 212.)

Gide écrit à Marc Allégret, à propos de Ghéon et de Saül qui ne sera pas présenté avant juin 1922 : « Sais-tu qui occupe présentement la chambre de Beth ?… Duncan Grant [peintre écossais (1885-1978)] ! Il samène hier soir à un entracte du Vieux Colombier, frais débarqué de Londres – et comme il vient tout spécialement pour soccuper de Saül, je lemmène à la Villa. Il ne reste que quelques jours. Demain nous dînons tous deux chez Copeau et commençons à travailler. Jai trouvé la pièce de Ghéon épatante. Jy arrivais très désireux de la trouver exécrable, car je ne pardonne pas au Ghéon daujourdhui de mavoir volé celui dhier, mon camarade quotidien… Eh bien non – et malgré tout ce que jen entends dire… cest très épatant. Et malgré la longueur et lexcessive lenteur du débit, la salle comble dhier a écouté religieusement (il ny a pas dautre mot). Laprès-midi javais été, avec Rivière, voir les Fratellini jouer du Molière sur le

49

petit théâtre des Champs-Élysées – devant un public ahuri. Somme toute, je les préfère au cirque (où je mène tout le 122, samedi soir). » (Corr. Gide-Marc Allégret, p. 397-398.)

8 octobre 1921

Martin du Gard à Gide : « Copeau est tout à son école. Il a même quitté le théâtre pour installer son cabinet à lécurie même du nouveau dada. Je les vois de mes fenêtres. Ils sagitent dans le monde des apparences… Le report de Saül est une faute grave. Il ny a vraiment rien dans la saison qui sannonce. Le Vieux Colombier me semblait avoir un autre but que de rejouer indéfiniment Karamazov, La Navette, La Nuit des Rois, et Leleu. [] Le feu séteint peu à peu, à mesure que lentreprise prospère. Est-ce une loi ? » (Corr. Gide-Martin du Gard, t. I, p. 176.)

14 novembre

1921

Gide est en Italie, à Rome, et Dorothy Bussy lui raconte un spectacle vu dans la capitale italienne avec Eleonora Duse : « Quand, jeune fille, jai passé un hiver à Rome, nous sommes allés un soir au théâtre par hasard et avons vu jouer une pièce de Goldoni – une bizarre version de la Pamela de Richardson. Mais quel souvenir exquis jen ai gardé. Je me rappelle que, peu à peu, jai pris conscience quil y avait là quelque chose de rare, quelque chose de délicieusement aimable et délicat – la plus belle chose que javais jamais vue au théâtre – car cétait tout simplement la Duse – dont je navais jamais encore entendu parler, avant sa célébrité, avant quon ait entendu parler delle à Paris ou à Londres. Cest un plaisir si délicieux de découvrir les choses par soi-même avant quelles ne soient devenues communes, quand on peut être tout à fait sûr quon les aime sans avoir été influencé. Je ne lai plus jamais vue jouer cette pièce, mais je me la rappelle dans La Locandiera, et jai pensé alors que son art sy montrait avec infiniment plus davantage que dans les Dumas et les Sardou quelle aimait jouer. » (Corr. Gide-Bussy, t. I, p. 313-314.)

50

12 décembre

1921

Gide à Fédor Rosenberg : « Sais-tu ce que je prépare en ce moment ? Une conférence sur Dostoïevsky [elle sera donnée le 24 décembre], quil va falloir que je prononce au Théâtre du Vieux Colombier, où lon a repris les Karamazov à loccasion du centenaire du grand bonhomme ! » (Gide, Fédor Rosenberg, Correspondance : 1896-1934, éd. Nikol Dziub, Lyon, PUL, 2021, p. 470.)

19 janvier

1922

« Passé la soirée dhier avec Beth [Élisabeth Van Rysselberghe] et Marc [Allégret], au Vieux-Colombier. On jouait Les Frères Karamazov – salle comble – je dirais presque : hélas ! car Copeau se repose sur son succès. La mise au point est loin dêtre parfaite ; mais maintenant que lopinion lui est acquise, Copeau tourne son souci, ses préoccupations, vers ailleurs. Impression assez pénible. Les meilleurs instants peut-être ceux où la pièce rejoint le mélo du boulevard. (Je tâche de prendre la pièce en oubliant le roman.) » (J, I, p. 1169.)

