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Classiques Garnier

Services collaboratifs : qu’est-ce qui les rend attractifs pour les consommateurs ? Une première analyse des services d’hospitalité en France

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : European Review of Service Economics and Management Revue européenne d’économie et management des services
    2016 – 2, n° 2
    . varia
  • Auteurs : Bertrand (Daisy), Chameroy (Fabienne), Léo (Pierre-Yves), Philippe (Jean)
  • Résumé : Cet article est consacré à la consommation collaborative. Il est axé sur le comportement des consommateurs dans les services d’hospitalité en France. Après une cartographie des principales plateformes collaboratives, dans ce domaine, nous avons sélectionné quelques prestataires significatifs et avons mis en œuvre une approche « netnographique » en comparant les sites Web des fournisseurs et en analysant les contenus des blogs et forums où les consommateurs partagent leurs expériences.
  • Pages : 149 à 190
  • Revue : Revue Européenne d’Économie et Management des Services
  • Thème CLIL : 3306 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie de la mondialisation et du développement
  • EAN : 9782406069300
  • ISBN : 978-2-406-06930-0
  • ISSN : 2555-0284
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06930-0.p.0149
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 27/05/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Services collaboratifs, comportement du consommateur, hôtellerie, netnographie, France
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Services collaboratifs :
quest-ce qui les rend attractifs
pour les consommateurs ?

Une première analyse des services
dhospitalité en France

Daisy Bertrand,
Fabienne Chameroy,
Pierre-Yves Léo, Jean Philippe1

CERGAM, Aix-Marseille Université

Introduction

Partout dans le monde, une vague de nouvelles entreprises vient secouer et remettre en question les formes établies de commerces et de services. Ni services aux consommateurs, ni services aux entreprises, ce sont des services offerts par des particuliers à dautres particuliers grâce à des plateformes électroniques déchange. Que ce soit pour emprunter des biens ou des équipements, louer des appartements ou des maisons ou bien offrir des compétences en échange de contreparties équivalentes ou dargent, les consommateurs montrent un engouement certain pour cette nouvelle forme de consommation qualifiée de collaborative. Les entreprises qui gèrent ces plateformes bénéficient dun bouche à oreille gratuit, connaissent une croissance forte de leur 150chiffre daffaires ainsi que de leur valorisation capitalistique. Elles se développent très rapidement à linternational alors que de tels résultats ne sont atteints quau terme de décennies defforts par des entreprises traditionnelles. La question se pose dévaluer comment cette nouvelle forme de consommation affecte les entreprises de services qui assurent des prestations équivalentes.

Cet article a pour objectif de mieux comprendre cette nouvelle forme de consommation, de manière à évaluer les politiques que les entreprises de services traditionnelles peuvent mettre en place pour se positionner dans ce nouveau contexte. La consommation collaborative soulève plusieurs questions dans de nombreux domaines : juridique, fiscal, sociétal, ressources humaines, concurrence. Sans ignorer ces questions, notre approche est avant tout managériale et centrée sur le moteur du phénomène : le consommateur, son comportement et ses réactions face à la consommation collaborative. Certains travaux (PricewaterhouseCoopers, 2015) considèrent déjà que deux groupes archétypaux de consommateurs peuvent être identifiés : le premier rassemble les adeptes des services collaboratifs, le second les utilisateurs des formes traditionnelles de commerce ou de service. Notre objectif est de déterminer les atouts et les faiblesses du modèle collaboratif en regard du modèle classique de gestion des services, à partir du point de vue des consommateurs.

Pour cela nous avons conduit une étude qualitative sur le secteur de lhospitalité en France. Nous avons choisi ce secteur car il est emblématique des services collaboratifs et aussi parce quil a fait lobjet de nombreuses études empiriques à lorigine de variables clés pour la gestion des services comme la satisfaction, la qualité et la gestion des réseaux détablissements.

Cet article se compose de quatre parties. La première partie rappelle les points dancrage théorique sur lesquels nous nous sommes appuyés pour engager cette réflexion sur lévolution en cours de la société de service. La seconde partie présente les questions et nos propositions de recherche : en quoi les deux types doffre se différencient-elles ? Quelles forces et quelles faiblesses présentent ces deux modes de prestation selon les discours des consommateurs ? La troisième partie est consacrée à la méthodologie de cette recherche. La dernière partie présente les résultats les plus significatifs que nous avons obtenus.

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I. Fondements théoriques

On peut interpréter léconomie collaborative comme le dernier développement de léconomie des services, rendu possible par les technologies de linformation et de la communication. Les services sappuient, en effet, sur leur valeur dusage plutôt que sur la valeur déchange des biens et cette préférence pour lusage plutôt que pour la propriété caractérise la plupart des échanges entre pairs. Les consommateurs des services collaboratifs mettent aussi souvent en avant la qualité des échanges, la convivialité des prestations, dimensions quauraient perdues, selon eux, les services marchands en dépit de la généralisation des programmes de qualité. Léconomie collaborative remet ainsi sur la table les questionnements anciens sur linteraction et léchange entre consommateurs et prestataires, mais il sagit dabord de préciser ce que lon entend par économie collaborative, délimitant ainsi le champ à investiguer.

Le collaboratif : précisions sur un concept flou

Le terme de consommation collaborative est déjà ancien puisquil apparaît aux États-Unis avec Felson et Spaeth (1978) qui la définissent comme « des événements pendant lesquels une ou plusieurs personnes consomment des biens ou services dans le but de partager une activité avec dautres ». Par rapport au problème qui nous occupe, cette acception première paraît à la fois trop large (elle peut inclure la simple prise de consommation dans un café) et trop restreinte car elle exclut les consommations dont le but principal est la simple satisfaction dun besoin sans objectif particulier de partage.

Le développement sans précédent dInternet et lapparition du Web 2.0 ont considérablement facilité les contacts et les échanges directs entre particuliers (de pair à pair) et ont remis cette terminologie à lhonneur, mais dans un tout autre contexte. Ces nouveaux échanges « entre égaux » prennent dans certains domaines une ampleur sans précédent, pouvant être perçue comme une menace par les professionnels concernés. Cependant, le concept déconomie collaborative recouvre aujourdhui des réalités très diverses puisque lon peut y rattacher le secteur associatif, réputé sans 152but lucratif, et lensemble de léconomie dite « sociale et solidaire ». Il nous paraît essentiel de distinguer demblée les activités collaboratives qui sont pertinentes pour notre questionnement.

En 2010, Botsman et Rogers définissent léconomie collaborative comme « des réseaux dindividus et de communautés connectées, par opposition à des institutions centralisées, et qui transforment la manière dont nous produisons, consommons, finançons et apprenons » constituant ainsi un « modèle économique basé sur léchange, le partage, la location de biens et services, privilégiant lusage sur la propriété ». Trois domaines dactivité seraient directement affectés :

Les styles de vie (comme avec le coworking, CouchSurfing ou Pretersonjardin) susceptibles de modifier les tendances de consommation des ménages,

Les marchés de loccasion (comme avec Leboncoin, Ebay ou Etsy) où loffre des professionnels de la revente est directement impactée,

Les systèmes produit-service offrant des services ou lusage partagé dun bien sans transfert de propriété : il sagit principalement de location, mais cette catégorie de consommation collaborative touche de nombreux produits très variés, allant de la voiture au logement, en passant par loutillage, les vêtements, les accessoires de mode ou de luxe. Seraient par exemple classés dans cette catégorie les plateformes telles que, Airbnb ou SacsDeLuxe, par exemple.

En 2012, Bardhi et Eckardt concentrent leur attention sur un aspect particulier en relevant : « au lieu dacheter et de posséder des biens, les consommateurs préfèrent payer pour accéder temporairement à ces biens et services et profiter de lexpérience quils procurent ». Lusage aurait ainsi tendance à se substituer à la propriété, tout en donnant lieu à des échanges marchands. Cette définition demeure insatisfaisante pour caractériser le phénomène nouveau qui émerge car elle sapplique tout aussi bien à lensemble du marché traditionnel de la location et même aux services en général. Enfin, pour Belk (2014), la consommation collaborative résulte dune « coordination entre individus pour lacquisition et la distribution dune ressource, en échange dun paiement ou dune 153autre compensation ». Ce point de vue souligne lexistence dune relation entre pairs, tout en mettant laccent sur la contrepartie qui est alors mise en œuvre. Les échanges gratuits, le bénévolat et le don seraient ainsi placés en dehors du champ de la consommation collaborative. Ils forment pourtant le cœur de ce que certains baptisent le « pair à pair collaboratif » en opposition au « pair à pair marchand » qui supposerait une contrepartie qui nest pas forcément financière.

Tous les auteurs ne sentendent donc pas sur les frontières de ce que lon doit appeler consommation collaborative et, bien naturellement, le choix dun périmètre dépend de la question traitée. Dans la perspective qui est la nôtre, trois critères nous paraissent essentiels :

Lexistence dune relation directe, de pair à pair, entre un producteur ou un prestataire non professionnel et un consommateur.

Une mise en relation rendue possible par les outils dInternet et du Web, notamment par le jeu dune plateforme dont les services peuvent être, ou pas, rémunérés.

Lexistence dun système assurant une contrepartie, soit financière, soit en nature ou en réciprocité, car sans contrepartie, le concept de choix du consommateur se dilue considérablement.

Tertiarisation de léconomie
et comportement du consommateur

Quelques idées fondamentales ont marqué les analyses du développement post-industriel des économies occidentales. Elles nous paraissent très utiles pour comprendre les développements contemporains de léconomie collaborative. Deux courants de recherches fondateurs de léconomie des services apportent, en effet, un éclairage intéressant sur la question : dune part, les analyses de la tertiarisation de léconomie et du comportement du consommateur, ainsi que, dautre part, celles portant sur linnovation dans les services.

Le développement des services dans les années 1970 a donné lieu à plusieurs débats et il nous semble judicieux en premier lieu de rappeler les idées de Gershuny (1978) sur deux points : lanalyse de la consommation et le comportement du consommateur.

