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Classiques Garnier

Le liquide, la foule et le public Une économie morale des plateformes ?

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Études digitales
    2019 – 2, n° 8
    . Les plateformes
  • Auteur : Renault (Michel)
  • Résumé : Les critiques inscrivant les plateformes et leur économie dans la perspective d’un approfondissement du capitalocène négligent les phénomènes moraux intrinsèques au fonctionnement de toute économie. L’article met l’accent sur ces dimensions morales à partir des représentations analytiques qui sous-tendent la conceptualisation des concepts de « foule » et de « public ».
  • Pages : 41 à 56
  • Revue : Études digitales
  • Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
  • EAN : 9782406104971
  • ISBN : 978-2-406-10497-1
  • ISSN : 2497-1650
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10497-1.p.0041
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 15/06/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Plateformes, économie morale, foule, public, économie collaborative
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Le liquide, la foule et le public

Une économie morale des plateformes ?

En juin 2016 Arthur De Graves publiait sur le site de Ouishare un article intitulé : Léconomie collaborative, cest fini1. Oraison funèbre dun concept, larticle part dun positionnement initial par rapport au concept déconomie du partage qui fut en vogue un temps, lexpression économie collaborative étant censée refléter une vision plus « neutre sur le plan axiologique ». La mise en cause du terme partage se situait donc sur le plan moral, ce dernier semblant refléter une vision irénique du monde, un « collectivisme au rabais et à la cool », cheval de Troie de plateformes californiennes pour imposer leur suprématie. Léconomie du partage manifestait ainsi une forme doxymore entre, dun côté, un appel à la vertu censé déboucher sur un nouveau monde, une colonisation des imaginaires pour partager joyeusement le banquet commun, et dun autre le rappel à lordre selon lequel il ny a pas de repas gratuit2. Lexpression moralisation du capitalisme constitue alors lépigone de cet oxymore ou de cette hypocrisie. Partage étant désavoué sur le plan moral, « collaboratif » devait sy substituer avantageusement du fait de sa « neutralité ». Pour Arthur de Graves avec cette terminologie : « [] on ne commençait pas à simaginer le Christ partageant le pain et le vin avec ses disciples, et avec un peu de chance, on pouvait même sextraire des débats stériles sur le marchand et le non-marchand, lavidité dévorante et le désintéressement pur et éthéré. » Cependant, le terme collaboratif, revendiqué comme axiologiquement plus neutre, est presque immédiatement revêtu dune parure axiologique puisquil est avant tout destiné à décrire des systèmes qui ne sont fondés ni sur la hiérarchie, ni sur la compétition, et qui se positionnent de façon orthogonale par 42rapport à léconomie de marché définie comme lagrégat de structures hiérarchisées entrant en compétition.

Léconomie collaborative était ainsi parée de vertus transformatrices, de multiples initiatives apparaissant comme « Les hérauts dun changement de paradigme à portée de main. Les dernières lueurs du capitalisme. » La colonisation de nouveaux espaces immatériels marquerait ainsi la fin du capitalocène et de son idéologie compagne de route, le libéralisme. Or, le texte le reconnaît honnêtement, il y avait de la naïveté à ne pas voir que derrière le collaboratif il y avait des rapports sociaux – notamment le salariat – des institutions, des règles, des normes… qui organisaient la société et la solidifiaient (la rigidifiaient diraient des libéraux). Loin de lémancipation promise, le collaboratif, ne mobilisait en fait quun individu « entrepreneur de soi » promu par le néolibéralisme, reflétant sa soumission à lordre du marché. Lenjeu est alors simple et concerne de façon centrale le travail : laliénation ou la liberté ; mais encore faudrait-il définir la nature de cette dernière. Dans les deux cas, la nature même de lindividu entrepreneur de soi nest pas remise en cause. On se situe alors dans la perspective – et dans lacceptation – dune société liquide, peuplée dindividus flexibles, adaptables, mobiles… Sur un plan économique lexistence même dentreprises était rendue caduque par les nouvelles technologies faisant tendre les coûts de transaction – la seule justification analytique de leur existence – vers zéro3. Seuls perdureraient des individus et des marchés réduits à nêtre que des lieux virtuels de rencontre dune offre et dune demande. Léconomie des plateformes réaliserait ainsi lidéal dun monde liquide, sans frottements.

Le fait dadmettre comme donnée anthropologique un tel individu amène Arthur de Graves à négliger – ou à traiter rapidement – plusieurs éléments, cest le cas de la morale, mais cest aussi le cas de la foule. En effet, lavènement de ces nouvelles formes déconomies sest accompagné dun retour de la foule attesté par lutilisation répandue de termes anglo-saxons comme crowdfunding, crowdlending, crowdsourcing… Cette foule manifeste la constitution, certes peu institutionnalisée, temporaire… de collectifs qui souvent sont animés par des orientations morales, des passions et pas seulement des intérêts. Ainsi, ce quil y a en filigrane 43de léconomie collaborative, et qui nest pas fini, cest une revendication dordre moral. Le globule homogène de la modernité liquide est tronqué et trompeur, et la référence qui ressurgit régulièrement à une société plus juste en est la preuve. Léconomie des plateformes serait ainsi toujours porteuse dune logique de disruption en cherchant à passer dune « production de masse » à une « production par les masses » ou encore dune « distribution de masse » à une « distribution par les masses4 ». La volonté est claire : il sagit de « reprendre la main5 », et de se réapproprier des espaces, notamment urbains, pour en refaire des communs.

