Services collaboratifs : qu’est-ce qui les rend attractifs pour les consommateurs ? Une première analyse des services d’hospitalité en France
- Type de publication : Article de revue
- Revue : European Review of Service Economics and Management Revue européenne d’économie et management des services
2016 – 2, n° 2. varia - Auteurs : Bertrand (Daisy), Chameroy (Fabienne), Léo (Pierre-Yves), Philippe (Jean)
- Résumé : Cet article est consacré à la consommation collaborative. Il est axé sur le comportement des consommateurs dans les services d’hospitalité en France. Après une cartographie des principales plateformes collaboratives, dans ce domaine, nous avons sélectionné quelques prestataires significatifs et avons mis en œuvre une approche « netnographique » en comparant les sites Web des fournisseurs et en analysant les contenus des blogs et forums où les consommateurs partagent leurs expériences.
- Pages : 149 à 190
- Revue : Revue Européenne d’Économie et Management des Services
- Thème CLIL : 3306 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie de la mondialisation et du développement
- EAN : 9782406069300
- ISBN : 978-2-406-06930-0
- ISSN : 2555-0284
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06930-0.p.0149
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 27/05/2017
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Services collaboratifs, comportement du consommateur, hôtellerie, netnographie, France
Services collaboratifs :
qu’est-ce qui les rend attractifs
pour les consommateurs ?
Une première analyse des services
d’hospitalité en France
Daisy Bertrand,
Fabienne Chameroy,
Pierre-Yves Léo, Jean Philippe1
CERGAM, Aix-Marseille Université
Introduction
Partout dans le monde, une vague de nouvelles entreprises vient secouer et remettre en question les formes établies de commerces et de services. Ni services aux consommateurs, ni services aux entreprises, ce sont des services offerts par des particuliers à d’autres particuliers grâce à des plateformes électroniques d’échange. Que ce soit pour emprunter des biens ou des équipements, louer des appartements ou des maisons ou bien offrir des compétences en échange de contreparties équivalentes ou d’argent, les consommateurs montrent un engouement certain pour cette nouvelle forme de consommation qualifiée de collaborative. Les entreprises qui gèrent ces plateformes bénéficient d’un bouche à oreille gratuit, connaissent une croissance forte de leur 150chiffre d’affaires ainsi que de leur valorisation capitalistique. Elles se développent très rapidement à l’international alors que de tels résultats ne sont atteints qu’au terme de décennies d’efforts par des entreprises traditionnelles. La question se pose d’évaluer comment cette nouvelle forme de consommation affecte les entreprises de services qui assurent des prestations équivalentes.
Cet article a pour objectif de mieux comprendre cette nouvelle forme de consommation, de manière à évaluer les politiques que les entreprises de services traditionnelles peuvent mettre en place pour se positionner dans ce nouveau contexte. La consommation collaborative soulève plusieurs questions dans de nombreux domaines : juridique, fiscal, sociétal, ressources humaines, concurrence. Sans ignorer ces questions, notre approche est avant tout managériale et centrée sur le moteur du phénomène : le consommateur, son comportement et ses réactions face à la consommation collaborative. Certains travaux (PricewaterhouseCoopers, 2015) considèrent déjà que deux groupes archétypaux de consommateurs peuvent être identifiés : le premier rassemble les adeptes des services collaboratifs, le second les utilisateurs des formes traditionnelles de commerce ou de service. Notre objectif est de déterminer les atouts et les faiblesses du modèle collaboratif en regard du modèle classique de gestion des services, à partir du point de vue des consommateurs.
Pour cela nous avons conduit une étude qualitative sur le secteur de l’hospitalité en France. Nous avons choisi ce secteur car il est emblématique des services collaboratifs et aussi parce qu’il a fait l’objet de nombreuses études empiriques à l’origine de variables clés pour la gestion des services comme la satisfaction, la qualité et la gestion des réseaux d’établissements.
Cet article se compose de quatre parties. La première partie rappelle les points d’ancrage théorique sur lesquels nous nous sommes appuyés pour engager cette réflexion sur l’évolution en cours de la société de service. La seconde partie présente les questions et nos propositions de recherche : en quoi les deux types d’offre se différencient-elles ? Quelles forces et quelles faiblesses présentent ces deux modes de prestation selon les discours des consommateurs ? La troisième partie est consacrée à la méthodologie de cette recherche. La dernière partie présente les résultats les plus significatifs que nous avons obtenus.
151I. Fondements théoriques
On peut interpréter l’économie collaborative comme le dernier développement de l’économie des services, rendu possible par les technologies de l’information et de la communication. Les services s’appuient, en effet, sur leur valeur d’usage plutôt que sur la valeur d’échange des biens et cette préférence pour l’usage plutôt que pour la propriété caractérise la plupart des échanges entre pairs. Les consommateurs des services collaboratifs mettent aussi souvent en avant la qualité des échanges, la convivialité des prestations, dimensions qu’auraient perdues, selon eux, les services marchands en dépit de la généralisation des programmes de qualité. L’économie collaborative remet ainsi sur la table les questionnements anciens sur l’interaction et l’échange entre consommateurs et prestataires, mais il s’agit d’abord de préciser ce que l’on entend par économie collaborative, délimitant ainsi le champ à investiguer.
Le collaboratif : précisions sur un concept flou
Le terme de consommation collaborative est déjà ancien puisqu’il apparaît aux États-Unis avec Felson et Spaeth (1978) qui la définissent comme « des événements pendant lesquels une ou plusieurs personnes consomment des biens ou services dans le but de partager une activité avec d’autres ». Par rapport au problème qui nous occupe, cette acception première paraît à la fois trop large (elle peut inclure la simple prise de consommation dans un café) et trop restreinte car elle exclut les consommations dont le but principal est la simple satisfaction d’un besoin sans objectif particulier de partage.
Le développement sans précédent d’Internet et l’apparition du Web 2.0 ont considérablement facilité les contacts et les échanges directs entre particuliers (de pair à pair) et ont remis cette terminologie à l’honneur, mais dans un tout autre contexte. Ces nouveaux échanges « entre égaux » prennent dans certains domaines une ampleur sans précédent, pouvant être perçue comme une menace par les professionnels concernés. Cependant, le concept d’économie collaborative recouvre aujourd’hui des réalités très diverses puisque l’on peut y rattacher le secteur associatif, réputé sans 152but lucratif, et l’ensemble de l’économie dite « sociale et solidaire ». Il nous paraît essentiel de distinguer d’emblée les activités collaboratives qui sont pertinentes pour notre questionnement.
En 2010, Botsman et Rogers définissent l’économie collaborative comme « des réseaux d’individus et de communautés connectées, par opposition à des institutions centralisées, et qui transforment la manière dont nous produisons, consommons, finançons et apprenons » constituant ainsi un « modèle économique basé sur l’échange, le partage, la location de biens et services, privilégiant l’usage sur la propriété ». Trois domaines d’activité seraient directement affectés :
–Les styles de vie (comme avec le coworking, CouchSurfing ou Pretersonjardin) susceptibles de modifier les tendances de consommation des ménages,
–Les marchés de l’occasion (comme avec Leboncoin, Ebay ou Etsy) où l’offre des professionnels de la revente est directement impactée,
–Les systèmes produit-service offrant des services ou l’usage partagé d’un bien sans transfert de propriété : il s’agit principalement de location, mais cette catégorie de consommation collaborative touche de nombreux produits très variés, allant de la voiture au logement, en passant par l’outillage, les vêtements, les accessoires de mode ou de luxe. Seraient par exemple classés dans cette catégorie les plateformes telles que, Airbnb ou SacsDeLuxe, par exemple.
En 2012, Bardhi et Eckardt concentrent leur attention sur un aspect particulier en relevant : « au lieu d’acheter et de posséder des biens, les consommateurs préfèrent payer pour accéder temporairement à ces biens et services et profiter de l’expérience qu’ils procurent ». L’usage aurait ainsi tendance à se substituer à la propriété, tout en donnant lieu à des échanges marchands. Cette définition demeure insatisfaisante pour caractériser le phénomène nouveau qui émerge car elle s’applique tout aussi bien à l’ensemble du marché traditionnel de la location et même aux services en général. Enfin, pour Belk (2014), la consommation collaborative résulte d’une « coordination entre individus pour l’acquisition et la distribution d’une ressource, en échange d’un paiement ou d’une 153autre compensation ». Ce point de vue souligne l’existence d’une relation entre pairs, tout en mettant l’accent sur la contrepartie qui est alors mise en œuvre. Les échanges gratuits, le bénévolat et le don seraient ainsi placés en dehors du champ de la consommation collaborative. Ils forment pourtant le cœur de ce que certains baptisent le « pair à pair collaboratif » en opposition au « pair à pair marchand » qui supposerait une contrepartie qui n’est pas forcément financière.
Tous les auteurs ne s’entendent donc pas sur les frontières de ce que l’on doit appeler consommation collaborative et, bien naturellement, le choix d’un périmètre dépend de la question traitée. Dans la perspective qui est la nôtre, trois critères nous paraissent essentiels :
–L’existence d’une relation directe, de pair à pair, entre un producteur ou un prestataire non professionnel et un consommateur.
–Une mise en relation rendue possible par les outils d’Internet et du Web, notamment par le jeu d’une plateforme dont les services peuvent être, ou pas, rémunérés.
–L’existence d’un système assurant une contrepartie, soit financière, soit en nature ou en réciprocité, car sans contrepartie, le concept de choix du consommateur se dilue considérablement.
Tertiarisation de l’économie
et comportement du consommateur
Quelques idées fondamentales ont marqué les analyses du développement post-industriel des économies occidentales. Elles nous paraissent très utiles pour comprendre les développements contemporains de l’économie collaborative. Deux courants de recherches fondateurs de l’économie des services apportent, en effet, un éclairage intéressant sur la question : d’une part, les analyses de la tertiarisation de l’économie et du comportement du consommateur, ainsi que, d’autre part, celles portant sur l’innovation dans les services.
Le développement des services dans les années 1970 a donné lieu à plusieurs débats et il nous semble judicieux en premier lieu de rappeler les idées de Gershuny (1978) sur deux points : l’analyse de la consommation et le comportement du consommateur.