Février-mars

1922

6 conférences de Gide au Théâtre du Vieux-Colombier pour le centenaire de la naissance de Dostoïevski.

Mars 1922

Publication dAmal et la lettre du roi : il sagit de la traduction de ThePost Office de Rabindranath Tagore, publié en 1912.

28 mars 1922

« Cet après-midi, entendu la musique dHonegger pour Saül. Jai peur quelle ne vienne trop en avant et que toute la partie démoniaque ne soit démesurément grossie… Achevé de relire Othello, dans de véritables transes dadmiration. » (J, I, p. 1174.)

28 avril 1922

« Cette après-midi lecture de Saül par Copeau, devant les acteurs du théâtre et quelques amis. Je ne me souviens pas davoir, de ma vie, souffert davantage. Copeau a lu toute la pièce abominablement ; je déplorais de navoir pas fait cette lecture moi-même. Rien plus nétait à sa place, à sa valeur. Il lisait exactement comme on joue Chopin quand on le joue mal. Je pensais ne pouvoir supporter cela jusquau bout. Comment se fait-il quil me lait si bien lue à Montigny ? Ou plutôt, comment se fait-il que me layant si bien lue là-bas, il lait si mal lue

51

aujourdhui. Sil doit la jouer sur ce ton, mieux vaudrait retirer ma pièce… » (J, I, p. 1175-1176.)

16 juin 1922

Création de Saül au Théâtre du Vieux-Colombier dans une mise en scène de Copeau qui interprète le rôle-titre, Blanche Albane, celui de la Sorcière, Louis Jouvet, celui du Grand Prêtre, François Vibert, celui de Jonathan et Pierre Daltour, celui de David.

21 juin 1922

Gide écrit à Martin du Gard : « Je vous dois quelques nouvelles, à vous qui êtes comme le parrain de Saül et lavez pour ainsi dire tenu sur les fonts baptismaux. [] Il ny a pas à vous cacher, cher ami, que Saül a fait un four noir. Jattendais de lhostilité, de lindignation, des protestations, des révoltes – il ny a eu que de lincompréhension et de lennui. » (Corr. Gide-Martin du Gard, t. I, p. 183.)

Gide écrit à Alibert : « Je técris de Cuverville où jai été passer trois jours ; Saül sannonce un four noir, malgré une salle très chaude à la première. Aucun scandale ; lincompréhension totale ne pouvait enfanter que de lennui. Le spectateur a pris pour un morne exercice de rhétorique lexagération dune passion quil ne pouvait pas épouser. » (Corr. Gide-Alibert, p. 254.)

20 juillet

1922

Alibert écrit à Gide à la suite du passage de la troupe du Vieux-Colombier, où Copeau a présenté, en plein air au Théâtre de la Cité de Carcassonne, La Coupe enchantée de La Fontaine et Les Fourberies de Scapin de Molière : « Jai été heureux de voir Copeau, qui ma paru un peu fatigué. Tu devines si nous avons parlé de toi, de Saül et de bien dautres choses. Je crois que de son côté il a été heureux de laccueil que Carcassonne a fait au Vieux Colombier. Je men réjouis pour lui et ses camarades. » (Ibid., p. 255.)

20 juillet

1922

Michel Saint-Denis, neveu de Copeau ainsi que régisseur au Vieux-Colombier, communique à Gide les recettes des dix représentations de Saül. Si la critique a éreinté la pièce, le public a répondu différemment : « Je viens de passer quelques jours en Suisse et à mon retour je trouve une note du Patron me demandant de vous

52

envoyer le relevé des recettes de Saül. Voici la liste de ces recettes, déduction faite des droits perçus par lAssistance publique et la Société des auteurs. »

Vendredi 16 juin

Frs 2.735,15

Dimanche 18 – (soir)

– 1.726,50

Jeudi 22 – (soir)

– 2.614

Dimanche 25 – (mat.)

