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Classiques Garnier

Préface

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PRÉFACE


Tous ceux qui ont parlé du roman au temps de Louis 3ûII ne se sont attachés [...] qu'aux grands noms, aux oeuvres les plus réputées et les plus accessibles ; d'Urfé, Desmarets de Saint-Sorlin, Gomberville, La Calprenède, M°s` de Scudéry, sont, à peu près, les seuls auteurs qu'ils citent ; et il semble qu'en dehors de l'Astrée, de l'Ariane, du Polexan- dre, de la Cassandre, du Grand Cyrus, le roman ne présente que des landes et des déserts. Autant vaudrait prétendre à décrire un pays en le parcourant dans un rapide qui s'arrgte quatre ou cinq fois en un millier de kilomètres. J'ai préféré les lenteurs du train omnibus, qui ne br(ile aucune gare'.

Sans doute ne saurait-on trouver meilleur avocat que Maurice Magendie pour justifier l'existence de ce répertoire, résultat d'un long travail collectif consacré aux fictions narratives en prose de l'âge baroque. De fait son projet est né d'abord du désir d'établir la topographie minutieuse d'un paysage littéraire trop souvent réduit à quelques oeuvres emblématiques. Un vaste territoire que nous avons voulu parcourir nous aussi en omnibus, voire à pied, pour en découvrir toutes les nuances, les détails, les richesses cachées. Nous espérons ainsi qu'à la lumière de ce premier volume consacré à des textes contemporains de la fin des guerres de religion et d'Henri IV, il apparaîtra plus nettement que les fictions en prose de cette époque ne se résument nullement à L'Astrée. Notre souhait le plus cher, au reste, serait de contribuer à nuancer la vision surtout négative que les critiques littéraires, de Lanson à Maurice Lever, en passant par Antoine Adam, ont habituellement donné des récits et des romans d'un âge littéraire mal aimé et méconnu, parfois assimilé en bloc aux fâcheuses tendances du style Nervèze ;mais aussi —nous osons pousser jusque là notre ambition de montrer, pièces à l'appui, que quelques oeuvres, aujourd'hui injustement oubliées, mériteraient qu'on les redécouvre et qu'on les réédite.
Il nous a semblé que la meilleure façon de mener à bien ce travail d'explora- tion et de réhabilitation était de rompre avec la logique partiale de la critique
' Maurice Magendie, Le Roman français au XVII° siècle de L'Astrée au Grand Gj~rus, GenBve, Slatkine Reprints, 1970. «Avant-propos ~, p. 7-8.
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d'humeur ou avec les raccourcis arbitraires et souvent injustes des panoramas, pour constituer une sorte de grand fichier analytique. À cet égard ce répertoire participe d'abord d'une tradition philologique pluriséculaire, celle du résumé, particulièrement adapté à la logique romanesque en ce qu'il vise généralement les linéaments d'une histoire ou d'un mythe. On sait que pour la littérature française ces recueils de résumés ont commencé à se constituer au XVIIIe siècle :l'un des premiers d'entre eux est la célèbre Bibliothèque universelle des romans qui comporte non seulement des rééditions et des extraits, mais aussi des condensés et des résumés de romans anciens comme La Mariane du Filomène ou Du Vray et Parfait Amour dont les fiches figurent dans les pages de ce volume.
Comme on le sait, ces dernières années ont vu se multiplier le même type d'ouvrages dans le sillage du monumental Dictionnaire des oeuvres de tous les temps et de tous les pays (1954)' : citons entre de multiples exemples le Dictionnaire des oeuvres érotiques élaboré sous la direction de Pascal Pia, Robert Carlier et Gilbert Minazzoli et publié pour la première fois en 1974, le Dictionary of Literary Utopias édité par Vita Fortunati et Raymond Troussonz, ou encore le gigantesque répertoire que Jean-Claude Alizet3 consacre aux domaines du roman policier, du roman d'espionnage, de la Science-fiction et du fantastique, une collection toujours en devenir puisque son auteur réalise le projet ambitieux de donner année par année un état des lieux de cette littérature prolixe. Le dénominateur commun de ces différents livres est évidemment de fournir au lecteur des aperçus précis sur le contenu, et souvent sur les contextes historiques et biographiques, d'un corpus important d'ouvrages classés par genres ;mais la plupart d'entre eux partagent aussi une même lacune, car leurs descriptions ne tiennent que peu compte des données bibliographiques.
