Résumés/Abstracts

Gautier Dassonneville et Jonathan Soskin, « Lever le(s) voile(s). L’irréalisable comme point critique de l’expérience »

Conçue en 1940, la notion d’irréalisable cristallise chez Jean-Paul Sartre une intuition esthétique dont la portée ontologique met en tension le dualisme du réel et de l’imaginaire pour saisir un point critique de l’expérience. La théorie de l’engagement de la littérature n’en tire pas toutes les conséquences mais le dialogue ouvert avec le Collège de Sociologie via l’irréalisable laisse apparaître une virtualité sartrienne du mode de politisation de l’art, au cœur de l’expérience moderne de la ville.

For Jean-Paul Sartre, the notion of the unrealizable, conceived in 1940, crystallizes an aesthetic intuition, the ontological significance of which holds the dualism of the real and the imaginary in tension in order to grasp a critical point of experience. The theory of literary commitment does not exhaust all the possible implications of this concept, but the dialogue that the unrealizable opens with the Collège de Sociologie allows for the emergence of a Sartrean virtuality in the way art is politicized, at the heart of the modern urban experience.

Marie-Gabrielle Nancey-Quentin de Gromard, « Sartre pro Nietzsche. Les Mouches, un théâtre de la cruauté »

Dans Les Mouches, Jean-Paul Sartre met en scène une lecture très fine de la pensée de Nietzsche, évitant les pièges d’un théâtre d’idées au profit d’un théâtre du corps : la ville d’Argos souffre les symptômes des valeurs morbides et des idoles pourrissantes qu’Oreste vient détruire dans une expérience de dépassement et de création de soi. Les Mouches emprunte la voie d’un théâtre de la peste et de la cruauté qui rappelle les conceptions d’Artaud, ainsi que de Camus et Barrault dans L’État de siège.

In Les Mouches, Jean-Paul Sartre stages a perceptive reading of Nietzsche’s thought, evading the traps of a theater of ideas in favor of a theater of the body: the city 224of Argos suffers from the symptoms of the morbid values and the putrescent idols that Orestes destroys as an experiment in self-surpassing and self-creation. Les Mouches follows the path of a theater of plague and cruelty which recalls Artaud’s conceptions as well as those of Camus and Barrault in L’État de siège.

Alievtina Hervy, « L’imagination au travail. Sur les ouvrières de Dop : Lanzmann, Sartre & Marcuse »

En retraçant la genèse d’un exemple précis que Jean-Paul Sartre reprend à Claude Lanzmann dans la Critique de la raison dialectique – l’exemple des ouvrières de la fabrique Dop –, et dont Herbert Marcuse se fait l’écho dans L’Homme unidimensionnel, cette étude vise à restituer les rapports complexes et les déplacements critiques et conceptuels de Sartre vis-à-vis du marxisme, de la psychanalyse et de la phénoménologie. 

Retracing the origin of a specific example that Jean-Paul Sartre takes from Claude Lanzmann in Critique de la raison dialectique, and which Herbert Marcuse revisits in L’Homme unidimensionnel—the example of the Dop factory workers—this study aims to reconstruct Sartre’s complex relations and critical and conceptual displacements with respect to Marxism, psychoanalysis, and phenomenology.

Raoul Kirchmayr, « “Un communiste italien peut se vanter d’être un homme entier”. L’arrière-plan de la conférence de Sartre à Rome en 1961 »

La conférence « Marxisme et subjectivité » donnée par Jean-Paul Sartre à Rome eut lieu dans une phase de mutation du PCI, sur le plan politique autant que culturel. Le tournant de 1956 poussa le parti à mettre en question la ligne suivie jusqu’alors ; du point de vue culturel, cela voulut dire relancer le dialogue avec l’intelligentsia nationale et internationale. Sartre s’éloignait alors du PCF et recherchait un socialisme capable de prendre en compte l’homme total, incarnation de la praxis et de la théorie.

Jean-Paul Sartre’s lecture, “Marxisme et subjectivité” delivered in Rome, took place during a phase of transformation in the Italian Communist Party, as much on the political as on the cultural level. The watershed year of 1956 drove the party to call into question the line it had followed to that point; from the cultural standpoint, this meant reopening dialogue with the national and international intelligentsia. Sartre then distanced himself from the French Communist Party and sought a socialism capable of accounting for the total human being as the incarnation of praxis and theory.

