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Classiques Garnier

L’idiodiversité, le sens et la raison de traduire Hommage à Bernard Stiegler

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Études digitales
    2020 – 1, n° 9
    . Capitalocène et plateformes. Hommage à Bernard Stiegler
  • Auteur : Krzykawski (Michał)
  • Résumé : Cet article introduit le concept d’idiodiversité dans le sillage du concept d’idiotexte proposé par Bernard Stiegler. Ayant le travail de traduction pour mode opératoire privilégié, l’idiodiversité peut être vue comme une alternative à la traduction devenue calcul automatique. Or, cet article se veut surtout un témoignage de traducteur et un hommage à la pensée de Bernard Stiegler, fait depuis l’espace même de la traduction de ses travaux.
  • Pages : 329 à 352
  • Revue : Études digitales
  • Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
  • EAN : 9782406115212
  • ISBN : 978-2-406-11521-2
  • ISSN : 2497-1650
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11521-2.p.0329
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 26/05/2021
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Bernard Stiegler, idiome, affection, affect, amitié, entropie, croyance
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Lidiodiversité, Le sens
et la raison de traduire

Hommage à Bernard Stiegler

[] car ce qui me constitue, cest encore mon langage en tant quil est idiomatique.

Bernard Stiegler, Passer à lacte.

[] la singularité de cette localité toujours idiomatique quest lidiotexte. »

Bernard Stiegler, Le nouveau conflit des facultés et des fonctions dans lAnthropocène.

Dès les premières lignes du premier volume de La technique et le temps publié en 1994 jusquà Bifurquer publié en 20201, Bernard Stiegler a toujours posé « la question technique comme la question philosophique » en refusant de considérer la technique comme une des « régions dun savoir philosophique supposé plus général2. » Dans sa philosophie, quil définissait à cet effet comme « une hyperphilosophie3 », la question de lidiome simposait au fur et à mesure quil concrétisait, notamment à travers ses initiatives diverses, les concepts de noodiversité4 et technodiversité, notamment en dialogue avec Yuk Hui5. Lidiome y devenait le milieu dexpression de la singularité ainsi que de production de 330différance, au sens de Jacques Derrida, à travers des organes artificiels (exosomatiques). Ainsi, comme il la annoncé dans Le nouveau conflit des facultés et des fonctions dans lAnthropocène, texte accompagnant son fameux triptyque republié dans un seul volume, le 7e volume de La technique et le temps devait-il avoir pour titre Le défaut quil faut. Idiome, idios, idiotie6. Pourtant, limportance de la question de lidiome, ainsi que celle de la localité avec laquelle lidiome a partie liée, est déjà avouée dans Passer à lacte où Bernard Stiegler rapporte ces deux questions à son devenir philosophe hors du commun. « Jai dès lors tenté disoler des degrés de localités par diverses variations imaginaires et pratiques signifiantes », écrit-il en se remémorant sa cellule de prison, cette « local-ité par défaut et le défaut comme la local-ité7 », et en signalant la question quil aura posée à travers les sciences.

Lobjectif de cet article est de proposer, dans le sillage de ce que Stiegler a esquissé comme « idiotexte8 », le concept didiodiversité comme support de la noodiversité et variante de la technodiversité, laquelle lidiodiversité elle-même a la traduction pour son modus operandi. Ma proposition ne sert pas à amplifier vainement le très riche appareil conceptuel que nous avons hérité de Bernard Stiegler. Dune manière générale, il sagit dans ce qui suit de montrer comment les instruments stieglériens peuvent nourrir la traductologie comme discipline à part entière et renouveler ses épistémologies, afin de surmonter la non-époque de la traduction, cest-à-dire lépoque de la traduction devenue calcul automatique. Plus concrètement, et dans « lentretien infini9 » avec la pensée de Stiegler, je me propose de montrer pourquoi cest la traduction qui peut apparaître comme une technique de prédilection pour pratiquer la noodiversité et la technodiversité à travers les idiomes, eux-mêmes étant des systèmes organiques artificiels et ouverts. Enfin, sur le plan herméneutique et dans lespace de la traduction de lœuvre stieglérienne, il sagit de transformer la traduction en un instrument qui serve à continuer 331à interroger sa pensée et lire ses ouvrages, qui se voulaient eux-mêmes des instruments. « Travaille ton instrument ! » – nous disait-il, rappelant la recette que Pierre Schaeffer a apprise par son père.

Il existerait donc, aux côtés du « savoir-théoriser10 » et dautres savoirs11, le savoir-traduire qui na de cesse de renouveler la saveur de tout savoir qui sexprime à travers des concepts ou théorèmes dans une langue et son idiome spécifique (y compris ses diversifications régionales – ces localités attachées aux territoires en quoi toute langue consiste), ainsi que dœuvrer pour maintenir ce savoir ouvert et sujet à des transformations trans-idiomatiques nécessaires. Il sensuivrait que tout savoir théorique qui nest pas traduit est voué à seffacer ou, ce qui revient au même, à lidiotie qui hante tout idiome12.

Si cette idiotie peut parler de nos jours soit à travers des « nationalismes ontologiques » issues de lidée du génie des langues (idée fort dangereuse, notamment avec la déferlante des nationalismes daujourdhui), soit à travers le « tout-à-langlais13 », elle est surtout produite par la traduction automatique. Que la traduction automatique, du fait quelle tend à absorber le temps à mettre dans le travail de traduction, détruise la savoir-traduire et, par conséquent, est porteuse de « dénoétisation14 », cela est une évidence. Face à ce devenir-automatique de la traduction, lidiodiversité, qui considère la traduction comme porteuse de nouveauté, plutôt quune simple répétition mécanisable, peut simposer comme une alternative et promettre lavenir de la traduction après lautomatisation. Or, il ne sagit nullement de condamner les technologies numériques de traduction, dont les machines conçues à la base de réseaux de neurones artificiels, mais de les libérer d« un 332usage vicieux15 » – et cela à travers linvention et la cultivation de nouvelles pratiques translinguistiques de traduction technologiquement assistée, qui favorisent des processus de noétisation au lieu de les annihiler. Je pense ici particulièrement à la notion de « cultuel », telle quelle a été réinventée et laïcisée par Stiegler. Pour lui, les cultes sont des « pratiques régulières » qui rendent possible « un inattendu et un improbable où le jeu ne cesse de sinventer à nouveau ». Ainsi, comme il faudrait en appeler à « des consciences cultuelles de limage16 » dans le cadre dune authentique politique technologique renforçant la noo- et technodiversité, il faudrait du coup faire éveiller des consciences cultuelles de la traduction dans lesprit de lidiodiversité.

Certes, revendiquer une telle politique depuis le modèle technologique dominant et foncièrement totalisant peut paraître comme un rêve. Or, Bernard, outre quil fut lhyperphilosophe de la technique, qui passait aussi, surtout en France, pour un penseur politique17, fut le grand penseur du rêve. En effet, il nous enseignait que « pour faire de la politique, il faut rêver18 » –précisément parce que, contrairement aux idées reçues, ainsi quà la mécréante bassesse du post-politique, la faculté de rêver est hautement rationnelle. Il y ajoutait cependant que la noèse digne de ce nom doit être capable de reconnaître que ses rêves réalisables peuvent muter en des cauchemars aussi réalisables et quelle doit savoir les éprouver sinon en souffrir. La traduction automatique est lexemple dun tel rêve réalisable devenu cauchemardesque qui amortit lépreuve de la traduction. Il est grand temps de refaire cette épreuve, que Berman, dans lun des ouvrages-phares pour lherméneutique en traductologie, appelle « lépreuve de létranger19 » sous le signe et en vue de lidiodiversité.

