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Classiques Garnier

Résumés

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Résumés

Laurence Vanoflen, « Introduction. Le genre et la philosophie des Lumières »

Loubli tenace, dans le canon, de femmes qui ont participé, parfois très activement, aux débats des Lumières, reflète la difficile inscription, en France, des problématiques du genre en littérature. Il faut donc sinterroger à nouveaux frais sur les modes dinsertion des femmes dans la vie intellectuelle de leur temps : quels champs de pensée couvre leur réflexion ? comment ont-elles négocié avec les contraintes de genre pour publier ? Comment les lire sans reconduire des catégories piégées ?

Huguette Krief, « Émilie du Châtelet et le problème du mal dans les Examens de la Bible. 1742 »

Dans ses Examens de la Bible, Émilie du Châtelet dénonce les contradictions des Écritures. Faisant le procès de Dieu, parce quil a autorisé le mal sur terre, elle attaque linterprétation chrétienne selon laquelle le scandale du mal est vaincu par la passion du Christ. Femme des Lumières, Émilie a la certitude que tout doit être discuté, de la physique à la morale, de la métaphysique à la théologie. Commentant la Bible avec cet esprit hétérodoxe, elle désacralise le Dieu vivant des Chrétiens.

Marc André Bernier, « Mme dArconville et la question des limites de lesprit humain »

La philosophie criticiste des Lumières a voulu déterminer un usage légitime de la raison pour écarter les spéculations métaphysiques du champ du savoir. Chimiste, G. dArconville sen inspire afin de distinguer sa pratique de lalchimie. Toutefois, penser la pensée du sujet connaissant, ses limites comme ses promesses, amène aussi le criticisme à sinterroger sur les réalités morales et leur représentation : la femme de lettres est donc bien placée pour réfléchir sur les limites de lesprit humain.

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Julie Candler Hayes, « Les Réflexions hazardées dune femme ignorante de Marie de Verzure. Épistémologie de la morale »

Les Réflexions hazardées dune femme ignorante (1766), parues anonymement, allient grands sujets moralistes et examens des mœurs contemporaines, souvent selon une optique physiocratique. Ni obscure ni ignorante, leur auteure, Marie Pannier dOrgeville (1712-1770), épouse dun financier, conseiller du roi, place notamment au centre de son livre des questions épistémologiques : le rapport entre introspection et observation dautrui, et la nature de lentendement humain, dans deux essais dinspiration sensualiste.

Rotraud von Kulessa, « La philosophie du bonheur au féminin. La philosophie morale entre stoïcisme et épicurisme »

Larticle livre une réflexion sur le sujet de la philosophie du bonheur au féminin telle quelle apparaît dans trois œuvres dauteures du xviiie siècle : les Lettres dune Péruvienne de Françoise de Graffigny, le Discours sur le bonheur dÉmilie du Châtelet et Le Magasin des adolescentes de Marie Leprince de Beaumont. Outre la question du bonheur au féminin, les trois textes posent le problème de lexistence de la femme philosophe.

Lorenzo Rustighi, « émigrées ou colonisées ? Images de lautre dans lécriture féminine au xviiie siècle »

Cet article se propose de déterminer deux moments distincts dans lhistoire de lécriture féminine au xviiie siècle autour de deux figures du rapport à lautre : la colonisation et la migration. Des histoires de femmes colonisées, chez Octavie Belot, Anne-Marie Du Boccage et Françoise de Graffigny, inscrivent la réflexion sur leur propre marginalité dans le champ du savoir, avant que le tournant historique des rapports patriarcaux à la fin du siècle ne les délégitime radicalement.

Odile Richard-Pauchet, « Diderot et le langage des femmes. Un paradigme utopique »

La correspondance de Diderot et ses Entretiens avec Catherine II montrent la prédilection du philosophe pour la compagnie féminine : Mme dÉpinay, Mme Necker, la princesse Daschkoff, sa propre fille Angélique Diderot, ou 401Mme dAine, toutes parlent une langue quil perçoit comme proche du cœur et non dénaturée. Il théorise dailleurs dans Sur les femmes (1772) le bénéfice quil en retire, au risque de minorer pour elles la nécessité dune éducation solide, et dune vie sociale à légale des hommes.

