Aller au contenu

Classiques Garnier

Introduction aux annexes

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Figures de la Bible dans les Cinq Livres de François Rabelais
  • Pages : 321 à 323
  • Collection : Les Mondes de Rabelais, n° 7
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406145295
  • ISBN : 978-2-406-14529-5
  • ISSN : 2264-427X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14529-5.p.0321
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 01/03/2023
  • Langue : Français
321

Introduction
aux ANNEXES

Toute citation est « ablation1 ». Les citations ci-dessous ne donnent que la phrase ou lexpression contenant lallusion la plus manifeste à la Bible, en précisant chaque fois lénonciateur de cette référence, mais le texte de Rabelais tisse de plus amples liens avec le texte biblique. La figure dAssuérus en offre un exemple. Au chapitre li du Gargantua, le géant, victorieux de larmée picrocholine, prend les dispositions qui conviennent : il règle le sort des prisonniers, enterre les morts, fortifie la ville pour mieux la protéger à lavenir, paie ses soldats et ramène avec lui les plus valeureux dentre eux auprès de Grandgousier son père, dont la réaction est à la hauteur de lévénement :

A la vue et venue diceulx le bon homme fut tant joyeux, que possible ne seroit descripre. Adonc leur feist un festin le plus magnificque, le plus abundant et plus delitieux, que feust veu depuis le temps du roy Assuere. (G, li, p. 136)

La suite du chapitre ne semble plus faire mention dAssuérus, roi du Livre dEsther. Pourtant la description de la magnificence du festin offert par Grandgousier, dont la joie se décline sur le mode de lhyperbole suit lAncien Testament. Voici le texte de Rabelais :

A lissue de table il distribua à chascun diceulx tout le parement de son buffet qui estoit au poys de dishuyt cent mille quatorze bezans dor : en grands vases dantique, grands poutz, grans bassins, grands tasses, couppes, potetz, candelabres, calathes, nacelles, violiers, drageouoirs, et aultre telle vaisselle toute dor massif, oultre la pierrerie, esmail et ouvraige, qui par estime de tous excedoit en pris la matiere dilceulx. (G, li, p. 136-137)

Voici maintenant le passage du Livre dEsther :

Cétait au temps dAssuérus, cet Assuérus dont lempire sétendait de lInde à lÉthiopie []. En ce temps-là, comme il siégeait sur son trône royal [], il donna un banquet, présidé par lui, à tous ses grands officiers et serviteurs 322chefs [] Il voulait étaler à leurs yeux la richesse et la magnificence de son royaume ainsi que léclat splendide de sa grandeur [] Ce nétaient que tentures de toile blanche et de pourpre violette attachées par des cordons de byssus et de pourpre rouge, eux-mêmes suspendus à des anneaux dargent fixés sur des colonnes de marbre blanc, lits dor et dargent sur un dallage de pierres rares, de marbre blanc, de nacre et de mosaïques ! Pour boire, des coupes dor, toutes différentes, et abondance de vin offert par le roi avec une libéralité royale. (Esther, i, 1-21)

La description biblique insiste sur la magnificence et labondance du banquet. Dans la narration rabelaisienne, les énumérations sont là pour rivaliser avec cette profusion. Comme dans le texte source, linsistance est mise sur lextraordinaire des matériaux. Ce nest plus tant le contenu du banquet (les mets et le vin) qui doit susciter ladmiration du lecteur, mais les contenants distribués aux compagnons de Gargantua, contenants qui finissent par se transformer en terres et châteaux. Cest ainsi que Frère Jean, pourvu le dernier, recevra en partage le pays de Thélème dont il fera lusage que lon sait.

Lépisode biblique dAssuérus ne finit pas aussi noblement. On devinait déjà la part dorgueil qui gouvernait lordonnance du banquet. Il ne sagissait pas pour lui de remercier de valeureux guerriers, mais détaler sa richesse et sa puissance aux yeux de sujets qui peut-être risquaient de les mettre en cause. Et comme la reine Vasthi, dune grande beauté, refuse dobéir aux ordres de son époux qui lui demande dapparaître devant les convives, Assuérus entre dans une terrible rage, répudie la reine et publie un avis royal établissant que tout mari est « maître chez lui ». Lhistoire se termine cependant sur un espoir de liberté. La répudiation de Vasthi place finalement Esther sur le trône, et permet à celle-ci de défendre le peuple juif, de le réhabiliter dans lempire et de lever les interdictions qui pesaient sur lui. Le péché dorgueil du roi et sa volonté obstinée dêtre maître à tout prix le conduisent paradoxalement à se plier à la volonté dune femme et à reconnaître la liberté des juifs. Ce sont lordonnance dEsther et sa lutte contre les ennemis du peuple élu qui donnent ainsi naissance au livre du même nom.

Si Grandgousier, comme le roi de Suse, est redevenu maître de son royaume, le don quil fait aboutit à la création de labbaye de Thélème dont le mot dordre est, au rebours de lavis biblique, « Fay ce que vouldras ». Les deux épisodes, biblique et rabelaisien, débouchent donc parallèlement sur la création despaces de liberté inattendus. De manière implicite, Rabelais réécrit lépisode en utilisant souterrainement ses 323différents éléments pour en transformer la portée et donner à comprendre tout autre chose. On voit bien là, que pour mesurer la portée du personnage de Grandgousier dans cet épisode, il faudrait citer toute la fin du chapitre li, et tout le chapitre i du Livre dEsther, ce que nos relevés ne permettent pas. Le lecteur aura donc à lesprit que les liens entre les citations suivantes ne se révèlent pleinement quà la lecture des références complètes.

1 Antoine Compagnon, La Seconde main, op. cit., p. 20.