La vocation du présent répertoire est de pallier ce manque en jouant le double rôle d'un dictionnaire des oeuvres et d'une bibliographie. Ainsi ne vise-t-il pas seulement à faire connaître la teneur de nombreux textes, parfois conservés dans des lieux lointains (bibliothèques étrangères) et inaccessibles (bibliothèques privées) ;mais aussi à fournir sur ces textes des indications matérielles (format, nombre de pages, présence de frontispices et de gravures...) et, plus largement, bibliologiques (épîtres dédicatoires, privilèges, achevés d'imprimé, permission...). À cet égard son élaboration doit beaucoup aux recherches anciennes ou récentes
' Rééd.: Paris, Robert Laffont, collection «Bouquins » , 1980.
z Dictionary of Literary Utopias, Paris, H. Champion 2000.
' L'Année de la fiction, Polar, S.-F., Fantastique, Espionnage. Bibliographie courante de l'autre
littérature. Amiens, Encrage édition. Un volume par an depuis 1989.
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des bibliographes, tout d'abord aux recherches de Roméo Arbourt dont l'abondante moisson nous a permis d'établir une première liste de fictions, ayant formé comme le noyau de ce livre ; ensuite à tous ceux qui ont travaillé à l'inventaire du roman de la fin du XVIe et du XVIIe siècle :principalement Gustave Reynier, Ralph Coplestone Williams, R.W. Baldner et Maurice Lever dont La Fiction narrative en prose au XVIIe siècle fait toujours autorité. Enfin il ne faudrait pas omettre de mentionner la mise en ligne récente sur internet du Catalogue Collectif de France dont la consultation a permis dans de nombreux cas d'affiner et de compléter l'état de nos connaissances.
L'attention portée au détail des textes nous a conduit logiquement à les envisager dans leurs particularités. Chacune des ceuvres décrites ici correspond donc à l'une de ses éditions —parfois la première, mais généralement la plus complète ou la dernière publiée du vivant de l'auteur. Qui voudra donc se renseigner sur la première partie de L'Astrée trouvera ainsi dans ces pages un descriptif et un résumé de son édition parisienne de 1607 ; qui désirera s'informer sur Les Contes et Discours d'Eutrapel de Noël Du Fail ou sur Les Avantures de Floride de Verville, y découvrira le même type de renseignements portant respectivement sur leurs éditions de 1586 et de 1601. Ces mises au point ponctuelles n'excluent pas les aperçus plus synthétiques. Les notices portant sur des succès littéraires comportent également quelques observations sur leurs variantes les plus remarquables. Du fait de son importance littéraire la première partie de L'Astrée sera d'ailleurs, dans le prochain tome, l'objet d'une fiche supplémentaire établie sur l'une de ses éditions postérieures à 1610 et indiquant les principaux remaniements opérés par l'auteur.
L'année 1585 constitue le terminus a quo de ce répertoire, 1643 formera son terminus ad quem2 : deux dates qui dans notre esprit sont seulement à prendre comme les caps symboliques d'une évolution lente et sinueuse. 1585 correspond au début de la huitième des guerres de religion, leur épisode le plus violent, mais aussi à l'édition de la première partie des Bergeries de Julliette, et 1643 à la mort de Louis XIII et au début de la Régence dont on sait qu'elle engendrera bientôt les troubles civils de la Fronde. Au lieu d'un partage arbitraire ou inadapté suivant une division par siècles, notre périodisation vise à manifester un moment important de l'histoire culturelle, l'âge baroque, que l'on ne saurait
~ L'Ere baroque en France. Répertoire chronologique des éditions de textes littéraires, Genève, Droz, 1977 (1"` partie : 1585-1615).
z Notons cependant que, dans les cas des romans à suite ou des collections de textes, nous avons choisi d'intégrer dans ce répertoire certaines æuvres pazfois légèrement antérieures à ces limites chronologiques, de manière à ne pas scinder des ensembles cohérents. Voir par exemple Le Premier [-second] livre de la plaisante & delectable histoire de Gerileon d'Angleterre d'Etienne de Maisonneuve et Les Serees de Guillaume Bouchet, publiés en 1584.
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confondre ni avec la Renaissance ni avec l'Age classique. Isoler la spécificité de cette époque intermédiaire est une entreprise ardue qui, on le sait, a déjà fait couler beaucoup d'encre tout en suscitant maintes discussions. Sans vouloir relancer ce débat complexe ou lui ajouter de nouveaux .motifs, il suffira de relever ici quelques faits saillants pouvant justifier le bien fondé de notre chronologie.