333

Que cette teneur affectionnée me soit pardonnée. Je ne peux même pas cacher maintenant les liens daffection qui me lient avec la pensée de Bernard Stiegler. Or, au-delà de son affection à lui dont jai pu faire lexpérience, jaimerais montrer pourquoi laffection (et plus généralement laffectivité) est très précisément la qualité qui passe par la traduction et continue à se propager à travers le travail de traduction pour y produire des liens transidiomatiques et conceptuels inouïs. Et cest pour cela même quil faut bien croire à la puissance de traduire en reliant lidiodiversité à la croyance et à la nécessité du sens de croire. Bernard Stiegler a consacré à la question de la croyance les plus belles de ses pages. Dans Vouloir croire. Aux mains de lintellect, originairement texte dune conférence prononcée en 2004 lors dun colloque consacré à Jaques Derrida et en sa présence, nous lisons :

En quelque sorte, il faudrait vouloir croire aux mains de lintellect, au fait que lintellect a des mains, quil en a toujours eues, et que cela durera, quil aura encore et toujours des mains, que rien nest encore perdu – parce quavoir des mains, ici, cela signifie pouvoir faire quelque chose ; en cela, jaurais aussi pu tourner ainsi mon titre : Vouloir croire et pouvoir faire.

Mais Vouloir croire. Aux mains de lintellect, cela dit aussi que même lorsquon est aux mains de lintellect, aux prises avec lintellect, emprisonné dans lintellect, entre ses mains – comme on dit en français « être aux mains de la police », cest-à-dire arrêté par la police, et en cela, impuissant –, il faut continuer à croire, il faut vouloir croire20.

Face à sa disparition et, du coup, étant aux prises avec la traduction automatique, qui est bel et bien louvrage des mains de lintellect, nous devons peut-être, fût-ce au prix dun effort surhumain auquel il nous incitait pour « demeurer des êtres non-inhumains21 », croire encore plus quavant, afin même de lui rester fidèle.

334

Le non-inhumain, lanti-anthropique,
le surhumain

Pour montrer comment lidiodiversité peut être mobilisée au service de la désautomatisation, regardons de plus près ce que cest lidiotexte et comment ce concept est lui-même localisé dans la localité conceptuelle stieglérienne. Dabord, lidiotexte est un système organique artificiel (exorganique dans le sens où il est constitué par un ou des organes qui ne sont pas corporels, cest-à-dire endosomatiques) dont le fonctionnement relève de lévolution exosomatique. À la suite des travaux de léconomiste roumain Nicolas Georgescu-Roegen, qui lui-même sappuie sur les travaux dAlfred Lotka, Stiegler montre que le cours de cette évolution a été subordonné au processus économique et quelle est désormais aux prises avec le calcul de lépoque de la data economy. Par conséquent, même si le processus économique devrait être vu comme lextension du processus biologique ou « lessence biologique de lhomme22 », celle-ci ne se réduisant dailleurs ni au calculable ni aux mécanismes probabilistiques, force est de constater que lexosomatisation, dans cet état de fait, « impose de remplacer la biologie par léconomie23. » Et il semble vital dajouter que ces mécanismes probabilistiques caractérisent non seulement le paradigme de léconomie néoclassique critiqué par Georgescu-Roegen qui, ayant terminé les études en statistique à la Sorbonne, déclarait que « le système mathématique ne peut pas décrire les phénomènes économiques24. » Ces mécanismes sont aussi typiques de linformation computationnelle – dont les systèmes de traduction automatique, largement basés sur la statistique.

En critiquant Georgescu-Roegen dès lintérieur de sa proposition de bio-économie, Stiegler insiste sur le caractère irréductiblement pharmacologique (curatif et toxique à la fois) de tout organe exosomatique. Pour « panser le saut depuis lEntropocène dans le Néganthropocène », il faut 335surmonter la bi-polarité entropie/anti-entropie et « penser lorganogenèse exosomatique au-delà de lanti-entropie que lorgane exosomatique est à la fois entropique et anti-entropique : cest un pharmakon25. » Cest pourquoi en mettant le concept dentropie au cœur de ses derniers travaux, ainsi que des activités du collectif Internation26, il ne cessait de nous renvoyer à ses travaux antérieurs sur la pharmacologie27. De surcroît, dans son invention conceptuelle tout à fait exceptionnelle, il a proposé les concepts danthropie et anti-anthropie. Outre quils font le pont entre ces deux pans de son œuvre hétérodoxe, ces deux concepts nous montrent très précisément ce qui reste à panser et à faire dans létat durgence de lAnthropocène quil a renommé lEntropocène pour montrer que tous les maux de cette non-époque viennent de laugmentation massive de lentropie.

Or, cette entropie qui augmente est effectivement le produit spécifique de léconomie humaine-devenue-inhumaine : cest lentropie anthropique (anthropie), qui ne se réduit donc pas à lentropie vue sous langle thermodynamique et biologique, même si elle la provoque. Lanthropie génère des effets entropiques quil faut donc voir sur le plan logique, et non pas biologique ou thermodynamique, ainsi que les rattacher au devenir-symbolique du milieu humain, ce devenir lui-même participant du vaste processus de lexosomatisation quil faut aborder à cet effet depuis la perspective pharmacologique. Cest précisément pour cela que lutter contre lentropie ne peut se faire quà travers la lutte contre lanthropie, cest-à-dire pour le(s) monde(s) ou les localités font croître de lanti-anthropie et en finissent avec « la mécroissance28 » induite par le modèle macro-économique planétaire.

Cest pour cela que ce qui nous appartient, cest de faire un saut dans le Néganthropocène quil faut bien panser. Pourquoi un saut ? Parce que nous ne pouvons ouvrir ce Néganthropocène, cest-à-dire lAnthropocène non-inhumain : anti-anthropique, et en cela, surhumain29 quà laide 336des mêmes organes exosomatiques qui, comme pharmaka, ne cessent de nous empoisonner. Cest en ce sens que le saut auquel nous encourageait Bernard, « le plus grand tragiste depuis Nietzsche30 », le saut quil faut bien faire, ne peut se faire comme un saut tragique. Cest en ce sens aussi que nous devons toujours remettre du temps pour comprendre (produisant du coup de lanti-anthropie) quil avait raison derrière « son haut niveau dexigence théorique et de précision du vocabulaire31 », ce qui revient à comprendre que ses concepts navaient rien à voir avec le jargon théorique et, en revanche, ils avaient tout à voir avec une pensée large et profonde. Cest en ce sens enfin, et par cette voix amicale plurielle, que nous devons développer « la vitalité et lintelligence du groupe32 » qui multipliaient lénergie de Bernard. Ce nest que par ce travail bien hors emploi que nous pouvons ouvrir des bifurcations, dont celles idiotextuelles.