Gershuny a développé lapproche de Lancaster (1971) selon laquelle les choix du consommateur ne portent pas tant sur les produits en tant 154que tels, que sur leurs qualités ou leurs caractéristiques. Pour analyser la structure de la consommation finale, Gershuny part des grandes catégories traditionnelles de besoins des ménages car différentes modalités techniques permettent de les satisfaire : un même besoin, (comme le lavage de linge par exemple) peut être satisfait par lachat dun bien déquipement (machine à laver) ou par le recours à un service (blanchisserie). Le second apport de Gershuny quil nous paraît pertinent de rappeler concerne le comportement des consommateurs. Il sinspire là de lanalyse microéconomique des comportements humains de Gary Becker dans laquelle il introduit le travail domestique. Cette variable (la contrainte domestique) interviendrait de façon déterminante dans les choix de consommation : certes, la nature et le prix des biens offerts sur le marché jouent, mais aussi le temps de travail domestique nécessaire à lusage des biens achetés. Des services domestiques sont ainsi autoproduits en associant des biens acquis et du travail domestique. Or, à la différence du temps du personnel dune entreprise de services, ce temps de travail domestique nest pas monétisé et les services autoproduits seraient perçus comme beaucoup moins coûteux que le recours aux services marchands.

Lapproche de la consommation par fonction de Gershuny est cependant clairement néo-industrialiste dans la mesure où ses travaux sont une tentative de réhabilitation de léconomie industrielle : les fonctions sétablissent à partir des biens industriels. Giarini et Roulet (1988) proposent une vision plus large sur la société de service en montrant comment les fonctions de services structurent loffre : les services sont devenus des inputs de production et ils mobilisent la plus grande partie des ressources, alors que la production des biens est affectée par la baisse relative des coûts de production. Les services sont à lorigine de la création de valeur car ils permettent lusage des biens.

Il nest pas sans intérêt dobserver que cette structuration de la consommation en termes de fonctions de consommation est reprise par la plupart des études sur léconomie collaborative. Ainsi, létude réalisée par Nomadeis et TNS-Sofres (2015) propose de subdiviser léconomie collaborative en fonction des besoins de consommation satisfaits : se déplacer ; transporter ou stocker des objets ; se loger ou se divertir ; se nourrir ; séquiper ; shabiller ; se faire aider ; se financer. PricewaterhouseCoopers (2015) utilise une nomenclature plus ramassée mais qui suit la même logique : hospitalité et restauration ; mobilité et transport ; commerce 155et biens des consommateurs ; média et divertissement. Dautres études reprennent des nomenclatures très proches qui, toutes, mettent en avant les besoins des consommateurs. Pour les entreprises, il ne sagit plus doffrir des biens ou des services pour satisfaire ces besoins, mais plutôt de proposer une solution globale et efficace au moindre coût. Les grandes entreprises industrielles, notamment les constructeurs automobiles, suivent ce mouvement en créant leurs propres plateformes collaboratives ou en prenant le contrôle de plateformes existantes.

Toutes les études empiriques réalisées sur la consommation collaborative montrent lambiguïté des motivations des consommateurs vis-à-vis de ces nouveaux services : la recherche dexpériences nouvelles de consommation coexiste avec la recherche de prix bas.

Le marketing expérientiel (Carù et Cova, 2006) a analysé le besoin de gratification hédoniste, de sensations et démotions que recherchent les consommateurs dans les sociétés occidentales actuelles. Plus que les produits eux-mêmes, ils valorisent lexpérience quils procurent et leur signification. Cette quête ne répond pas seulement à des besoins, mais contribue à forger lidentité du consommateur (Cova et Cova, 2001). Les services collaboratifs offrent ce type de contextes de consommation nouveaux, créent des expériences qui peuvent être surprenantes et qui se déploient selon les quatre phases du marketing expérientiel : lanticipation par les applications, lachat, lexpérience proprement dite et lexpérience du souvenir, lors de lévaluation qui la suit.

Ce besoin dexpérience accompagne la recherche dun bas prix ou plutôt dune économie réalisée par rapport au même service offert par une entreprise traditionnelle. Ces prix bas sont obtenus en partie par la sous-estimation du coût du travail du prestataire, mais aussi du fait de la sous-estimation du coût capitalistique des biens (automobiles, biens ménagers, outils) mis à la disposition dun particulier par ses pairs. En effet, les modes de vie actuels conduisent souvent à posséder plusieurs automobiles, des équipements et des résidences multiples. Ces équipements sont sous-utilisés de manière chronique, un phénomène accentué par la baisse tendancielle de la taille des ménages. Le suréquipement conduit aussi les ménages à sous-évaluer systématiquement le coût dusage et damortissement de leurs équipements. Les plateformes déchange permettent une valorisation ponctuelle et facile de ces capacités inutilisées car elles mettent en relation les offreurs avec des consommateurs qui 156en ont le besoin, souvent momentané. Léconomie collaborative abaisse considérablement le coût daccès à la consommation et une nouvelle classe de consommateurs serait ainsi en train démerger, selon Rifkin (2014) : ces « prossomateurs » sorganisent pour financer, au moins en partie, leurs achats par lexploitation productive de leurs biens.

Léconomie collaborative apporte un éclairage nouveau à des questions qui sont au cœur de lanalyse économique depuis Adam Smith. La tertiarisation de léconomie a eu pour conséquence de développer la valeur dusage, qui fut délaissée pendant la période de croissance des Trente Glorieuses, marquées par la croissance extensive de la consommation des biens industriels. Par nature, les services produisent de la valeur dusage et apportent un complément à la valeur déchange des biens. Les analyses dOrio Giarini (1987) ont mis en évidence que le coût total de la consommation des biens excédait largement leur seule valeur déchange : formation, maintenance, destruction et récupération sont tout autant nécessaires et constituent autant de coûts cachés, mal perçus par les consommateurs. Les études sur le développement de la consommation collaborative révèlent le souci de durabilité qui anime certains consommateurs, mais aussi la généralisation de nouveaux comportements. Lenquête de lObservatoire Société et Consommation (Obsoco, 2012) montrait déjà que, pour 83 % des français, il était plus important de pouvoir utiliser un bien que de le posséder. Dautres enquêtes dopinion, comme celle réalisée par PricewaterhouseCoopers (2015) révèlent aussi que les consommateurs de léconomie collaborative ne seraient pas hostiles à devenir plus tard eux-mêmes fournisseurs de services, en mettant à disposition dautres personnes des biens quils auraient acquis. Symétriquement, le désir de posséder un équipement saccroît lorsquon envisage de le partager ou de le louer à dautres ; cela pousse même à acheter plus, plus grand ou de meilleure qualité (Robert et al., 2014), dans la perspective de récupérer tout ou partie (voire plus) de son coût dachat en le fournissant temporairement à dautres.

Léconomie collaborative apparaît ainsi comme le dernier développement de la tertiarisation de léconomie, gommant en grande partie les différences entre biens et services, entre valeur déchange et valeur dusage, pour incarner dans la valeur pour le consommateur ce que Vargo et Lusch (2004) présentent comme la logique dominante de service « SDL » (Service Dominant Logic). Dun point de vue plus sociétal, 157léconomie collaborative peut également être interprétée comme une extension du repli du modèle salarial et hiérarchique, déjà perceptible dans le développement des services marchands aux entreprises et qui concernerait désormais lensemble de la sphère de la consommation.

Nature des services, innovation
et relation marketing

Dès leurs débuts, les recherches sur les services ont été marquées par les questionnements sur la nature des services et sur la meilleure façon de les définir. Certaines approches ont mis laccent sur lactivité de prestation (Rathmell, 1966), ses différentes acceptions, ses conséquences pour le client (Hill, 1999 ; Gadrey, 2000). Dautres ont plutôt tenté de caractériser les organisations mises en place, en termes de servuction (Eiglier, 2004) ou de Service delivery system (Lovelock, 2000), distinguant bien ce que voit le client et ce qui relève de l« arrière-boutique ». Grönroos (2008) intègre ses deux points de vue en insistant sur linteraction entre le consommateur et le système mis en place par un fournisseur de services et conçu pour offrir des solutions à certains besoins des clients potentiels. Gallouj (2002) observe que linnovation en matière de services peut ainsi concerner différents paramètres qui, en fin de compte, définissent chaque service : profil du client (marché visé, mais aussi ses compétences), profil de la firme prestataire (compétences mises en œuvre, mais aussi moyens matériels et immatériels mobilisés) et profil caractérisant la prestation proposée. Ces définitions synthétiques et générales permettent de bien identifier chaque service, mais elles restent focalisées sur un seul service et un seul prestataire alors même que les formes complexes associant plusieurs prestataires se multiplient. Baranger et al. (2016) développent lidée selon laquelle lirruption des pratiques collaboratives et plus globalement la numérisation des activités de services, amène à une hybridation des modèles dentreprises de services selon une double logique : minimale par lautomatisation des tâches simples et apprenante par lenrichissement des relations de services par le conseil et lexpertise.

La cheville ouvrière du succès rapide de léconomie collaborative réside dans le recours aux plateformes Internet. Les plateformes sont définies par Rochet et Tirole (2003) comme des produits, services, entreprises ou institutions qui assurent un rôle dintermédiaire entre deux ou plusieurs groupes dagents. Lémergence des plateformes est un phénomène 158qui impacte aujourdhui la plupart des activités, quil sagisse de biens matériels ou de services. Sur Internet, le rôle dune plateforme consiste à mettre en relation des particuliers ou des institutions en fonction des demandes et des offres quils expriment. Annabelle Gawer (2009) les décrit comme un bloc fondateur à partir duquel une multitude de firmes peuvent développer des produits complémentaires, des technologies et des services. Ces entreprises dans la périphérie du centre fondateur constituent lécosystème de la plateforme.

Larchitecture des plateformes et ses conséquences modifient notre vision de linnovation dans le commerce et les services. Le modèle de référence de Faïz Gallouj (2002) pose que linnovation dans les services concerne un des vecteurs caractérisant les compétences du prestataire, des clients ou le service lui-même. Ce modèle général nest pas vraiment remis en cause, mais son contexte change. Dans les plateformes, linnovation se déroule au centre, mais surtout dans les entreprises complémentaires de la périphérie qui répondent directement aux besoins des consommateurs. Plus il y a dinnovations dans la périphérie, plus la plateforme et ses utilisateurs bénéficieront dun effet de réseau, créateur de valeur (Gawer, 2009). La notion de plateforme collaborative peut être introduite dans le sens où ce sont des particuliers qui créent de la valeur en échangeant entre eux. La proposition de biens ou de services est faite par un utilisateur, la transaction est finalisée et évaluée entre les utilisateurs. La plateforme noffre que des services supports (affichage des offres, des tarifs et des demandes, service de communication par messagerie, sécurisation des paiements) qui, sils sont plus élaborés, peuvent faire lobjet dune tarification supplémentaire : assurance, options de mises en visibilité (Terrasse, 2016).