Si l'on examine d'abord notre domaine littéraire à la lumière des genres ou des inspirations, il apparaît que la fin des guerres de Religion voit le développement massif d'une littérature sentimentale que Les Bergeries de Julliette, cette préfiguration de L'Astrée mêlant idylles, rêverie pastorale, mondanités et aventures, semble déjà représenter de manière exemplaire. Peu après 1585, année peu féconde, il est vrai, les fictions appartenant à la même veine iront en se multipliant. Si l'on se fonde sur la liste des 241 ouvres réunies dans ce répertoire, il apparaît que 142 sont des récits ou des romans où domine une inspiration sentimentale. La mode des Amours connaîtra son apogée dans les années 1610 et 1620'. On sait qu'au temps de Polexandre triompheront à leur tour les romans héroïques. On passe sans doute alors d'une sensibilité à une autre : de l'inspiration courtoise ou néo-courtoise à des illustrations nouvelles de l'ancienne chevalerie. Mais au-delà des partages et des distinctions, parfois discutables, peut se dégager sans peine une ligne de force conduisant de Montreux à Scudéry, celle du romanesque. Nous entendons par là un type de littérature exaltant les passions et les sentiments dans leurs manifestations les plus extrêmes, une littérature multipliant les péripéties et offrant du monde une vision héroïque, une littérature qui, sans être toujours invraisemblable propose du réel une image manichéenne et idéalisée. Les histoires comiques qui naissent alors en France dans le sillage du picaresque espagnol (les premières traductions du Lazarille de Tormès et de Guzmân d'Alfarache datent respectivement de 1560 et de 1600) nous fournissent des témoignages a contrario de cette dominante romanesque, comme les histoires tragiques ou les parodies, celles de Rosset ou de Sorel par exemple, nous dévoilent son envers noir ou ses artifices. Le romanesque existe évidemment à la Renaissance et continue d'exister à l'âge classique, mais l'on admettra volontiers qu'il occupe une place proportionnelle- ment moins importante dans leur production littéraire qu'au temps de Verville ou de La Calprenède et qu'on lui accorde beaucoup moins de valeur : aux affabulations du roman Marguerite de Navarre, Madame de La Fayette ou Saint- Réal préfèrent les témoignages de l'histoire ou de la nouvelle.
~ Voir aussi sur ce sujet les enquêtes précises de Günter Berger sur les genres romanesques,
Romanproduktion und literarisches Publikum im Frankreich des 17. Jahrhunderts », in Zur Geschichte von Buch und Leser in Frankreich des Ancien Régime. Beitrdge zu Biner empirischen Rezeptionsforschung. Schaüble Verlag, 1985, p. 23-51.
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La question des valeurs nous conduit naturellement à envisager un autre aspect important de cette production littéraire :son enracinement dans une idéologie. Notion complexe recouvrant au moins deux niveaux qu'il est nécessaire de distinguer :celui de l'éthique ou des moeurs, et celui de l'orientation morale et philosophique. Il est d'abord manifeste que les fictions baroques ont constitué un relais privilégié pour les codes et les règles de la civilité et ont joué un rôle non négligeable dans l'accomplissement de ce processus de civilisation décrit par Norbert Elias à propos de L'Astrée'. Les règnes d'Henri IV et de Louis XIII ont vu ainsi fleurir de nombreux secrétaires, discours ou dialogues narrativisés, ceux par exemple de Cyre FoucaultZ ou d'Abraham de La Faye3 servant la mise en scène des usages galants ;mais l'on note aussi que les protocoles de la politesse mondaine s'immiscent dans de non moins nombreux récits et romans pour accompagner et souvent guider le déroulement de leurs intrigues. Cette fonction pédagogique dévolue à la prose fictionnelle ira plus tard en s'estompant comme le révèle nettement par exemple la comparaison de La Clythie4 de Puget de La Serre avec sa transformation en nouvelle dans une autre Clitie, anonyme, parue chez Claude Barbin en 1680.
On ne saurait nier la multiplicité des idées nourrissant cette littérature aussi prolixe que diverse. Il n'est que de penser pour s'en convaincre au protestan- tisme de Nicolas Des Escuteaux et de Paul Ferry, au jansénisme du dernier Gomberville ou à la sensibilité libertine de Sorel dans les premiers livres du Francion. Cette diversité n'en est pas moins traversée par les courants puissants d'une opinion majoritaire déterminant le climat intellectuel et moral de l'époque. Celle-ci, il est facile de l'observer, est tout entière dominée par une foi catholique militante. On se rappellera à cet égard que la fin du XVI` et le début du XVII` siècle coïncident avec un véritable regain des vocations religieuses, une « invasion mystique », selon la belle expression de l'abbé Brémond, qui détermine une floraison de romans catholiques dus àJean-Pierre Camus, mais aussi à d'autres écrivains moins connus que le célèbre évêque de Belley :Jean Juliard, Bareuu, François de Fouet, Nicolas Piloust, Jacques Gaffarel ou René Ceriziers. La foi chrétienne en l'occurrence n'inspire pas seulement quelques dévots ;elle fait partie intégrante de la culture de l'honnête homme et s'impose donc comme une donnée incontournable dans les fictions qui le divertissent. Même la Gaule pré-chrétienne de L'Astrée n'échappe pas à cette règle, puisque
' La Société de cour, Paris, Calmann Lévy, [1969] 1974 ;réédition : Paris, Flammazion-
Champs, 1985.
z Les Epistres amoureuses d'Aristenet..., Poitiers, André Citoys et Isaac Barraud, 1597.