Lidiotexte et la localité

Il faut voir lidiotexte avec une attention portée à cette richesse conceptuelle stieglérienne, à la fois très hétérogène et très rigoureuse, pour en saisir limportance et pour voir combien lidiotexte permet de 337voir le travail de traduction sous un autre jour. Il faut du coup mesurer la prégnance du concept de localité qui a tout à voir avec celui didiotexte. Sur le plan général – aussi biologique (organique) que technologique (exorganique ou exosomatique), aussi individuel que collectif –, cest lorganisme (comme système dynamique ouvert) qui crée la localité et qui lhabite en lanimant temporairement, et en cela, en la transformant, lentropie ne pouvant ainsi être différée que localement, cest-à-dire dans un lieu concret, et à travers la production des différences. Si ce lieu est matériellement lié à un territoire, il ne sy limite pas. Or, en tant quun lieu habitable et désirable pour les organismes, la localité ne peut pourtant pas être illimitée. La localité ouverte sans limites nest concevable quen tant que globalisation qui lui fait la guerre et qui produit réactivement des localités fermées : des localismes et nationalismes dextrême-droite. Stiegler identifie une telle localisation, comme production des lieux vivables, à une spatialisation, tout en soulignant que, dans le cas des organismes humains, cette spatialisation est elle-même produite par lexosomatisation (qui est alors anti-entropique par ce quelle revient à animer temporairement une localité et diffère laugmentation de lentropie), et que cette exosomatisation peut-être aussi bien entropique (alors elle amortit ce temps quil faut remettre pour produire de lanti-antropie et, par conséquent, produit de la désorientation depuis un espace artificiel fermé qui ne débouche sur aucun avenir)33. Bref, la localité prend ici tout le sens que lui confère le mot latin localitas : propriété nécessaire de corps ou propriété dêtre dans lespace. Or, cet espace nest plus à comprendre en termes newtoniens (espace absolu), du fait quil se produit dans le temps différant et dans le processus de lexosomatisation. Cest en cela que cest un espace à la fois artificiel et la seule possible.

Sur le plan informationnel (celui des data), qui a pourtant tout à voir avec ce plan général, lorganisme (quil faut toujours voir comme système), peut être vu aussi comme idiotexte. Le fonctionnement de celui-ci vient être perturbé par linformation qui le traverse. Linformation peut être définie comme néquentropique pour autant quelle entraîne la modification détat de lidiotexte. Or, par ce changement doptique permettant denvisager le système organique comme idiotexte, Stiegler nous propose une alternative à la data economy, en prenant les data non 338pas pour linformation, mais pour la « donnée34 », comme sil voulait les réinventer à partir de leur origine archaïque – noublions pas que le datum, en latin, veut dire le don. Ainsi, faudrait-il voir lidiotexte non pas comme système de calcul (ce qui est bien le cas de la data economy), mais

comme sense data, comme ce qui fournit à lentendement ce que Kant appelle le divers de lintuition, qui est toujours lobjet dune interprétation en fonction de ce que Kant appelle le principe subjectif de différenciation par où sagencent le sens interne et le sens externe35.

Dans cette optique, lidiotexte, comme système dynamique et vivant,

est aussi un système interprétatif – et plus précisément, un système ouvert qui interprète dans linstabilité fonctionnelle de son milieu exosomatique hautement infidèle cette infidélité même, et donc ce quil en est de la promesse de fidélité [], la fidélité étant la condition du maintien de lidiotexte dans cette ouverture, à savoir : la vérité comme pouvoir de bifurquer dun système qui, sans ce savoir, serait voué à se fermer, cest-à-dire à sauto-détruire par laugmentation inéluctable du taux dentropie dans la localité en quoi il consiste, aussi bien que de ce que nous appelons ici lanthropie, dont laccroissement sans limites conduit à leffacement de cette localité36.

Ce système interprétatif, dit Stiegler, est capable de différer noétiquement cet effacement, qui est pourtant inéluctable à léchelle universelle de lexistence du vivant et qui, sur le plan du vivant potentiellement noétique quest le vivant humain, prend la forme du non-savoir ou de la dénégation. En effet, ce système

temporise [cet effacement] en le spatialisant, cest-à-dire en lexosomatisant, autrement dit, en lex-primant [], ce système est donc herméneutique : il ne fait pas de calcul sur des informations37.

339

La traduction automatique
et les finalités de la traduction

Revisitée depuis cette perspective idiotextuelle, la traduction, qui est elle-même un travail interprétatif par excellence, est exorganiquement liée à cette ex-pression dont elle est en même temps lex-tension et la trans-position dans une localité différente. Ce que Berman a défini comme « espace de la traduction38 » participerait donc du processus de cette spatialisation décrite par Stiegler et en serait son prolongement, ainsi que la transformation de lespace noétique dun idiotexte. Cet espace de la traduction, que Berman définit comme « espace daccomplissement », a tout à voir avec la catégorie stieglérienne de linachevable (quil a souvent rapporté au processus de lindividuation39). En effet, il sagit du « domaine dessentiel inaccomplissement qui caractérise la traduction. » Tout comme tout idiotexte demande la traduction, toute traduction demande des retraductions, cest-à-dire des réinterprétations qui actualisent lidiotexte déjà transformé par les données et rechargent son potentiel noétique. « Cest seulement aux retraductions quil incombe datteindre – de temps en temps – laccompli », dit Berman. Mais dhabitude, quand on prend le travail de traduction pour celui dinterprétation dans lassociation différante de deux systèmes interprétatifs ouverts (idiotexte original et idiotexte traduit, eux-mêmes mobilisant dautres idiotextes ou appartenant à des idiotextes supérieurs), laccompli sexprime par linachevable poursuite de la perfection.

Stiegler a bien montré que cette perfection a été amortie par la performance du calcul et la quantification devenue « lopérateur de toute transformation40 » au cours du xxe siècle. Et le calcul doit être vu ici comme faculté de lentendement (que Kant identifiait à lintellect, en rapportant Verstand à intellectus). La traduction automatique (comme une forme perfectionnée et autrement performante et prolétarisante de ce que Marx a défini comme le general intellect, cest-à-dire lintellect 340extériorisé dans les machines41) est laccomplissement de cette performance computationnelle qui met en question le sens même de linterprétation et détruit le savoir-traduire.

Entendons-nous. Il est tout à fait probable que la machine Google sera bientôt parfaitement capable de traduire calculer La société automatique 1. Lavenir du travail – cela est dailleurs en train de saccomplir.

Le 23 juin 2008, en analysant dans Wired le modèle daffaires de Google, Chris Anderson montra que tous les services offerts par cette entreprise – qui sont basés sur ce que Frédéric Kaplan a appelé depuis le capitalisme linguistique – sont réalisés sans aucune référence à une théorie du langage, quelle quelle soit. Partant de là, et tenant un raisonnement similaire en matière dépidémologie googlienne, il en vint à poser en principe que, avec ce quon appelle aujourdhui les big data, constitués par les milliards de données analysables en temps réel par le calcul intensif, il ny a plus besoin ni de théorie, ni de théoriciens – comme si les data « scientists », spécialistes des mathématiques appliquées à de très grandes bases de données par lintermédiaire dalgorithmes, pouvaient se substituer aux théoriciens que sont toujours, en principe, les scientifiques, quels que soient les champs et les disciplines scientifiques concernés42,

écrit Bernard Stiegler au début de son livre.