Gershuny a développé l’approche de Lancaster (1971) selon laquelle les choix du consommateur ne portent pas tant sur les produits en tant 154que tels, que sur leurs qualités ou leurs caractéristiques. Pour analyser la structure de la consommation finale, Gershuny part des grandes catégories traditionnelles de besoins des ménages car différentes modalités techniques permettent de les satisfaire : un même besoin, (comme le lavage de linge par exemple) peut être satisfait par l’achat d’un bien d’équipement (machine à laver) ou par le recours à un service (blanchisserie). Le second apport de Gershuny qu’il nous paraît pertinent de rappeler concerne le comportement des consommateurs. Il s’inspire là de l’analyse microéconomique des comportements humains de Gary Becker dans laquelle il introduit le travail domestique. Cette variable (la contrainte domestique) interviendrait de façon déterminante dans les choix de consommation : certes, la nature et le prix des biens offerts sur le marché jouent, mais aussi le temps de travail domestique nécessaire à l’usage des biens achetés. Des services domestiques sont ainsi autoproduits en associant des biens acquis et du travail domestique. Or, à la différence du temps du personnel d’une entreprise de services, ce temps de travail domestique n’est pas monétisé et les services autoproduits seraient perçus comme beaucoup moins coûteux que le recours aux services marchands.
L’approche de la consommation par fonction de Gershuny est cependant clairement néo-industrialiste dans la mesure où ses travaux sont une tentative de réhabilitation de l’économie industrielle : les fonctions s’établissent à partir des biens industriels. Giarini et Roulet (1988) proposent une vision plus large sur la société de service en montrant comment les fonctions de services structurent l’offre : les services sont devenus des inputs de production et ils mobilisent la plus grande partie des ressources, alors que la production des biens est affectée par la baisse relative des coûts de production. Les services sont à l’origine de la création de valeur car ils permettent l’usage des biens.
Il n’est pas sans intérêt d’observer que cette structuration de la consommation en termes de fonctions de consommation est reprise par la plupart des études sur l’économie collaborative. Ainsi, l’étude réalisée par Nomadeis et TNS-Sofres (2015) propose de subdiviser l’économie collaborative en fonction des besoins de consommation satisfaits : se déplacer ; transporter ou stocker des objets ; se loger ou se divertir ; se nourrir ; s’équiper ; s’habiller ; se faire aider ; se financer. PricewaterhouseCoopers (2015) utilise une nomenclature plus ramassée mais qui suit la même logique : hospitalité et restauration ; mobilité et transport ; commerce 155et biens des consommateurs ; média et divertissement. D’autres études reprennent des nomenclatures très proches qui, toutes, mettent en avant les besoins des consommateurs. Pour les entreprises, il ne s’agit plus d’offrir des biens ou des services pour satisfaire ces besoins, mais plutôt de proposer une solution globale et efficace au moindre coût. Les grandes entreprises industrielles, notamment les constructeurs automobiles, suivent ce mouvement en créant leurs propres plateformes collaboratives ou en prenant le contrôle de plateformes existantes.
Toutes les études empiriques réalisées sur la consommation collaborative montrent l’ambiguïté des motivations des consommateurs vis-à-vis de ces nouveaux services : la recherche d’expériences nouvelles de consommation coexiste avec la recherche de prix bas.
Le marketing expérientiel (Carù et Cova, 2006) a analysé le besoin de gratification hédoniste, de sensations et d’émotions que recherchent les consommateurs dans les sociétés occidentales actuelles. Plus que les produits eux-mêmes, ils valorisent l’expérience qu’ils procurent et leur signification. Cette quête ne répond pas seulement à des besoins, mais contribue à forger l’identité du consommateur (Cova et Cova, 2001). Les services collaboratifs offrent ce type de contextes de consommation nouveaux, créent des expériences qui peuvent être surprenantes et qui se déploient selon les quatre phases du marketing expérientiel : l’anticipation par les applications, l’achat, l’expérience proprement dite et l’expérience du souvenir, lors de l’évaluation qui la suit.
Ce besoin d’expérience accompagne la recherche d’un bas prix ou plutôt d’une économie réalisée par rapport au même service offert par une entreprise traditionnelle. Ces prix bas sont obtenus en partie par la sous-estimation du coût du travail du prestataire, mais aussi du fait de la sous-estimation du coût capitalistique des biens (automobiles, biens ménagers, outils) mis à la disposition d’un particulier par ses pairs. En effet, les modes de vie actuels conduisent souvent à posséder plusieurs automobiles, des équipements et des résidences multiples. Ces équipements sont sous-utilisés de manière chronique, un phénomène accentué par la baisse tendancielle de la taille des ménages. Le suréquipement conduit aussi les ménages à sous-évaluer systématiquement le coût d’usage et d’amortissement de leurs équipements. Les plateformes d’échange permettent une valorisation ponctuelle et facile de ces capacités inutilisées car elles mettent en relation les offreurs avec des consommateurs qui 156en ont le besoin, souvent momentané. L’économie collaborative abaisse considérablement le coût d’accès à la consommation et une nouvelle classe de consommateurs serait ainsi en train d’émerger, selon Rifkin (2014) : ces « prossomateurs » s’organisent pour financer, au moins en partie, leurs achats par l’exploitation productive de leurs biens.
L’économie collaborative apporte un éclairage nouveau à des questions qui sont au cœur de l’analyse économique depuis Adam Smith. La tertiarisation de l’économie a eu pour conséquence de développer la valeur d’usage, qui fut délaissée pendant la période de croissance des Trente Glorieuses, marquées par la croissance extensive de la consommation des biens industriels. Par nature, les services produisent de la valeur d’usage et apportent un complément à la valeur d’échange des biens. Les analyses d’Orio Giarini (1987) ont mis en évidence que le coût total de la consommation des biens excédait largement leur seule valeur d’échange : formation, maintenance, destruction et récupération sont tout autant nécessaires et constituent autant de coûts cachés, mal perçus par les consommateurs. Les études sur le développement de la consommation collaborative révèlent le souci de durabilité qui anime certains consommateurs, mais aussi la généralisation de nouveaux comportements. L’enquête de l’Observatoire Société et Consommation (Obsoco, 2012) montrait déjà que, pour 83 % des français, il était plus important de pouvoir utiliser un bien que de le posséder. D’autres enquêtes d’opinion, comme celle réalisée par PricewaterhouseCoopers (2015) révèlent aussi que les consommateurs de l’économie collaborative ne seraient pas hostiles à devenir plus tard eux-mêmes fournisseurs de services, en mettant à disposition d’autres personnes des biens qu’ils auraient acquis. Symétriquement, le désir de posséder un équipement s’accroît lorsqu’on envisage de le partager ou de le louer à d’autres ; cela pousse même à acheter plus, plus grand ou de meilleure qualité (Robert et al., 2014), dans la perspective de récupérer tout ou partie (voire plus) de son coût d’achat en le fournissant temporairement à d’autres.
L’économie collaborative apparaît ainsi comme le dernier développement de la tertiarisation de l’économie, gommant en grande partie les différences entre biens et services, entre valeur d’échange et valeur d’usage, pour incarner dans la valeur pour le consommateur ce que Vargo et Lusch (2004) présentent comme la logique dominante de service « SDL » (Service Dominant Logic). D’un point de vue plus sociétal, 157l’économie collaborative peut également être interprétée comme une extension du repli du modèle salarial et hiérarchique, déjà perceptible dans le développement des services marchands aux entreprises et qui concernerait désormais l’ensemble de la sphère de la consommation.
Nature des services, innovation
et relation marketing
Dès leurs débuts, les recherches sur les services ont été marquées par les questionnements sur la nature des services et sur la meilleure façon de les définir. Certaines approches ont mis l’accent sur l’activité de prestation (Rathmell, 1966), ses différentes acceptions, ses conséquences pour le client (Hill, 1999 ; Gadrey, 2000). D’autres ont plutôt tenté de caractériser les organisations mises en place, en termes de servuction (Eiglier, 2004) ou de Service delivery system (Lovelock, 2000), distinguant bien ce que voit le client et ce qui relève de l’« arrière-boutique ». Grönroos (2008) intègre ses deux points de vue en insistant sur l’interaction entre le consommateur et le système mis en place par un fournisseur de services et conçu pour offrir des solutions à certains besoins des clients potentiels. Gallouj (2002) observe que l’innovation en matière de services peut ainsi concerner différents paramètres qui, en fin de compte, définissent chaque service : profil du client (marché visé, mais aussi ses compétences), profil de la firme prestataire (compétences mises en œuvre, mais aussi moyens matériels et immatériels mobilisés) et profil caractérisant la prestation proposée. Ces définitions synthétiques et générales permettent de bien identifier chaque service, mais elles restent focalisées sur un seul service et un seul prestataire alors même que les formes complexes associant plusieurs prestataires se multiplient. Baranger et al. (2016) développent l’idée selon laquelle l’irruption des pratiques collaboratives et plus globalement la numérisation des activités de services, amène à une hybridation des modèles d’entreprises de services selon une double logique : minimale par l’automatisation des tâches simples et apprenante par l’enrichissement des relations de services par le conseil et l’expertise.
La cheville ouvrière du succès rapide de l’économie collaborative réside dans le recours aux plateformes Internet. Les plateformes sont définies par Rochet et Tirole (2003) comme des produits, services, entreprises ou institutions qui assurent un rôle d’intermédiaire entre deux ou plusieurs groupes d’agents. L’émergence des plateformes est un phénomène 158qui impacte aujourd’hui la plupart des activités, qu’il s’agisse de biens matériels ou de services. Sur Internet, le rôle d’une plateforme consiste à mettre en relation des particuliers ou des institutions en fonction des demandes et des offres qu’ils expriment. Annabelle Gawer (2009) les décrit comme un bloc fondateur à partir duquel une multitude de firmes peuvent développer des produits complémentaires, des technologies et des services. Ces entreprises dans la périphérie du centre fondateur constituent l’écosystème de la plateforme.
L’architecture des plateformes et ses conséquences modifient notre vision de l’innovation dans le commerce et les services. Le modèle de référence de Faïz Gallouj (2002) pose que l’innovation dans les services concerne un des vecteurs caractérisant les compétences du prestataire, des clients ou le service lui-même. Ce modèle général n’est pas vraiment remis en cause, mais son contexte change. Dans les plateformes, l’innovation se déroule au centre, mais surtout dans les entreprises complémentaires de la périphérie qui répondent directement aux besoins des consommateurs. Plus il y a d’innovations dans la périphérie, plus la plateforme et ses utilisateurs bénéficieront d’un effet de réseau, créateur de valeur (Gawer, 2009). La notion de plateforme collaborative peut être introduite dans le sens où ce sont des particuliers qui créent de la valeur en échangeant entre eux. La proposition de biens ou de services est faite par un utilisateur, la transaction est finalisée et évaluée entre les utilisateurs. La plateforme n’offre que des services supports (affichage des offres, des tarifs et des demandes, service de communication par messagerie, sécurisation des paiements) qui, s’ils sont plus élaborés, peuvent faire l’objet d’une tarification supplémentaire : assurance, options de mises en visibilité (Terrasse, 2016).
