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Classiques Garnier

Index Recensions

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Études digitales
    2020 – 2, n° 10
    . Cartographie et visualisation
  • Auteurs : Simoncelli (Théo), Chaix (Victor)
  • Pages : 259 à 268
  • Revue : Études digitales
  • Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
  • EAN : 9782406127222
  • ISBN : 978-2-406-12722-2
  • ISSN : 2497-1650
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12722-2.p.0259
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 23/02/2022
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Clinique de lécran : ralentir et interpréter

Pierre-Antoine Chardel, 2020, Lempire du signal. De lÉcrit aux Écrans. CNRS Éditions.

Lempire du signal. De lécrit aux écrans (2020) de Pierre-Antoine Chardel est un ouvrage proposant une analyse assez complète des conséquences provoquées par le développement des technologies numériques dans nos sociétés. Par « complète », il est entendu que cette analyse aborde la question du progrès technique par une certaine diversité dapproches. Dans son analyse, lauteur observe à différentes échelles la manière dont la place des écrans impacte la pensée critique de lindividu. Linfluence de ces technologies aurait non seulement des conséquences sur sa façon de penser, danalyser, ou de traiter de linformation, mais pourrait également changer sa conception des relations sociales. La place des écrans, comme lexplique Chardel, aurait comme impact une accélération dans la volonté de lindividu à accomplir ses désirs. Dans son premier chapitre, lauteur fait référence à ce principe daccélération en analysant lévolution des liens sociaux : « Il sagit désormais moins de se construire dans le temps long de la durabilité que daller toujours plus vite dans la gestion de nos existences, en faisant preuve très souvent dimpatience. Pour les plus pressés “en amour” par exemple, certaines applications sont proposées aux usagers » (p. 38). Cet exemple de la logique daccélération est un point central dans lanalyse des conséquences de la place des écrans à lère de lhypermodernité. Chardel effectue une autre référence à ce principe dans son second chapitre concernant « lomniprésence des écrans au travail ». En expliquant la place de lindividu dans le flux informationnel représenté par les « e-mails », il emploie le terme de « tyrannie de linstantanéité » (p. 118). Il sagit par cette analyse dexpliquer une dynamique où lindividu serait constamment incité à « répondre toujours plus vite, en toutes circonstances » (p. 118). Par ce propos, Chardel amène à réfléchir sur la 260condition hyperconnectée de lindividu et de son impact « anxiogène » sur la temporalité humaine. Cette forme daccélération sociale que lauteur définit comme le « temps de limmédiateté » est également abordée dans louvrage par la thématique du contrôle social. En effet, Chardel consacre une partie de son analyse aux conséquences éthiques et politiques de la surveillance par les écrans. Linstallation de cette surveillance numérique se voudrait justifiée par la volonté de contrer des sentiments dinsécurité et dincertitude au sein de la population. Or, la proportion dindividus conscients des réelles mécaniques dans lexploitation de ces technologies demeure extrêmement faible, ce qui conduit lauteur à questionner les dérives autoritaires reposant sur cette récolte et surveillance des données au nom de la sécurité.

Dans son ouvrage, lauteur porte une attention particulière à la critique de ces technologies modernes. Néanmoins, cette critique ne repose pas sur une logique de méfiance aveugle envers toute forme de progrès technique, mais se donne pour tâche de comprendre les techniques afin den tirer un usage raisonné. Ainsi, le courant philosophique de louvrage rejoint lidée quune prise de conscience serait la clef, pour lindividu, pour se libérer de ce qui laliène. Ici, il sagit donc de prendre conscience des « changements de formes qui sont susceptibles dintervenir sur le vivre-ensemble du fait des nouvelles technologies de la communication » (p. 13). Chardel amène justement divers éléments de réponse afin dexpliquer la place des écrans dans nos sociétés hypermodernes. Par exemple, lune des principales thèses que celui-ci aborde est limportance de lécrit. Cette importance de lacte décrire sexplique par la richesse intemporelle de cette pratique : « Lexpérience décriture permet ainsi un jeu dalternance entendu comme la réactivation du passé dans le présent, en offrant ainsi à la mémoire de demeurer aussi fidèle que possible aux errances de lhistoire qui se fait » (p. 46). La possibilité de réactiver une réflexion ancrée par un écrit du passé montre limportance de cette pratique. Mais au-delà de cette logique de réactivation, une juste interprétation de ces écrits importe afin « dentretenir un rapport actif au passé : éviter toute espèce de complaisance et se rendre attentifs à ce qui ne se donne pas immédiatement à comprendre dans le cours des événements passés » (p. 60). Cependant cet acte décrire est aujourdhui transformé dans le sens où lécran répond au désir individuel daccumuler le plus dinformations aussi rapidement possible.