Le résultat du calcul effectué par la machine dite intelligente nest toujours pas parfait. Or, compte tenu de la complexité et la longueur de la phrase stieglérienne, qui posent autant de problèmes au traducteur et requièrent des décisions parfois difficiles, on constate que ce calcul est malicieusement efficient et devient de plus en plus comparable au magnifique travail de Dan Ross.

Le résultat du calcul de Google :

On June 23, 2008, by analyzing Googles business model in Wired, Chris Anderson showed that all the services offered by this company—which are based on what Frédéric Kaplan has called since linguistic capitalism—are carried out without any reference to a theory of language, whatever it is.

Starting from there, and using a similar reasoning in terms of Googlian epidemology, he came to pose in principle that, with what is called today big data, constituted by the billions of data that can be analyzed in real time by the intensive computing, there is no longer any need for theory or theoreticians – as if data “scientists”, specialists 341in mathematics applied to very large databases through algorithms, could take the place of theorists that in principle scientists always are, regardless of the fields and scientific disciplines involved

Le résultat du travail de Dan Ross :

In an analysis of Googles business model in Wired on 23 June 2008, Chris Anderson showed that the services provided by this company—which are based on what Frédéric Kaplan has called linguistic capitalism—operate without any reference whatsoever to a theory of language.

Continuing with a form of reasoning similar to that which he applies to the epidemiology of Google, Anderson comes to the conclusion that what is referred to today as big data, consisting of gigabytes of data that can be analysed in real time via high-performance computing, no longer has any need for either theory or theorists—as if data scientists, specialists in the application of mathematics to very large databases through the use of algorithms, could replace those theoreticians that scientists always are in principle, regardless of the scientific field or discipline with which they happen to be concerned43.

Et plus nous utiliserons Google translator (en « apprenant lintelligence artificielle », fût-ce au prix du désapprentissage de nous-mêmes) pour traduire des textes théoriques complexes, plus cette intelligence sera efficiente et smart, cest-à-dire maligne.

Comment donc faire avec et depuis cet espace artificiel et artificiellement absolutisé de Google, pour sauver lâme noétique traduisante, étant donné que ce devenir-automatique de la traduction devenue calcul est inéluctable ? Dabord en rappelant, dans le sillage de la pensée stieglérienne, que les finalités du travail de traduction se localisent bien au-delà de lefficience du calcul, si exact que soit le résultat de ce dernier. Lenjeu ne consiste pas tellement à maudire la traduction automatique, même sil ne faut jamais oublier la leçon de Simondon : « lautomatisme est un assez bas degré de perfection technique [parce que] pour rendre une machine automatique, il faut sacrifier bien des possibilités de fonctionnement, bien des usages possibles44. » Il sagit plutôt dinventer une nouvelle mesure pour la traduction et de retrouver dautres usages des machines à traduire comme conditions de possibilité de nouvelles pratiques de traduction qui nous permettent 342de surmonter la bassesse technologique quincarne la machine algorithimique Google et de relier la traduction à la noèse, cest-à-dire y discerner une activité anti-anthropique.

De laffection à la « surpréhension »
dans la traduction. Lherméneutique
et le néguentropique

En caractérisant les propriétés de lidiotexte qui est pénétré par les informations comme data, Stiegler a bien reconnu la puissance séduisante des big data. La traduction automatique est un exemple particulièrement frappant de cette puissance dans la mesure où elle nous montre la saveur qualitative que nous perdons avec la prolétarisation (perte) du savoir-traduire, induite par la traduction comme calcul purement quantitatif.

Je peux bien sûr mobiliser des techniques analytiques et en cela computationnelles au service de létablissement, certifié par lentendement, de données que je dois interpréter, cest-à-dire par rapport auxquelles je dois décider. Mais je suis affecté par ce qui, à travers ce qui ne se constitue pas comme des informations, mais comme des données au sens de Kant, se présente à moi comme un motif de ma raison, ou comme un écho dun tel motif, motif de ma raison qui exprime mon désir en tant quil consiste en une activité noétique []45

Cest cette affectivité (et laffection) que nous perdons avec la traduction automatique insipide qui désaffecte aussi le travail de traduction lui-même, faute douvrir la possibilité même dêtre affecté dans une épreuve de lidiodiversité.

Quil me soit permis, pour témoigner de cette épreuve, dévoquer ma propre expérience de traducteur. À la fin de la postface de ma traduction dÉtats de choc, que Bernard Stiegler mavait autorisé à publier, jécrivais que le travail de traduction ma obligé à faire lexpérience du français qui, en loccurrence, est devenue lexpérience du latin (que je ne peux passivement connaître et pratiquer que grâce au développement technologique qui a radicalement transformé les conditions et la localité de 343travail du traducteur). Par cette prothèse intermédiaire voire auxiliaire, cette double expérience technique ma offert des solutions concrètes qui ouvraient (et œuvraient) la langue polonaise. Or, un tel ouvrage simposait tantôt comme un choix esthétique, tantôt comme une nécessité logique, notamment dans ces passages où Stiegler développe sa pensée en se rapportant à des concepts allemands déjà traduits en français et reconçus en quelque sorte au sein du français – concepts qui, en fonction de leurs équivalents reconnus qui existent déjà en polonais, fermaient certains sens, mais en ouvraient dautres, tout en maintenant ouvert lidiotexte français46. Ainsi, la traduction, comme lécrivait Gadamer et comme jy crois, na finalement pas apporté une perte, mais un gain47 ; elle a ouvert une expérience herméneutique.

Lhermeneia comme « empêtrement dans une conversation que nous sommes48 » est-ce en quoi consiste la raison de traduire. Or, pour Stiegler, cette conversation serait pourtant dia-logique, plutôt que dialectique, techno-logique plutôt que simplement langagière, et foncièrement délibérative : elle contribuerait à émerger la localité dun nous collectif, plutôt quun « je » et un « tu » qui constitue désormais « la fusion dhorizons » au-delà d« une naïve assimilation49. », ce nous collectif, nous tous, consistant en une multiplicité de nous collectifs locaux, multilingues et associés. À cet effet il est possible de définir cette conversation trans-idiomatique et voir dans la traduction réciproque ce qui ouvre et maintient les associations. Il sagit dun changement doptique effectué depuis lhermeneia et il nous faudra relire Stiegler sous cet angle pour voir comment il a contribué à réinventer la tradition herméneutique. Passer de la conversation entre un « je » et un « tu » à lhermeneia (interprétation) comme instrument de produire et ajuster des nous collectifs est dune importance majeur. Ce passage faisant, il sagit bien de réinterpréter lherméneutique elle-même pour la refonder comme néguentropie et pour louvrir à la science. Le passage du web herméneutique vers le « web néguentropique doit se 344lire précisément en ce sens50. Par son modèle de lhermeneia, Stiegler a peut-être frayé le chemin à ce quil faudrait appeler une herméneutique scientifique qui promette une composition de la raison et la science, au-delà de la technoscience, ainsi que des postures de la philosophie du xxe siècle, qui a tenté de se définir en opposition à la science.