C’est à ce stade que le management de l’écosystème par la plateforme prend toute son importance pour définir quelles activités peuvent être introduites dans l’écosystème : qu’est-ce qui relève de la propriété intellectuelle de chacun des membres, quelles fonctionnalités doivent être introduites dans la plateforme et, enfin, comment se réalise le partage des bénéfices. Les chercheurs ont porté une attention particulière au rôle des services adjoints aux plateformes d’activités, soit qu’ils accroissent la valeur de plateformes existantes, soit qu’ils interviennent comme facteurs d’attraction et de garantie pour les consommateurs de produits nouveaux, comme les smartphones, dont le marché est encore en cours de création.
159Le contexte des plateformes à réseau de marché dual a fait l’objet de développements spécifiques (Eisenmann et al., 2006) qui intéressent au plus haut point l’économie collaborative : chaque côté du réseau représente un type d’utilisateur différent comme les chauffeurs et les consommateurs dans les plateformes de transport, les logeurs et les résidents dans les plateformes d’hébergement, les vendeurs et enchérisseurs dans les plateformes d’échange. La plateforme supporte des coûts pour servir chacun des groupes d’utilisateurs, mais elle peut aussi potentiellement tirer un revenu des deux groupes. Eisenmann et al. ont bien analysé la nécessité, pour toutes les plateformes, de créer rapidement un effet de réseau : celles qui servent un marché dual peuvent être conduites à subventionner les utilisateurs au détriment des fournisseurs pour impulser une adoption rapide. Le choix inverse peut également être observé : l’inscription gratuite des offres permet d’étoffer rapidement l’éventail des propositions afin de susciter l’intérêt des consommateurs et d’amorcer un cercle vertueux de développement. Le positionnement sur un marché dual rapproche ces plateformes de la position des franchiseurs traditionnels, mais leur degré d’engagement et d’implication reste très en retrait.
La relation d’une plateforme avec les consommateurs peut se trouver perturbée par de nombreux éléments indépendants du prix de ses services. Même quand les aspects opérationnels sont gérés de façon satisfaisante, les promesses, les attentes et l’expérience de service vécue peuvent beaucoup varier d’un fournisseur à l’autre. Les services délivrés par l’intermédiaire des plateformes collaboratives ne sont pas formatés comme peuvent l’être ceux d’une firme intégrée ou ceux de franchisés appliquant une politique de réseau. Ces questions peuvent revêtir une importance cruciale car, pour les services comme pour l’échange de biens, l’évaluation après l’expérience vécue a été identifiée comme étant le principal déterminant des achats futurs. Baranger et al. (2016) estiment ainsi que la digitalisation des services, totale ou partielle, amplifie les échanges avec les consommateurs jusqu’à ce qu’ils nomment un marketing « hyper-relationnel » qui va au-delà du marketing expérientiel, en raison notamment de l’engagement du client, des contacts permanents avec la plateforme et de la co-construction de l’offre. La crédibilité des plateformes repose largement sur les évaluations spontanées ou sollicitées, qu’envoient les utilisateurs après une expérience. Cependant, la question se pose (et est souvent posée) de la véracité de ces témoignages et de l’identité de leurs auteurs.
160Comme l’a indiqué Gummesson (2002), les implications marketing de la relation client pour les réseaux de services de masse (comme le sont ceux fournis par les plateformes) restent peu étudiées, notamment en ce qui concerne les programmes de fidélité. Une plateforme est probablement considérée par les consommateurs comme le principal organisateur de la délivrance des services qu’il achète, mais celle-ci ne met en œuvre qu’une relation minimaliste avec ses usagers et dégage sa responsabilité de tout problème survenant entre offreur et acquéreur.
I. Questions et propositions
de recherche
Lorsque l’on confronte les fondements théoriques de l’économie collaborative avec l’observation du fonctionnement concret des services proposés sur le mode collaboratif, on en vient rapidement à se poser un certain nombre de questions autour desquelles notre recherche s’est organisée. Étant à ses tout débuts, cette recherche présente un caractère essentiellement exploratoire. Une première question préliminaire concerne l’étendue du phénomène : combien de plateformes collaboratives opèrent en France, dans un domaine particulier ? Sont-elles en concurrence frontale avec les prestataires traditionnels de ce marché ? Deux questions de recherche ont ensuite retenu notre attention : en quoi les services collaboratifs sont-ils différents des services traditionnels qu’ils concurrencent ? Quelles sont les forces et les faiblesses de ces deux modes de services, du point de vue du consommateur ?
Services collaboratifs – Services traditionnels :
quelles différenciations ?
Même lorsque la concurrence entre les deux modes de prestation est frontale, on est conduit à s’interroger sur ce qui différencie les deux types d’offre : sur quoi porte la concurrence et quelles compétences distinctives sont mises en avant par les organisations collaboratives, d’une part, et par les prestataires traditionnels, d’autre part.
161Les besoin auxquels répondent les services proposés de manière collaborative n’ont rien de nouveau : logement, transport, location, restauration, finance, etc. La nouveauté réside dans la mise en réseau des individus sur une grande échelle grâce aux plateformes virtuelles qui combinent données, moteurs de recherche et connectivité. Ainsi que le souligne Frédéric Mazella (2015), fondateur de la plateforme BlaBlaCar : « Les plateformes libèrent les échanges entre particuliers des obstacles transactionnels historiques (information imparfaite, coûts, distance géographique, etc.) ». Le modèle économique des plateformes est complètement différent du modèle de l’offre traditionnelle. Sur quels points particuliers y a-t-il affrontement direct, et quelles sont les stratégies d’évitement adoptées par les plateformes ? Comment justifient-elles leur différenciation pour satisfaire les besoins des consommateurs par rapport aux réponses classiques offertes par les professionnels ?
Une façon de comprendre l’innovation apportée par les plateformes de services est de les soumettre à la grille d’analyse des nouveaux services proposée par Eiglier et Goudarzi (2010) qui est structurée en trois niveaux :
–le concept du service : définition précise de la prestation proposée associée à un segment de client prioritaire,
–le système d’offre et de servuction : composition, nombre et nature des services offerts ainsi que la façon de délivrer les prestations,
–l’image claire du concept et la structure de coûts.
Pour les prestataires traditionnels, les éléments de concurrence portent sur certains aspects de ces trois niveaux, mais surtout sur le système d’offre et de servuction depuis l’apparition des services low cost : en dépouillant leur offre de la plupart des services périphériques, ils ont simplifié leurs relations avec les clients tout en allégeant leurs coûts. À l’opposé, d’autres firmes de services cherchent à se différencier et à fidéliser leurs clients en enrichissant leur offre jusqu’à proposer une véritable « fleur » de services (Lovelock, 2000). Une offre de services est, en effet, constituée d’un service central, appelé aussi service de base, qui constitue le cœur de la prestation et la motivation première du client lorsqu’il s’adresse à un prestataire. En offrant aussi d’autres services, en 162périphérie du service central, les prestataires cherchent à renforcer la valeur perçue de leur offre et à créer un avantage par rapport aux offres concurrentes (Lovelock, 1992 ; Storey et Easingwood, 1998 ; Bitner et al., 2000). Ces « pétales » de la « fleur » de service peuvent aller au-delà des huit services de soutien et des services facilitateurs recensés par Lovelock en 1992 (conseil, hospitalité, sécurité, exceptions, information, commande, facturation, paiement) car il peut aussi s’agir de véritables compléments apportés au service de base.
Un grand nombre de plateformes collaboratives opèrent sur des segments délaissés par les services marchands et n’entrent donc pas en concurrence frontale avec eux. Seuls ceux qui visent un marché déjà couvert par des offreurs professionnels nous intéressent ici. Ces plateformes n’ont pas défini un segment de clientèle, ni un concept de service qui les différencie des services traditionnels. Leur offre de services est très réduite, voire minimale, leur responsabilité se limitant à assurer la mise en relation des offreurs et des demandeurs qui font appel à elles. Pour autant, leur offre ne peut être qualifiée d’offre low cost, car les transactions qui s’y nouent présentent plus un avantage qualité/prix qu’un prix bas absolu. Ce qui les différencie le plus des services traditionnels réside sans doute dans leur structure de coûts et de prix : elles ne supportent pas le coût des infrastructures et des supports physiques nécessaires in fine pour délivrer les services. Les offreurs de services ne sont pas leurs employés et, de ce fait, des relations différentes peuvent se nouer avec les clients. Il n’est cependant pas certain qu’elles ne soient pas conduites à abandonner le modèle minimaliste de leurs débuts pour développer des « fleurs » de services permettant de consolider leur place et de résister à l’apparition de plateformes concurrentes.
Forces et faiblesses des deux modes
pour le consommateur
Certains travaux soulignent l’avantage prix dont bénéficieraient les offres collaboratives. En effet, les surcapacités d’équipement des particuliers permettent aux utilisateurs de bénéficier de ces équipements pour un prix plus bas ou un meilleur rapport qualité-prix que ceux offerts par les services traditionnels. Cependant, on peut aussi faire l’hypothèse que le choix des consommateurs s’explique par des prestations plus personnalisées, mieux adaptées ou plus efficaces que les services traditionnels. 163Outre leur prix d’accès plus bas, cette facilité d’usage pourrait donc expliquer une partie de leur succès (Novel, 2013).
La recherche du lien social pourrait être un autre puissant moteur de la consommation collaborative (Daudey et Hoibian, 2014 ; Robert et al., 2014) qui établit, par définition, des relations entre pairs. Ces relations ne prennent cependant pas la même forme ni la même ampleur selon le bien ou le service concerné et le type de transaction. Tout un continuum existe : à côté des activités de ventes de biens qui n’entraînent que des liens ponctuels et faibles, on rencontre des activités qui permettent la création de liens plus étroits, voire les nécessitent (partage de locaux, de repas, couch-surfing…). Ainsi, comme le soulignent Robert et al. (2014), une valeur de lien (Godbout et Caillé, 1992) peut venir s’ajouter à la valeur d’usage d’un bien ou d’un service puisque certaines pratiques permettent la création ou le renforcement de liens sociaux. Certaines pratiques de la consommation collaborative peuvent ainsi répondre, mieux que les réseaux traditionnels, aux besoins des consommateurs, en matière de rencontres de nouvelles personnes, de nouvelles relations, de partage d’expériences : « L’influence du Web 2.0 et des réseaux sociaux contribue à l’émergence d’une “culture du nous” qui ne réinvente pas seulement ce que l’on consomme mais la manière dont on consomme » (Novel et Riot, 2012).