Mélinda Caron, « Affinités créatives. Amitié, philosophie et écriture dans le cercle de Louise dÉpinay »

Dans le cercle de Louise dÉpinay, lamitié et la connivence semblent avoir joué un rôle déterminant dans la création, comme en témoignent sa correspondance avec labbé Galiani et les articles de la Correspondance littéraire de Grimm. Considérer ce groupe, dans ses échanges et ses dynamiques, ses affects et ses pratiques permet donc de mieux comprendre la participation de Louise dÉpinay à la vie intellectuelle des Lumières, qui fut plus active et soutenue que les sources disponibles ne le montrent.

Frédéric Marty, « Louise Dupin, de la réfutation de lEsprit des lois à lOuvrage sur les femmes. Une pensée des Lumières »

Cet article sintéresse aux différents modes de participation à la vie des idées de Louise Dupin (1706-1799), qui tient selon Rousseau l« un des salons les plus brillants de Paris » vers 1740. Dans la réfutation de lEsprit des lois, entreprise avec son mari, elle se montre réformiste. Dans son œuvre personnelle, lOuvrage sur les femmes, restée à létat de manuscrits inédits, elle défend légalité des sexes ; son approche critique et encyclopédique la montre fidèle aux principes des Lumières.

Jeanne Chiron, « Émilie face à lÉmile. La philosophie éducative critique de Louise dÉpinay »

Cet article envisage Les Conversations dÉmilie comme une réponse à lÉmile (1762) de Rousseau sur léducation du premier âge de lenfance. Dans ce qui est à la fois un anti-Émile et un nouvel Émile, Épinay passe au crible de lexpérience les propositions éducatives trop spéculatives de son prédécesseur. Elle vise, selon ses mots, à « jeter les fondements permanents et solides pour une éducation générale et raisonnée ».

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Magali Fourgnaud, « Fanny de Beauharnais. La verve ironique dune mondaine philosophe »

Oubliée par lhistoire littéraire après le xixe siècle, Fanny de Beauharnais (1737-1813) participe par ses contes aux débats philosophiques de la fin du xviiie siècle. Amie dOlympe de Gouges, elle développe des réflexions autour de léducation, de la liberté des femmes et de légalité des sexes. Sa volonté démancipation sexprime par lironie, notamment dans Volsidor et Zulménie, conte pour rire, moral si lon veut, philosophique en cas de besoin (1776), et La Marmote philosophe (1810).

Isabelle Tremblay, « Dialoguer avec les philosophes en 1818. Le Dictionnaire critique et raisonné de Félicité de Genlis »

Grâce à son Dictionnaire critique et raisonné des étiquettes de la Cour et des usages du monde (1818), qui devait sintituler Dictionnaire anti-philosophiste, Félicité de Genlis poursuit le dialogue avec les philosophes sur des notions qui leur sont chères, dont le luxe. Toutefois, Genlis partage avec ceux quelle accuse dimmoralité le projet de transformer léducation, la volonté de défendre les bienfaits de la raison et lesprit critique vis-à-vis de lordre établi afin de proposer des réformes.

Valérie Cossy, « Une critique éclairée des livres selon Isabelle de Charrière, Jane Austen et Mary Shelley »

La critique de la culture écrite a joué un rôle fondateur dans la pensée féministe du xxe siècle de Virginia Woolf, Hélène Cixous à Judith Butler. Mais les romans dIsabelle de Charrière, Jane Austen et Mary Shelley, Sainte Anne, Persuasion et Frankenstein, commentent déjà le poids des représentations romanesques existantes, qui maintiennent linégalité des deux sexes. Lectrices de romans, ces héritières des Lumières critiquent ainsi paradoxalement la culture dont elles se sont nourries.

Ramona Herz-Gazeau, « Réseau clandestin, lectures et échanges philosophiques de Marie Leprince de Beaumont »

Les écrits apologétiques et éducatifs de Marie Leprince de Beaumont sont fondés sur des échanges et un réseau philosophiques étendus comme le 403montrent trois sources dinspiration évoquées dans Les Américaines : la tradition clandestine, autour du Traité des trois imposteurs, le best-seller philosophique De lesprit, et une affaire religieuse locale. On voit ainsi comment lécrivaine participe et fait participer ses lecteurs et lectrices aux débats philosophiques de son siècle.

Kim Gladu, « Les voies détournées de la pensée philosophique féminine. Lexemple de Mme Belot »

Occupation littéraire jugée accessible et moyen de subsistance, la traduction fait partie des genres pratiqués par les femmes au xviiie siècle. Octavie Belot (1719-1804) offre un exemple éloquent de la manière dont elles purent ainsi jouer un rôle de médiatrices dans la diffusion didées philosophiques, et intervenir dans les débats contemporains par le biais des préfaces, dans les Mélanges de littérature angloise (1759) et lHistoire de Rasselas, prince dAbyssinie, de Samuel Johnson (1760).