Cest à ce stade que le management de lécosystème par la plateforme prend toute son importance pour définir quelles activités peuvent être introduites dans lécosystème : quest-ce qui relève de la propriété intellectuelle de chacun des membres, quelles fonctionnalités doivent être introduites dans la plateforme et, enfin, comment se réalise le partage des bénéfices. Les chercheurs ont porté une attention particulière au rôle des services adjoints aux plateformes dactivités, soit quils accroissent la valeur de plateformes existantes, soit quils interviennent comme facteurs dattraction et de garantie pour les consommateurs de produits nouveaux, comme les smartphones, dont le marché est encore en cours de création.

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Le contexte des plateformes à réseau de marché dual a fait lobjet de développements spécifiques (Eisenmann et al., 2006) qui intéressent au plus haut point léconomie collaborative : chaque côté du réseau représente un type dutilisateur différent comme les chauffeurs et les consommateurs dans les plateformes de transport, les logeurs et les résidents dans les plateformes dhébergement, les vendeurs et enchérisseurs dans les plateformes déchange. La plateforme supporte des coûts pour servir chacun des groupes dutilisateurs, mais elle peut aussi potentiellement tirer un revenu des deux groupes. Eisenmann et al. ont bien analysé la nécessité, pour toutes les plateformes, de créer rapidement un effet de réseau : celles qui servent un marché dual peuvent être conduites à subventionner les utilisateurs au détriment des fournisseurs pour impulser une adoption rapide. Le choix inverse peut également être observé : linscription gratuite des offres permet détoffer rapidement léventail des propositions afin de susciter lintérêt des consommateurs et damorcer un cercle vertueux de développement. Le positionnement sur un marché dual rapproche ces plateformes de la position des franchiseurs traditionnels, mais leur degré dengagement et dimplication reste très en retrait.

La relation dune plateforme avec les consommateurs peut se trouver perturbée par de nombreux éléments indépendants du prix de ses services. Même quand les aspects opérationnels sont gérés de façon satisfaisante, les promesses, les attentes et lexpérience de service vécue peuvent beaucoup varier dun fournisseur à lautre. Les services délivrés par lintermédiaire des plateformes collaboratives ne sont pas formatés comme peuvent lêtre ceux dune firme intégrée ou ceux de franchisés appliquant une politique de réseau. Ces questions peuvent revêtir une importance cruciale car, pour les services comme pour léchange de biens, lévaluation après lexpérience vécue a été identifiée comme étant le principal déterminant des achats futurs. Baranger et al. (2016) estiment ainsi que la digitalisation des services, totale ou partielle, amplifie les échanges avec les consommateurs jusquà ce quils nomment un marketing « hyper-relationnel » qui va au-delà du marketing expérientiel, en raison notamment de lengagement du client, des contacts permanents avec la plateforme et de la co-construction de loffre. La crédibilité des plateformes repose largement sur les évaluations spontanées ou sollicitées, quenvoient les utilisateurs après une expérience. Cependant, la question se pose (et est souvent posée) de la véracité de ces témoignages et de lidentité de leurs auteurs.

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Comme la indiqué Gummesson (2002), les implications marketing de la relation client pour les réseaux de services de masse (comme le sont ceux fournis par les plateformes) restent peu étudiées, notamment en ce qui concerne les programmes de fidélité. Une plateforme est probablement considérée par les consommateurs comme le principal organisateur de la délivrance des services quil achète, mais celle-ci ne met en œuvre quune relation minimaliste avec ses usagers et dégage sa responsabilité de tout problème survenant entre offreur et acquéreur.

I. Questions et propositions
de recherche

Lorsque lon confronte les fondements théoriques de léconomie collaborative avec lobservation du fonctionnement concret des services proposés sur le mode collaboratif, on en vient rapidement à se poser un certain nombre de questions autour desquelles notre recherche sest organisée. Étant à ses tout débuts, cette recherche présente un caractère essentiellement exploratoire. Une première question préliminaire concerne létendue du phénomène : combien de plateformes collaboratives opèrent en France, dans un domaine particulier ? Sont-elles en concurrence frontale avec les prestataires traditionnels de ce marché ? Deux questions de recherche ont ensuite retenu notre attention : en quoi les services collaboratifs sont-ils différents des services traditionnels quils concurrencent ? Quelles sont les forces et les faiblesses de ces deux modes de services, du point de vue du consommateur ?

Services collaboratifs – Services traditionnels :
quelles différenciations ?

Même lorsque la concurrence entre les deux modes de prestation est frontale, on est conduit à sinterroger sur ce qui différencie les deux types doffre : sur quoi porte la concurrence et quelles compétences distinctives sont mises en avant par les organisations collaboratives, dune part, et par les prestataires traditionnels, dautre part.

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Les besoin auxquels répondent les services proposés de manière collaborative nont rien de nouveau : logement, transport, location, restauration, finance, etc. La nouveauté réside dans la mise en réseau des individus sur une grande échelle grâce aux plateformes virtuelles qui combinent données, moteurs de recherche et connectivité. Ainsi que le souligne Frédéric Mazella (2015), fondateur de la plateforme BlaBlaCar : « Les plateformes libèrent les échanges entre particuliers des obstacles transactionnels historiques (information imparfaite, coûts, distance géographique, etc.) ». Le modèle économique des plateformes est complètement différent du modèle de loffre traditionnelle. Sur quels points particuliers y a-t-il affrontement direct, et quelles sont les stratégies dévitement adoptées par les plateformes ? Comment justifient-elles leur différenciation pour satisfaire les besoins des consommateurs par rapport aux réponses classiques offertes par les professionnels ?

Une façon de comprendre linnovation apportée par les plateformes de services est de les soumettre à la grille danalyse des nouveaux services proposée par Eiglier et Goudarzi (2010) qui est structurée en trois niveaux :

le concept du service : définition précise de la prestation proposée associée à un segment de client prioritaire,

le système doffre et de servuction : composition, nombre et nature des services offerts ainsi que la façon de délivrer les prestations,

limage claire du concept et la structure de coûts.

Pour les prestataires traditionnels, les éléments de concurrence portent sur certains aspects de ces trois niveaux, mais surtout sur le système doffre et de servuction depuis lapparition des services low cost : en dépouillant leur offre de la plupart des services périphériques, ils ont simplifié leurs relations avec les clients tout en allégeant leurs coûts. À lopposé, dautres firmes de services cherchent à se différencier et à fidéliser leurs clients en enrichissant leur offre jusquà proposer une véritable « fleur » de services (Lovelock, 2000). Une offre de services est, en effet, constituée dun service central, appelé aussi service de base, qui constitue le cœur de la prestation et la motivation première du client lorsquil sadresse à un prestataire. En offrant aussi dautres services, en 162périphérie du service central, les prestataires cherchent à renforcer la valeur perçue de leur offre et à créer un avantage par rapport aux offres concurrentes (Lovelock, 1992 ; Storey et Easingwood, 1998 ; Bitner et al., 2000). Ces « pétales » de la « fleur » de service peuvent aller au-delà des huit services de soutien et des services facilitateurs recensés par Lovelock en 1992 (conseil, hospitalité, sécurité, exceptions, information, commande, facturation, paiement) car il peut aussi sagir de véritables compléments apportés au service de base.

Un grand nombre de plateformes collaboratives opèrent sur des segments délaissés par les services marchands et nentrent donc pas en concurrence frontale avec eux. Seuls ceux qui visent un marché déjà couvert par des offreurs professionnels nous intéressent ici. Ces plateformes nont pas défini un segment de clientèle, ni un concept de service qui les différencie des services traditionnels. Leur offre de services est très réduite, voire minimale, leur responsabilité se limitant à assurer la mise en relation des offreurs et des demandeurs qui font appel à elles. Pour autant, leur offre ne peut être qualifiée doffre low cost, car les transactions qui sy nouent présentent plus un avantage qualité/prix quun prix bas absolu. Ce qui les différencie le plus des services traditionnels réside sans doute dans leur structure de coûts et de prix : elles ne supportent pas le coût des infrastructures et des supports physiques nécessaires in fine pour délivrer les services. Les offreurs de services ne sont pas leurs employés et, de ce fait, des relations différentes peuvent se nouer avec les clients. Il nest cependant pas certain quelles ne soient pas conduites à abandonner le modèle minimaliste de leurs débuts pour développer des « fleurs » de services permettant de consolider leur place et de résister à lapparition de plateformes concurrentes.

Forces et faiblesses des deux modes
pour le consommateur

Certains travaux soulignent lavantage prix dont bénéficieraient les offres collaboratives. En effet, les surcapacités déquipement des particuliers permettent aux utilisateurs de bénéficier de ces équipements pour un prix plus bas ou un meilleur rapport qualité-prix que ceux offerts par les services traditionnels. Cependant, on peut aussi faire lhypothèse que le choix des consommateurs sexplique par des prestations plus personnalisées, mieux adaptées ou plus efficaces que les services traditionnels. 163Outre leur prix daccès plus bas, cette facilité dusage pourrait donc expliquer une partie de leur succès (Novel, 2013).

La recherche du lien social pourrait être un autre puissant moteur de la consommation collaborative (Daudey et Hoibian, 2014 ; Robert et al., 2014) qui établit, par définition, des relations entre pairs. Ces relations ne prennent cependant pas la même forme ni la même ampleur selon le bien ou le service concerné et le type de transaction. Tout un continuum existe : à côté des activités de ventes de biens qui nentraînent que des liens ponctuels et faibles, on rencontre des activités qui permettent la création de liens plus étroits, voire les nécessitent (partage de locaux, de repas, couch-surfing…). Ainsi, comme le soulignent Robert et al. (2014), une valeur de lien (Godbout et Caillé, 1992) peut venir sajouter à la valeur dusage dun bien ou dun service puisque certaines pratiques permettent la création ou le renforcement de liens sociaux. Certaines pratiques de la consommation collaborative peuvent ainsi répondre, mieux que les réseaux traditionnels, aux besoins des consommateurs, en matière de rencontres de nouvelles personnes, de nouvelles relations, de partage dexpériences : « Linfluence du Web 2.0 et des réseaux sociaux contribue à lémergence dune “culture du nous” qui ne réinvente pas seulement ce que lon consomme mais la manière dont on consomme » (Novel et Riot, 2012).