– 1.656,80

Mercredi 28 –

– 2.281,40

Vendredi 30 –

– 1.615,55

Samedi 1 juillet

– 2.096,20

Lundi 3 –

– 1.326,35

Vendredi 7 –

– 2.558,70

Samedi 8 –

– 3 002,60.

(Corr. Gide-Copeau, t. II, p. 232-233.)

22 juillet

1922

Gide à Paulhan : « Un peu surpris de ne pas trouver darticle de Boissard [Paul Léautaud (1872-1956)] dans le dernier numéro. Jespérais un compte rendu de Saül… Pas de place ? – ou pas de Boissard ? » (Gide, Jean Paulhan, Correspondance :1918-1951, Paris, Gallimard, 1998, p. 30.)

26 juillet

1922

Gide envoie le premier acte de la traduction dHamlet à Georges Pitoëff : « Je vous envoie donc la traduction du 1er acte de Hamlet – en mexcusant de ne pouvoir le faire dactylographier. [] Cette traduction, oui, jen suis assez satisfait, mais elle ma donné tant de mal, elle ma pris tant de temps, ma occupé si exclusivement – que je renonce à poursuivre le travail. » (BnF, fonds Pitoëff 4-COL-17 [267].)

23 novembre

1922

Gide tâche daider le jeune admirateur de ses ouvrages, Jean Loisy (1901-1992), à trouver un emploi. À partir du milieu des année trente, Loisy écrira des pièces, des essais, des poèmes et des romans. « Jacques Rivière vous attend vendredi. Je lai mis à peu près au courant et je pense quil pourra vous donner un bon conseil. Monsieur Gallimard vous attend également. Je vous engage même à aller voir celui-ci dabord, avant lheure de réception de Monsieur Rivière ; il nest pas très probable, mais pourtant il nest pas impossible, quil trouve à vous employer. Il attend votre visite. Rien à espérer du côté

53

du Vieux Colombier ; mais jai parlé de vous à Jouvet qui est maintenant administrateur des trois théâtres des Champs-Élysées. De ce côté également il nest pas impossible que vous trouviez quelque chose. En tout cas, Monsieur Jouvet sest montré extrêmement bien disposé et ma dit que vous naviez quà venir le trouver de ma part. Mais je vous conseille de ne frapper à sa porte que si vous voyez celle de LaNouvelle Revue française se fermer. » (BAAG, no 101, p. 23-24.) Loisy travaillera pendant quelque temps au Théâtre des Champs-Élysées.

7 décembre

1922

Lettre de Gide à Jacques Schiffrin pour obtenir des renseignements pour Pierre Klossowski, alors âgé de dix-sept ans, fils du peintre et critique dart Erich Klossowski, et frère aîné de Balthus : « Un jeune Polonais, fils dun peintre de mes amis, souhaite de venir à Paris pour suivre les cours du Vieux-Colombier. » (Gide, Jacques Schiffrin, Correspondance : 1922-1950, Paris, Gallimard, 2005, p. 24.)

14 décembre

1922

Martin du Gard se plaint de ne pas réussir à avancer avec sa saga, Les Thibault. Il est très sollicité par des événements mondains. De plus, Constantin Stanislavski est à Paris : « Que vous conterai-je ? Une séance chez Desjardins, effort puéril pour ré-amalgamer en deux heures tous les éléments éparpillés depuis Pontigny, et récalcitrants. Mais charmant retour avec Allégret ; qui est même venu me voir lautre jour. – Trois séances de théâtre russe, troupe Stanislavsky (Le Tsar Feodor[de Alexis K. Tolstoï], Les Bas-Fonds de Gorki, et létonnant Jardin des Cerises de Tchékhov) ; à aller voir comme lilote ivre ; met en évidence la stupidité du contresens naturaliste, où tout le sens dune œuvre se dilue dans le détail ; ce nest pas encore ça qui peut faire croire “dans” le théâtre ! Mme Mayrisch sannonce au Grand-Hôtel pour ces jours-ci, et je pense la voir avant mon départ. Joubliais une séance ridicule de réception, pour Stanislavsky, où Copeau, en frac, et lœil vitreux, a prononcé sa propre oraison funèbre, devant les 3000 spectateurs des Ch[amps]-Élysées [cest Jouvet qui dirige le théâtre] ; jai bien souffert, et à petit

