ÉDITORIAL

La disparition subite en août 2021 de Gordon Millan prive notre revue et notre communauté de chercheurs et chercheuses d’un des mallarmistes les plus appréciés de sa génération. Né Charles Gordon Millan à Kirkcaldy, en Écosse en 1946, il découvre le poète symboliste lors de sa licence en Français et en Latin à l’Université d’Édimbourg (1964-1968). C’est sous la direction d’un autre éminent mallarmiste, Carl Barbier, que Millan défend une thèse sur Pierre Louÿs en 1974. Son intérêt pour celui-ci aboutira à un ouvrage majeur, Pierre Louÿs et le culte de l’amitié (Pandora, 1979), ainsi qu’à l’édition de sa correspondance. Cependant, c’est en tant que grand spécialiste de Mallarmé que Millan se distinguera lorsqu’il éditera, avec Barbier, le premier volume des Œuvres complètes : Poésies, Vers de circonstance (Flammarion, 1992). Ce travail magistral mènera ensuite aux quatre volumes des Documents Stéphane Mallarmé, nouvelle série (1998-2006), ainsi qu’au lancement des Cahiers Stéphane Mallarmé (2004-2007). Il n’y a aucun mallarmiste aujourd’hui qui n’ait consulté ces outils de recherches indispensables.

Gordon Millan était un vrai passionné de Mallarmé. Certes, il avait le plus grand respect pour la réputation littéraire et intellectuelle du poète symboliste ; mais il cherchait également à insuffler la présence de l’homme dans ses publications, notamment ses ouvrages biographiques, A Throw of the Dice : the Life of Stéphane Mallarmé (Secker and Warburg, 1994) ; et Les « Mardis » de Stéphane Mallarmé : mythes et réalités, (Nizet 2008). Mallarmé – il tenait à le rappeler – était pleinement ancré dans son époque, contrairement à l’image un peu réductrice du « maître » distant et coupé du monde. Les analyses minutieuses de Millan démontrent, de façon convaincante, que le Stéphane que nous croyons connaître était aussi un être de chair et d’os ; qu’il vivait au quotidien avec ses failles, ses doutes, ses péchés mignons et qu’il était, en outre, plus sociable et pragmatique que certains ne le pensent. L’ultime ouvrage de Millan, portant sur l’épouse un peu trop effacée de Mallarmé (Marie Mallarmé : 10Le fantôme dans la glace, Classiques Garnier, 2019) incarne, justement, ce désir de jeter une lumière sur plusieurs connaissances intimes du poète restées dans les coulisses de la vie et de l’œuvre.

Pendant plusieurs décennies, nombreux sont les colloques sur Mallarmé ayant été animés et enrichis par la présence charismatique et sympathique de Gordon Millan, épicurien amoureux des bonnes tables et des bons vins, connaissant les bonnes adresses autant que les références les plus sûres. Il prenait toujours le temps de discuter avec toutes et tous les participants : de jeunes thésards en début de carrière, ou des mallarmistes déjà bien établis.

En dehors de ses multiples publications prestigieuses, Millan était aussi très actif en tant que conseiller sur l’éducation, rôle qui lui permit de promouvoir l’enseignement des langues modernes et la dissémination de la culture française en Écosse. Ce corpus de travail considérable lui valut les distinctions de Fellow of the Royal Society of Arts (1995), et d’Officier de l’Ordre des Palmes Académiques (2004).

Les membres du comité éditorial des Études Stéphane Mallarmé – la dernière revue consacrée à Mallarmé qui fut lancée par Millan en 2013 –, saluent l’humanité, la lucidité, l’humour tout écossais et l’enthousiasme inépuisable qui faisaient sa force et qui manqueront énormément. Auteurs, autrices, lecteurs, lectrices, on tentera d’honorer son absence – motif bien mallarméen d’ailleurs – en poursuivant l’édition de cette revue avec le même dévouement au poète symboliste dont Gordon aura fait preuve, non seulement pendant ses huit dernières années, mais tout au long de sa carrière.

Damian Catani

Codirecteur
des Études Stéphane Mallarmé