Colin Pahlisch, « Après l’homme ? Foucault avec Sartre : linéaments pour une épistémologie post-humaniste »

La philosophie est jalonnée de polémiques, parfois violentes, voire fatales. L’un des enjeux de la pensée est aussi de réparer, de rapiécer les lambeaux d’oppositions prétendument irrévocables entre grandes figures du savoir. Cette étude vise à articuler la possibilité d’une rencontre entre Jean-Paul Sartre et Michel Foucault en prenant appui sur la controverse qui les a opposés en 1966, et qui est restée dans l’histoire des idées sous le signe de la « mort de l’homme ».

Philosophy is peppered with polemics, sometimes violent and even lethal. One of the concerns of thought is also to repair, to piece back together the fragments of supposedly irremediable oppositions between great philosophers. This study aims to articulate the possibility of a reunion between Jean-Paul Sartre and Michel Foucault, focusing on the controversy in which they were locked in 1966, which found its place in the history of ideas under the rubric “the death of Man”.

Chiara Collamati, « Pour une philosophie politique sartrienne. Réflexions à partir d’un ouvrage récent »

La lecture critique d’un ouvrage sur Jean-Paul Sartre récemment paru en Italie montre qu’il convient de tester une double hypothèse concernant la philosophie politique sartrienne : son irréductibilité à la tradition contractualiste de la philosophie politique moderne (Thomas Hobbes, Jean-Jacques Rousseau) ; sa force érosive à l’égard du dispositif conceptuel fondé sur le binôme pouvoir constituant-pouvoir constitué, tout comme à l’égard de la logique temporelle qui le sous-tend, celle du futur antérieur.

A critical reading of a work by Jean-Paul Sartre recently published in Italy shows the need to test out a twofold hypothesis concerning Sartrean political philosophy: its irreducibility to the contractualist tradition in modern political philosophy (Thomas Hobbes, Jean-Jacques Rousseau), and its corrosive force with regard to the conceptual apparatus founded on the constituent power/constituted power binary, as well as the temporal logic underlying it, that of the future anterior.

Olivier D’Jeranian, « Le stoïcisme caché de L’Être et le Néant »

Dans sa réappropriation de la théorie stoïcienne de l’incorporel, Jean-Paul Sartre se donne les moyens de penser la néantisation originelle. Puisque la 226liberté est la sécrétion par l’homme « d’un néant qui l’isole », la critique de l’ontologie stoïcienne des corps et des incorporels apparaît comme un outil théorique aussi discret qu’indispensable aux développements de la quatrième partie de L’Être et le Néant et des Cahiers pour une morale.

In his reappropriation of the Stoic theory of incorporeals, Jean-Paul Sartre finds the means of thinking the original nihilation. Since freedom is the human being’s secretion of “a nothingness which isolates it”, the critique of the Stoic ontology of bodies and incorporeals appears as a theoretical tool which is subtly indispensable to the developments of the fourth part of L’Être et le Néant and of Cahiers pour une morale.

Gilles Ernst, « Sartre et l’Alsace en 1939-1940. L’identité à l’épreuve de l’évacuation »

D’ascendance alsacienne par sa mère, Jean-Paul Sartre est cantonné en Alsace de septembre 1939 à juin 1940, à un moment où des milliers d’Alsaciens ont été évacués dans le centre de la France. Dans les Carnets de la drôle de guerre et dans ses lettres à Beauvoir, il décrit avec précision la vie en zone non évacuée et celle des évacués souvent mal accueillis, deux témoignages jusque-là peu analysés que sous-tend une vision en partie idéalisée, en partie conforme à la vérité historique, de l’identité alsacienne.

Jean-Paul Sartre, who was of Alsatian descent on his mother’s side, is stationed in Alsace from September 1939 to June 1940, at a moment when thousands of Alsatians were being evacuated to the center of France. In his Carnets de la drôle de guerre and his letters to Beauvoir, he precisely describes life in the unevacuated zone and that of the often unwelcome evacuees, two hitherto little-examined testimonies underlying a vision—partly idealized and partly historically truthful—of Alsatian identity.