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Chardel exploite dautres arguments de même type permettant au lecteur de prendre conscience de sa condition dans cette ère hypermoderne. Par exemple, dans son troisième chapitre, il mobilise le terme « décologie sociale ». Il sagit par là de réfléchir aux conditions pour que lindividu puisse « réapprendre à décider de ce qui concerne sa vie de tous les jours et, pour ce faire, il lui [serait] nécessaire de se réapproprier une part du pouvoir politique et technologique » (p. 72). Dans ces postures, lauteur voit la possibilité de se détacher de ce phénomène daccélération, ou du moins den prendre conscience.

On pourrait à ce titre faire un parallèle entre les thèses de Chardel qui se déploient sur le terrain essentiellement numérique de nos sociétés daujourdhui et le concept daccélération introduit par Hartmut Rosa, sociologue appartenant au courant de pensée de la théorie critique. Ce dernier lutilise dans sa théorie de laccélération sociale notamment dans Accélération. Une critique sociale du temps (2013), en proposant lidée dune crise des structures sociales, culturelles et identitaires des sociétés modernes suite à un changement de la dynamique des structures temporelles. Rosa explique que lindividu serait confronté à une « véritable crise du temps, qui met en question les formes et les possibilités dorganisations individuelles et politiques ; une crise du temps qui a mené à la perception largement répandue dun temps de crise, dans lequel, paradoxalement, se répand le sentiment que, derrière la transformation dynamique permanente des structures sociales, matérielles et culturelles, de la “société de laccélération”, se cacherait en réalité un immobilisme structurel et culturel profond, une pétrification de lhistoire, dans laquelle plus rien dessentiel ne changerait, quelle que soit la rapidité des changements de surface » (Rosa 2013, p. 12).

Chardel met en évidence une visée similaire lorsquil questionne lappauvrissement de notre imaginaire social dans le temps. Il insiste néanmoins, avec nécessité, sur le fait que laccélération sociale, conjuguée à lomniprésence des écrans, désynchroniserait la pensée critique de lindividu.

Dans ces conditions dabsence de toute posture critique, Chardel voit un avènement possible dune « normativité et dun mode de vie qui ne permettrait plus, à terme, le moindre écart, la moindre pratique sociale (et numérique) qui sortirait de la norme » (p. 220).

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Ce concept daccélération sociale montre à quel point louvrage présenté par Pierre-Antoine Chardel sinsère dans une perspective socio-philosophique appliquée au temps présent. En expliquant linstallation de plus en plus prégnante des écrans dans notre quotidien, Chardel démontre les conséquences problématiques dune accélération toujours plus forte de nos rythmes et modes de vie – accélération appauvrissant le champ du signe qui constitue pourtant un élément fondamental de notre humanité.

Face à lordre du calcul et de lautomatisation qui investit de plus en plus nos interactions sociales, ce livre propose toutefois le déploiement dune critique sereine de nos environnements numériques. Cest par elle que nous pourrons renforcer notre capacité dagir, à léchelle individuelle et collective, en affirmant les conditions dun avenir souhaitable pour nos sociétés technologiquement de plus en plus complexes.

Pierre-Antoine Chardel est professeur de sciences sociales et déthique à lInstitut Mines-Télécom Business School (IMT-BS), membre de lInstitut Interdisciplinaire dAnthropologie du Contemporain (UMR 8177, CNRS/EHESS). Il a notamment été chercheur invité au MédiaLab de Sciences Po-Paris et visiting scholar à la New York University. Il enseigne également à lÉcole des Hautes Études en Sciences Sociales, où il coordonne avec Valérie Charolles le séminaire « Socio-philosophie du temps présent. Enjeux épistémologiques, méthodologies et critiques ». Dans ce cadre, il sintéresse à la relation entre progrès technique, éthique et démocratie afin de saisir la complexité de notre monde actuel, autant dans une dimension philosophique que sociologique. Il est notamment lauteur de Zygmunt Bauman. Les illusions perdues de la modernité (CNRS Éditions, 2013) et Politiques sécuritaires et surveillance numérique (CNRS Éditions, 2014).