Je comprends après-coup le gain de la hermeneia ainsi élargie et multipliée en me remémorant le travail sur la traduction de Constituer lEurope 2. Le motif européen. Bernard, qui nous a répété quil fallait toujours penser le plus prés possible de Kant (ce qui revient à le critiquer, le troisième volume de La technique et le temps en est la preuve) a aussi ouvert la raison kantienne. Il concevait la raison « à la française » : non pas à partir de Vernunft (« lallemand appelle ici le mot Grund, le fondement, comme langlais grounds »), mais à partir du « motif [qui] simpose à nous comme ce qui doit être repensé, et ce, en tant quil désigne en français la raison même51. Or, il faut faire recours à trois manières différentes de traduire cette raison, si lon veut la réexprimer en polonais : rozum (au moment où le sens de la raison se situe au plus près de Vernunft et, du coup, dAufklärung, pour rappeler la traduction française de la Dialektik der Aufklärung comme Dialectique de la Raison), racja (au moment où lon parle, par exemple, de la raison détat ou dans lexpression « avoir raison ») et powód (léquivalent exact de la raison comme motif qui pousse à laction. Puisque le mot motif existe aussi en polonais, la traduction du titre (Motyw europejski52) sest faite sans problème.

Cest en passant par mes propres mains cette raison « française », qui en appelle à des formes plus concrètes en polonais et sy concrétise au sens même de Simondon, que jai pu la retrouver, rouvrir, reconceptualiser et, last but not least, défranciser dans ma langue maternelle là où je naurai peut-être jamais cherché cette raison, si je navais pas pu traduire Stiegler – traduire, car une lecture ordinaire, bien quil soit toujours déjà une traduction dans la mesure où traduire consiste dabord à interpréter, ne maurait peut-être jamais permis ce genre de retrouvailles. Il devait donc y avoir dans cette compréhension un élément de ce que Bernard Stiegler aura finalement appelé surpréhension, cest-à-dire

345

un élément qui dépasse la compréhension (Verstandnis), autrement dit, qui dépasse lentendement (Verstand), dépassement par où nous pouvons commencer à « penser par nous-mêmes », cest-à-dire : à exercer les pouvoirs synthétiques qua la raison de juger de ce que jusqualors nous avions plutôt tendance à consommer : la marchandise se faisant passer pour un savoir53.

Ou, dans le contexte de la traduction automatique : le calcul se faisant passer pour une traduction.

Cest que nous perdons par la traduction automatique – qui est très précisément « entropique et indifférante, cest-à-dire tendant à éliminer les détours et à raccourcir les délais de la différance54 » dont la traduction est lopérateur – cest la possibilité du transindividuel (au sens de Simondon) qui souvre par le partage de laffect dans cette épreuve du transidiomatique. « Celui qui lit sy trouve mis au travail, mis à contribution, cest-à-dire contraint de sindividuer en individuant ce quil lit à partir de lui-même, et en se lisant lui-même à travers ce quil lit55 », écrit Stiegler en décrivant la manière dont on lit lœuvre philosophique56. Or, celui qui traduit lexpérience ainsi inscrite en partageant laffection de celui qui sindividue dans une telle lecture-écriture résolue ne peut que sindividuer quà son tour depuis les longs circuits de transindividuation.

Le sensationnel du traduire

Compte tenu de cette affection qui passe par la traduction et sy propage, il semble opportun de mobiliser en vue de lidiodiversité le « sensationnel » dont parlait Stiegler lorsquil reprenait le nous aristotélicien (lâme noétique), cette reprise se faisant pourtant « dans un 346rapport insurmontable à lâme sensitive57. » Il existerait donc « la sensitivité du noétique », cest-à-dire « la puissance du noétique », quil faut donc, puisquelle est noétique, cest-à-dire quelle a partie liée avec le logos, considérer comme « inscrite dans la logique ». Il sensuit que

le sensible noétique ouvre au sens comme semiosis, et non seulement comme aisthesis. « Logique » ne veut pas dire alors conforme aux règles de la rationalité, mais inscrit dans un devenir-symbolique. Tout sensible en acte devient, pour une âme noétique, support dune expression. Cette expression [], cest un logos – parole ou geste : narration, poème, musique, gravure, représentation sous toutes ses formes, mais aussi savoir-faire et savoir-vivre en général. Ce nest pas ainsi que la métaphysique comprend le logos, mais cest ainsi quil faut le comprendre58.

Mais pourquoi le faut-il et comment ce « il faut » apodictique participe de cette logique qui ne se réduit pas au rationnel sans défier cependant les lois de la raison (comme motif) ? Il sagit de montrer que, avec le devenir-symbolique, lâme sensible et potentiellement noétique trouve son expression dans lex-clamation, comme si le mot ex-pression ne suffisait pas pour rendre compte de son expérience ; elle devient sensationnelle :

Ce devenir symbolique comme logos qui na cours quex-primé, je lappelle une ex-clamation : lexpérience noétique du sensible est exclamative. Elle sexclame devant le sensible en tant quil est sensationnel, cest-à-dire expérience dune singularité incommensurable, et toujours en excès. Lâme exclamative, cest-à-dire sensationnelle et non seulement sensitive, élargit son sens en lexclamant symboliquement59.

On devine que ce sensationnel qui nourrit lâme potentiellement noétique doit être vu sous un angle pharmacologique. En effet, avec le devenir-technologique des supports symboliques qui lui permettent de sexclamer, lâme sensationnelle peut aussi bien tomber sous le poids des sensations qui ne sont destinées quà faire sensation et conditionnées par les industries dites parfois « du divertissement » (cest-à-dire aussi de léloignement ou du détournement, si lon se tient au premier sens de divertir, du noétique que le sentir sensationnel peut faire émerger). Or, ce nest pas que ces industries soient dénoétisantes en propre. Si 347elles le sont de fait, cest parce quelles se nourrissent à leur tour de cette tendance insurmontable typique de « la structure de la psyché noétique » :

Lâme noétique ne lest toujours pas en acte : son mode dêtre ordinaire est simplement sensitif, ce qui veut dire quelle reste au stade de sa puissance inerte, de sa puissance impuissante. Ce nest que par intermittence quelle passe au stade sensationnel du noétique, qui est aussi son stade extra-ordinaire60.

Il existerait par analogie – mais lanalogie doit être surpréhendée ici au sens de Simondon, cest-à-dire comme méthode permettant de discerner des identités de rapports qui sappuient sur des différences, plutôt que sur des ressemblances61 – le sensationnel du traduire. Compte tenu de ces différences, il faut dabord constater que lautomatisation en général ressemble à la basse logique62 des industries culturelles dans la mesure où elle nuit au sensationnel et favorise sa régression vers le sensitif, ce qui mène finalement à la dénoétisation. En revanche, la différence que cette analogie nous permet de discerner, cest que la traduction devenue calcul automatique, du fait quelle est purement mécanique et entièrement basée sur la computation, vient éliminer à la fois le sensationnel et le sensitif (dans la mesure où elle exosomatise le sensitif sur un mode entropique : elle le désincarne et rend insensible, ce qui, in fine, ne peut produire que de la désaffection).