Ces atouts potentiels de loffre collaborative ne peuvent cependant se concrétiser quà partir du moment où une relation de confiance est nouée entre les pairs. La confiance est un concept central de lanalyse de la vie sociale et économique : « un monde sans confiance est un monde inhumain : un monde du chaos… Elle est un principe dordre, elle lève, dissipe, suspend lincertitude » (Karpik, 2007). La confiance dans les prestataires et dans la qualité des prestations est un déterminant de la satisfaction des clients des services et commerces traditionnels (Sirieix et Dubois, 1999). Dans la consommation collaborative, le consommateur traite avec une plateforme qui se contente souvent de le mettre en relation avec le prestataire. Les plateformes collaboratives tentent de pallier leur manque dengagement avec des outils tels que les profils, les évaluations des prestataires, voire même des usagers, pour rassurer les deux types dintervenants. Les évaluations ainsi communiquées publiquement demeurent cependant sujettes à caution et remplacent mal une garantie de bonne fin pour créer la confiance indispensable 164à certaines transactions. La fragilité de la relation de confiance entre consommateur et prestataire peut nuire au développement des prestations collaboratives si lexactitude du bouche à oreille nest pas attestée. « Sans cette confiance, cest le système entier qui peut senrayer » selon Novel (2013). Si cette hypothèse est corroborée, léconomie traditionnelle du commerce et des services peut trouver là des vecteurs de résistance à léconomie collaborative. Offrir des garanties de qualité nourrit la confiance du consommateur, tout en mettant en lumière les risques que prennent les particuliers en confiant leurs actifs à dautres personnes ou en utilisant les biens mis à disposition par dautres particuliers.

I. Méthodes

Nous avons choisi de nous intéresser ici au secteur de lhébergement temporaire en France car il comporte des offres classiques dhôtels et de chaînes hôtelières qui font face à lémergence de plateformes collaboratives. Ce secteur serait donc a priori directement confronté à cette nouvelle concurrence provenant de services rendus entre pairs via des plateformes spécialisées accessibles en ligne. Limpact effectif de cette offre collaborative est difficile à estimer. Les évaluations varient de un à quarante ou cinquante, selon les études (0,15 % du chiffre daffaires des principales entreprises concurrentes du secteur selon une étude de lADEME de 2015 ; 7 % de loffre dhébergement au niveau mondial selon linstitut Xerfi en 2015). Il faut, en outre, bien considérer quune part non négligeable de ce nouveau marché ne se serait pas concrétisée en tant que demande auprès des prestataires traditionnels. La totalité de lexpansion de la consommation collaborative ne se fait donc pas au détriment des hôteliers professionnels.

Pour apporter quelques éléments de réponse aux questions de recherche, nous avons mené une première étude qualitative organisée en trois étapes. La première consiste à recenser les plateformes collaboratives dhébergement temporaire implantées en France, tout en observant quelles modalités de compensation sont mises en œuvre. Cet état des lieux doit permettre de bien délimiter le champ de recherche 165des deux étapes suivantes. La seconde étape a pour but de comparer, à partir danalyses de contenu, loffre collaborative dhébergement et les offres dentreprises hôtelières implantées en France à partir des messages affichés par des sites Internet denseignes dhôtellerie et ceux dune plateforme collaborative de référence. Enfin, la dernière étape vise à recueillir des points du vue de consommateurs à travers lévaluation de leur expérience telle quils en rendent compte dans les forums et les blogs dédiés ; une netnographie (Kozinets, 1997, 2002 ; Bernard, 2004) sera mise en œuvre dans ce but. Il sagit dune méthode qualitative récente non intrusive permettant dexploiter, sous forme danalyse de contenu, les informations rendues publiques sur Internet par les consommateurs lorsquils décrivent et évaluent leurs expériences.

État des lieux préliminaire

Léconomie collaborative étant en évolution rapide, il convient de commencer par baliser le champ couvert afin de repérer les plateformes pertinentes pour lobjet de la recherche. La première étape consiste donc à recenser les offreurs et du marché de la consommation collaborative en matière dhospitalité en France. Plus précisément, il sagit de repérer les plateformes sadressant aux personnes cherchant à se loger pendant leurs vacances ou leurs déplacements professionnels et de les caractériser de façon sommaire. Dans ce but, une recherche systématique a été effectuée sur Internet au printemps 2016 et chaque plateforme a fait lobjet dune analyse documentaire rapide.

Trois modes opératoires bien distincts sont mis en œuvre via ces plateformes et structurent le champ étudié (cf. Tableau 1) : à lexception de Knok qui propose à la fois des échanges et de la location, les plateformes sont spécialisées sur un seul mode opératoire. Certaines, telles CouchSurfing, Bewelcome, Global Freeloaders, ou Warm Showers regroupent des offres dans lesquelles les transactions seffectuent sans aucune contrepartie : les hôtes y proposent un hébergement gratuit pour quelques nuits. Un second groupe de plateformes (Echangersamaison, Trampolinn, Stay 4 Free, GuestToGuest) rassemble des offres proposant léchange de logements, simultané ou décalé dans le temps. Enfin, un troisième type de plateformes regroupe les offres dhébergement pour lesquelles une contrepartie financière est 166exigée. Ces offres concernent la location de chambres chez lhabitant, dappartements ou de maisons, que ce soit pour les vacances ou les déplacements professionnels.

Sans contrepartie

Avec réciprocité

Contrepartie financière

Prêt à titre gratuit

Échange

Location

Couchsurfing

Globalfreeloaders

The hospitality Club

Bewelcome

Warm Showers

Cosmopolit home

Échanger sa maison

GuestToGuest

Homelink

Knok

Stay 4 free

Switch home

Trampolinn

Troc Maison

Abritel

Airbnb

Alter Home

Bedycasa

Homelidays

Knok

Morning Croissant

Onefinestay

Roomlala

Sejourning

Windu

Tab. 1 – Plateformes collaboratives opérant en France (printemps 2016) dans le domaine de lhébergement temporaire.
Répartition en fonction du type de contrepartie.

Les deux premières formules nont quun impact limité pour les professionnels de lhôtellerie car elles demeurent à une échelle réduite du fait de leur caractère particulier qui limite le segment concerné. Elles nont pas été prises en compte pour la suite de la recherche. En revanche, les offres du dernier groupe se rapprochent beaucoup de loffre traditionnelle dhébergement proposée par lhôtellerie et sont souvent perçues comme une concurrence frontale par les professionnels. Dans ce dernier groupe, la plateforme collaborative la plus connue est certainement Airbnb qui propose à fois de lhébergement chez lhabitant en sa présence (comme BedyCasa) ainsi que de lhébergement chez lhabitant en son absence (comme par exemple Abritel, Windu, Homelidays). Cette plateforme collaborative de location et de réservation de logement entre particuliers a été créée en 2008 à San Francisco par Brian Chesky et Joe Gebbia, autour de lidée du lit dappoint (airbed) pouvant accueillir des gens de passage de façon temporaire. Elle sest rapidement développée, tant aux 167États-Unis que dans le reste du monde, dabord sur le marché européen (2011), avant de se tourner vers les marchés australien et asiatique (2012), puis cubain (2015). Elle propose aujourdhui plus de 2 millions de logements dans 34000 villes et 191 pays (site Airbnb).

De son côté, le parc hôtelier français est composé dhôtels indépendants et de chaînes hôtelières intégrées. Selon une étude réalisée par CoachOmnium (2016), lhôtellerie indépendante représente en France environ 83 % des entreprises, mais elle est composée en majorité de petits établissements de type familial et ne contribue quà 61 % des chambres et 53 % du chiffre daffaires de la profession. Les 68 enseignes de chaînes hôtelières recensées en France nous intéressent plus particulièrement ici car elles proposent une offre par nature plus standardisée et homogène dun établissement à lautre, quil sagisse dhôtels possédés en propre par la chaîne ou de franchises. La concentration y est assez élevée puisque les deux premiers groupes rassemblent les trois quarts des hôtels rattachés à ces chaînes : le groupe Accor (près de 1500 hôtels en France) contrôle à lui seul 47 % des hôtels affiliés à des chaines hôtelières intégrées, tandis que 28 % sont contrôlés par le groupe Louvre Hôtels (827 établissements). Les 25 % restants ressortent de groupes moins importants, comme B&B ou Choice, avec respectivement 232 et 130 hôtels en France.

Analyse de contenu des sites Internet

La seconde étape de notre étude porte sur les points de friction proprement dits entre les entreprises choisies issues de léconomie collaborative et celles des services traditionnels. De manière plus détaillée, nous objectif est détudier sur quoi porte la concurrence et quelles sont les compétences mises en avant par les deux types dorganisation.

Robert et al. (2014) rappellent que le site web dune entreprise « reflète parfaitement la stratégie de communication de lannonceur grâce aux éléments de contenu qui composent le message ». Lanalyse de contenu des sites Internet (hôtels et plateformes collaboratives) permet la mise en évidence des argumentaires marketings utilisés et, donc, les points forts, les particularités et les compétences que chacun met en avant. Notre étude porte sur un échantillon de convenance composé de la plateforme collaborative dhébergement Airbnb, la plus connue et la 168mieux implantée en France comme dans le monde, et de sept enseignes de chaînes hôtelières : quatre contrôlées par le groupe AccorHotels (Novotel, Ibis, Ibis Styles et Ibis Budget), la chaîne Kyriad du groupe Louvre Hôtels, le groupe B&B Hôtels et une des enseignes du groupe Choice, (Comfort).

Le contenu de lensemble des énoncés présents sur les sites et destinés aux clients a donc été analysé et comparé aux énoncés destinés aux voyageurs sur la plateforme en langue française dAirbnb. Pour chacun, nous avons décomposé loffre de services pour mettre en évidence les services de base et ceux ayant un caractère périphérique. Les verbatim les plus caractéristiques ont été repris, tout en conservant leur orthographe dorigine.