3 Tableau et miroir des pudiques amours du Prince Parthenophile et de la Princesse Cleonice,
Iena, Henri Rauchmaul, 1613.
° La Clythie ou romant de la cour, Pazis, G. Loyson, 1630.
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sous les leçons théologiques du druide Adamas le lecteur peut retrouver sans peine des allusions au credo catholique et au dogme de la Trinité. L'idéal héroïque forme une autre composante, sans doute plus consensuelle encore, de l'atmosphère propre à l'âge baroque, âge des saints, mais aussi des héros. Sans doute peut-on, comme de nombreux historiens, expliquer sa vitalité à la lumière de la situation politique de l'aristocratie française, encore rebelle à son embrigadement sous la bannière monarchique, et toujours confiante dans les vertus de l'action individuelle. Notre découpage chronologique manifeste la permanence de ce même état d'esprit entre le temps de la Ligue et celui de la Fronde, celui des Avantures de Floride et celui d'Artamène ou le Grand Cyrus.
Enfin, il est aisé de constater que la littérature de l'âge baroque a sa poétique particulière. Peut-être n'est-il pas nécessaire en la matière d'évoquer un modèle esthétique hérité de l'architecture et des beaux arts, comme l'on fait plusieurs générations de critiques, de Jean Rousset à Claude-Gilbert Dubois. Il est en tout cas possible de s'appuyer sur des critères essentiellement littéraires pour découvrir la parenté des nombreux romans contemporains d'Henri IV et de Louis XIII. Tous, en effet, ou presque, ont en commun d'accorder beaucoup à la rhétorique. Comme le notait naguère Jacques Chupeau
Cette rhétorique déborde les distinctions traditionnelles entre roman pastoral, récit d'aventures, roman sentimental et histoires tragiques, catégories entre lesquelles on observe, au demeurant, de nombreuses interférences'.
Elle conduit les auteurs à considérer l'intrigue de leurs histoires comme une trame sur laquelle broder de nombreux ornements, des «agencements »dont Camus donne la liste, d'ailleurs non limitative, dans son Instruction au Lecteur de Parthenice, en 1621
Par exemple, les digressions [...], les lettres, les Harangues, les Dialogismes, les Poësies, les Prières, les Rencontres, les Plaintes, les Ratiocinations intérieures, les Devis familiers, les Jeux de parole, et mille pareilles menuailles qui servent à la Deduction, à la Liaison, et à la Contexture de l'Histoire2.
Il est vrai qu'il s'agit là d'une tendance que l'on relève déjà dans des æuvres antérieures comme Les Angoysses douloureuses d'Helisenne de Crenne ou L'Amant resuscité de la mort d'amour ; mais les textes de l'âge baroque au regard de ceux de la Renaissance n'en possèdent pas moins leurs caractéristi-
«Quelques formes caractéristiques de l'écriture romanesque à la fin du XVI` siècle et au début du XVII` », in L'Automne de la Renaissance 1580-1630 (études réunies par Jean Lafond et André Stegman), Paris, J. Vrin, 1981, p. 219.
z Parthénice, Paris, Claude Chappelet, 1621, p. 902-903.
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ques. Comme les romans de Nervèze, Des Escuteaux ou Puget de La Serre, ils expriment une conception mondaine de l'éloquence et du beau style et se trouvent donc souvent allégés des digressions savantes qui alourdissaient les fictions humanistes. Tout au long du premier XVIIe siècle on observe par ailleurs que de nombreux romanciers s'efforcent d'atténuer le caractère artificiel de leur beau langage en usant principalement de ces trois procédés relevés dans L'Astrée par R.A. York
La subordination des passages rhétoriques à une fonction (de narration ou d'argument) ; la réduction de l'écart entre les figures rhétoriques et la norme de la langue ; et —procédé radical et ambigu, auquel n'est accordé qu'un statut périphéri- que —l'emploi ironique, parodié des figuresl.
Il appartiendra aux classiques d'aller au bout de cette évolution, non par le refus de l'éloquence, mais par son atténuation et sa nette subordination à la logique de l'histoire.