Or, traduire, cest vivre à « ce stade sensationnel du noétique ». Et si y vivre constamment est impossible matériellement (aussi parce que cest une occupation plutôt mal payée et éminemment intermittente), cest parce que cest un travail ordinaire avec tout ce que lordinaire peut avoir de pénible. Si bien que si lon voulait associer ce travail à léthos du traducteur, il aurait tout à voir à lartisanat [craftsmanship] redéfini par 348Richard Sennett et consistant en le désir de bien faire son travail63. Que cet éthos est annihilé par la traduction réduite au calcul automatique, cela va de soi, toute éthique demandant faire des choix et prendre des décisions.

Sans ce sensationnel partagé que la traduction reproduit en le transformant, elle ne saurait pas trouver de moyen dexpression pour ce (et celui) qui sexclame(nt) à travers le texte traduisant déjà (intra-idiomatiquement, au sein de son propre idiome64) cette exclamation et demandant de la retraduire (inter-idiomatiquement, dun idiome à lautre). Ce nest quen communiquant ce sensationnel qui est précisément « toujours en excès », et comme proprement inachevable car obligeant à rouvrir cet excès encore, que la traduction peut être pratiquée comme une tâche noétique et prendre tout son sens. Il nous faut discerner un pharmakon idiomatique archaïque quest la traduction du noûs grec par le sensus latin, qui rattache malencontreusement la noèse à lentendement, cest-à-dire à lintellectus65. Il semble que, avec le concept du sensationnel qui traduit la sensitivité du noétique, Bernard Stiegler ait voulu restituer – à sa manière thérapeutique singulière66 et depuis ce quil aura finalement appelé « internation67 », lhétérogénéité du noétique grec. Or, par une chance qui peut émerger dans le passage contingeant dun idiome à lautre, et en sinscrivant dans le « devenir-symbolique » du sens, le sens stieglérien nous indique aussi une direction (sen en langues germaniques), cette direction étant désormais : bifurquer à travers les localités associées qui ne se limitent pas à leurs territoires aussi parce que le sens de leur association consiste en les liens transidiomatiques de lidiodiversité.

349

Si je mempêtre délibérément dans ces archaïsmes pour témoigner de ce sensationnel du traduire, cest parce que cest à partir de la transformation de larchaïque que Stiegler na eu de cesse de poursuivre la recherche de la nouveauté : « dans larchaïque, si lon sait en mesurer le poids et le prix, il y a des arkhaï, des principes, dont il est possible de réactiver le sens pour inventer de nouveaux fondements68. »

La nécromasse idiomatique.
De lidiosphère à lidiodiversité en pansant lidiotexte

Ce goût de larchaïque porteur de richesse à réinventer va pourtant de pair, chez Stiegler, avec le refus décidé de tout archaïsme dans la mesure où celui-ci définit ce qui est périmé, notamment larchaïsme scientifique structurel produisant le modèle hyper-économique destructeur69. Cette richesse de larchaïque nest toujours quon puissance : elle na de valeur et en devient une quen passe dêtre revalorisée dans un acte de réinvention. Comment ne pas penser ici, en interrogeant la question de lidiome, à la nécromasse idiomatique comme analogon de ce que Bernard Stiegler a si bellement défini comme nécromasse noétique :

La nécromasse noétique (qui est aussi et toujours en quelque façon poétique) est aussi indispensable aux vivants noétiques que la nécromasse formée par lhumus issu de la décomposition des végétaux et des cadavres est indispensable à la biomasse végétale et animale70.

Par analogie, la nécromasse idiomatique, qui ne peut sanimer que dans la transformation effectuée dans le processus de traduction (quil sagisse de la traduction intra- ou inter-idiomatique), est indispensable aux vivants qui sexpriment, sexclament et sinterprètent à travers leurs idiomes. Si cette analogie a certainement ses limites, cest parce que la vie noétique elle-même, comme activité symbolique, ne se limite pas aux pratiques langagières et peut se traduire par dautres formes 350dexpression. Or pour ce qui est de ses pratiques, lidiodiversité, dont la traduction est le modus operandi, serait un support technique de la noodiversité, dans la mesure où le langage (comme écriture) – outre quil apparaît comme un (ex)organisme pour ce qui est du fonctionnement de son idiome, lui-même se composant de multiples idiomes singuliers et collectifs qui font des mondes – est surtout un système technique. Elle serait aussi une variante de la technodiversité, dans la mesure où celle-ci elle-même est le support matériel de la technodiversité. Ainsi ni la noodiversité ni la technodiversité ne sauraient exister sans traduction dont la traduction linguistique est un cas spécifique, et qui nest pourtant pas sans rapport avec le sens de la traduction en biologie71.

Comme la noodiversité a pour but de défier la noosphère afin de surmonter le système, dabord par la transformation de la manière dont nous avons tendance à concevoir le système72, lidiodiversité tente de surmonter lidiosphère et y provoquer ce que Simondon a défini comme « résonance interne73. » Surmonter le système ne revient pourtant pas à le contester, mais à le repenser, cest-à-dire à le panser, afin de le libérer de la formule close dans laquelle la notion même de système est enfouie. Dans cette perspective, le travail de traduction-interprétation peut apparaître comme une méthode et une pratique dune telle libération, qui est aussi bien une délibération, en loccurrence, sur les choix possibles et manières de faire pour bien traduire. Il peut nous signaler aussi comment nous pouvons nous libérer de létau algorithmique de la traduction automatique quil faut voir dailleurs comme le produit de ce que jappelle lidiosphère.

Si nous prenons la langue (et plus précisément lécriture) pour un système technique qui est constitutif de la pensée, il faut admettre que le fait linguistique, comme le système technique en général, accuse deux tendances : totalisation et spécialisation. Si ces tendances sont difficiles à saisir au moment où une innovation, elle-même issue de lévolution 351technologique continue, transforme irréversiblement le milieu vivant, cest parce que, notamment à son stade précoce, elle produit aussi de la diversité. La très courte histoire de la traduction automatique – depuis lALPAC (Automatic Language Processing Advisory Committee), comité fondé en 1964 par le gouvernement américain et présidé par John R. Peirce, jusquà la machine Google – montre bien comment ces deux tendances bien contradictoires sont pourtant intimement liées. Cest pourquoi lidiosphère, qui a émergé au cours du xxe siècle avec le développement de la techno-science, notamment la linguistique computationnelle, apparaît comme une extension de la noosphère et la technosphère telles que les a définies Vernadsky74.

Tout comme la noosphère et la technosphère, et contrairement à la biosphère, lidiosphère, avec le développement de la traduction devenue calcul automatique, se traduit par la même tendance à lhomogénéisation (lentropie), elle-même résultant de la totalisation et la spécialisation. Lenjeu consiste donc à proposer une autre approche systémique de la langue, ce qui ne peut se faire quen dépassant les limites de la linguistique du xxe siècle à travers des réinterprétations critiques. Le motif de cette tâche permettrait de surmonter lidiosphère devenue monolinguiste, en vue de promouvoir lidiodiversité, ainsi que de reconnaître la fonction éco-techno-systémique des localités idiomatiques. Si cette tâche revient à réhabiliter et revaloriser la traduction face à lautomatisation, ce nest ni pour condamner la traduction automatique ni pour déterminer comment, par exemple, traduire un ouvrage de Bernard Stiegler, sans où à laide de lapprentissage automatique dans les réseaux de neurones artificiels et partir de la big database traitée par des mécanismes statistiques. Lenjeu nest pas là. Il consiste, en revanche, à réinventer la fonction de la traduction comme ce que Whitehead décrivait comme « fonction de la raison », cette raison, désormais rattachée au motif, étant « the organ of emphasis upon novelty75. » Sil faut bien combattre la traduction calcul automatique, cest en vue de lutter pour cette nouveauté idiomatique dont le travail de traduction est porteur.