À côté des atouts qui sont ainsi identifiés, il est aussi intéressant de repérer les faiblesses ou lacunes de chaque offre de consommation. Pour ce faire, cest du côté des consommateurs que nous nous sommes tournés en analysant le contenu des messages laissés sur les blogs, les forums et les pages personnelles des consommateurs des deux types doffre de consommation. En effet, Internet fait désormais partie de la vie courante des personnes qui nhésitent plus à utiliser le Web pour accroître leurs connaissances, interagir avec dautres personnes, partager leurs expériences (Sayarh, 2013). Un des avantages du Web est de permettre à des individus géographiquement éloignés et ne se connaissant pas mais partageant les mêmes centres dintérêt ou les mêmes expériences, de communiquer entre eux. On trouve ainsi de nombreux blogs (par exemple, http://ouishare.net/fr), forums ou comptes facebook (par exemple, https://fr-fr.facebook.com/vivelacorevolution) de consommateurs ou des communautés virtuelles dans lesquels des conversations ont trait aux pratiques de la consommation collaborative. Nous utilisons donc linformation publiquement disponible sur Internet pour étudier et comprendre les attentes des consommateurs de léconomie collaborative, les atouts et les faiblesses de ce type de consommation, telles quelles sont exprimées par les consommateurs. Concrètement, cela consiste à parcourir les forums, les blogs et les réseaux sociaux en y relevant systématiquement les problèmes soulevés, les points positifs, les réactions …

Cette double étude doit nous permettre de répondre aux questions suivantes :

169

Quels messages sont véhiculés par chaque type doffre de consommation (collaborative et traditionnelle), et notamment quelles compétences distinctives sont mises en avant par chaque acteur ?

Quelles sont les attentes des consommateurs en termes de produit, de service, de services additionnels, de service après-vente ? Quelles aspirations traduisent-elles ?

Quels sont les atouts de chaque mode de consommation, en termes de contenu de loffre, de confiance, daccessibilité, de prix…

Quelles failles sont pointées par les usagers comme autant de sources de mécontentement.

I. Résultats : une offre collaborative
nettement décalée

Le site dAirbnb sadresse à la fois aux (futurs) hôtes et aux voyageurs. Les informations destinées aux voyageurs comportent des énoncés relatifs aux concepts, au fonctionnement de la plateforme, des informations destinées aux hôtes et des offres dhébergement spécifiques. Chaque offre est présentée selon une matrice-type qui comporte une présentation de lhôte, une présentation du logement et des commentaires de voyageurs ayant séjourné dans ce logement.

Concernant la partie logement, la matrice comporte une présentation succincte rédigée librement par le propriétaire ainsi que sept autres rubriques principales : le logement, les équipements, les tarifs, le règlement intérieur, les dispositifs de sécurité, la disponibilité et les photographies. À lexception de la description du logement, les informations contenues dans ces rubriques sont fournies sous la forme dune liste ditems qui sont complétés par lhôte (capacité daccueil, nombre de salles de bain, etc.) qui apparaissent à lécran sils sont présents (les équipements de sécurité, par exemple) ou qui sont toujours mentionnés et mis en gras lorsquils sont présents ou barrés lorsquils sont absents. Seule la rubrique description libre permet à lhôte de décrire son offre dhébergement comme il le souhaite.

170

Analyse des offres

La suite de notre analyse consiste à décliner les caractéristiques des différentes offres exprimées sur les sites en fonction du domaine sur lequel elles portent : le service central (lhébergement), les services périphériques, les tarifs puis les éléments de fiabilité.

Le service central : lhébergement

Les informations recueillies sur les sites Internet hôteliers concernent essentiellement le cœur de loffre, à savoir : la chambre et ses équipements mais aussi laccueil quil est difficile de dissocier.

La chambre : bien dormir

Sur tous les sites des hôtels étudiés, la majorité des informations fournies concernent la chambre et ses équipements. Systématiquement, ce thème est abordé de deux manières, dun point de vue factuel, voire même technique, et dun point de vue plus subjectif, plus expérientiel.

Le côté spacieux, fonctionnel, modulable de la chambre est mis en avant, mais aussi son design. Elle est évoquée comme un véritable espace à vivre, un lieu de vie et de complicité, à latmosphère apaisante, feutrée. Si quelques énoncés ont trait à linsonorisation, à loccultation, à léquipement (téléviseur, wifi…), la majorité concerne la literie. Un grand nombre dénoncés, parfois des pages entières, lui sont consacrés avec force détails techniques. Il y est question de manière détaillée du sommier, du matelas et de son sur-matelas, des couettes et de leur housse, des oreillers. À côté des informations techniques (ex : « Un matelas double technologie : un matelas à mémoire de formes grâce à des ressorts ensachés »), on trouve également un langage plus sensuel comme par exemple pour les couettes (« moelleuse, sensations enveloppantes, douillette, onctueuse, matière douce, accueillante, sensation soyeuse, douceur inédite ») ou le sur-matelas (« épais et addictif ») mais également une approche plus marketing (Ibis : « votre sommeil heureux est notre priorité » ; Kyriad : « une literie de qualité pour que votre séjour ne soit que confort et bien-être »).

Sur le site dAirbnb, les informations concernant la chambre ou le logement sont très succinctes puisquelles se résument à un simple 171inventaire de ce qui est présent ou absent et de quelques nombres (nombre de chambres, nombre de couchages…).

Laccueil

Laccueil fait partie intégrante des métiers dhôtellerie. Pourtant peu dénoncés factuels lui sont consacrés. Il y est question des horaires daccueil, de la présence de bornes dassistance, du système de check-in et check-out mis en place. En revanche, laccent est fortement mis sur lécoute et la disponibilité des équipes, jusquà prendre une forte orientation marketing (Ibis : « Jour et nuit, nos équipes sont à votre écoute. On soccupe de tout. On soccupe de vous 24h/24 » ; B&B : « Vous accueillir en personne et dans la bonne humeur, cest un point dhonneur, chez B&B Hôtels »).

Cette large place accordée aux énoncés marketing concernant laccueil rejoint la volonté des hôteliers de réduire le plus possible le temps consacré aux formalités administratives et à lenregistrement, afin de laisser plus de place au contact avec le client (Christine Pouletty, directrice parcours client chez Accor).

Chez Airbnb, peu dinformations relatives à laccueil sont mentionnées dans la matrice de loffre à lexception des horaires dentrée et de sortie des lieux. Par contre, sur la plateforme de nombreux arguments marketing y font référence (« Découvrez laccueil chaleureux que les hôtes Airbnb vous réservent à travers le monde »).

Les services périphériques

Parmi les services périphériques, le petit déjeuner fait lobjet des énoncés les plus nombreux. Les énoncés vantant le buffet sont principalement sur le registre factuel (varié, à volonté) listant les produits proposés, mais parfois plus subjectifs (équilibré, gourmand…) La dimension marketing nest pas non plus absente (Ibis : « démarrez la journée du bon pied, à votre rythme » ; B&B : « difficile de résister à lappel des sirènes… du buffet en libre-service et à volonté » ; Kyriad : « Dès le petit-déjeuner, savourez la différence Kyriad »).

Les autres services périphériques proposés dépendent beaucoup de la gamme de lhôtel. Les hôtels très économiques en proposent peu, à 172la différence des hôtels étoilés. Ainsi, Novotel par exemple, consacre de nombreuses pages de son site aux services périphériques tels que le bar, le restaurant, les équipements sportifs, la piscine etc. Certaines enseignes ont développé une offre réservée aux professionnels en déplacement (espaces de travail, salles de réunions, ou même une équipe dédiée à lorganisation des réunions ou conférence).

Chez Airbnb, le service du petit déjeuner est simplement mentionné sous la forme oui/non dans le formulaire de présentation du logement. Peu dinformations concernent les éventuels services périphériques associés aux offres dhébergement, à lexception de la piscine, du jacuzzi, de la salle de sport, sous la forme présent ou absent. Pour les professionnels, Airbnb propose une sélection de logements (« business travel ready ») qui offrent des services et des équipements appropriés ainsi quun système de facturation idoine.

Les tarifs

Tous les sites dhôtel analysés comportent des énoncés relatifs aux prix et un programme de fidélité. Les énoncés parlent du rapport qualité/prix (Comfort) ou simplement du prix (« des prix dami » chez B&B Hôtels, « Vous ne trouverez jamais moins cher ailleurs » chez Novotel). Choice de son côté propose la garantie du meilleur prix Internet, tout comme Ibis ou Kyriad qui garantissent le meilleur prix (Ibis : « Si vous trouvez moins cher ailleurs, nous vous offrons ce tarif moins 10 % » ; Choice : « Réservez votre chambre sur ChoiceHotels.fr et si vous trouvez un meilleur tarif public pour le même hôtel, le même type de chambre et aux mêmes dates sur un autre site internet éligible, nous nous engageons à vous offrir la première nuit et à aligner le prix du reste du séjour sur le tarif le plus bas » ; Kyriad : « Meilleur prix garanti »).

Rien de semblable chez Airbnb, aucun énoncé ne parle du prix. Par contre, le prix à la nuitée est mentionné en grand sur chaque offre de logement. Il doit être perçu comme attractif, sans nécessiter une argumentation particulière.

173

La fiabilité

La fiabilité est souvent définie comme la capacité à réaliser le service promis en toute confiance et de manière précise. Elle est argumentée de façon très différente par les professionnels de lhôtellerie et par la plateforme collaborative. Les premiers mettent en avant leur réseau et la standardisation qui y est mise en place, comme un premier élément dassurance qualité. Le site collaboratif mise sur une charte de bon comportement et surtout sur le système de notation ex-post qui est censé, à la fois, modérer les tentations dabus des deux parties et donner des informations rassurantes pour les futurs accords entre pairs. Les deux modèles déclarent aussi mettre en œuvre un service client dédié à la résolution des problèmes éventuels.

La standardisation, le réseau

Les sites hôteliers mettent clairement en avant leur réseau dhôtels en mentionnant systématiquement la taille de leur réseau et son implantation mondiale (Novotel : « avec plus de 400 hôtels & resorts dans 61 pays », Ibis : « 3 marques et 1 800 hôtels dans le monde », B&B : « 245 en France, 23 en Italie, 358 en Europe », Kyriad : « 240 hôtels en France ») et proposant des hébergements dans plusieurs établissements. Il en est de même pour Airbnb qui propose sur sa page daccueil des liens vers des hébergements dans plusieurs villes et pays, mais bien sûr, il ny a aucune standardisation, cest même le contraire qui serait recherché.