Cet âge baroque caractérisé ici à grands traits ne sera pas pris en bloc, comme une totalité insécable. L'ordonnancement chronologique des trois parties de ce répertoire conduira au contraire à préserver sa diversité historique dans ses principales nuances. Notre parcours à travers la littérature narrative se fera donc en trois temps
— la période 1585-1610, à laquelle est consacré le présent volume, correspond à un temps de contrastes et de changements. La France sort alors péniblement d'une longue guerre fratricide —son dernier épisode est la guerre des trois Henri (Henri III, Henri de Navarre et Henri de Guise) qui se déchaîne entre 1585 et 1598 —pour connaître enfin la paix et une relative prospérité sous le règne d'Henri IV. Sa littérature narrative reste encore attachée par de multiples liens au XVIe siècle. Aussi, tout en comprenant des ceuvres véritablement novatrices (celles notamment de Montreux, Verville, Nervèze, d'Urfé), se compose-t-elle en partie de textes appartenant à des formes ou à des genres en vogue dans les décennies précédentes, comme les miscellanées (Guillaume Bouchet, Les Serées), les contes facétieux (Noël du Fail, Les Contes et discours d'Eutrapel), les histoires édifiantes et prodigieuses (Daniel Drouin, Le Revers de Fortune), les romans humanistes (Martin Fumée, Du Vray et Parfait Amour).
— Après la mort d'Henri IV, les années 1611-1623 recouvrent un temps d'incertitude agité par de nouvelles luttes contre les protestants et par la sanglante rivalité opposant la reine mère à son fils. L'arrivée de Richelieu au ministère en 1624 conduira bientôt à la défaite des intrigants et des dévots
' « La rhétorique dans L'Astrée », in XVII° Siècle, 1976, n°110-111, p. 15.
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groupés autour de Marie de Médicis. Notre littérature narrative s'avère alors très fertile, particulièrement le roman sentimental qui voit s'illustrer des auteurs déjà confirmé comme Honoré d'Urfé, Vital d'Audiguier ou Des Escuteaux, mais aussi une nouvelle et nombreuse génération d'écrivains, plus de cinquante romanciers, le plus souvent nés aux environs de 1600, et parmi lesquels compte déjà le jeune Charles Sorel.
— Les années 1624-1643 sont contemporaines d'une consolidation du pouvoir monarchique, mais c'est encore une époque tumultueuse : le gouvernement Richelieu doit affronter un double péril à l'intérieur et à l'extérieur. Les nobles qui veulent retrouver leur puissance ourdissent contre lui maints complots, la guerre de religion se ranime et la France s'engage dans la guerre de Trente ans. Comme l'observe Maurice Lever,
On ne rêve que conquêtes, enlèvements, folles équipées. On rivalise de générosité et de galanterie. L'idéalisme sentimental a fait son temps. Les débats de casuistique amoureuse, les beaux rêves de paix universelle, l'écologie pastorale, tout cela ne s'accorde plus à l'humeur piaffante des sujets de Louis XIII. Céladon cède le terrain à Rodriguel.
C'est aussi le temps de Polexandre et du roman héroïque.
Après avoir posé les jalons de cette périodisation, on ne saurait éviter la question de savoir ce qu'il faut entendre exactement par fiction narrative en prose. On sait que Maurice Lever s'est servi de la formule dans le titre de sa célèbre bibliographie pour exprimer un «parti pris de large accueilz »s'écartant des définitions théoriques trop réductrices. Elle offre encore pour nous le double avantage de former un concept compréhensif et souple, permettant de cerner un champ d'étude sans l'enfermer pour autant entre des frontières trop nettement arrêtées. À cet égard elle semble encore constituer une étiquette utile à condition cependant qu'on fasse l'effort de l'adapter à son contexte historique. Il va de soi en effet qu'à l'âge baroque la fiction narrative en prose n'est pas exactement synonyme de ce qu'elle sera au temps de Flaubert ou de Sartre.
Notons d'abord que l'opposition formelle entre fiction narrative en prose et fiction narrative en vers révèle sa relative pertinence appliquée à notre littérature à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, puisqu'elle correspond alors à un partage fraîchement établi. À la fin du Moyen Age et à la Renaissance l'avènement du livre imprimé et le déclin de la tradition orale —liée à
Romanciers du Grand Siècle, Paris, Fayard, (1981] 1996, p. 107.
z Notre citation reprend en fait l'Avant-propos de Raymond Picazd, La Fiction narrative en
prose au XVII` siècle, p. 10.