Ces atouts potentiels de l’offre collaborative ne peuvent cependant se concrétiser qu’à partir du moment où une relation de confiance est nouée entre les pairs. La confiance est un concept central de l’analyse de la vie sociale et économique : « un monde sans confiance est un monde inhumain : un monde du chaos… Elle est un principe d’ordre, elle lève, dissipe, suspend l’incertitude » (Karpik, 2007). La confiance dans les prestataires et dans la qualité des prestations est un déterminant de la satisfaction des clients des services et commerces traditionnels (Sirieix et Dubois, 1999). Dans la consommation collaborative, le consommateur traite avec une plateforme qui se contente souvent de le mettre en relation avec le prestataire. Les plateformes collaboratives tentent de pallier leur manque d’engagement avec des outils tels que les profils, les évaluations des prestataires, voire même des usagers, pour rassurer les deux types d’intervenants. Les évaluations ainsi communiquées publiquement demeurent cependant sujettes à caution et remplacent mal une garantie de bonne fin pour créer la confiance indispensable 164à certaines transactions. La fragilité de la relation de confiance entre consommateur et prestataire peut nuire au développement des prestations collaboratives si l’exactitude du bouche à oreille n’est pas attestée. « Sans cette confiance, c’est le système entier qui peut s’enrayer » selon Novel (2013). Si cette hypothèse est corroborée, l’économie traditionnelle du commerce et des services peut trouver là des vecteurs de résistance à l’économie collaborative. Offrir des garanties de qualité nourrit la confiance du consommateur, tout en mettant en lumière les risques que prennent les particuliers en confiant leurs actifs à d’autres personnes ou en utilisant les biens mis à disposition par d’autres particuliers.
I. Méthodes
Nous avons choisi de nous intéresser ici au secteur de l’hébergement temporaire en France car il comporte des offres classiques d’hôtels et de chaînes hôtelières qui font face à l’émergence de plateformes collaboratives. Ce secteur serait donc a priori directement confronté à cette nouvelle concurrence provenant de services rendus entre pairs via des plateformes spécialisées accessibles en ligne. L’impact effectif de cette offre collaborative est difficile à estimer. Les évaluations varient de un à quarante ou cinquante, selon les études (0,15 % du chiffre d’affaires des principales entreprises concurrentes du secteur selon une étude de l’ADEME de 2015 ; 7 % de l’offre d’hébergement au niveau mondial selon l’institut Xerfi en 2015). Il faut, en outre, bien considérer qu’une part non négligeable de ce nouveau marché ne se serait pas concrétisée en tant que demande auprès des prestataires traditionnels. La totalité de l’expansion de la consommation collaborative ne se fait donc pas au détriment des hôteliers professionnels.
Pour apporter quelques éléments de réponse aux questions de recherche, nous avons mené une première étude qualitative organisée en trois étapes. La première consiste à recenser les plateformes collaboratives d’hébergement temporaire implantées en France, tout en observant quelles modalités de compensation sont mises en œuvre. Cet état des lieux doit permettre de bien délimiter le champ de recherche 165des deux étapes suivantes. La seconde étape a pour but de comparer, à partir d’analyses de contenu, l’offre collaborative d’hébergement et les offres d’entreprises hôtelières implantées en France à partir des messages affichés par des sites Internet d’enseignes d’hôtellerie et ceux d’une plateforme collaborative de référence. Enfin, la dernière étape vise à recueillir des points du vue de consommateurs à travers l’évaluation de leur expérience telle qu’ils en rendent compte dans les forums et les blogs dédiés ; une netnographie (Kozinets, 1997, 2002 ; Bernard, 2004) sera mise en œuvre dans ce but. Il s’agit d’une méthode qualitative récente non intrusive permettant d’exploiter, sous forme d’analyse de contenu, les informations rendues publiques sur Internet par les consommateurs lorsqu’ils décrivent et évaluent leurs expériences.
État des lieux préliminaire
L’économie collaborative étant en évolution rapide, il convient de commencer par baliser le champ couvert afin de repérer les plateformes pertinentes pour l’objet de la recherche. La première étape consiste donc à recenser les offreurs et du marché de la consommation collaborative en matière d’hospitalité en France. Plus précisément, il s’agit de repérer les plateformes s’adressant aux personnes cherchant à se loger pendant leurs vacances ou leurs déplacements professionnels et de les caractériser de façon sommaire. Dans ce but, une recherche systématique a été effectuée sur Internet au printemps 2016 et chaque plateforme a fait l’objet d’une analyse documentaire rapide.
Trois modes opératoires bien distincts sont mis en œuvre via ces plateformes et structurent le champ étudié (cf. Tableau 1) : à l’exception de Knok qui propose à la fois des échanges et de la location, les plateformes sont spécialisées sur un seul mode opératoire. Certaines, telles CouchSurfing, Bewelcome, Global Freeloaders, ou Warm Showers regroupent des offres dans lesquelles les transactions s’effectuent sans aucune contrepartie : les hôtes y proposent un hébergement gratuit pour quelques nuits. Un second groupe de plateformes (Echangersamaison, Trampolinn, Stay 4 Free, GuestToGuest) rassemble des offres proposant l’échange de logements, simultané ou décalé dans le temps. Enfin, un troisième type de plateformes regroupe les offres d’hébergement pour lesquelles une contrepartie financière est 166exigée. Ces offres concernent la location de chambres chez l’habitant, d’appartements ou de maisons, que ce soit pour les vacances ou les déplacements professionnels.
Sans contrepartie |
Avec réciprocité |
Contrepartie financière |
Prêt à titre gratuit |
Échange |
Location |
Couchsurfing Globalfreeloaders The hospitality Club Bewelcome Warm Showers |
Cosmopolit home Échanger sa maison GuestToGuest Homelink Knok Stay 4 free Switch home Trampolinn Troc Maison |
Abritel Airbnb Alter Home Bedycasa Homelidays Knok Morning Croissant Onefinestay Roomlala Sejourning Windu |
Tab. 1 – Plateformes collaboratives opérant en France (printemps 2016) dans le domaine de l’hébergement temporaire.
Répartition en fonction du type de contrepartie.
Les deux premières formules n’ont qu’un impact limité pour les professionnels de l’hôtellerie car elles demeurent à une échelle réduite du fait de leur caractère particulier qui limite le segment concerné. Elles n’ont pas été prises en compte pour la suite de la recherche. En revanche, les offres du dernier groupe se rapprochent beaucoup de l’offre traditionnelle d’hébergement proposée par l’hôtellerie et sont souvent perçues comme une concurrence frontale par les professionnels. Dans ce dernier groupe, la plateforme collaborative la plus connue est certainement Airbnb qui propose à fois de l’hébergement chez l’habitant en sa présence (comme BedyCasa) ainsi que de l’hébergement chez l’habitant en son absence (comme par exemple Abritel, Windu, Homelidays). Cette plateforme collaborative de location et de réservation de logement entre particuliers a été créée en 2008 à San Francisco par Brian Chesky et Joe Gebbia, autour de l’idée du lit d’appoint (airbed) pouvant accueillir des gens de passage de façon temporaire. Elle s’est rapidement développée, tant aux 167États-Unis que dans le reste du monde, d’abord sur le marché européen (2011), avant de se tourner vers les marchés australien et asiatique (2012), puis cubain (2015). Elle propose aujourd’hui plus de 2 millions de logements dans 34000 villes et 191 pays (site Airbnb).
De son côté, le parc hôtelier français est composé d’hôtels indépendants et de chaînes hôtelières intégrées. Selon une étude réalisée par CoachOmnium (2016), l’hôtellerie indépendante représente en France environ 83 % des entreprises, mais elle est composée en majorité de petits établissements de type familial et ne contribue qu’à 61 % des chambres et 53 % du chiffre d’affaires de la profession. Les 68 enseignes de chaînes hôtelières recensées en France nous intéressent plus particulièrement ici car elles proposent une offre par nature plus standardisée et homogène d’un établissement à l’autre, qu’il s’agisse d’hôtels possédés en propre par la chaîne ou de franchises. La concentration y est assez élevée puisque les deux premiers groupes rassemblent les trois quarts des hôtels rattachés à ces chaînes : le groupe Accor (près de 1500 hôtels en France) contrôle à lui seul 47 % des hôtels affiliés à des chaines hôtelières intégrées, tandis que 28 % sont contrôlés par le groupe Louvre Hôtels (827 établissements). Les 25 % restants ressortent de groupes moins importants, comme B&B ou Choice, avec respectivement 232 et 130 hôtels en France.
Analyse de contenu des sites Internet
La seconde étape de notre étude porte sur les points de friction proprement dits entre les entreprises choisies issues de l’économie collaborative et celles des services traditionnels. De manière plus détaillée, nous objectif est d’étudier sur quoi porte la concurrence et quelles sont les compétences mises en avant par les deux types d’organisation.
Robert et al. (2014) rappellent que le site web d’une entreprise « reflète parfaitement la stratégie de communication de l’annonceur grâce aux éléments de contenu qui composent le message ». L’analyse de contenu des sites Internet (hôtels et plateformes collaboratives) permet la mise en évidence des argumentaires marketings utilisés et, donc, les points forts, les particularités et les compétences que chacun met en avant. Notre étude porte sur un échantillon de convenance composé de la plateforme collaborative d’hébergement Airbnb, la plus connue et la 168mieux implantée en France comme dans le monde, et de sept enseignes de chaînes hôtelières : quatre contrôlées par le groupe AccorHotels (Novotel, Ibis, Ibis Styles et Ibis Budget), la chaîne Kyriad du groupe Louvre Hôtels, le groupe B&B Hôtels et une des enseignes du groupe Choice, (Comfort).
Le contenu de l’ensemble des énoncés présents sur les sites et destinés aux clients a donc été analysé et comparé aux énoncés destinés aux voyageurs sur la plateforme en langue française d’Airbnb. Pour chacun, nous avons décomposé l’offre de services pour mettre en évidence les services de base et ceux ayant un caractère périphérique. Les verbatim les plus caractéristiques ont été repris, tout en conservant leur orthographe d’origine.