Théo Simoncelli

Masterant Études Politiques,

École des Hautes Études

en Sciences Sociales

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Clinique de lécran : majorité fragile

Fabien Lebrun (2020), On achève bien les enfants. Écrans et barbarie numérique, Éditions Le Bord De Leau.

Cet essai prend comme objet détude et de critique pluridisciplinaire « lécran », mise en perspective avec lenfance. Global et interdépendant de par sa chaîne de fabrication et de consommation, variablement destructeur, lécran est analysé par Lebrun comme un révélateur fulgurant et accablant du capitalisme contemporain, à son stade numérique : un objet de destruction massive, pour ne pas dire industrielle, des enfants et de lenfance, aussi bien dans les « centres capitalistes » que dans les périphéries capitalistes, qui alimentent les pays riches. La thèse de louvrage en va ainsi que « lintense et vaste dégradation de lenfance en centres capitalistes est impensable sans celle des enfants en périphéries capitalistes » (p. 10).

Le livre vise en cela à démontrer la destructivité de lécran sur un plan global, en élargissant la critique de la surexposition aux écrans au-delà des seuls pays riches et consommateurs : une certaine limitation déchelle et de perspective qui prévalait jusqualors, quil sagit pour lauteur de combler « afin de densifier la critique déjà existante » et de politiser plus en profondeur le numérique et la technologie. Dans son enquête, globale et synthétique, Lebrun emploie ainsi une pluridisciplinarité qui lui est indispensable : il sagit pour lui daborder laspect systémique de lécran – objet qui en retour devient un « formidable analyseur » pour « une théorie critique de la crise et de leffondrement en cours et à venir sur bien des aspects de notre civilisation » (p. 9).

Bien que « lécran », internet et les réseaux sociaux ne soient pas responsables de tous nos maux contemporains, il sagit pour Lebrun de démontrer en quoi ils constituent de véritables accélérateurs de certaines dynamiques toxiques préexistantes (telle celle, par exemple, concernant les mass media). Limportance de lécran dans nos économies capitalistes 264est telle aujourdhui que toute la dynamique même du capitalisme semble reposer « entre autres sur la multiplication décrans », sans quoi elle ne peut perpétuer son accumulation (p. 8). Ce quil finit par nommer une « décivilisation numérique », est ainsi pour lauteur synonyme dune véritable « autodestruction du capitalisme » : notamment par la considérable « régression », matérielle et spirituelle, qui laccompagne (p. 265).

Critique des « écrans »
en tant que contenants et en tant que contenus

Dans une première partie, le livre semploie à critiquer lécran en tant quobjet et « contenant ». Apparu depuis une vingtaine dannées, lécran est métonymiquement décrit comme un vecteur ultime de la consommation de masse, une « arme décisive du capitalisme » pour faire entrer la consommation dans les foyers et les cerveaux des enfants (p. 13). Cette « porte dentrée » impose une véritable condition anthropologique déjà à lœuvre depuis plus dun siècle et dénoncé par Guy Debord : celle du « spectateur, cest-à-dire un individu dont les rapports sociaux, les relations avec le monde et les autres seront médiés via un écran » (p. 13).

La consommation, de plus en plus astronomique, médiée par les écrans est « vouée à la distraction, au divertissement, plutôt quà la création de contenus », créativité qui représente une partie infime du temps consacré sur ces nouvelles technologies. Cet emploi moyen des écrans a des conséquences catastrophiques en termes scolaires et professionnels : une domination « de la passivité sur leffort », selon lauteur (p. 15). Lebrun énumère ensuite les différents troubles addictifs liés aux écrans, en soutenant que cela amène in fine à une véritable « colonisation » du temps de loisir et des plus jeunes (p. 27), si ce nest même de leurs relations amicales et amoureuses (p. 39).