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l'utilisation mnémotechnique d'une langue rythmée —ont amené le déclin du vieux roman en vers. Prose et roman semblent alors unis par un lien nécessaire tandis que le récit versifié, sous l'influence du romanzo italien, prend le nom d'épopée. Certains auteurs cependant, comme Pierre de Deimier dans ses Illustres Avantures (1603), ou le traducteur anonyme des Guerres Civiles de Grenade de Ginès Pérez de Hita, continuent de versifier leurs histoires à la manière ancienne de Chrestien de Troyes, mais ils forment désormais des exceptions.
La distinction entre fiction et vérité que postule l'expression de Lever doit être fortement nuancée. À l'âge baroque, l'histoire est souvent investie d'une valeur de témoignage et le roman abandonné aux suggestions de l'imaginaire, mais leurs deux domaines connaissent de nombreux points d'intersection. Par exemple les canards qui témoignent sur des faits réels —naissances de monstres, catastrophes météorologiques, crimes sanglants, affaires de moeurs, etc. —sont aussi le lieu révélateur des déformations et des transformations flagrantes qu'impose l'imagination aux données brutes de l'actualité'. La volonté d'édifier ou de divertir conduit par ailleurs de nombreux auteurs à remodeler la chronique historique (Histoires memorables), le récit de voyage (Capitaine Bruneau de Rivedoux, Histoire veritable de certains voiages perilleux) ou la nouvelle anecdotique (Marcellin Allard, La Gazzette françoise) suivant la logique de l'exemplum, du récit étonnant ou du conte facétieux. Quel statut accorder d'ailleurs aux histoires dévotes (Louis de Richeome, Le Pelerin de Lorete ; François de Fouet, Floriane, son Amour, sa Pénitence et sa Mort) qui fleurissent alors en grand nombre et qui, pour mieux appâter le lecteur, donnent à leur message tous les attraits de la fabulation romanesque ?
La dimension narrative de la fiction baroque est loin également de former une de ses caractéristiques incontestables. Nous avons souligné déjà quellè importance prêtent ses auteurs au modèle oratoire. Pour tirer toutes les conséquences de ce premier constat, nûeux vaudrait donc présenter la fiction baroque comme une narration plutôt que comme un récit, Mademoiselle de Gournay évoque ainsi le genre du «roman discourant » à propos du Proumenoir de M. de Montaigne2. L'expression est révélatrice tant des relations unissant alors tous les genres narratifs au discours que de la tendance de l'écrivain à conter ses histoires ou à discourir sur elles et, si l'on prend les textes du point
' Voir par exemple S. Bokdam, « Du fait divers au personnage romanesque :L'histoire de Mademoiselle du Luc et l'Infante déterminée des Avantures de Floride de Béroalde de Verville, dans Devis d'Amitié —Mélanges en l'honneur de Nicole Cazauran, Paris, Champion, 2002, p. 295- 325.
z L'Ombre, Paris, Jean Libert, 1626, « Advis sur la nouvelle edition du Proumenoir de M. de Montaigne », p. 644 sq. Cité par M. Magendie, Le Roman français au XVII` siècle, p. 127.
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de vue de leur réception, de la tendance de leurs lecteurs à voir en eux de beaux morceaux d'éloquence. Ainsi il peut paraître légitime de classer dans une même grande famille littéraire des romans, mais aussi des secrétaires (Secrettes (lames et poulets d'amour), des discours (La Monophile, L'Ostrassisme d'amour) et des dialogues' (Marie Le Gendre, dame de Rivery, Dialogue des chastes Amours d'Éros, et de Kalisti), s'ils prennent place dans un cadre narratif ou servent eux- mêmes de véhicules à des récits d'une certaine ampleur, ou encore sont désignés par leurs auteurs comme des modalités d'une narration.
À la lumière de ces remarques peut-être ne sera-t-il pas inutile de revenir sur notre définition pour en formuler la teneur exacte : la fiction narrative en prose de l'âge baroque est le produit d'une activité littéraire visant le divertissement, l'instruction ou l'édification du lecteur par l'énonciation éloquente d'histoires inventées ou offrant de la réalité une vision aux couleurs romanesques.
On admettra volontiers que cette approche définitoire reste encore bien générale. Du moins a-t-elle le mérite de nous alerter sur les relations problémati- ques de notre domaine tant avec le récit (la narration ne peut être ici qu'une dominante) qu'avec la fiction (cette narration peut servir un projet de témoi- gnage et viser une vérité, le plus souvent morale et religieuse).