Les garanties

Airbnb a mis en place une Charte dhébergement dans laquelle sont mentionnées les règles à respecter par lhôte au sujet de la mise à jour de loffre et du calendrier des disponibilités, des délais de réponse aux demandes dinformation et de réservation des voyageurs, de son engagement vis-à-vis de la réservation, de la conformité entre loffre et la réalité, de la propreté. En cas dévaluations négatives, Airbnb se réserve le droit dappliquer des pénalités financières, voire de retirer loffre du site.

Enfin, les commentaires sont un moyen pour les voyageurs de partager leur expérience par rapport à leur séjour dans un hébergement. 174Peu utilisé sur les sites hôteliers, à lexception de B&B Hôtels, ils sont très systématiques et très utilisés sur le site dAirbnb.

Le service client

Sur les sites hôteliers, des informations sont systématiquement présentes sur le service client, via une fiche de contact, une adresse mail ou un numéro de téléphone. Par ailleurs, les énoncés mettent généralement laccent sur lécoute et la disponibilité du personnel pour répondre aux besoins. B&B propose même un dédommagement en cas dincident non réglé. (« Si un incident survient et que nous ne pouvons pas le régler sur place et tout de suite, nous vous remboursons immédiatement et nous vous offrons une invitation pour votre prochain séjour »).

Chez Airbnb, laccent est également mis sur la disponibilité de leur équipe pour répondre aux problèmes des voyageurs. Pas de numéro de téléphone, mais bien une fiche de contact à compléter. (« Nous sommes là pour vous aider 24h/24, Que vous soyez voyageur ou hôte, communiquez avec notre équipe internationale de lassistance utilisateurs. Ce sont de véritables interlocuteurs en chair et en os, et ils sont disponibles 24h/24, partout dans le monde »).

Le Tableau 2 propose une lecture comparée du marketing des deux modèles. Les hôtels proposent une offre complète associant le cœur de loffre (lhébergement et laccueil) avec des services périphériques plus ou moins étendus (petit déjeuner, location de voiture, etc.). Cette offre complète constitue une vraie fleur de services, comme la définie Lovelock (2000) qui couvre au mieux les besoins principaux et secondaires des clients.

De son côté, Airbnb propose un nombre dhébergements nettement plus important que loffre hôtelière. Cette offre est très diverse, voire hétérogène, mais cela permet de répondre aux souhaits, besoins, désirs de chacun. Cependant, contrairement aux hôtels, Airbnb ne maîtrise ni le cœur de cette offre, ni les services périphériques. En effet, ce sont les hôtes et eux seuls qui gèrent leur logement (léquipement, lorganisation, la propreté, la localisation), les réservations, laccueil, les services annexes (petit déjeuner, draps et serviettes, wifi etc.). Ne pouvant communiquer sur le contenu de loffre, Airbnb communique plutôt sur lesprit, la sécurité des transactions, et son service client qui deviennent des éléments essentiels de sa crédibilité.

175

Modèle plateforme collaborative (Airbnb)

Modèle classique

(Accor, B&B, Choice, Kyriad)

Sujet

Vous

Nous

Contexte

Le monde

Le réseau

Promesse marketing

Vivre, rencontrer, aimer, découvrir

Bien dormir, bien manger, ressentir du bien-être,
« on soccupe de tout »

Arguments marketing

Les hôtes, les expériences vécues, les lieux

La fleur de service

Le savoir-faire

Slogans-types

Découvrez le monde

Réservez des logements uniques auprès dhôtes locaux dans plus de 191 pays

Vivez là-bas, comme chez vous

Jour et nuit, nos équipes
sont à votre écoute.

On soccupe de tout.

On soccupe de vous 24h/24.

Votre sommeil est notre priorité.

Votre chambre et votre lit sont
d
un confort absolu.

Illustrations graphiques

Films de rencontres
et de moments partagés.

Les hôtes et les voyageurs

Photos des lieux

Descriptifs techniques (lits)

Actions promotionnelles

Mise en scène professionnelle
des lieux et offres de service

Sujets communs traités différemment :

Prix

Échec de la prestation

Prix présenté, critère de choix.

Service-client

Prix argumenté.

Politiques de réparation

Tab. 2 – Le marketing des chaînes hôtelières
et de la plateforme Airbnb.

Les commentaires des utilisateurs

Étudier les commentaires des utilisateurs des deux types doffre vise à mettre en lumière les faiblesses et les lacunes de loffre collaborative, mais également ses points forts, tels quils sont perçus par le consommateur. La netnographie recense les messages postés sur des forums, des blogs etc. portant sur laspect de la consommation qui est concerné. Les recommandations habituelles concernant le seuil de saturation des informations (Blanchet et Gotman, 2007) ont servi de guide pour décider dinterrompre le recueil des informations.

176

Ont ainsi été relevés, les contenus de 138 avis et commentaires laissés sur le net, entre le 1er mai 2015 et le 21 juillet 2016 par des voyageurs après avoir loué un hébergement via la plateforme Airbnb. Ces commentaires proviennent principalement du blog « Nowmadz » (29) et de plusieurs forum, en particulier “Trustpilot” (78) ou « Voyage forum » (22). Parallèlement, 126 commentaires postés entre le 1er mai 2016 et le 21 juillet 2016 par les utilisateurs de chaînes hôtelières ont également été relevés à partir de sites de cashback tels quIgraal (114), ebuyclub (6) et poulpeo (6). Ces sites ont été choisis pour deux raisons majeures. Dune part, seules les personnes ayant réservé un hébergement via le site de cashback peuvent faire part de leur avis et expérience sur ce site. Cette précaution permet de réduire le risque davoir des commentaires de clients factices. Dautre part, les avis émis sur ces sites ne concernent pas un hôtel en particulier mais peuvent concerner lensemble des établissements dune même enseigne. Ils nous permettent ainsi de récolter des informations sur des expériences variées, en lien avec quatre chaines hôtelières : Kyriad (35), Novotel (23), Ibis budget (48) et B&B (20). Seuls les commentaires rédigés en français et concernant des hôtels situés en France ont été conservés.

Le matériel ainsi récolté a fait lobjet dune analyse de contenu selon une perspective inductive de manière à faire émerger des catégories danalyse (Spiggle, 1994). Ces catégories ont ensuite été regroupées en thèmes. Pour illustrer le propos, les verbatim les plus caractéristiques sont reproduits dans le texte, tout en conservant, comme cest lusage, leur orthographe, parfois fautive. Les commentaires des clients sur les hôtels sont analysés dabord, puis ceux sur la plateforme dhébergement collaboratif Airbnb.

Les chaînes hôtelières

Pour les chaines hôtelières traditionnelles, la première chose qui saute aux yeux est labondance des évaluations positives, une observation qui prend toute sa valeur si on considère les précautions prises dans la collecte des commentaires. La seconde chose concerne les thèmes relevés dans ces commentaires. En effet, six thèmes ont émergé, ils concernent lhôtel, les services, laccueil et le personnel, les aspects financiers, le réseau et le site Internet (cf. Tableau 3).

177

Le cœur de loffre : lhôtel et laccueil

Lhôtel est au cœur des commentaires rédigés par les clients de chaines hôtelières. En effet, sur les 126 avis récoltés, 105, soit près de 84 % ont abordé ce thème. Trois aspects y sont mentionnés : létablissement, son agencement et son emplacement dune part, la chambre, la literie, les sanitaires et son équipement dautre part, et enfin, la propreté, les nuisances sonores ou olfactives et le confort. Parmi ces aspects, trois semblent particulièrement importants aux yeux des clients. La chambre, en particulier sa taille, la luminosité, sa décoration, est mentionnée dans 47 % des avis de ce thème : les clients apprécient quelle soit spacieuse, lumineuse, bien décorée, moderne, accueillante (« Chambre suffisamment grande pour accueillir un lit parapluie » ; « Chambre très spacieuse avec 2 enfants »).

Lhôtel (105)i

83,8 %ii

Laccueil, le personnel (51)i

40.5 %ii

Aspects évoqués

Freq %iii

Pos %iv

Laccueil

43

95

Létablissement

23

71

Le personnel

67

94

Lagencement

4

75

Le prix (61)i

48,4 %ii

Lemplacement

47

98

Aspects évoqués

Freq %iii

Pos %iv

La chambre

47

77

Le rapport qualité/prix

56

79

La literie

17

72

Le prix

44

78

Les équipements de la chambre (TV, bouilloire…)

6

67

Les promotions

15

100

Les sanitaires

20

57

Le réseau (20)

15,9 %ii

La propreté

45

91

Létendue du réseau

25

100

Les nuisances

24

80

La standardisation

75

93

Le confort

7

70

Le site Internet (35)i

27,8 %ii

Les services (68)i

54,0 %ii

Lergonomie du site

51

100

Aspects évoqués

Freq %iii

Pos %iv

La réservation

66

91

Les services associés
(navette aéroport…)

15

100

i.Nombre de commentaires portant sur un thème donné.

ii.Part des 126 commentaires recueillis portant sur un thème donné (en %).

iii.Proportion (en %) de commentaires évoquant un aspect particulier parmi ceux ayant trait à un thème donné (le total peut dépasser 100 % du fait que chaque commentaire peut aborder plusieurs aspects dun même thème).

iv.Évaluations positives, en % du nombre total de commentaires traitant un aspect particulier.

Le parking

34

74

La piscine

7

100

La Wifi

12

75

Les équipements annexes
(salle de sport, de jeux…)

10

86

Le petit déjeuner

53

81

La restauration

16

45

Tab. 3 – Dénombrement des thèmes et aspects relevés
dans les 126 commentaires de clients de chaînes hôtelières.

178

Lemplacement de lhôtel est également très commenté puisquil en est question dans 47 % des avis traitant de lhôtel : les clients apprécient quil soit aisément accessible, localisé au plus près de leurs centres dintérêts et à proximité de restaurants et de commerces (marc g – Igraal – 9/06/2016 : « Hôtel située prés des accès rapide, dans une zone très tranquille, de nombreux restaurant de proximité déplacement à pied »). Enfin, la propreté est présente dans 45 % des avis sur lhôtel, quil sagisse de sa propreté générale, de celle de la chambre, des sanitaires ou de la literie.