54

feu, car ce fut un très long discours, lu avec emphase, et bourré de redondances à la Suarès. Et rien à faire ; car toute son attitude maintenant semble crier : “Et quon ne me dise rien, je nai besoin de personne.” » (Corr. Gide-Martin du Gard, t. I, p. 200-201.)

22 décembre

1922

Marc Allégret na pas manqué les représentations de la troupe du Théâtre dArt de Stanislavski : « Je me suis fendu dune grande dépense : je suis allé au Théâtre de Moscou-Stanislavski. (Même avec des billets de faveur, cela coûte 12 F la place.) Mais ça vaut quand même la peine. Jai vu Les Bas-fonds. Jaimerais beaucoup voir le (et ici jécorche sans doute le titre) Temps des cerises. Jai assisté à quelques répétitions de Dorian Gray. Marcel Herrand avec des cheveux carotte est assez britannique, mais beaucoup moins bien. Nozière est invraisemblable. Le tout sera fort mal. Les Russes eux sont arrivés à une sorte de perfection de la mise au point qui en impose. Chaque geste, le moindre coup dœil est prévu, réglé, identique chaque soir. Mais ça nest pas lidéal cependant. De voir, à côté, louragan qui fait rage depuis trois jours à la Comédie (où lon répète Dorian Gray), lénervement de tous – et sils avaient eu un mois de plus pour répéter, cela serait la même chose. Quelle terrible chose que le théâtre ! » (Corr. Gide-Marc Allégret, p. 511-512.)

28 décembre

1922

Joseph Conrad écrit à Gide : « Jai eu dernièrement le très grand plaisir de faire la connaissance de [Maurice] Ravel et de Paul Valéry. Ils ont été charmants tous les deux pour moi. Je me suis pris de réelle affection à première vue pour Valéry. Je ne peux pas vous en parler longuement car jai mal au poignet, comme le prouve cet affreux gribouillage. Lannée 1922 sera mémorable pour moi par le four noir de ma pièce [The Secret agent]. Là-dessus jai eu un accès de rage qui a duré 24 heures, pas plus. Cest drôle, le théâtre vu de près. » (« Further Correspondence between Joseph Conrad and André Gide », Studia Romanica…,nos 29-32, 1970-1971, p. 535.)

55

29 décembre

1922

« Hier jeudi, au Vieux-Colombier avec les Martin du Gard. On jouait la nouvelle pièce de Vildrac : Michel Auclair, dont le premier acte ma paru assez mauvais ; mais le second, presque excellent par endroits. Le troisième reflète à lexcès la philosophie indigente de lécole. » (J, I, p. 1197.)

16 janvier 1923

« Été hier au Vieux-Colombier où la troupe de Dullin donnait lAntigone, ou “la dame de Sophocle”, par Cocteau. Intolérablement souffert de la sauce ultramoderne à quoi est apprêtée cette pièce admirable, qui reste belle, plutôt malgré Cocteau quà cause de lui. » (J, I, p. 1205.)

18 avril 1923

Naissance de Catherine, fille dAndré Gide et dÉlisabeth Van Rysselberghe.

Mai 1924

Publication de Corydon, qui vaut à Gide de nombreuses attaques dans la presse.

14 mai 1924

Avec la dernière représentation dIl faut que chacun soit à sa place de René Benjamin, mis en scène par Jacques Copeau, se clôt laventure du Théâtre du Vieux-Colombier sous la direction de Copeau.

25 février 1925

Décès de Jacques Rivière, directeur de LaNRF.

17 mai 1925

Les Copiaus, troupe bourguignonne de ce qui reste des élèves et des comédiens du Vieux-Colombier, donne son premier spectacle. Copeau adapte et monte Les Sottises de Gilles, parade foraine daprès Thomas Gueullette [Thomas-Simon Gueullette (1683-1766), dramaturge, avocat et bibliophile français].

