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Classiques Garnier

Annexe I La langue de la pièce anglaise

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Everyman / Tout-Homme
  • Pages : 141 à 142
  • Collection : Littératures du monde, n° 49
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406138303
  • ISBN : 978-2-406-13830-3
  • ISSN : 2261-5911
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13830-3.p.0141
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 19/04/2023
  • Langue : Français
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Annexe I

La langue de la pièce anglaise

Comme nous lavons vu, la mentalité quexprime cette moralité correspond au catholicisme ordinaire du Moyen Âge tardif, ce qui est normal pour une œuvre dorigine monastique comme Elckerlijc, composée avant 1485. Mais il ne faut pas confondre mentalité et langue. Bien que la traduction anglaise, réalisée sans doute vers 1510, ait vu le jour seulement une génération après loriginal flamand, la langue dEveryman est celle de la Renaissance, quon appelle aussi la première modernité.

Les philologues divisent lhistoire de la langue anglaise en plusieurs périodes : 700-1100 pour le vieil anglais (encore proche de ses racines germaniques), 1100-1500 pour le moyen anglais (caractérisé par linfluence du français), 1500-1650 pour langlais de la Renaissance (Shakespeare étant son plus haut représentant), 1650-1900 pour langlais moderne, enfin de 1900 à nos jours pour langlais contemporain. Conventionnelle, pratique, cette répartition historique en chiffres ronds reste néanmoins discutable ; en effet, la transition dune phase linguistique à une autre est une affaire subtile, complexe, le fruit de multiples changements qui ne peuvent se limiter dans leur ensemble à une seule année. Il est néanmoins vrai que langlais du début du xvie siècle se démarque du moyen anglais. Sans doute larrivée de limprimerie y est pour beaucoup. Rappelons que cest en 1476 que le premier imprimeur anglais, William Caxton, ouvre sa presse à Westminster, ce qui accéléra lévolution de la langue1.

Formes pronominales et verbales désuètes dans Everyman

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Dans un premier temps, le texte du xvie siècle peut paraître étrange à celui qui ne connaît que langlais de nos jours, non seulement à cause des différences dorthographe mais aussi et surtout à cause des désinences grammaticales qui étaient encore en place. Les personnes ayant lu Shakespeare en version originale retrouveront dans Everyman quelques traits communs avec la langue du grand dramaturge, traits auxquels on shabitue en peu de temps sans trop de difficulté. En premier lieu, certaines désinences pronominales et verbales attirent lœil contemporain, notamment celles de la seconde personne du singulier, car langlais moderne, à défaut de les avoir entièrement éliminées, a simplifié le système.

Dans langlais dEveryman, le second pronom personnel du singulier, cas direct et indirect, se disent thou et thee (« tu, toi ») ; ladjectif possessif singulier est thy (« ton, ta, tes »), et le pronom possessif thine (« tien, tienne »). En revanche, le nominatif pluriel du pronom est ye (« vous »), son cas indirect you (« à vous »). Ce dernier you finira par évincer, en anglais standard, non seulement le nominatif pluriel ye, mais aussi les deux cas du singulier, thou et thee. De même, ladjectif possessif moderne est your, le pronom possessif yours. On peut donc affirmer quen anglais de nos jours, dun point de vue grammatical, cette prédominance du pluriel signifie quon vouvoie tout le monde – mais sans volonté particulière de la part des locuteurs, car plus personne ny pense. Ce nétait pas le cas au xvie siècle quand le singulier était encore bien implanté dans les esprits. Si la langue orale bannit aujourdhui les formes anciennes du singulier (il serait impossible, en effet, demployer thou, thee, thy, thine, dans une conversation courante), ces mots nont pas encore été oubliés ; en effet, ils peuvent figurer de temps à autre dans la littérature, particulièrement en langage poétique ou dans les hymnes traditionnels, où leffet produit est à la fois intimiste et archaïque.

Correspondant au pronom thou, le verbe possède une désinence, -(e)st, au présent comme au passé, marquant la seconde personne du singulier. Cela donne des tournures comme thou hast « tu as » (v. 109), thou comest « tu arrives » (v. 119), et thou mayst « tu pourras » (v. 151), etc.

Quant à la troisième personne du singulier au présent de lindicatif, le verbe prend la désinence -eth (ancêtre du -s actuel), par exemple he thynketh « il pense » (v. 95). La même désinence, aujourdhui disparue, se trouve au pluriel : children sytteth « les enfants vivent » (v. 760), etc.

1 Louvrage de référence le plus important en la matière, le Middle English Dictionary (24 volumes, 1954-2001), sarrête en 1475, lannée avant la création de la presse de Caxton. Le dictionnaire du moyen anglais ne prend plus en compte les sources écrites ou imprimées après cette date.