Dautres aspects semblent moins récurrents, mais sont tout de même mentionnés par plus de 20 % des avis portant sur le thème de lhôtel. Ainsi, les clients apprécient que létablissement ait du charme, soit localisé dans un cadre agréable, soit bien décoré, voire même rénové. Concernant les sanitaires, ils apprécient que la salle de bain soit privative, comporte un bain ou une grande douche, quelle soit bien équipée et que les toilettes soient séparées (Stéphanie – Igraal – 15/07/2016 : « salle de bain petite mais fonctionnelle avec baignoire, sèche-cheveux, articles de bain et boite de mouchoirs à disposition, toilettes séparés »). Cependant, ils regrettent souvent (seulement 57 % davis positifs) leur exiguïté, labsence de porte ou de rideau de douche (« Seul bémol la salle de deau trop petite impossible de se tourner devant le miroir si la porte était fermé »). Enfin, les nuisances sonores ou au contraire la bonne insonorisation sont également présentes dans 24 % des avis de ce thème.

Les clients font mention de laccueil et du personnel dans près de 41 % des commentaires récoltés. Le personnel, présent dans 67 % des avis de ce thème, est considéré comme professionnel, réactif, efficace, disponible, aimable, agréable, poli, courtois, souriant, sympathique. Lattitude du personnel, perçue positivement dans 94 % des cas, contribue largement à ce que le client se sente bien accueilli à son arrivée à lhôtel. La qualité de laccueil semble dailleurs très importante à ses yeux puisquil en est question dans 43 % des avis de ce thème.

Les services périphériques

Les avis sur les services périphériques ont été relevés dans 54 % des commentaires récoltés. Deux aspects sont particulièrement importants aux yeux des clients : le petit déjeuner et le parking mentionnés respectivement dans 54 % et 34 % des commentaires de ce thème. Il apparait 179que les clients apprécient que le petit déjeuner soit complet, varié, copieux, bon, suffisant, de qualité (81 % davis positifs), mais déplorent parfois quil ne soit pas compris dans le prix ou quil soit trop cher. Quant au parking, cest un vrai plus pour un hôtel surtout lorsquil est gratuit, spacieux et sécurisé. Lorsque lhôtel ne possède pas de parking en propre, les clients apprécient quil ait des accords avec des parkings voisins pour un prix réduit. Les avis négatifs (26 %) portent justement sur le fait que le parking de lhôtel soit payant, trop cher ou non fermé.

Enfin, si la présence dune piscine, le bon fonctionnement dune Wifi, les navettes vers laéroport, les équipements collectifs et la restauration sont mentionnés, ils sont toutefois absents dans au moins 84 % des commentaires de ce thème. Ceci sexplique aisément par le fait que ce type de service nest en général proposé que par les hôtels de milieu de gamme et non par les hôtels économiques. Remarquons toutefois le faible taux dévaluations positives de la restauration qui ne recueille que 45 % de commentaires favorables lorsquelle est proposée par lhôtel. Les critiques portent surtout sur les prix, la qualité et le manque de variété. (Annie B – Novotel – 4/05/2016 : « Revoir un peu le restaurant car nous avons été déçus, les quantités étaient vraiment justes et la qualité moindre »).

Les aspects financiers et la réservation

Le prix est également au cœur des préoccupations des clients puisque près de la moitié (48 %) des commentaires y ont trait. Quil soit question ici du rapport qualité-prix ou simplement du prix, il est plutôt évalué positivement (79 % et 78 %). 15 % des commentaires mentionnent en outre lexistence de nombreuses promotions sur les sites des hôtels.

Les commentaires ont été récoltés sur des sites qui nacceptent les avis que sils proviennent de clients ayant effectué une réservation via le site de la chaine hôtelière et sa plateforme de réservation. 28 % des commentaires parlent du site de réservation, principalement de manière positive. Le site utilisé est qualifié dagréable, simple dutilisation, la recherche y est rapide, la disponibilité des chambres bien mentionnée, la réservation aisée et le paiement sécurisé. Les clients apprécient en outre la possibilité dannuler une réservation sans frais jusquau jour J (Sébastien H – Novotel – 14/06/2016 : « Site internet très bien On 180trouve facilement ce que lon cherche – offre variée – panier simple – paiement sécurisé »).

La fiabilité

Enfin, près de 16 % des commentaires recueillis mettent en avant les avantages des chaînes hôtelières et notamment la standardisation de loffre quelles mettent en œuvre. Pour les clients, elle est attendue et rassurante puisque les prestations et la qualité seront de même niveau quel que soit létablissement choisi. Le client sait donc bien à quoi sattendre et ne peut être déçu, sauf anomalie dont il pourra obtenir un dédommagement. (Laila – Ibis – 26/05/2016 : « Les hôtels IBIS se ressemblent tous donc aucune deception à avoir quand on les choisit »).

La plateforme Airbnb

Alors que les chaînes hôtelières prennent en charge lensemble du processus du service (depuis le site Internet présentant les offres, la réservation et la gestion financière, jusquà laccueil, lhébergement, les services annexes et le service client), Airbnb sépare les activités : ainsi, les réservations, les contacts clients, la gestion du logement et laccueil des voyageurs sont du ressort du propriétaire de lhébergement, tandis que la gestion du site Internet, les aspects financiers et le service client sont pris en charge par la plateforme Airbnb. Chaque transaction voit donc intervenir deux acteurs exerçant des métiers différents pour assurer le service dun troisième. Les commentaires des internautes reflètent cette séparation des tâches.

Six thèmes ont été mis en évidence dans les 138 commentaires publiés par des clients dAirbnb que nous avons recueillis. Trois thèmes concernent le service dintermédiation offert par Airbnb, quils aient trait au fonctionnement de la plateforme, au site internet ou à lesprit dAirbnb. Deux thèmes portent sur les prestations des hébergeurs ou hôtes et concernent plus particulièrement le logement et le comportement de lhôte. Enfin, un dernier thème porte sur les aspects financiers. Ce qui frappe au premier coup dœil à la lecture du Tableau 4, cest le nombre important de commentaires négatifs qui touchent à lensemble aspects relevés.

181

Lintermédiation

Fonctionnement
de la Plateforme (52)
i

37,7 %ii

Site internet (41)i

29,7 %ii

Aspects évoqués

Freq %iii

Pos %iv

Aspects évoqués

Freq %iii

Pos %iv

Service client

79

18

Ergonomie du site

42

47

Remboursement

52

21

Procédure didentification

27

9

Compensation

25

61

Mise à jour du calendrier

20

0

Proposition de solution

12

33

Filtrage des avis négatifs

20

0

Prise en charge des frais supplémentaires

12

0

Procédure de réservation

20

38

Vérification des logements

8

0

Procédure de Paiement

15

50

Blocage du compte client

6

0

Esprit AirBnB (14)i

10,1 %ii

Fonctionnement bon de réduction

4

50

Nouer des contacts

43

67

Absence de contrat de location

4

0

Esprit perdu

36

0

Pas de sanction du propriétaire

2

0

Découvrir des lieux, des façons de vivre

29

100

Modalité dencaissement caution

2

0

Professionnalisation des hôtes

21

0

Offre Plateforme (7)i

5,1 %ii

Participer à la vie des gens

14

100

Étendue et qualité de loffre

100

87

Lhébergement

Lhôte (49)i

35,5 %ii

Le logement (35)i

25,4 %ii

Aspects évoqués

Freq %iii

Pos %iv

Aspects évoqués

Freq %iii

Pos %iv

Accueil

25

42

Propreté/vétusté /

Insalubrité / Nuisances

69

9

Comportement / attitude

57

21

Conformité à lannonce

49

18

Annulation de la réservation

39

0

Équipement

40

29

Refus de location sans motif

4

0

Confort

20

14

Services rendus (5)i

3,6 %ii

Emplacement

17

83

Petit-déjeuner

80

75

Logement spacieux

14

80

Autre : documentation, conciergerie, horaires …

80

75

Accès à toute la maison

6

100

Aspects financiers (27)i

19,6 %ii

i.Nombre de commentaires portant sur un thème donné.

ii.Part des 138 commentaires recueillis portant sur un thème donné (en %).

iii.Proportion (en %) de commentaires évoquant un aspect particulier parmi ceux ayant trait à un thème donné (le total peut dépasser 100 % du fait que chaque commentaire peut aborder plusieurs aspects dun même thème).

iv.Évaluations positives, en % du nombre total de commentaires traitant un aspect particulier.

Prix de location

48

87

Frais de commission Airbnb

32

0

Frais de ménage

13

0

Rapport qualité/prix

7

100

Tab. 4 – Dénombrement des thèmes et aspects relevés
dans les 138 commentaires dutilisateurs dAirbnb.

182

Les services dintermédiation

Le fonctionnement dAirbnb est le thème le plus fréquemment abordé. Près de 38 % de lensemble des commentaires sy réfèrent. Deux aspects sont ici très présents, le service client et le remboursement des clients (respectivement 79 % et 52 % des avis abordant ce thème). Si quelques internautes vantent la réactivité du service client, nombreux sont ceux qui mettent en cause sa compétence (seulement 18 % de commentaires positifs) et qui soulignent la difficulté à entrer en contact avec lui : pas de numéro de téléphone mentionné sur le site, temps dattente très long pour obtenir un interlocuteur, communications uniquement en anglais. Ils se plaignent de son manque de réactivité (courriels laissés sans réponse, ou très long délai de réponse), de labsence de suivi des dossiers (interlocuteurs différents qui adoptent des positions différentes) ou de labsence dexplication des décisions prises (Perdaems – Nowmadz – 13 avril 2016 : « [] déjà cest très difficile de trouver comment contacter Airbnb : aucun numéro de téléphone, la réclamation se fait par mail, la réponse se fait des heures après et cest toujours une personne différente qui vous répond à laide dune réponse “type”. Jai laissé un numéro de téléphone, personne ne ma rappelé »). De plus, de nombreux commentaires (52 % des avis de ce thème) signalent également des difficultés de remboursement rencontrées en cas de gros problème (annulation, logement insalubre…) : soit le remboursement est long et nécessite plusieurs appels et courriels, soit il est très partiel voire même refusé sans aucune justification (Vincent – Nowmads – 23 novembre 2015 : « Non remboursement alors que lHôte à annulé la réservation juste après que ma réservation ait été acceptée. Je me suis fais planté et jai payer pour un logement que je nai jamais vu »).