4 juin 1925

Mort de Pierre Félix Louis, dit Pierre Louÿs.

8 juin 1925

Gide achève Les Faux-monnayeurs.

18 juin 1925

Gide à Martin du Gard : « Je viens de voir Copeau (“lecture” sur le théâtre russe) et convenu daller passer à Morteuil du mercredi 24 au vendredi soir. » (Corr. Gide-Martin du Gard, t. I, p. 270.) La même année, Copeau achètera une maison à Pernand-Vergelesses où il réunira les Copiaus jusquen 1929.

Juillet 1925

Gide part pour le Congo avec Marc Allégret après avoir vendu une partie considérable de sa bibliothèque.

56

25 octobre

1925

De Bangui, actuelle capitale de la République centrafricaine, Gide écrit à Copeau en poursuivant les échanges commencés en Bourgogne quelque mois auparavant : « Ce qui est vrai pour le roman cesse de lêtre pour le théâtre. Celui-ci vit de conventions et ne remporte ladhésion immédiate du public quà condition de faire appel à des sentiments admis, reconnus. Cest peut-être ce qui men détourne, et lerreur de mon Saül et de Candaule est de navoir point consenti à tenir compte de cette élémentaire vérité. Le roman peut se passer de lapprobation subite ; ladhésion du public à chacun de mes livres a été lente et tardive. Il nest pas un deux qui, au théâtre, neût fait un four noir. Je suis de ceux qui ne peuvent espérer gagner quen appel. – Si jamais je refais du théâtre (et je ne désespère pas de vous donner un jour quelque pièce “à succès”) je ne chercherai plus la nouveauté que dans la forme et les ressorts qui feront mouvoir mes pantins seront à ce point conventionnels que le public pourra crier : “Comme cest vrai !” – Et ce sera très épatant tout de même. Vous verrez. Je plaisante ; mais il y a du vrai dans ce que je vous en dis. » (Corr. Gide-Copeau, t. II, p. 278.)

5 janvier 1926

Martin du Gard annonce à Gide que deux personnalités du monde du théâtre se sont convertis : « Il nest bruit à Paris que des deux nouvelles conversions de Copeau et Cocteau. Ensemble dans le temps, mais séparément, bien entendu. On dit que Copeau a été faire retraite à Solesmes et quil y a communié. » (Corr. Gide-Martin du Gard, t. I, p. 284.)

Février 1926

Publication des Faux-monnayeurs par les Éditions de la NRF.

Octobre 1926

Les Éditions de la NRF publient Si le grain ne meurt.

25 octobre

1926

« Sa rencontre avec Mme Schiffrin [Rose Georgette Guller, dite Youra Guller (1895-1980)] a été très importante pour lui [Gide]. Après Pontigny [les Décades de Pontigny, organisées par Paul Desjardins (1859-1940), qui avaient eu lieu fin août-début septembre 1926], dit-il, il sest remis au piano, jusquà jouer six heures par jour, à Cuverville ». (CPD, I, p. 295.)

57

Juin 1927

Publication du Voyage au Congo.