Françoise Gevrey, « La baronne de Vasse, une femme des Lumières au carrefour des genres et des cultures »

Cornélie Wouters, baronne de Vasse, tint un salon à Paris dans les années qui précèdent la Révolution. Connue pour des traductions de langlais, mais aussi pour des romans, des contes, et des ouvrages de morale dans un style plaisant, elle revendique une forme de liberté et dautorité pour les femmes. Elle expose aussi des idées favorables à plus de justice sociale, sengageant en faveur des Juifs devant lAssemblée constituante et défend un cosmopolitisme aux visées pacifistes.

Cristina Trinchero, « Une princesse inédite à lâge des Lumières. Joséphine de Lorraine Armagnac (1753-1797) »

Trait dunion entre France et Italie, Joséphine de Lorraine Armagnac (1753-1797), épousa Victor Amédée, cousin du roi de Sardaigne et prince de Carignan. Passionnée de littérature, dhistoire et de pensée antique et moderne, en relation avec les élites intellectuelles de Turin, de Parme et de Milan, elle confie ses réflexions à des cahiers à circulation restreinte mais conservés. Elle illustre la condition des femmes des lettres « impubliables » et silencieuses, en raison de leur rôle officiel.

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Mariana Teixeira Marques-Pujol, « Voyage et conscience de soi. être femme de lettres en Angleterre au xviiie siècle »

De part et dautre du xviiie siècle, Lady Mary Wortley Montagu et Mary Wollstonecraft ont écrit deux récits de voyage en forme de lettres : les Turkish Embassy Letters et les Letters Written During a Short Residence in Sweden, Denmark, and Norway (1796). Outre lintérêt porté aux mœurs et à laltérité par ces deux femmes si différentes, ces deux textes témoignent, par leur histoire éditoriale, de lémergence de la femme de lettres en Angleterre au xviiie siècle.

Marianne Charrier-Vozel, « Mme Riccoboni, philosophe malgré elle ? »

Auteure de romans sentimentaux à succès, Mme Riccoboni croit en la vertu de lidentification des lecteurs à une héroïne édifiante pour lutter contre les préjugés et les privilèges attachés à une classe sociale. Se méfiant dune parole qui exalte lesprit de parti, elle na pas écrit de traité philosophique, mais sa correspondance avec Robert Liston montre la richesse et les nuances de sa pensée et dont les valeurs sont lamitié et le bonheur.

Pierre Blanchard, « De la querelle des femmes à la guerre des satires. Les combats de Constance de Théis »

Dans le contexte de la querelle des femmes auteurs, suscitée par le poème de Lebrun en 1797 qui permet à la parole misogyne de sexprimer librement, Constance Pipelet compose lÉpître aux femmes. Ce poème à succès fait dériver la querelle du cadre littéraire vers une défense générale des femmes. Mais son audace réside aussi dans le recours à une forme littéraire exclusivement masculine, la satire.

Caroline Jacot-Grapa, « Jodin et les grands hommes. De Diderot à David »

Lactrice Marie-Madeleine Jodin adresse ses Vues législatives pour les femmes, publiées en 1790, à lAssemblée nationale. Ce plaidoyer pour les droits civiques des femmes met en relation des points névralgiques des mœurs et du droit, prostitution et divorce, contestant la culture virile de son temps et « lesprit de domination » que les hommes de lAssemblée sont invités à résilier. Elle sy attaque aux figures de lhéroïsme républicain immortalisées par David et exposées aux « salons dart ».

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Véronique Le Ru, « Olympe de Gouges. Une femme “publique” ? »

Souvent vue comme un simple pastiche de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791) dOlympe de Gouges, mérite une lecture philosophique. Contestant lasymétrie entre les expressions « homme public » et « femme publique », ou dévoyée, Olympe de Gouges y invente en effet un nouveau sens de luniversel, plus réservé à la seule moitié du genre humain qui, dans la langue française, bénéficie du double sens du terme homme.

Alessandra Doria, « Nous. Lénonciation politique de soi des femmes en Révolution »

Dans les écrits féminins de 1789 le pronom « nous » est employé pour désigner la totalité des femmes comme source du message. Avec cette modalité énonciative, les femmes éclairées expérimentent des identités collectives politiques dont les figurations se modifient au fil du processus révolutionnaire. Ces représentations de soi sont liées à lévolution du concept de « souveraineté nationale », qui désigne, successivement, le monarque, les représentants puis le peuple en armes.