À côté des atouts qui sont ainsi identifiés, il est aussi intéressant de repérer les faiblesses ou lacunes de chaque offre de consommation. Pour ce faire, c’est du côté des consommateurs que nous nous sommes tournés en analysant le contenu des messages laissés sur les blogs, les forums et les pages personnelles des consommateurs des deux types d’offre de consommation. En effet, Internet fait désormais partie de la vie courante des personnes qui n’hésitent plus à utiliser le Web pour accroître leurs connaissances, interagir avec d’autres personnes, partager leurs expériences (Sayarh, 2013). Un des avantages du Web est de permettre à des individus géographiquement éloignés et ne se connaissant pas mais partageant les mêmes centres d’intérêt ou les mêmes expériences, de communiquer entre eux. On trouve ainsi de nombreux blogs (par exemple, http://ouishare.net/fr), forums ou comptes facebook (par exemple, https://fr-fr.facebook.com/vivelacorevolution) de consommateurs ou des communautés virtuelles dans lesquels des conversations ont trait aux pratiques de la consommation collaborative. Nous utilisons donc l’information publiquement disponible sur Internet pour étudier et comprendre les attentes des consommateurs de l’économie collaborative, les atouts et les faiblesses de ce type de consommation, telles qu’elles sont exprimées par les consommateurs. Concrètement, cela consiste à parcourir les forums, les blogs et les réseaux sociaux en y relevant systématiquement les problèmes soulevés, les points positifs, les réactions …
Cette double étude doit nous permettre de répondre aux questions suivantes :
169–Quels messages sont véhiculés par chaque type d’offre de consommation (collaborative et traditionnelle), et notamment quelles compétences distinctives sont mises en avant par chaque acteur ?
–Quelles sont les attentes des consommateurs en termes de produit, de service, de services additionnels, de service après-vente ? Quelles aspirations traduisent-elles ?
–Quels sont les atouts de chaque mode de consommation, en termes de contenu de l’offre, de confiance, d’accessibilité, de prix…
–Quelles failles sont pointées par les usagers comme autant de sources de mécontentement.
I. Résultats : une offre collaborative
nettement décalée
Le site d’Airbnb s’adresse à la fois aux (futurs) hôtes et aux voyageurs. Les informations destinées aux voyageurs comportent des énoncés relatifs aux concepts, au fonctionnement de la plateforme, des informations destinées aux hôtes et des offres d’hébergement spécifiques. Chaque offre est présentée selon une matrice-type qui comporte une présentation de l’hôte, une présentation du logement et des commentaires de voyageurs ayant séjourné dans ce logement.
Concernant la partie logement, la matrice comporte une présentation succincte rédigée librement par le propriétaire ainsi que sept autres rubriques principales : le logement, les équipements, les tarifs, le règlement intérieur, les dispositifs de sécurité, la disponibilité et les photographies. À l’exception de la description du logement, les informations contenues dans ces rubriques sont fournies sous la forme d’une liste d’items qui sont complétés par l’hôte (capacité d’accueil, nombre de salles de bain, etc.) qui apparaissent à l’écran s’ils sont présents (les équipements de sécurité, par exemple) ou qui sont toujours mentionnés et mis en gras lorsqu’ils sont présents ou barrés lorsqu’ils sont absents. Seule la rubrique description libre permet à l’hôte de décrire son offre d’hébergement comme il le souhaite.
170Analyse des offres
La suite de notre analyse consiste à décliner les caractéristiques des différentes offres exprimées sur les sites en fonction du domaine sur lequel elles portent : le service central (l’hébergement), les services périphériques, les tarifs puis les éléments de fiabilité.
Le service central : l’hébergement
Les informations recueillies sur les sites Internet hôteliers concernent essentiellement le cœur de l’offre, à savoir : la chambre et ses équipements mais aussi l’accueil qu’il est difficile de dissocier.
–La chambre : bien dormir
Sur tous les sites des hôtels étudiés, la majorité des informations fournies concernent la chambre et ses équipements. Systématiquement, ce thème est abordé de deux manières, d’un point de vue factuel, voire même technique, et d’un point de vue plus subjectif, plus expérientiel.
Le côté spacieux, fonctionnel, modulable de la chambre est mis en avant, mais aussi son design. Elle est évoquée comme un véritable espace à vivre, un lieu de vie et de complicité, à l’atmosphère apaisante, feutrée. Si quelques énoncés ont trait à l’insonorisation, à l’occultation, à l’équipement (téléviseur, wifi…), la majorité concerne la literie. Un grand nombre d’énoncés, parfois des pages entières, lui sont consacrés avec force détails techniques. Il y est question de manière détaillée du sommier, du matelas et de son sur-matelas, des couettes et de leur housse, des oreillers. À côté des informations techniques (ex : « Un matelas double technologie : un matelas à mémoire de formes grâce à des ressorts ensachés »), on trouve également un langage plus sensuel comme par exemple pour les couettes (« moelleuse, sensations enveloppantes, douillette, onctueuse, matière douce, accueillante, sensation soyeuse, douceur inédite ») ou le sur-matelas (« épais et addictif ») mais également une approche plus marketing (Ibis : « votre sommeil heureux est notre priorité » ; Kyriad : « une literie de qualité pour que votre séjour ne soit que confort et bien-être »).
Sur le site d’Airbnb, les informations concernant la chambre ou le logement sont très succinctes puisqu’elles se résument à un simple 171inventaire de ce qui est présent ou absent et de quelques nombres (nombre de chambres, nombre de couchages…).
–L’accueil
L’accueil fait partie intégrante des métiers d’hôtellerie. Pourtant peu d’énoncés factuels lui sont consacrés. Il y est question des horaires d’accueil, de la présence de bornes d’assistance, du système de check-in et check-out mis en place. En revanche, l’accent est fortement mis sur l’écoute et la disponibilité des équipes, jusqu’à prendre une forte orientation marketing (Ibis : « Jour et nuit, nos équipes sont à votre écoute. On s’occupe de tout. On s’occupe de vous 24h/24 » ; B&B : « Vous accueillir en personne et dans la bonne humeur, c’est un point d’honneur, chez B&B Hôtels »).
Cette large place accordée aux énoncés marketing concernant l’accueil rejoint la volonté des hôteliers de réduire le plus possible le temps consacré aux formalités administratives et à l’enregistrement, afin de laisser plus de place au contact avec le client (Christine Pouletty, directrice parcours client chez Accor).
Chez Airbnb, peu d’informations relatives à l’accueil sont mentionnées dans la matrice de l’offre à l’exception des horaires d’entrée et de sortie des lieux. Par contre, sur la plateforme de nombreux arguments marketing y font référence (« Découvrez l’accueil chaleureux que les hôtes Airbnb vous réservent à travers le monde »).
Les services périphériques
Parmi les services périphériques, le petit déjeuner fait l’objet des énoncés les plus nombreux. Les énoncés vantant le buffet sont principalement sur le registre factuel (varié, à volonté) listant les produits proposés, mais parfois plus subjectifs (équilibré, gourmand…) La dimension marketing n’est pas non plus absente (Ibis : « démarrez la journée du bon pied, à votre rythme » ; B&B : « difficile de résister à l’appel des sirènes… du buffet en libre-service et à volonté » ; Kyriad : « Dès le petit-déjeuner, savourez la différence Kyriad »).
Les autres services périphériques proposés dépendent beaucoup de la gamme de l’hôtel. Les hôtels très économiques en proposent peu, à 172la différence des hôtels étoilés. Ainsi, Novotel par exemple, consacre de nombreuses pages de son site aux services périphériques tels que le bar, le restaurant, les équipements sportifs, la piscine etc. Certaines enseignes ont développé une offre réservée aux professionnels en déplacement (espaces de travail, salles de réunions, ou même une équipe dédiée à l’organisation des réunions ou conférence).
Chez Airbnb, le service du petit déjeuner est simplement mentionné sous la forme oui/non dans le formulaire de présentation du logement. Peu d’informations concernent les éventuels services périphériques associés aux offres d’hébergement, à l’exception de la piscine, du jacuzzi, de la salle de sport, sous la forme présent ou absent. Pour les professionnels, Airbnb propose une sélection de logements (« business travel ready ») qui offrent des services et des équipements appropriés ainsi qu’un système de facturation idoine.
Les tarifs
Tous les sites d’hôtel analysés comportent des énoncés relatifs aux prix et un programme de fidélité. Les énoncés parlent du rapport qualité/prix (Comfort) ou simplement du prix (« des prix d’ami » chez B&B Hôtels, « Vous ne trouverez jamais moins cher ailleurs » chez Novotel). Choice de son côté propose la garantie du meilleur prix Internet, tout comme Ibis ou Kyriad qui garantissent le meilleur prix (Ibis : « Si vous trouvez moins cher ailleurs, nous vous offrons ce tarif moins 10 % » ; Choice : « Réservez votre chambre sur ChoiceHotels.fr et si vous trouvez un meilleur tarif public pour le même hôtel, le même type de chambre et aux mêmes dates sur un autre site internet éligible, nous nous engageons à vous offrir la première nuit et à aligner le prix du reste du séjour sur le tarif le plus bas » ; Kyriad : « Meilleur prix garanti »).
Rien de semblable chez Airbnb, aucun énoncé ne parle du prix. Par contre, le prix à la nuitée est mentionné en grand sur chaque offre de logement. Il doit être perçu comme attractif, sans nécessiter une argumentation particulière.
173La fiabilité
La fiabilité est souvent définie comme la capacité à réaliser le service promis en toute confiance et de manière précise. Elle est argumentée de façon très différente par les professionnels de l’hôtellerie et par la plateforme collaborative. Les premiers mettent en avant leur réseau et la standardisation qui y est mise en place, comme un premier élément d’assurance qualité. Le site collaboratif mise sur une charte de bon comportement et surtout sur le système de notation ex-post qui est censé, à la fois, modérer les tentations d’abus des deux parties et donner des informations rassurantes pour les futurs accords entre pairs. Les deux modèles déclarent aussi mettre en œuvre un service client dédié à la résolution des problèmes éventuels.
–La standardisation, le réseau
Les sites hôteliers mettent clairement en avant leur réseau d’hôtels en mentionnant systématiquement la taille de leur réseau et son implantation mondiale (Novotel : « avec plus de 400 hôtels & resorts dans 61 pays », Ibis : « 3 marques et 1 800 hôtels dans le monde », B&B : « 245 en France, 23 en Italie, 358 en Europe », Kyriad : « 240 hôtels en France ») et proposant des hébergements dans plusieurs établissements. Il en est de même pour Airbnb qui propose sur sa page d’accueil des liens vers des hébergements dans plusieurs villes et pays, mais bien sûr, il n’y a aucune standardisation, c’est même le contraire qui serait recherché.
–Les garanties
Airbnb a mis en place une Charte d’hébergement dans laquelle sont mentionnées les règles à respecter par l’hôte au sujet de la mise à jour de l’offre et du calendrier des disponibilités, des délais de réponse aux demandes d’information et de réservation des voyageurs, de son engagement vis-à-vis de la réservation, de la conformité entre l’offre et la réalité, de la propreté. En cas d’évaluations négatives, Airbnb se réserve le droit d’appliquer des pénalités financières, voire de retirer l’offre du site.