Reste à savoir quels textes correspondront à une catégorie littéraire aussi floue. Disons immédiatement qu'en l'occurrence il n'existe aucune solution idéale, dans la mesure même où les limites de notre objet se dérobent. À partir de quel moment en effet un récit «discourant » bascule-t-il du côté du discours, une fiction entée sur une anecdote réelle du côté du compte rendu journalistique ? Certaines ceuvres constituent à cet égard un défi permanent pour nos habitudes taxinomiques. Que dire par exemple des Apophtegmes du Sr. taulard ou des Apresdisnées du seigneur de Cholieres ?Faut-il, comme le fait Henri Coulet, refuser tout net de les considérer comme des nouvelles, ou plus largement comme des fictions narratives, ou suivre d'autres spécialistes qui acceptent de les considérer comme telles. Notre propos ne sera pas de trancher ces débats, mais d'offrir au lecteur un ouvrage riche de nombreuses informations. Dans cette perspective, qui est celle de l'utilité, nous avons conçu notre corpus comme un vaste ensemble sans contours arrêtés, mais comportant néanmoins son centre et ses régions périphériques. Ce centre —qui, pour user d'une autre métaphore, représente comme le noyau dur de la fiction narrative — a été pour nous le lieu
' Comme le note Véronique Montagne, « la présence possible de parties narratives »dans le dialogue explique qu'il ait été fréquemment comparé au XVI` siècle avec la nouvelle. «Dans sa Lezione sopra il comporre delle novelle, parue en 1574, Francesco Bonciani souligne ce rapprochement » en évoquant les dialogues de Lucien. Voir « Le dialogue au XVI` siècle éléments de théorisation générique », (http ://www.cometes.orp.), p. 7.
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d'une exploration systématique visant une reconnaissance exhaustive : la description des romans —qu'entre 1585 et 16101es titres donnent le plus souvent pour des Amours ou des Aventures —, des histoires tragiques et romanesques, des nouvelles, des contes facétieux. Nos incursions aux alentours de ce domaine incontestablement fictionnel et narratif nous ont conduit à découvrir des canards, des secrétaires, des discours, des dialogues, des miscellanées, des histoires dévotes, des livres de propagande religieuse ou politique, c'est-àdire des textes n'entrant pas dans le cadre de notre définition moderne de la prose fictionnelle, mais qu'il aurait été dommage d'oublier, dans la mesure où ils témoignent d'une manière ancienne et différente d'envisager la geste narrative. Comme il était impossible et arbitraire, du fait de leur nombre et de leur statut hybride, de tous les regrouper dans ce livre, nous avons choisi de retenir de ces textes un large échantillonnage qui aura du moins la vertu de donner une idée de leur diversité.
Notre voyage livresque nous a mené également vers l'étranger, ou plus exactement dans cette zone intermédiaire que constituent les traductions entre le français et les autres langues. Sans entrer dans la question de savoir si celles-ci valent pour de fidèles transcriptions, des adaptations ou des créations à part entière, il nous a semblé en effet important de ne pas couper la littérature française des nombreux liens organiques l'unissant à d'autres cultures. Notons enfin que, pour lui donner tout son relief, un dossier iconographique complète ce premier parcours, à petites étapes, à travers le paysage de la fiction baroque. On y découvrira un choix exemplaire de gravures représentant les sujets typiques d'une époque de violents contrastes :images de piété, crimes sanglants, scènes bucoliques et aventures sentimentales et chevaleresques.

Frank GREINER
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Composition des notices et mode d'emploi


Chacune des notices entrant dans le Répertoire a été élaborée suivant le même protocole
a) Indication du genre :par l'indication de symboles placés avant les titres (voir liste ci-dessous).
Exemple : ~ ~ Les Avantures de Floride (première partie). Roman
d'amour et d'aventures chevaleresques.

La répartition des textes en différentes catégories ne va pas sans arbitraire pour une littérature cultivant volontiers le métissage des genres. Il nous a semblé cependant que ces indications, aussi schématiques soient-elles, n'étaient pas inutiles dans la mesure où elle permettent un premier repérage rapide des oeuvres et peuvent servir d'assises à un travail statistique. Nous avons ainsi fait précéder chacune des notices du répertoire de symboles pouvant représenter ses liens avec une forme (textes longs (romans, traités,...), recueils (de nouvelles, de lettres...), textes courts (canards, libelles,...), une modalité (texte épistolaire, discours, dialogue) une thématique (intrigue sentimentale, chevaleresque...) ou une fonction (visée didactique, édifiante).
b) Relevé du titre et description matérielle du livre. Exemple : Béroalde de Verville (François Brouart, dit), Premiere partie des avantures de Floride. En ceste histoire Française on peut voir les differens evenemens d'Amour, de Fortune et d'Honneur, et combien sont en fin agreables les fruits de la VERTU. De l'invention de Beroalde de Verville. Reveu, corrigé et augmenté par le mesme Autheur. Rouen, imprimerie du Petit Val, 1601. In-8°, XII f. —528 p.