28 juin 1927

Thea Sternheim a achevé sa traduction en allemand du premier drame de Gide : « Ci-joint la traduction de Saül. Javais compté de finir et de vous demander ensuite, nimporte où, un entretien dune heure ou deux, pour exposer mes points de vue. Malheureusement cela nest pas faisable. [] Pour mexpliquer : jai traduit mot par mot, soulevant la moindre nuance du texte original. Jai lu ensuite ma traduction à haute voix dans la vitesse habituelle de nos théâtres ; en ajoutant le temps des entractes nécessaires, Saül durera plus que quatre heures. Or, trois heures, cest le maximum que le public daujourdhui concède. En vous proposant Saül pour la scène allemande, je ne prévois pas un essai intéressant à faire, mais je veux procurer à notre théâtre bien pauvre un des plus beaux drames dont jai connaissance. [] Jai commencé alors le travail plus responsable, celui de la condensation. » (BAAG, nos 193-194, p. 77.) Gide répond le 2 juillet : « Je lis avec attention et… reconnaissance votre aimable lettre. Je ne puis que vous approuver sur tous les points. Pourtant… jai pu éprouver, soit aux deux représentations de Saül au Vieux Colombier, et dAntoine et Cléopâtre à lOpéra, soit aux représentations du Roi Candaule en Autriche et en Allemagne, que les acteurs ont une tendance à jouer beaucoup trop lentement, ce qui donne à la pièce (je pense particulièrement à Saül), une solennité qui nuit à son caractère ironique et satyrique. Nombre de scènes sont des “allegros” quil faut se garder de jouer en “andante” (par exemple les scènes avec les démons et les scènes de foule). Jaccepte néanmoins que la pièce soit trop longue – mais peut-être un peu moins que vous ne limaginez. Je comprends que vous cherchiez à resserrer certaines scènes ; mais ne pensez-vous pas que, sil y a des coupures à faire, cest surtout au moment des répétitions quon en peut juger ? » (Gide, Thea Sternheim, Correspondance : 1927-1950, Lyon, PUL, 1986, p. 3-4.)

58

8 août 1927

Thea Sternheim tient à jour Gide sur ses démarches pour faire représenter sa pièce à Berlin : « Saül se trouve depuis le 1er août entre les mains du Dr. Klein, le directeur des 3 théâtres de Reinhardt ; cest lui qui décide du Spielplan[programme de la saison théâtrale]. Reinhardt lui-même na rien à décider. Il y a même des mauvaises langues qui prétendent que Reinhardt ne peut pas lire lallemand. Ce qui est prouvé, cest quil ne lit jamais une pièce. Nous verrons Reinhardt fin de septembre. Je verrai également Hartung [Gustav Hartung (1888-1946), metteur en scène et acteur allemand] vers ce temps. Grande chance, Hartung a refusé le poste de directeur offert à lui. Il reste régisseur. On pourra peut-être combiner quelque chose de très intéressant avec les théâtres de Reinhardt et la régie dHartung. » (BAAG, nos 193-194, p. 83.)

29 janvier

1928

Le Retour de l enfant prodigue (traduction de Rilke) est donné au Künstler-Theater de Berlin.

16 mai 1928

Création dAmal et la lettre du roi de Tagore, dans la traduction de Gide, par la compagnie La Petite scène dans la salle de Madame Oedenkoven. La mise en scène est dun des animateurs de la troupe, Xavier de Courville.

Mars 1928

Les Éditions de la NRF publient le Retour du Tchad.

Avril 1928

Gide sinstalle au 1bis, rue Vaneau. Ce sera sa résidence jusquà la fin de vie.

4 décembre

1928

Au Théâtre de Monte-Carlo, le Théâtre du Rideau crée Le Retour de lenfant prodigue. La mise en scène est de Marcel Herrand, la musique de Claude Debussy, la scénographie et costumes sont conçus par Jean Victor Hugo et réalisés par Marcel Herrand qui interprète le rôle-titre.

Avril 1929

Publication de LÉcole des femmes chez Gallimard.

6 février 1930

Martin du Gard exprime à Gide son mécontentement pour les coquilles nombreuses de lédition NRF de Robert, le supplément à LÉcole des femmes qui vient dêtre publié. Cependant, ses perplexités concernent « le jeu banal de lobjectivité » de Robert qui ne tiennent pas la

59

confrontation avec « La libre et succulente fantaisie de votre Œdipe[pas encore achevé], voilà un monde digne dêtre créé par vous, et où vos créatures se meuvent comme dans leur élément naturel ». (Corr. Gide-Martin du Gard, t. I, p. 389.)

1er juin 1930

Gide avance dans la rédaction de sa nouvelle pièce : « []Œdipe avance. Je me suis soudain avisé dune énormité de la légende : quand le trône de Thèbes et la couche de Jocaste furent promis à celui qui trouverait le mot de lénigme posée par le Sphinx, Jocaste nétait pas encore veuve. Il fallait donc que, dabord, celui qui triompherait du Sphinx tuât Laïus. Une étrange nécessité intérieure se confond avec la fatalité. » (Ibid., p. 399.)