352

Ayant relu Marx bien au-delà de tous les marxismes, Bernard Stiegler a conçu les nouveaux fondements de la critique de léconomie politique. Le dernier projet denvergure quil planifiait, et quil voulait mettre en œuvre avec les collaborateurs quil a su mobiliser, avait pour ambition de concevoir les nouveaux fondements de linformatique théorique pour, comme il nous disait, dépasser le modèle de linformatique entropique, basé sur la machine de Turing. Ce que jai tenté de proposer ici comme idiodiversité, avec la traduction comme son mode opératoire, va dans ce sens et se veut un supplément de linformatique théorique néguentropique à venir. En fait, la question qui simpose est de dépasser le modèle de la grammaire chomskienne qui, avec la statistique, la philosophie analytique du langage, la théorie computationnelle du mind et la neuroscience, a ouvert la porte à la traduction automatique. Lidiodiversité peut constituer un point de départ et la cause finale de cet immense travail à faire, travail qui nous incombe dans la continuité de la pensée de Bernard Stiegler et des travaux quil a inspirés.

Michał Krzykawski

Université de Silésie à Katowice, Centre for Critical Technology Studies

1 Bifurquer. « Il ny a pas dalternative », sous la direction de Bernard Stiegler avec le collectif Internation, Les Liens Qui Libèrent, Paris 2020.

2 Bernard Stiegler, Philosopher par accident. Entretiens avec Élie During, Galilée, Paris, 2004, p. 22.

3 Ibid., p. 22.

4 Bernard Stiegler, The Neguanthropocene, Open Humanities Press, London, 2019.

5 Yuk Hui, Recursivity and Contingency, Rowman & Littlefield International, Lanham, Maryland, 2019.

6 Bernard Stiegler, Le nouveau conflit des facultés et des fonctions dans lAnthropocène, in : La technique et le temps, Fayard, Paris, 2018, p. 863.

7 Bernard Stiegler, Passer à lacte, Galilée, Paris, 2003, p. 53.

8 Ibid., p. 862-863.

9 Pour le dire comme Blanchot qui était pour lui un écrivain important et quil cite en exergue de La faute dÉpiméthée. Cest à partir de ce que Blanchot a défini comme « changement dépoque » que Stiegler aura pensé et pansé pour combattre notre non-époque (Maurice Blanchot, Lentretien infini, Gallimard, Paris, 1969, s. 396).

10 Bernard Stiegler, États de choc. Bêtise et savoir au xxie siècle, Mille et une nuits, Paris, 2012, p. 209.

11 Notamment « savoir vivre ensemble, savoir-faire et coopérer, savoir admirer, considérer et conceptualiser » qui doivent être « diversement partagés » et dont il en Balagna quelques jours avant sa mort, daprès le témoignage de Vannina Bernard-Leoni, Toni Casalonga, Jean-Michel Sorba, paru le 10 août 2020 dans Corse-Matin.

12 Cest Jacques Derrida qui remarque « cet extraordinaire champ magnétique du sens et des usages qui relie en grec lidios de lidiome particulier ou singulier à lidiotês, à lidiotie de lidiotês » (Jacques Derrida, Séminaire La bête et le souverain. Volume I (2001-2002), Galilée, Paris, 2008, p. 237)

13 Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisible, sous la direction de Barbara Cassin, Seuil/Le Robert, Paris, 2019 (2004), p. xviii-xix.

14 Bernard Stiegler, Quappelle-t-on panser ? 2. La leçon de Greta Thunberg, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2020, p. 40.

15 Gilbert Simondon, Technique et eschatologie : le devenir des objets techniques (résumé) (1972), in : Sur la technique, PUF, Paris, 2014, p. 331.

16 Bernard Stiegler, Constituer lEurope 1. Dans un monde sans vergogne, Galilée, Paris, 2004, p. 71-72.

17 Cf. Sacha Loeve, Xavier Guchet, and Bernadette Bensaude Vincent, Is There a French Philosophy of Technology ? General Introduction, in : French Philosophy of Technology. Classical Readings and Contemporary Approaches, sous la redaction de Sacha Loeve, Xavier Guchet, and Bernadette Bensaude Vincent, Springer, 2018, p. 4.

18 Bernard Stiegler, Dans la disruption. Comment ne pas devenir fou ?, Les Liens Qui Libèrent, Paris 2016, p. 446.

19 Cf. Antoine Berman, LÉpreuve de létranger. Culture et traduction dans lAllemagne romantique. Herder, Goethe, Schlegel, Novalis, Humboldt, Schleiermacher, Hölderlin, Gallimard, Paris, 1995 (1984).

20 Bernard Stiegler, Mécréance et discrédit 1. La décadence des démocraties industrielles, Galilée, Paris, 2004, p. 176.

21 Bernard Stiegler, Quappelle-t-on panser ? 1. Limmense régression, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2018, p. 163.

22 Cf. Nicholas Georgescu-Roegen, The Entropy Law and the Economic Process, Harvard University Press Cambridge, Massachusetts and London, 1971, p. 352.

23 Bernard Stiegler, Le nouveau conflit des facultés…, p. 850.

24 Cité après A Biographical Dictionary of Dissenting Economists. Second Edition, sous la direction de Philip Arestis et Malcolm Sawyer Edward Elgar, Cheltenham, UK, Northampton, MA, 2000, p. 220.

25 Bernard Stiegler, Le nouveau conflit des facultés…, p. 850.

26 https://internation.world/.

27 Cf. Bernard Stiegler, Prendre soin. De la jeunesse et des générations, Flammarion, Paris, 2008 et Pharmacologie du Front national, Flammarion, Paris, 2013.

28 Cf. Bernard Stiegler, Alain Giffard et Christian Fauré, Pour en finir avec la mécroissance. Quelques réflexions dArs Industrialis, Flammarion, Paris, 2009.

29 Le terme Néganthropocène provient du terme néguentropie (entropie négative), proposé par Erwin Schrödinger (cf. Erwin Schrödinger, Quest-ce que la vie ? De la physique à la biologie, traduit de langlais par Léon Keffler, Seuil, Paris, 1993). En parlant de néguentropie par rapport aux organismes vivants, Schrödinger voulait montrer quils sont capables de limiter laugmentation du taux dentropie vue sous langle thermodynamique et à la mesure de lunivers, en échangeant la matière et lénergie avec le milieu extérieur. En poursuivant les intuitions de Schrödinger, Francis Bailly, Giuseppe Longo et Maël Montévil, montrent cependant que la néguentropie nexplique pas tout à fait la logique de lorganisation des organismes et leur capacité de produire des nouveautés à laide de nouveaux organes et nouvelles fonctions quils remplissent (cf. Francis Bailly, Giuseppe Longo, « Biological organization and anti-entropy », Journal of Biological Systems, vol. 17, 1/2009, p. 63-96 et Giuseppe Longo, Maël Montévil, Perspectives on Organisms : Biological Time, Symmetries and Singularities (Lecture Notes in Morphogenesis), Springer, 2014). Pour rendre compte de cette capacité spécifique du vivant, ils proposent le terme anti-antropie, repris à son tour par Stiegler qui parle de lanti-anthropie afin de souligner la spécificité du vivant humain – bien au-delà et très loin de « lanthropocentrisme » que pourraient lui reprocher les « posthumanistes ».