c) Exemplaire consulté. Ex. pour la première partie des Avantures de Floride : Ars.: 8 BL 21054 (1).
d) Observations diverses concernant l'attribution des oeuvres anonymes, les questions de datation et pour les textes traduits les principales caractéristiques de la version proposée au lecteur.
e) Description du texte et résumé opérés à la manière d'un examen systémati- que du contenu du livre avec indication de la pagination'
1 Pour les livres où la pagination manque — le fait concerne surtout les liminaires —est indiqué simplement le nombre de feuillets ou de pages, parfois avec les indications chiffrées des imprimeurs (A, A ij, Aiij, ...). Les références aux feuillets indiquent le recto, le verso ou le recto et le verso. Dans ce dernier cas le numéro du feuillet est donné sans aucune précision supplémentaire. Ex : f. 1 r°, f. 1 v°, f. 1.
19 PRÉFACE 19
— Mention de l'existence éventuelle d'un frontispice ou de gravures.
— Epître dédicatoire, Préface, Avis au lecteur, éventuellement résumés en quelques mots si le contenu, d'une manière ou d'une autre, paraît digne d'intérêt.
— I.e cas échéant, mention des pièces en vers, des louanges, des recommanda- tions, du sommaire ouvrant la fiction.
— Résumé suivant la ligne principale de l'intrigue, évoquant tous les personnages ou la plupart d'entre eux, indiquant l'existence des passages les plus remarquables qui se rapportent ou ne se rapportent pas directement au développement de l'action (longue description, songe allégorique, discours, lettre, poème, etc.). 'Pour les traductions le résumé peut intégrer des observations sur les principales caractéristiques et la qualité de la version française par rapport au texte original.
— Présence ou non de tables.
— Privilège, achevé d'impression (date et lieu).
f) Localisation de quelques autres exemplaires du même ouvrage et, le cas échéant, identification d'une ou d'autres éditions. Quand plusieurs éditions ont été consultées, indication rapide des principales variantes.
g) Indication des sources.
h) Bibliographie critique se rapportant à la fiction analysée. Sauf pour les éditions critiques, les références sont abrégées. Pour tout complément d'informà- tion, le lecteur se reportera à la bibliographie générale placée à la fm du répertoire.
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ABRÉVIATIONS ET SYMBOLES
Bibliothèques

Principales abréviations
Ars.: Bibliothèque de l'Arsenal (Paris)
B.L.: British Library (Londres)
B.M.: Bibliothèque du British Museum (Londres)
B.M. (suivi du nom de la ville concernée) :Bibliothèque Municipale
BnF :Bibliothèque Nationale de France (Paris)
BSG : Bibliothéque Sainte-Geneviève (Paris)
Maz.: Bibliothèque Mazarine (Paris)
Symboles

® Fictions romanesques :récits, romans, histoires tragiques
® Traités, mélanges et compilations, textes à visée didactique
Tous types de recueils : de nouvelles, de discours, de lettres
p Textes courts :canards, pamphlets, facéties
~s Discours
Q} Dialogues ;récits et discours énoncés par des devisants
.es Textes épistolaires
* Traductions
® Littérature facétieuse et comique
O Faits divers sanglants, histoires tragiques, histoires à issue malheureuse
r Intrigues sentimentales
~ Aventures chevaleresques
~ Cadre pastoral, «bergeries »
Q Littérature utopique, récits oniriques, histoires prodigieuses, inspiration
fantastique
21 PR$FACE 21
~ Textes dévots, histoires exemplaires, apologues d'inspiration chrétienne Textes historiques ou à fonction de témoignage :biographies, chroniques, mémoires
~~ Littérature pamphlétaire
$ Récits et romans scientifiques

Combinaisons des symboles

Sont d' abord notés les symboles indiquant une caractéristique générale (roman, traité, texte court).
Les symboles suivants permettent d'identifier plus précisément le genre et le contenu des textes. On notera ici les combinaisons les plus fréquentes
— D~ r ~ Roman d'amour et d'aventures chevaleresques
— ~ ~ ~ Roman pastoral à intrigua amoureuse
— ~ ~ O Roman d'amour d'inspiration tragique
— ~ ®Recueil de nouvelles facétieuses
— ~ .es r Recueil de lettres amoureuses
— l~ O canard exposant un fait divers tragique

Il va de soi que dans de nombreux cas la complexité des textes défie toute tentative de symbolisation. Seules une ou quelques caractéristiques dominantes ont alors été prises en compte.