25 juillet 1930

La rédaction dŒdipe avance : « À Cuverville depuis six jours, je laisse, sans impatience aucune, grossir et sortir de moi mon Œdipe ; mais requis surtout par la lecture. À propos : vous aurez bien reçu, je lespère, La Révolution créatrice [livre de lécrivain Pierre Dominique (1889-1973) publié lannée précédente] que je vous ai renvoyée en paquet recommandé ? Cher ami, il me faut bien vous avouer que mes efforts pour mintéresser à ce livre sont restés vains. Je lai dabord pris par le début ; puis par tous les bouts. Rien à faire. Cela reste pour moi illisible ; cela massomme, et je ny comprends rien. Ne men veuillez point trop, et que cela ne vous décourage pas de me recommander un livre. Je suis plongé pour le moment dans les Mémoires de Goethe, que jai la joie immense de pouvoir lire dans le texte presque facilement. Là je respire à pleins poumons. » (Ibid., p. 414.)

21 octobre

1930

Sur les attentes des proches de Gide sur la pièce : « Bravo, pour ces bonnes nouvelles dŒdipe. Il faut que ce soit votre Faust ! » (Ibid., p. 422.)

9 novembre

1930

« Je crois bien avoir achevé Œdipe ; et je crois lavoir bien achevé. Cest-à-dire que jai fait entrer à peu près tout ce que je métais proposé dy mettre. » (J, II, p. 237.)

Automne 1930

Édition pré-originale dŒdipe dans Commerce, Cahier XXV, p. 7-83. (Corr. Gide-Schiffrin, p. 50.)

60

30 janvier

1931

Martin du Gard est déçu par le résultat de la pièce de Gide : « Œdipe nest pas encore votre Faust. Lœuvre magistrale que jattends de votre maturité. Œdipe est, encore une fois, une œuvre jeune, inégale, étonnante et décevante, avec de grandes lueurs, détranges beautés, de brusques perspectives inespérées et vite aveuglées. » (Corr. Gide-Martin du Gard, t. I, p. 439.)

25 janvier

1931

Voici la réaction de Valéry à Œdipe : « Jai mal lu jusquici ton Œdipe,arrivé dans les jours de trac et dépreuves ultimes. Il me semble que tu as fait homme vrai ce Grec essentiellement fatal et romantique. Mais je nai pas encore mâché ton travail. Jai regardé la forme (ce qui mintéresse toujours le plus). Ici, tu as dû osciller entre le dialogue-livre et le dialogue-théâtre. Problème fort excitant. Mon impression no 1 préfère dans Œdipe les parties livre aux parties théâtre. Celles-là sont dune épatante exécution. Fermeté. Cest fini. Le dessin est devenu un fait. Celles-ci me gênent par je ne sais quoi de forcé. Il y a des mots canailles, comme “salaud”. Et un mot noble – “bélître”, qui ne sont pas trop de toi. On dirait que tu les as envoyé chercher, les uns chez le bistrot, lautre chez Truffier [Jules Truffier (1856-1943), acteur de la Comédie-Française entre 1875 et 1913, célèbre pour les rôles comiques. Dramaturge et professeur au Conservatoire, on compte parmi ses élèves : Berthe Bovy, Pierre Dux et Pierre Blanchar]. Je te prie de ne pas embêter ta perfection. Et refous-moi dans la bouche dŒdipe limparfait de subjonctif quil escamote page 65 [Œdipe à Jocaste : “[] car, sans son crime, je naurais pu régner” et plus loin “[] Seul le meurtre du roi a permis que je les obtienne.” [Voir la note de la Corr. Gide-Valéry, p. 910.] Tes personnages étant moralement nus doivent parler proprement et correctement. “Salaud” leur met des bretelles. Mais le reste est merveilleusement pur. » (Ibid., p. 910.)

V. M.