Enfin, les commentaires sont un moyen pour les voyageurs de partager leur expérience par rapport à leur séjour dans un hébergement. 174Peu utilisé sur les sites hôteliers, à l’exception de B&B Hôtels, ils sont très systématiques et très utilisés sur le site d’Airbnb.
–Le service client
Sur les sites hôteliers, des informations sont systématiquement présentes sur le service client, via une fiche de contact, une adresse mail ou un numéro de téléphone. Par ailleurs, les énoncés mettent généralement l’accent sur l’écoute et la disponibilité du personnel pour répondre aux besoins. B&B propose même un dédommagement en cas d’incident non réglé. (« Si un incident survient et que nous ne pouvons pas le régler sur place et tout de suite, nous vous remboursons immédiatement et nous vous offrons une invitation pour votre prochain séjour »).
Chez Airbnb, l’accent est également mis sur la disponibilité de leur équipe pour répondre aux problèmes des voyageurs. Pas de numéro de téléphone, mais bien une fiche de contact à compléter. (« Nous sommes là pour vous aider 24h/24, Que vous soyez voyageur ou hôte, communiquez avec notre équipe internationale de l’assistance utilisateurs. Ce sont de véritables interlocuteurs en chair et en os, et ils sont disponibles 24h/24, partout dans le monde »).
Le Tableau 2 propose une lecture comparée du marketing des deux modèles. Les hôtels proposent une offre complète associant le cœur de l’offre (l’hébergement et l’accueil) avec des services périphériques plus ou moins étendus (petit déjeuner, location de voiture, etc.). Cette offre complète constitue une vraie fleur de services, comme l’a définie Lovelock (2000) qui couvre au mieux les besoins principaux et secondaires des clients.
De son côté, Airbnb propose un nombre d’hébergements nettement plus important que l’offre hôtelière. Cette offre est très diverse, voire hétérogène, mais cela permet de répondre aux souhaits, besoins, désirs de chacun. Cependant, contrairement aux hôtels, Airbnb ne maîtrise ni le cœur de cette offre, ni les services périphériques. En effet, ce sont les hôtes et eux seuls qui gèrent leur logement (l’équipement, l’organisation, la propreté, la localisation), les réservations, l’accueil, les services annexes (petit déjeuner, draps et serviettes, wifi etc.). Ne pouvant communiquer sur le contenu de l’offre, Airbnb communique plutôt sur l’esprit, la sécurité des transactions, et son service client qui deviennent des éléments essentiels de sa crédibilité.
175
Modèle plateforme collaborative (Airbnb) |
Modèle classique (Accor, B&B, Choice, Kyriad) |
|
Sujet |
Vous |
Nous |
Contexte |
Le monde |
Le réseau |
Promesse marketing |
Vivre, rencontrer, aimer, découvrir |
Bien dormir, bien manger, ressentir du bien-être, |
Arguments marketing |
Les hôtes, les expériences vécues, les lieux |
La fleur de service Le savoir-faire |
Slogans-types |
Découvrez le monde Réservez des logements uniques auprès d’hôtes locaux dans plus de 191 pays Vivez là-bas, comme chez vous |
Jour et nuit, nos équipes On s’occupe de tout. On s’occupe de vous 24h/24. Votre sommeil est notre priorité. Votre chambre et votre lit sont |
Illustrations graphiques |
Films de rencontres Les hôtes et les voyageurs |
Photos des lieux Descriptifs techniques (lits) Actions promotionnelles Mise en scène professionnelle |
Sujets communs traités différemment : – Prix – Échec de la prestation |
Prix présenté, critère de choix. Service-client |
Prix argumenté. Politiques de réparation |
Tab. 2 – Le marketing des chaînes hôtelières
et de la plateforme Airbnb.
Les commentaires des utilisateurs
Étudier les commentaires des utilisateurs des deux types d’offre vise à mettre en lumière les faiblesses et les lacunes de l’offre collaborative, mais également ses points forts, tels qu’ils sont perçus par le consommateur. La netnographie recense les messages postés sur des forums, des blogs etc. portant sur l’aspect de la consommation qui est concerné. Les recommandations habituelles concernant le seuil de saturation des informations (Blanchet et Gotman, 2007) ont servi de guide pour décider d’interrompre le recueil des informations.
176Ont ainsi été relevés, les contenus de 138 avis et commentaires laissés sur le net, entre le 1er mai 2015 et le 21 juillet 2016 par des voyageurs après avoir loué un hébergement via la plateforme Airbnb. Ces commentaires proviennent principalement du blog « Nowmadz » (29) et de plusieurs forum, en particulier “Trustpilot” (78) ou « Voyage forum » (22). Parallèlement, 126 commentaires postés entre le 1er mai 2016 et le 21 juillet 2016 par les utilisateurs de chaînes hôtelières ont également été relevés à partir de sites de cashback tels qu’Igraal (114), ebuyclub (6) et poulpeo (6). Ces sites ont été choisis pour deux raisons majeures. D’une part, seules les personnes ayant réservé un hébergement via le site de cashback peuvent faire part de leur avis et expérience sur ce site. Cette précaution permet de réduire le risque d’avoir des commentaires de clients factices. D’autre part, les avis émis sur ces sites ne concernent pas un hôtel en particulier mais peuvent concerner l’ensemble des établissements d’une même enseigne. Ils nous permettent ainsi de récolter des informations sur des expériences variées, en lien avec quatre chaines hôtelières : Kyriad (35), Novotel (23), Ibis budget (48) et B&B (20). Seuls les commentaires rédigés en français et concernant des hôtels situés en France ont été conservés.
Le matériel ainsi récolté a fait l’objet d’une analyse de contenu selon une perspective inductive de manière à faire émerger des catégories d’analyse (Spiggle, 1994). Ces catégories ont ensuite été regroupées en thèmes. Pour illustrer le propos, les verbatim les plus caractéristiques sont reproduits dans le texte, tout en conservant, comme c’est l’usage, leur orthographe, parfois fautive. Les commentaires des clients sur les hôtels sont analysés d’abord, puis ceux sur la plateforme d’hébergement collaboratif Airbnb.
Les chaînes hôtelières
Pour les chaines hôtelières traditionnelles, la première chose qui saute aux yeux est l’abondance des évaluations positives, une observation qui prend toute sa valeur si on considère les précautions prises dans la collecte des commentaires. La seconde chose concerne les thèmes relevés dans ces commentaires. En effet, six thèmes ont émergé, ils concernent l’hôtel, les services, l’accueil et le personnel, les aspects financiers, le réseau et le site Internet (cf. Tableau 3).
177–Le cœur de l’offre : l’hôtel et l’accueil
L’hôtel est au cœur des commentaires rédigés par les clients de chaines hôtelières. En effet, sur les 126 avis récoltés, 105, soit près de 84 % ont abordé ce thème. Trois aspects y sont mentionnés : l’établissement, son agencement et son emplacement d’une part, la chambre, la literie, les sanitaires et son équipement d’autre part, et enfin, la propreté, les nuisances sonores ou olfactives et le confort. Parmi ces aspects, trois semblent particulièrement importants aux yeux des clients. La chambre, en particulier sa taille, la luminosité, sa décoration, est mentionnée dans 47 % des avis de ce thème : les clients apprécient qu’elle soit spacieuse, lumineuse, bien décorée, moderne, accueillante (« Chambre suffisamment grande pour accueillir un lit parapluie » ; « Chambre très spacieuse avec 2 enfants »).
L’hôtel (105)i |
83,8 %ii |
L’accueil, le personnel (51)i |
40.5 %ii |
||
Aspects évoqués |
Freq %iii |
Pos %iv |
L‘accueil |
43 |
95 |
L‘établissement |
23 |
71 |
Le personnel |
67 |
94 |
L’agencement |
4 |
75 |
Le prix (61)i |
48,4 %ii |
|
L’emplacement |
47 |
98 |
Aspects évoqués |
Freq %iii |
Pos %iv |
La chambre |
47 |
77 |
Le rapport qualité/prix |
56 |
79 |
La literie |
17 |
72 |
Le prix |
44 |
78 |
Les équipements de la chambre (TV, bouilloire…) |
6 |
67 |
Les promotions |
15 |
100 |
Les sanitaires |
20 |
57 |
Le réseau (20) |
15,9 %ii |
|
La propreté |
45 |
91 |
L‘étendue du réseau |
25 |
100 |
Les nuisances |
24 |
80 |
La standardisation |
75 |
93 |
Le confort |
7 |
70 |
Le site Internet (35)i |
27,8 %ii |
|
Les services (68)i |
54,0 %ii |
L‘ergonomie du site |
51 |
100 |
|
Aspects évoqués |
Freq %iii |
Pos %iv |
La réservation |
66 |
91 |
Les services associés |
15 |
100 |
i.Nombre de commentaires portant sur un thème donné. ii.Part des 126 commentaires recueillis portant sur un thème donné (en %). iii.Proportion (en %) de commentaires évoquant un aspect particulier parmi ceux ayant trait à un thème donné (le total peut dépasser 100 % du fait que chaque commentaire peut aborder plusieurs aspects d’un même thème). iv.Évaluations positives, en % du nombre total de commentaires traitant un aspect particulier. |
||
Le parking |
34 |
74 |
|||
La piscine |
7 |
100 |
|||
La Wifi |
12 |
75 |
|||
Les équipements annexes |
10 |
86 |
|||
Le petit déjeuner |
53 |
81 |
|||
La restauration |
16 |
45 |
Tab. 3 – Dénombrement des thèmes et aspects relevés
dans les 126 commentaires de clients de chaînes hôtelières.
L’emplacement de l’hôtel est également très commenté puisqu’il en est question dans 47 % des avis traitant de l’hôtel : les clients apprécient qu’il soit aisément accessible, localisé au plus près de leurs centres d’intérêts et à proximité de restaurants et de commerces (marc g – Igraal – 9/06/2016 : « Hôtel située prés des accès rapide, dans une zone très tranquille, de nombreux restaurant de proximité déplacement à pied »). Enfin, la propreté est présente dans 45 % des avis sur l’hôtel, qu’il s’agisse de sa propreté générale, de celle de la chambre, des sanitaires ou de la literie.
D’autres aspects semblent moins récurrents, mais sont tout de même mentionnés par plus de 20 % des avis portant sur le thème de l’hôtel. Ainsi, les clients apprécient que l’établissement ait du charme, soit localisé dans un cadre agréable, soit bien décoré, voire même rénové. Concernant les sanitaires, ils apprécient que la salle de bain soit privative, comporte un bain ou une grande douche, qu’elle soit bien équipée et que les toilettes soient séparées (Stéphanie – Igraal – 15/07/2016 : « salle de bain petite mais fonctionnelle avec baignoire, sèche-cheveux, articles de bain et boite de mouchoirs à disposition, toilettes séparés »). Cependant, ils regrettent souvent (seulement 57 % d’avis positifs) leur exiguïté, l’absence de porte ou de rideau de douche (« Seul bémol la salle de d’eau trop petite impossible de se tourner devant le miroir si la porte était fermé »). Enfin, les nuisances sonores ou au contraire la bonne insonorisation sont également présentes dans 24 % des avis de ce thème.
