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Classiques Garnier

[Introduction à la deuxième partie]

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Lanalyse de la figure dans chaque roman suppose de prendre en compte lensemble des traits qui composent cet « être de papier » aux allures de personne. Il ne sagit pas ici de se laisser leurrer par lillusion référentielle et de confondre la personne et cette combinaison de mots quest l« effet personnage », pour reprendre lexpression de Vincent Jouve1. Cependant il y a bien une mimesis à lœuvre dans ces romans de lactrice, qui sinspirent dune figure sociale et tiennent ainsi un discours sur le monde.

Cette mimesis est en outre problématisée et mise en scène par le sujet de représentation choisi : lactrice est un individu qui en joue un autre, questionnant demblée les limites de son « moi » par cette mise en abyme. Son métier na en outre rien dévident : cette profession artistique est bien souvent rabattue au rang de don naturel, et lon ne sait parfois plus dire si lactrice joue ou non. De façon plus complexe encore, il arrive quelle joue son propre rôle, ce masque forgé dun mélange de ses rôles et de son moi que nous appellerons persona.

Par ailleurs, lactrice est une femme : sous lapparence dune tautologie, cest là un aspect essentiel de cette figure. En effet, en choisissant lactrice, les romanciers représentent un personnage qui incarne souvent une féminité si hyperbolique quelle semble elle-même un rôle, en écho aux théories qui font du genre une construction. Cest la performance répétée des signes du genre qui font lidentité de genre. On retrouve cette notion de répétition dans ce quécrit Philippe Hamon : « le signifié du personnage se constitue par répétition [], accumulation, transformation [] mais aussi par opposition, par relation vis-à-vis des autres personnages2 ». Si lon a vu cette opposition aux autres dans les sché184mas actantiels, il manque encore à lanalyse de la figure romanesque ces traits et ces motifs qui en font le portrait. Ce sont ces éléments quils convient dinterroger plus précisément.

Le métier apparaît tout dabord au cœur de la définition de lactrice romanesque : cette profession qui lui fait construire un personnage devant une caméra ou sur scène. Les romans sinterrogent alors sur la nature du jeu et sur ses limites : en dehors de la scène, lactrice semble prisonnière de sa persona, jusquà en devenir folle. La construction du personnage suppose également de mettre en évidence la place du corps, outil de travail de lactrice et enjeu de beauté que les romans de lactrice se plaisent à magnifier et détruire, mais aussi et surtout lenjeu essentiel de la domination masculine : avec lactrice, les romanciers mettent en scène une féminité hyperbolique, prisonnière des normes de genre, victime du désir et du pouvoir masculin, qui tente parfois dacquérir une capacité dagir. Enfin, lactrice est également une figure qui accède par son succès à un statut extraordinaire, devenant objet de culte. Les romans se plaisent ainsi à opposer à cette divinisation les étapes dune destruction, et la mortalité du personnage.

1 Nous empruntons lexpression à Vincent Jouve, bien quil ne sagisse pas ici de considérer cet « effet » pour le lecteur. Vincent Jouve, LEffet personnage dans le roman, Paris, Presses Universitaires de France, 1998 ; sur la distinction entre personne et personnage, voir lexplication de Jean-Louis Schaeffer : « Alors quune personne réelle est toujours ontologiquement irréductible aux récits (factuels) quon peut raconter à son sujet, un personnage fictif se réduit à ce que lauteur en dit (ou à ce que lauteur en présente) » Jean-Marie Schaeffer, « Personnage », in Oswald Ducrot, Jean-Marie Schaeffer (dir.), Nouveau Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil, 1995, p. 622-630, p. 623.

2 Philippe Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », op. cit., p. 128.