Dans une deuxième partie, Lebrun analyse et critique les écrans en tant que « contenus » et représentation dune mutation des industries médiatiques. Rentrant dans le vif du sujet, lauteur dénonce la destruction de lenfance et de lenfant à commencer par sa sexualité : de par laccès de plus en plus tôt, souvent par accident, à des contenus pornographiques. « Propageant une sexualité misérable et destructrice », « lhypesexualisation » des jeunes adolescents se voit teintée de stéréotypes sexistes qui ne vont pas sans affecter les corps des jeunes filles, 265de par des agressions directes ou leur propre représentation biaisée de leurs corps (p. 45-48). Plus insidieusement, selon lauteur, la première vision précoce à de la pornographie participe à préparer lenfant à la seule condition future qui lui sera accordée par le capitalisme : « être un produit » (p. 50).

Cette « prostitution généralisée comme avenir de lenfance » saccompagne de grandes violences connues comme « cyberharcèlement », dont Lebrun va creuser les rouages de ce mécanisme omniprésent en ligne et qui pousse parfois les victimes au suicide. Il va également creuser les mécanismes de déshumanisation et de désensibilisation, plus sournois, quencouragent les algorithmes des grandes plateformes numériques et de certaines industries culturelles contemporaines : une « tolérance du pire que permet Facebook » voire une « banalisation du mal », passant par un nouveau type « damusement » où des individus font de leurs dégradations un spectacle (p. 68-69). En cause, « la propension inhérente du virtuel à la violence » (p. 73) et sa capacité à presque tout engloutir dans ses toiles (p. 79).

Lindustrie numérique responsable dune destruction globale

Dans une troisième partie, le livre met en exergue la responsabilité de lindustrie numérique – bien davantage que celle des parents – qui a « malheureusement beaucoup dintérêts à détruire les enfants par les écrans quils vendent » (p. 7), tout comme les industries publicitaires et du marketing « complices » de ce secteur (p. 109). Les « concepteurs de la destruction » se présentent ainsi à « tous les requins prêts à investir dans la destruction de lenfance », destruction qui sopère en manipulant les points de vulnérabilité de lenfance pour les rendre, délibérément, addict (p. 109). Lebrun reprend ainsi les études comparant laddiction aux écrans à la consommation de stupéfiants, afin de démontrer leur dangerosité extrême pour les plus jeunes. Tout comme certaines drogues, les plateformes jouent ainsi sur lhormone dopamine et sur les systèmes de récompenses (p. 111).

Cest le cas de lapplication Snapchat, particulièrement prisée par les adolescents, qui utilise explicitement des systèmes de récompense neuronaux avec des « cadeaux », en forme de flammes virtuelles (p. 113). Ce « neuromarketing » joue consciemment sur les « peurs et angoisses juvéniles » et finance des recherches en laboratoires dans ce 266but (p. 114-115). Les concepteurs de ces technologies, très au courant de ces manipulations, en vont fréquemment jusquà éprouver une certaine culpabilité et se transforment en repentis – certains en viennent même à vouloir abattre les monstres quils ont mis au jour (p. 116-117). Une grande majorité des autres « dealers de lindustrie numériques » préfère protéger leurs enfants des gadgets numériques quils développent et commercialisent, en les plaçant dans des écoles privées tech-free (p. 120).

Après avoir considéré « lécran » du point de vue de sa consommation, Lebrun approfondi et élargi son enquête dans sa quatrième et dernière partie du point de vue productif : comment lécran est-il produit et par qui, au début de la chaîne, comment sert-il lui-même à produire encore plus et plus vite et enfin, comment termine-t-il en tant que déchet et pollution électronique, pouvant provoquer pour les enfants pauvres dans les décharges électroniques des Leucémies et dautres maladies ? Lauteur commence ainsi par amorcer une critique de lécran comme central au capitalisme productiviste : « la connexion généralisée et systématique [étant devenu une] condition préalable du capitalisme » contemporain et son rythme, ses flux déchanges effrénés (p. 128-129).

Enfin, du fait dune main-dœuvre enfantine bon marché ou gratuite, la production des écrans est « toujours plus externalisée vers les périphéries capitalistes » (p. 131). « Esclaves des écrans dans les centres capitalistes, des dizaines de milliers denfants sont esclaves numériques pour des écrans dans les périphéries capitalistes », dénonce Lebrun : que cela soit dans les chaînes de productions de la Foxconn en Chine pour Apple ou bien du côté des « enfants-creuseurs » de cobalt au Congo (p. 132-136). Alors que le sous-traitant dApple impose à des mineurs des cadences infernales dans un univers carcéral et se voit mettre en place des filets anti-suicide après 18 tentatives de la part de ses ouvriers entre 17 et 25 ans (p. 131-133), quelques centaines de milliers denfants au Congo – dont certains de 4 ans – creusent pour le cobalt indispensable aux batteries pour un ou deux dollars la journée, quelques fois 72 heures sans sarrêter (p. 138-140).