Les clients font mention de l’accueil et du personnel dans près de 41 % des commentaires récoltés. Le personnel, présent dans 67 % des avis de ce thème, est considéré comme professionnel, réactif, efficace, disponible, aimable, agréable, poli, courtois, souriant, sympathique. L’attitude du personnel, perçue positivement dans 94 % des cas, contribue largement à ce que le client se sente bien accueilli à son arrivée à l’hôtel. La qualité de l’accueil semble d’ailleurs très importante à ses yeux puisqu’il en est question dans 43 % des avis de ce thème.
–Les services périphériques
Les avis sur les services périphériques ont été relevés dans 54 % des commentaires récoltés. Deux aspects sont particulièrement importants aux yeux des clients : le petit déjeuner et le parking mentionnés respectivement dans 54 % et 34 % des commentaires de ce thème. Il apparait 179que les clients apprécient que le petit déjeuner soit complet, varié, copieux, bon, suffisant, de qualité (81 % d’avis positifs), mais déplorent parfois qu’il ne soit pas compris dans le prix ou qu’il soit trop cher. Quant au parking, c’est un vrai plus pour un hôtel surtout lorsqu’il est gratuit, spacieux et sécurisé. Lorsque l’hôtel ne possède pas de parking en propre, les clients apprécient qu’il ait des accords avec des parkings voisins pour un prix réduit. Les avis négatifs (26 %) portent justement sur le fait que le parking de l’hôtel soit payant, trop cher ou non fermé.
Enfin, si la présence d’une piscine, le bon fonctionnement d’une Wifi, les navettes vers l’aéroport, les équipements collectifs et la restauration sont mentionnés, ils sont toutefois absents dans au moins 84 % des commentaires de ce thème. Ceci s’explique aisément par le fait que ce type de service n’est en général proposé que par les hôtels de milieu de gamme et non par les hôtels économiques. Remarquons toutefois le faible taux d’évaluations positives de la restauration qui ne recueille que 45 % de commentaires favorables lorsqu’elle est proposée par l’hôtel. Les critiques portent surtout sur les prix, la qualité et le manque de variété. (Annie B – Novotel – 4/05/2016 : « Revoir un peu le restaurant car nous avons été déçus, les quantités étaient vraiment justes et la qualité moindre »).
–Les aspects financiers et la réservation
Le prix est également au cœur des préoccupations des clients puisque près de la moitié (48 %) des commentaires y ont trait. Qu’il soit question ici du rapport qualité-prix ou simplement du prix, il est plutôt évalué positivement (79 % et 78 %). 15 % des commentaires mentionnent en outre l’existence de nombreuses promotions sur les sites des hôtels.
Les commentaires ont été récoltés sur des sites qui n’acceptent les avis que s’ils proviennent de clients ayant effectué une réservation via le site de la chaine hôtelière et sa plateforme de réservation. 28 % des commentaires parlent du site de réservation, principalement de manière positive. Le site utilisé est qualifié d’agréable, simple d’utilisation, la recherche y est rapide, la disponibilité des chambres bien mentionnée, la réservation aisée et le paiement sécurisé. Les clients apprécient en outre la possibilité d’annuler une réservation sans frais jusqu’au jour J (Sébastien H – Novotel – 14/06/2016 : « Site internet très bien On 180trouve facilement ce que l’on cherche – offre variée – panier simple – paiement sécurisé »).
–La fiabilité
Enfin, près de 16 % des commentaires recueillis mettent en avant les avantages des chaînes hôtelières et notamment la standardisation de l’offre quelles mettent en œuvre. Pour les clients, elle est attendue et rassurante puisque les prestations et la qualité seront de même niveau quel que soit l’établissement choisi. Le client sait donc bien à quoi s’attendre et ne peut être déçu, sauf anomalie dont il pourra obtenir un dédommagement. (Laila – Ibis – 26/05/2016 : « Les hôtels IBIS se ressemblent tous donc aucune deception à avoir quand on les choisit »).
La plateforme Airbnb
Alors que les chaînes hôtelières prennent en charge l’ensemble du processus du service (depuis le site Internet présentant les offres, la réservation et la gestion financière, jusqu’à l’accueil, l’hébergement, les services annexes et le service client), Airbnb sépare les activités : ainsi, les réservations, les contacts clients, la gestion du logement et l’accueil des voyageurs sont du ressort du propriétaire de l’hébergement, tandis que la gestion du site Internet, les aspects financiers et le service client sont pris en charge par la plateforme Airbnb. Chaque transaction voit donc intervenir deux acteurs exerçant des métiers différents pour assurer le service d’un troisième. Les commentaires des internautes reflètent cette séparation des tâches.
Six thèmes ont été mis en évidence dans les 138 commentaires publiés par des clients d’Airbnb que nous avons recueillis. Trois thèmes concernent le service d’intermédiation offert par Airbnb, qu’ils aient trait au fonctionnement de la plateforme, au site internet ou à l’esprit d’Airbnb. Deux thèmes portent sur les prestations des hébergeurs ou hôtes et concernent plus particulièrement le logement et le comportement de l’hôte. Enfin, un dernier thème porte sur les aspects financiers. Ce qui frappe au premier coup d’œil à la lecture du Tableau 4, c’est le nombre important de commentaires négatifs qui touchent à l’ensemble aspects relevés.
181
L’intermédiation |
|||||
Fonctionnement |
37,7 %ii |
Site internet (41)i |
29,7 %ii |
||
Aspects évoqués |
Freq %iii |
Pos %iv |
Aspects évoqués |
Freq %iii |
Pos %iv |
Service client |
79 |
18 |
Ergonomie du site |
42 |
47 |
Remboursement |
52 |
21 |
Procédure d’identification |
27 |
9 |
Compensation |
25 |
61 |
Mise à jour du calendrier |
20 |
0 |
Proposition de solution |
12 |
33 |
Filtrage des avis négatifs |
20 |
0 |
Prise en charge des frais supplémentaires |
12 |
0 |
Procédure de réservation |
20 |
38 |
Vérification des logements |
8 |
0 |
Procédure de Paiement |
15 |
50 |
Blocage du compte client |
6 |
0 |
Esprit AirBnB (14)i |
10,1 %ii |
|
Fonctionnement bon de réduction |
4 |
50 |
Nouer des contacts |
43 |
67 |
Absence de contrat de location |
4 |
0 |
Esprit perdu |
36 |
0 |
Pas de sanction du propriétaire |
2 |
0 |
Découvrir des lieux, des façons de vivre |
29 |
100 |
Modalité d’encaissement caution |
2 |
0 |
Professionnalisation des hôtes |
21 |
0 |
Offre Plateforme (7)i |
5,1 %ii |
Participer à la vie des gens |
14 |
100 |
|
Étendue et qualité de l’offre |
100 |
87 |
|||
L’hébergement |
|||||
L’hôte (49)i |
35,5 %ii |
Le logement (35)i |
25,4 %ii |
||
Aspects évoqués |
Freq %iii |
Pos %iv |
Aspects évoqués |
Freq %iii |
Pos %iv |
Accueil |
25 |
42 |
Propreté/vétusté / Insalubrité / Nuisances |
69 |
9 |
Comportement / attitude |
57 |
21 |
Conformité à l’annonce |
49 |
18 |
Annulation de la réservation |
39 |
0 |
Équipement |
40 |
29 |
Refus de location sans motif |
4 |
0 |
Confort |
20 |
14 |
Services rendus (5)i |
3,6 %ii |
Emplacement |
17 |
83 |
|
Petit-déjeuner |
80 |
75 |
Logement spacieux |
14 |
80 |
Autre : documentation, conciergerie, horaires … |
80 |
75 |
Accès à toute la maison |
6 |
100 |
Aspects financiers (27)i |
19,6 %ii |
i.Nombre de commentaires portant sur un thème donné. ii.Part des 138 commentaires recueillis portant sur un thème donné (en %). iii.Proportion (en %) de commentaires évoquant un aspect particulier parmi ceux ayant trait à un thème donné (le total peut dépasser 100 % du fait que chaque commentaire peut aborder plusieurs aspects d’un même thème). iv.Évaluations positives, en % du nombre total de commentaires traitant un aspect particulier. |
|||
Prix de location |
48 |
87 |
|||
Frais de commission Airbnb |
32 |
0 |
|||
Frais de ménage |
13 |
0 |
|||
Rapport qualité/prix |
7 |
100 |
Tab. 4 – Dénombrement des thèmes et aspects relevés
dans les 138 commentaires d’utilisateurs d’Airbnb.
–Les services d’intermédiation
Le fonctionnement d’Airbnb est le thème le plus fréquemment abordé. Près de 38 % de l’ensemble des commentaires s’y réfèrent. Deux aspects sont ici très présents, le service client et le remboursement des clients (respectivement 79 % et 52 % des avis abordant ce thème). Si quelques internautes vantent la réactivité du service client, nombreux sont ceux qui mettent en cause sa compétence (seulement 18 % de commentaires positifs) et qui soulignent la difficulté à entrer en contact avec lui : pas de numéro de téléphone mentionné sur le site, temps d’attente très long pour obtenir un interlocuteur, communications uniquement en anglais. Ils se plaignent de son manque de réactivité (courriels laissés sans réponse, ou très long délai de réponse), de l’absence de suivi des dossiers (interlocuteurs différents qui adoptent des positions différentes) ou de l’absence d’explication des décisions prises (Perdaems – Nowmadz – 13 avril 2016 : « […] déjà c’est très difficile de trouver comment contacter Airbnb : aucun numéro de téléphone, la réclamation se fait par mail, la réponse se fait des heures après et c’est toujours une personne différente qui vous répond à l’aide d’une réponse “type”. J’ai laissé un numéro de téléphone, personne ne m’a rappelé »). De plus, de nombreux commentaires (52 % des avis de ce thème) signalent également des difficultés de remboursement rencontrées en cas de gros problème (annulation, logement insalubre…) : soit le remboursement est long et nécessite plusieurs appels et courriels, soit il est très partiel voire même refusé sans aucune justification (Vincent – Nowmads – 23 novembre 2015 : « Non remboursement alors que l’Hôte à annulé la réservation juste après que ma réservation ait été acceptée. Je me suis fais planté et j’ai payer pour un logement que je n’ai jamais vu »).