La faiblesse voire labsence des compensations financières (25 % des avis de ce thème) et labsence daide, pourtant promise sur son site, par Airbnb en cas de problème sur place (12 %) sont également des thèmes récurrents. Les clients attendent de la plateforme quelle leur trouve une solution dhébergement lorsquils se heurtent sur place à une défaillance totale du service acheté (non-conformité, annulation, refus daccueil ou simplement escroquerie sur un logement sans existence réelle). Ils considèrent aussi quelle devrait prendre en charge les frais supplémentaires occasionnés par les problèmes survenus sur place.

183

Lautre versant, celui de la prévention de ce type de risques, est également évalué négativement par les utilisateurs dAirbnb : les plaintes portent sur la non-vérification des offres, la non-vérification des logements et labsence de sanction des hôtes indélicats (annulation des réservations, manquement à lhygiène, absence de conformité entre loffre et la réalité…). Pour le consommateur, cest le rôle de la plateforme que de garantir la qualité de la transaction avec lhôte et la qualité de lhébergement. Certains internautes qui considèrent avoir été victimes dun hôte peu conforme, voire malhonnête, ne comprennent pas que leurs avis, destinés à prévenir dautres usagers, ne soient pas mis en ligne par la plateforme.

Il est question du site Internet dans près de 30 % des commentaires recueillis et plus particulièrement de lergonomie du site qui compte 47 % dévaluations positives. Les offres sont bien présentées mais les filtres ne permettent pas toujours de rechercher rapidement. Lajout dune carte localisant les offres a permis de remédier pour partie à ce problème. Cependant, les procédures didentification à effectuer en cas de réservation et ajoutées récemment sont considérées comme intrusives par plusieurs internautes (De Cloedt – Trustpilot – 14 août 2015 : « Sen suis un très long questionnaire de choses plus ou moins personnelles, demande de photos gros plan du visage de bonne qualité pour ne pas surprendre le loueur (délit de sale gueule), plusieurs photos si possibles pour cerner la personnalité, le comble arrive avec une demande de scan dune pièce didentité, passeport, permis de conduire ou carte didentité »).

Lesprit Airbnb, tel quil est présenté sur leur site, serait une autre façon de voyager, en nouant des contacts, en découvrant dautres façons de vivre, en participant à la vie des gens sur place. Ces éléments se retrouvent dans les commentaires des internautes respectivement pour 43, 29, 14 % et sont souvent évalués positivement (respectivement 67, 100 et 100 % davis positifs). Cependant, quelques uns signalent et regrettent ce quils considèrent comme une dérive par rapport à lesprit initial du collaboratif qui reposait sur de lhébergement entre particuliers. Si cest encore le cas pour de nombreuses offres, certains internautes constatent que les logements proposés ne sont plus toujours ceux des hôtes, mais parfois des logements destinés uniquement à la location et quune même personne en propose parfois plusieurs ; la dimension 184expérientielle promise par loffre sen trouve profondément altérée. Ce qui paraît légitime chez un professionnel peut alors être vécu comme un abus et engendrer de linsatisfaction.

La variété et létendue des offres ou leur côté hétérogène sont peu souvent abordés par les internautes dans les commentaires que nous avons recueillis, mais lorsque cest le cas, cest un aspect fortement apprécié des voyageurs (87 % davis positifs).

Lhébergement et lhôte

Lhôte est très fréquemment au cœur des commentaires (36 %) concernant ce thème. Même si la majorité des voyageurs occupent un logement dans lequel le propriétaire nest pas présent au moment de leur séjour, laccueil, le partage dexpérience est pourtant fortement apprécié (Sego – Nowmads – 19 mai 2015 : « participer à la vie chez les gens : en nous invitant à déguster des plats pakistanais à Dubaï, ou des plats portugais à Copenhague, en jouant aux mots croisés en Australie ; les propriétaires qui partent en week end et nous laissent leur appart ; les propriétaires qui nous prêtent un masque et tuba pour aller observer les poissons en snorkelling »). Malheureusement, les nombreux commentaires négatifs (seulement 21 % dévaluations positives) montrent que le partage dexpérience promis nest pas toujours au rendez-vous. Lhôte peut parfois faire preuve de comportements inappropriés (tenues légères, irruption dans les chambres ou dans lappartement sans prévenir, comportement équivoque), voire même tenter descroquer les voyageurs (demande de paiement en liquide, de paiement de frais supplémentaires, augmentation de prix au moment de la réservation…).

Parmi les comportements dont se plaignent les usagers, près de 40 % des commentaires de ce thème signalent comme un grave problème la possibilité pour les hôtes dannuler la location, même au dernier moment, laissant ainsi les voyageurs dans le plus grand désarroi (Katou – Trustpilot – 23 avril 2015 : « jai réservé lété dernier pour une voyage de 15 jours à Los Angeles. Lhôte a annulé à 2h du matin heure française alors que nous décollions à 7h vers LA. Nous avons réussi à trouver un autre logement mais beaucoup moins bien et plus cher. Nous avons décidé de retenter lexpérience cette année pour Miami []. Même scénario, annulation par lhôte pour aucune raison valable »).

185

Le logement est présent dans 25 % des commentaires. Deux types de commentaires coexistent concernant le logement. Côté positif, ils mettent en avant son côté pratique (possibilité de faire ses repas, de se reposer pendant que les enfants font la sieste, davoir plus quune simple chambre) son emplacement et, dans une moindre mesure, son équipement (Sego – Nowmads – 19 mai 2015 : « Une chambre, chez lhabitant, ça veut dire plus de place que si on louait une chambre dhôtel, on peut accéder au salon, à la cuisine, se faire ça popote, etc. »).

Côté négatif, il est très souvent question dabsence de propreté, de vétusté, voire dinsalubrité (69 % des commentaires sur ce thème) et dabsence de conformité entre lannonce et la réalité (49 % des commentaires sur ce thème). (Frenchwithbenefit : « lappartement est vraiment crade. Il y a des taches sur le lit, les taies doreiller puent, les serviettes de bain sont tachées et il y a des taches ou de la poussière en grande quantité un peu partout »).

Les aspects financiers

Le prix des locations est fréquemment abordé (48 % des commentaires de ce thème) et il sagit certainement du point positif le plus important (87 % davis positifs). Les expériences des internautes rapportent quil sagit dune solution économique de logement comparativement aux offres hôtelières (« Ca nous est revenu bien moins cher quune petite chambre dhôtel et cela nous a également évité de trop avoir à dépenser en restaurants, laverie, etc. »).

Néanmoins, plusieurs commentaires trouvent excessifs les frais de service prélevés par Airbnb (32 % des commentaires de ce thème) et le coût parfois élevé des frais de ménage (13 %).

La dichotomie organisationnelle de loffre collaborative semble donc affecter la qualité de service car elle introduit des éléments de déresponsabilisation des offreurs (annulation surprise des réservations par les hôtes, difficultés pour obtenir le remboursement, propreté critiquable, non-conformité du logement par rapport à lannonce). Au-delà des problèmes de qualité de la prestation de service, cest également la fiabilité du service client qui est clairement mise en cause (délai, réponse dans la langue de lutilisateur, absence de ligne téléphonique dédiée, absence daide sur place). La confiance établie entre pairs trouve donc là une 186vraie limite, alors que loffre intégrée des hôtels permet la mise en place dune politique de réparation en cas déchec de la prestation de service.

Conclusion

Il convient de rester prudent avant de tirer des conclusions de cette étude qualitative car il sagit dune approche exploratoire. Le modèle collaboratif évolue rapidement, tout comme, dailleurs, le modèle conventionnel. Soulignons, par exemple, lacquisition récente par le groupe Accor de la société Fastbooking en avril 2015, acteur spécialisé dans la création de sites web, afin daccélérer la digitalisation de lentreprise dans le cadre de son plan Leading Digital Hospitality (Xerfi, 2015). Seules certaines enseignes ont été étudiées et cela peut également constituer une limite. Lanalyse qualitative exploratoire na cependant pas pour but dêtre représentative, mais de couvrir un large éventail de situations pour identifier les concepts pertinents. Malgré les précautions prises, lopinion des consommateurs na pu être recueillie quà travers le prisme des commentaires diffusés sur Internet et la question demeure toujours de savoir jusquà quel point il sagit de vrais consommateurs et dans quelle mesure ils sont représentatifs.

Cette recherche apporte cependant quelques éléments permettant une meilleure compréhension, dun point de vue marketing, de ce nouveau phénomène quest la consommation collaborative. Létat des lieux de cette nouvelle forme de consommation dans le secteur de lhébergement temporaire montre que trois modes opératoires y coexistent : sans contrepartie, avec contrepartie réciproque, et avec contrepartie financière. Ce dernier mode concentre notre intérêt car il concurrence directement les offres traditionnelles du secteur hôtelier.

Lanalyse approfondie des arguments marketing de plusieurs sites de chaînes hôtelières a permis de souligner que les offres proposées présentent peu de points communs avec le principal site collaboratif qui les concurrence. Tous, cependant, prévoient des procédures de réassurance afin détablir la confiance nécessaire à toute transaction. Dun côté, une offre de service détaillée, déclinée sur une véritable fleur 187de services et appuyée sur un savoir-faire professionnel, de lautre une promesse dexpériences très diverses, sans limite géographique. Enfin, la netnographie permet de dessiner la façon dont les consommateurs perçoivent les différentes offres et les promesses quelles contiennent. Les commentaires étudiés sont rarement neutres : soit positifs, soit négatifs. Loffre hôtelière est abordée par des commentaires portant sur les différents aspects de loffre (lhôtel, la chambre, les services annexes et le personnel en contact), avec une écrasante majorité de commentaires positifs. Pour le modèle collaboratif, les remarques prennent plus facilement la forme de récits dune expérience vécue. Elles concernent, tantôt lhébergement et les hôtes, tantôt le fonctionnement de la plateforme. Les opinions exprimées sont beaucoup plus tranchées et un grand nombre de récriminations ont été relevées, la plupart mettant en cause le fonctionnement du service client et la réalité du soutien apporté par la plateforme en cas de problème. Faute danticipation et dune gestion adéquate par la plateforme, des problèmes prenant naissance au niveau de la relation entre pairs, risquent ainsi de se répercuter au niveau de la réputation dune plateforme et daffecter la relation de confiance quelle cherche à établir avec ses usagers.

188

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