Problème de santé publique mondiale :
vers une limitation des écrans ?

Dans sa conclusion, écrite à loccasion du premier confinement dû à la COVID-19 en France, lauteur élargit sa perspective sur lécran : 267il sagit pour lui dune question de santé publique, un facteur de multiples « pandémies de myopie, dobésité, disolement social, daddiction, dinsensibilisation, de violences et cultures extrêmes » et peut ainsi être considéré, dautant plus que la COVID-19, comme une « maladie de civilisation » (p. 165).

Lauteur met ainsi en garde contre le « totalitarisme » que les écrans et plateformes favorisent. Non seulement les industries du numérique « sattribuent de plus en plus de fonctions ou dinstitutions relevant du bien commun délaissé par les États complices », ce qui est très révélateur des défaillances de la globalisation néolibérale entamée depuis environ un demi-siècle, mais aussi pouvons-nous observer une convergence entre capitalisme et totalitarisme sur le modèle de surveillance chinois, comme à Nice en France (p. 169-170). Surtout, en sappuyant sur Hannah Arendt, Lebrun démontre comment le modèle numérique actuel favorise une véritable « programmation » des enfants, de plus en plus tôt : un conditionnement dont le but est daugmenter le profit de ces industries mais qui pourraient – si ce nest pas déjà le cas – des implosions de nos sociétés et la montée de régimes autoritaires, néo-fascistes.

Lebrun appelle donc à « discuter urgemment de la limitation, voire de larrêt de la production décrans » (p. 168) : limitations diverses qui semblent en effet indispensables au vu des descriptions que fait lauteur dans le reste du livre. Pourtant, son « arrêt » voire son « démantèlement » peut sembler peu sérieux et réaliste alors que, comme Lebrun le concède en dernière partie du livre, absolument tous les services et secteurs dactivité, allant de la mobilité à ladministration publique, en dépendent aujourdhui.

« Cette société de lécran est invivable pour lhomme et intenable pour la planète », observe à juste titre Fabien Lebrun. Cependant, nest-il pas envisageable dimaginer, de concevoir, de designer puis de produire des outils numériques plus sobres dont la valeur pour nos sociétés, rien que dans le champ des savoirs collectifs, est sans précédent ? Ne pouvons-nous pas façonner une culture – tout dabord au travers dune éducation au numérique véritablement ambitieuse – qui ne les cantonne pas à leurs rôles récréatifs ? Si pour Lebrun, « lidée de médias numériques dits éducatifs et créatifs relève de la fable » (p. 15), il faut rappeler que la culture du divertissement préexistait lécran numérique depuis des dizaines. Bien que le défi soit considérable, une thérapeutique et pharmacologie de ces objets sont toujours possibles, si ce nest indispensable.

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Pour cela, il sagit bel et bien de refonder linformatique afin quelle prenne soin de la santé physique et intellectuelle des enfants et à travers eux, de lavenir de lhumanité.

Fabien Lebrun est doctorant en sociologie, membre du comité de rédaction de la revue Illusio. En 2016, il a soutenu la thèse suivante, sous la direction de Patrick Vassort et dans le cadre de lécole doctorale homme, sociétés, risques, territoire (Caen) : « De la destruction de la vie à lépoque du capitalisme numérique : Pour une Théorie critique des médias de masse et des technologies de linformation et de la communication ». Son travail se concentre donc sur lanalyse des évolutions du capitalisme contemporain, provoquées par les technologies de linformation et de la communication (TIC) et qui, selon la thèse de lauteur, « exacerbent la crise sociétale, multiple et généralisée, de ce début de xxie siècle ». Fabien Lebrun à également co-écrit en 2010, aux côtés de Ronan David et Patrick Vassort, le livre Footafric. Coupe du monde, capitalisme et néocolonialisme, publié aux éditions lEchappée.

Victor Chaix

Association des amis
de la génération Thunberg –
Ars Industrialis
(vice-président, membre fondateur)