La faiblesse voire l’absence des compensations financières (25 % des avis de ce thème) et l’absence d’aide, pourtant promise sur son site, par Airbnb en cas de problème sur place (12 %) sont également des thèmes récurrents. Les clients attendent de la plateforme qu’elle leur trouve une solution d’hébergement lorsqu’ils se heurtent sur place à une défaillance totale du service acheté (non-conformité, annulation, refus d’accueil ou simplement escroquerie sur un logement sans existence réelle). Ils considèrent aussi qu’elle devrait prendre en charge les frais supplémentaires occasionnés par les problèmes survenus sur place.
183L’autre versant, celui de la prévention de ce type de risques, est également évalué négativement par les utilisateurs d’Airbnb : les plaintes portent sur la non-vérification des offres, la non-vérification des logements et l’absence de sanction des hôtes indélicats (annulation des réservations, manquement à l’hygiène, absence de conformité entre l’offre et la réalité…). Pour le consommateur, c’est le rôle de la plateforme que de garantir la qualité de la transaction avec l’hôte et la qualité de l’hébergement. Certains internautes qui considèrent avoir été victimes d’un hôte peu conforme, voire malhonnête, ne comprennent pas que leurs avis, destinés à prévenir d’autres usagers, ne soient pas mis en ligne par la plateforme.
Il est question du site Internet dans près de 30 % des commentaires recueillis et plus particulièrement de l’ergonomie du site qui compte 47 % d’évaluations positives. Les offres sont bien présentées mais les filtres ne permettent pas toujours de rechercher rapidement. L’ajout d’une carte localisant les offres a permis de remédier pour partie à ce problème. Cependant, les procédures d’identification à effectuer en cas de réservation et ajoutées récemment sont considérées comme intrusives par plusieurs internautes (De Cloedt – Trustpilot – 14 août 2015 : « S’en suis un très long questionnaire de choses plus ou moins personnelles, demande de photos gros plan du visage de bonne qualité pour ne pas surprendre le loueur (délit de sale gueule), plusieurs photos si possibles pour cerner la personnalité, le comble arrive avec une demande de scan d’une pièce d’identité, passeport, permis de conduire ou carte d’identité »).
L’esprit Airbnb, tel qu’il est présenté sur leur site, serait une autre façon de voyager, en nouant des contacts, en découvrant d’autres façons de vivre, en participant à la vie des gens sur place. Ces éléments se retrouvent dans les commentaires des internautes respectivement pour 43, 29, 14 % et sont souvent évalués positivement (respectivement 67, 100 et 100 % d’avis positifs). Cependant, quelques uns signalent et regrettent ce qu’ils considèrent comme une dérive par rapport à l’esprit initial du collaboratif qui reposait sur de l’hébergement entre particuliers. Si c’est encore le cas pour de nombreuses offres, certains internautes constatent que les logements proposés ne sont plus toujours ceux des hôtes, mais parfois des logements destinés uniquement à la location et qu’une même personne en propose parfois plusieurs ; la dimension 184expérientielle promise par l’offre s’en trouve profondément altérée. Ce qui paraît légitime chez un professionnel peut alors être vécu comme un abus et engendrer de l’insatisfaction.
La variété et l’étendue des offres ou leur côté hétérogène sont peu souvent abordés par les internautes dans les commentaires que nous avons recueillis, mais lorsque c’est le cas, c’est un aspect fortement apprécié des voyageurs (87 % d’avis positifs).
–L’hébergement et l’hôte
L’hôte est très fréquemment au cœur des commentaires (36 %) concernant ce thème. Même si la majorité des voyageurs occupent un logement dans lequel le propriétaire n’est pas présent au moment de leur séjour, l’accueil, le partage d’expérience est pourtant fortement apprécié (Sego – Nowmads – 19 mai 2015 : « participer à la vie chez les gens : en nous invitant à déguster des plats pakistanais à Dubaï, ou des plats portugais à Copenhague, en jouant aux mots croisés en Australie ; les propriétaires qui partent en week end et nous laissent leur appart ; les propriétaires qui nous prêtent un masque et tuba pour aller observer les poissons en snorkelling »). Malheureusement, les nombreux commentaires négatifs (seulement 21 % d’évaluations positives) montrent que le partage d’expérience promis n’est pas toujours au rendez-vous. L’hôte peut parfois faire preuve de comportements inappropriés (tenues légères, irruption dans les chambres ou dans l’appartement sans prévenir, comportement équivoque), voire même tenter d’escroquer les voyageurs (demande de paiement en liquide, de paiement de frais supplémentaires, augmentation de prix au moment de la réservation…).
Parmi les comportements dont se plaignent les usagers, près de 40 % des commentaires de ce thème signalent comme un grave problème la possibilité pour les hôtes d’annuler la location, même au dernier moment, laissant ainsi les voyageurs dans le plus grand désarroi (Katou – Trustpilot – 23 avril 2015 : « j’ai réservé l’été dernier pour une voyage de 15 jours à Los Angeles. L’hôte a annulé à 2h du matin heure française alors que nous décollions à 7h vers LA. Nous avons réussi à trouver un autre logement mais beaucoup moins bien et plus cher. Nous avons décidé de retenter l’expérience cette année pour Miami […]. Même scénario, annulation par l’hôte pour aucune raison valable »).
185Le logement est présent dans 25 % des commentaires. Deux types de commentaires coexistent concernant le logement. Côté positif, ils mettent en avant son côté pratique (possibilité de faire ses repas, de se reposer pendant que les enfants font la sieste, d’avoir plus qu’une simple chambre) son emplacement et, dans une moindre mesure, son équipement (Sego – Nowmads – 19 mai 2015 : « Une chambre, chez l’habitant, ça veut dire plus de place que si on louait une chambre d’hôtel, on peut accéder au salon, à la cuisine, se faire ça popote, etc. »).
Côté négatif, il est très souvent question d’absence de propreté, de vétusté, voire d’insalubrité (69 % des commentaires sur ce thème) et d’absence de conformité entre l’annonce et la réalité (49 % des commentaires sur ce thème). (Frenchwithbenefit : « l’appartement est vraiment crade. Il y a des taches sur le lit, les taies d’oreiller puent, les serviettes de bain sont tachées et il y a des taches ou de la poussière en grande quantité un peu partout »).
–Les aspects financiers
Le prix des locations est fréquemment abordé (48 % des commentaires de ce thème) et il s’agit certainement du point positif le plus important (87 % d’avis positifs). Les expériences des internautes rapportent qu’il s’agit d’une solution économique de logement comparativement aux offres hôtelières (« Ca nous est revenu bien moins cher qu’une petite chambre d’hôtel et cela nous a également évité de trop avoir à dépenser en restaurants, laverie, etc. »).
Néanmoins, plusieurs commentaires trouvent excessifs les frais de service prélevés par Airbnb (32 % des commentaires de ce thème) et le coût parfois élevé des frais de ménage (13 %).
La dichotomie organisationnelle de l’offre collaborative semble donc affecter la qualité de service car elle introduit des éléments de déresponsabilisation des offreurs (annulation surprise des réservations par les hôtes, difficultés pour obtenir le remboursement, propreté critiquable, non-conformité du logement par rapport à l’annonce). Au-delà des problèmes de qualité de la prestation de service, c’est également la fiabilité du service client qui est clairement mise en cause (délai, réponse dans la langue de l’utilisateur, absence de ligne téléphonique dédiée, absence d’aide sur place). La confiance établie entre pairs trouve donc là une 186vraie limite, alors que l’offre intégrée des hôtels permet la mise en place d’une politique de réparation en cas d’échec de la prestation de service.
Conclusion
Il convient de rester prudent avant de tirer des conclusions de cette étude qualitative car il s’agit d’une approche exploratoire. Le modèle collaboratif évolue rapidement, tout comme, d’ailleurs, le modèle conventionnel. Soulignons, par exemple, l’acquisition récente par le groupe Accor de la société Fastbooking en avril 2015, acteur spécialisé dans la création de sites web, afin d’accélérer la digitalisation de l’entreprise dans le cadre de son plan Leading Digital Hospitality (Xerfi, 2015). Seules certaines enseignes ont été étudiées et cela peut également constituer une limite. L’analyse qualitative exploratoire n’a cependant pas pour but d’être représentative, mais de couvrir un large éventail de situations pour identifier les concepts pertinents. Malgré les précautions prises, l’opinion des consommateurs n’a pu être recueillie qu’à travers le prisme des commentaires diffusés sur Internet et la question demeure toujours de savoir jusqu’à quel point il s’agit de vrais consommateurs et dans quelle mesure ils sont représentatifs.
Cette recherche apporte cependant quelques éléments permettant une meilleure compréhension, d’un point de vue marketing, de ce nouveau phénomène qu’est la consommation collaborative. L’état des lieux de cette nouvelle forme de consommation dans le secteur de l’hébergement temporaire montre que trois modes opératoires y coexistent : sans contrepartie, avec contrepartie réciproque, et avec contrepartie financière. Ce dernier mode concentre notre intérêt car il concurrence directement les offres traditionnelles du secteur hôtelier.
L’analyse approfondie des arguments marketing de plusieurs sites de chaînes hôtelières a permis de souligner que les offres proposées présentent peu de points communs avec le principal site collaboratif qui les concurrence. Tous, cependant, prévoient des procédures de réassurance afin d’établir la confiance nécessaire à toute transaction. D’un côté, une offre de service détaillée, déclinée sur une véritable fleur 187de services et appuyée sur un savoir-faire professionnel, de l’autre une promesse d’expériences très diverses, sans limite géographique. Enfin, la netnographie permet de dessiner la façon dont les consommateurs perçoivent les différentes offres et les promesses qu’elles contiennent. Les commentaires étudiés sont rarement neutres : soit positifs, soit négatifs. L’offre hôtelière est abordée par des commentaires portant sur les différents aspects de l’offre (l’hôtel, la chambre, les services annexes et le personnel en contact), avec une écrasante majorité de commentaires positifs. Pour le modèle collaboratif, les remarques prennent plus facilement la forme de récits d’une expérience vécue. Elles concernent, tantôt l’hébergement et les hôtes, tantôt le fonctionnement de la plateforme. Les opinions exprimées sont beaucoup plus tranchées et un grand nombre de récriminations ont été relevées, la plupart mettant en cause le fonctionnement du service client et la réalité du soutien apporté par la plateforme en cas de problème. Faute d’anticipation et d’une gestion adéquate par la plateforme, des problèmes prenant naissance au niveau de la relation entre pairs, risquent ainsi de se répercuter au niveau de la réputation d’une plateforme et d’affecter la relation de confiance qu’elle cherche à établir avec ses usagers.
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