30 Yuk Hui, The Wind Rises : In Memory of Bernard, publié le 7 août 2020. https://www.urbanomic.com/document/in-memory-of-bernard/.

31 Bernard Umbrecht, Bernard Stiegler (1952-2020), Le SauteRhin, publiée le 11 août 2020. https://www.lesauterhin.eu/bernard-stiegler-1952-2020/.

32 Maël Montévil, le texte.

33 Bernard Stiegler, Le nouveau conflit des facultés…, p. 848.

34 Ibid., p. 862.

35 Ibid., p. 862-863.

36 Ibid., p. 863.

37 Ibid., p. 863.

38 Antoine Berman, « La retraduction comme espace de la traduction », Palimpsestes [En ligne], 4 | 1990, mis en ligne le 22 décembre 2010, consulté le 11 août 2020. URL : http://journals.openedition.org/palimpsestes/596 ; DOI : https://doi.org/10.4000/palimpsestes.596.

39 Cf. Bernard Stiegler, Constituer lEurope 1, p. 100.

40 Bernard Stiegler, Constituer lEurope 2. Le motif européen, Galilée, Paris, 2005, p. 31.

41 Cf. Bernard Stiegler, États de choc, chapitre vi, consacré à la relecture des Fondements de la critique de léconomie politique, p. 201-242.

42 Bernard Stiegler, La société automatique 1. Lavenir du travail, p. 9.

43 Bernard Stiegler, Automatic society. Volume 1 The Future of Work, traduit par Dan Ross, Polity, Cambridge, UK, Malden, MA, 2016, p. 1.

44 Gilbert Simondon, Du mode dexistence des objets techniques, Aubier, Paris, 1958, p. 11.

45 Bernard Stiegler, Le nouveau conflit des facultés…, p. 864.

46 Bernard Stiegler, Wstrząsy. Głupota i wiedza w XXI wieku, traduit par Michał Krzykawski, PWN, Warszawa, 2017, p. 558.

47 Cf. Hans-Georg Gadamer, Lesen ist wie Übersetzen, in : Ästhetik und Poetik I. Kunst als Aussage, Gessamelte Werke. Bd. 8. J.C.B Mohr (Paul Siebeck), Tübingen, 1993, p. 279-285.

48 Hans-Georg Gadamer, Vérité et méthode. Les grandes lignes dune herméneutique philosophique, traduit par Étienne Sacre, édition intégrale revue et corrigée par Pierre Fruchon, Jean Grondin et Gilbert Merlio, Seuil, Paris, 1996, p. 405.

49 Ibid., p. 328.

50 La toile que nous voulons. Le web néguentropique, sous la direction de Bernard Stiegler, FYP éditions, Limoges, 2017, p. 20-21.

51 Bernard Stiegler, Constituer lEurope 2. Le motif européen, p. 19.

52 Bernard Stiegler, Ukonstytuować Europę 2. Motyw europejski, traduit par Michał Krzykawski, Eperons-Ostrogi, Kraków 2020.

53 Bernard Stiegler, Le nouveau conflit des facultés…, p. 861.

54 Ibid., p. 849.

55 Bernard Stiegler, États de choc, p. 188.

56 qui est bien sa manière de lire à lui, car « à la différence de la science, la philosophie est toujours philosophie dun philosophe, et, comme le dit Nietzsche, la première question que pose une philosophie est “qui ?” » (Bernard Stiegler, Passer à lacte, p. 18). Mais pour bien comprendre cette différence, il faut bien reconnaître que la philosophie ne soppose pas à la science mais est obligé de faire avec la science : pour pouvoir à la fois produire même cette différence fondamentale et demeurer philosophie à la mesure du xxie siècle.

57 Bernard Stiegler, Mécréance et discrédit 1, p. 177.

58 Ibid., p. 178-179.

59 Ibid., p. 179.

60 Ibid., p. 179.

61 Cf. Gilbert Simondon, Lindividuation à la lumière des notions de forme et dinformation, Millon, Grenoble, 2005, p. 108.

62 Qui est aussi bête dans la mesure où la bêtise participe de la bêtise : « La bêtise et, plus profondément, ce dont elle est symptôme : une manière basse de penser » (Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie, PUF, Paris, 1962, p. 120). Or la bêtise – pas seulement comme la bassesse sensitive, mais aussi comme labsence de sensationnel qui permet de faire un acte noétique, cet acte se faisant pourtant toujours avec des organes techniques pharmaco-logiques dont les industries culturelles et les dispositifs automatiques – est la structure même de la pensée (Bernard Stiegler, États de choc, p. 93).

63 Cf. Richard Sennett, Ce que sait la main. La culture de lartisanat, traduit par Pierre-Emmanuel Dauzat, Albin Michel, Paris, 2010.

64 Qui nest pourtant jamais proprement sien, comme la montré Jacques Derrida (Signéponge, Seuil, Paris, 1988)

65 Vocabulaire européen des philosophies, p. 1133.

66 Et partir du sens très riche du thérapeuô et daprès Bailly : « prendre soin, servir, entourer de soins, sollicitude : honorer les dieux, les parents ; faire le service des temples, soccuper des choses du culte, cultiver la terre, prendre soin de son âme, de son intelligence, rendre service, donner des soins médicaux, traiter, prendre soin de soi » (Bernard Stiegler, Mécréance et discrédit 3. Lesprit perdu du capitalisme, Galilée, Paris, 2006, p. 13-14.

67 Empruntée a Marcel Mauss, cette notion, qui aura finalement donné le nom au collectif éponyme fondé en septembre 2017 à son initiative, apparaît explicitement en 2013, dans les deux derniers chapitre dÉtat de choc.

68 Bernard Stiegler, Constituer lEurope 2, p. 119.

69 Bifurquer, p. 17.

70 Bernard Stiegler, Quappelle-t-on panser ?, p. 17.

71 Cf. Maël, Montévil, Entropies and the Anthropocene crisis, AI & Society : Knowledge, Culture and Communication, Springer Verlag, à paraître. ffhal-02398756f.

72 Cf. Yuk Hui, Recursivity and Contingency, p. 264.

73 Gilbert Simondon, Les limites du progrès humain, in : Sur la technique, PUF, 2014, p. 272. Cf. Yuk Hui, The Question Concerning Technology in China. An Essay in Cosmotechnics, Urbanomics, Falmouth, 2017, p. 311. Je développerai lanalyse de lidiodiversité à partir de Simondon, notamment par une réinterprétation de la relation traduction/transduction quon retrouve chez lui, dans larticle « Towards Idiodiversity. Retranslating Cybernetics » (à paraître).

74 Cf. Vladimir Vernadsky, The Biosphere, traduit par David B. Langmuir, Copernicus, New York, 1997 et “The Biosphere and the Noosphere”, Scientific American, nº 33 (1), 1945, p. 1-12.

75 Whitehead, Alfred North, The Function of Reason, Princeton University Press, Princeton, 1929, p. 20.