Ainsi, malgré lappareillage technique et le langage peuplé danglicismes les problématiques soulevées ne sont pas nouvelles et renvoient à des questions fondamentales et principalement à des enjeux moraux.

Un monde liquide

La question des enjeux moraux liés à léconomie des plateformes, ne peut se comprendre sans référence aux représentations analytiques véhiculées par lanalyse économique dominante qui demeurent largement irriguées par des représentations normatives issues du xixe siècle. Elles avaient pour vocation danalyser léconomie si un certain nombre de conditions étaient réalisées. Animés par une confiance indéfectible dans le progrès, des auteurs comme Cournot, Walras, Clark et dautres pensent que la réalité finira par se rapprocher des conditions idéales posées par la théorie6. Comme lévoque Antoine Augustin Cournot, de même quun habile mécanicien fait tendre la mécanique appliquée vers les conditions idéales définies par la mécanique pure par le poli des 44surfaces et la précision des engrenages, le progrès fera que léconomie appliquée (ou réelle) se rapprochera des conditions définies par léconomie pure. Cette dernière se trouve débarrassée de tout frottement, de tout obstacle, à la libre circulation. La métaphore liquide sincarne dans le modèle hydrostatique proposé par Irving Fisher7 pour illustrer la formation dun équilibre général. Ce modèle apparaît comme un bon raccourci pour comprendre lidéal, et lidéologie, dun monde fluide puisque ce qui circule entre des individus (réduits à de simples vases communicants) cest de leau matérialisant des biens ou de la monnaie. Ce liquide infiniment fluide peut ainsi se déplacer librement au gré des modifications exogènes des prix ou des préférences des individus. Notons que librement ici est assimilé à automatiquement puisquil ny a aucun exercice dun choix quelconque, cest la construction du mécanisme qui dicte lorientation et lallocation du liquide. La liberté dont il peut être question na donc rien dun considérant dordre moral mais est purement mécanique et renvoie à labsence dobstacles, à la circulation sans entraves des biens.

La normativité du modèle, incarnée par lélaboration du ce qui devrait être, se matérialise physiquement dans la construction du modèle. Lobjet technique, quil soit mathématique ou physique, est donc porteur dune normativité faisant dun monde liquide un idéal tout comme les plateformes sont intrinsèquement normatives par leur caractère d« instrument de gestion actif8. » On peut noter que deux éléments (au moins) sont évacués dun tel modèle : la société dune part et la morale dautre part. Les individus considérés ne sont en effet que des entités passives, homogènes, réagissant de façon passive à des stimuli (variation des prix ou des quantités) ; a fortiori un tel ensemble ne constitue pas une société mais simplement un mécanisme. La description par Thorstein Veblen dun globule homogène isolé, sans passé ni avenir, mû par des « forces agissantes », passif et nagissant que lorsque le « parallélogramme de ses forces pèse sur lui » illustre alors parfaitement un tel individu9.

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Alors que les enjeux moraux étaient une part intégrante de léconomie politique classique – on peut penser par exemple aux réflexions dAdam Smith ou de John Stuart-Mill – de morale il nest plus question. Seule lefficience compte comme pour un technicien travaillant sur un dispositif quelconque, ce dernier nétant porteur a priori daucun enjeu axiologique. Léconomie étant élevée au rang de science, la politique doit avoir pour objet de réaliser en pratique ce que la théorie dicte. Cependant, cest oublier que les frottements sont intrinsèques et constituent la nature même de léconomie : sans frottements pas de profit et pas de marché comme le soulignera Kenneth Arrow. Les hommes daffaires de Veblen, quil oppose aux ingénieurs motivés par le progrès et lefficience10, sont ainsi ceux qui mettent des obstacles au progrès, qui interrompent le flux des affaires, pour en tirer un profit ou une rente. Cela révèle aussi lambiguïté des plateformes : techniquement elles ouvrent des possibilités de connexion et de mise en relation, mais économiquement elles offrent également des possibilités aux hommes daffaires pour interrompre le flux et générer des rentes.

Lidéal dune société fluide sincarne sur le plan sociétal dans lidéologie néolibérale constituant dune certaine façon la contrepartie politique de modèles essentiellement abstraits. Il sagit alors de réaliser pratiquement une société liquide en ôtant les obstacles au libre flux des affaires et du marché. Pour Friedrich von Hayek11, il sagit de constitutionnaliser la liberté en figeant en quelque sorte le mécanisme qui linstitue. Une fois le mécanisme incarné dans un ensemble de règles – équivalent aux éléments physiques du modèle de Fisher – il suffit de le laisser fonctionner. Cest ce quévoque Michel Foucault12 quand il affirme que le projet néolibéral est porteur dune action sur les règles du jeu et non sur les joueurs. 46Le droit, asservi au marché, na pour objet que dassurer lefficience du système, den protéger les éléments fondamentaux, comme les droits de propriété. Sur le plan social, il sagit de laisser faire les hommes et laisser passer les marchandises pour reprendre la phrase attribuée à Vincent de Gournay. Plus dobstacles à la libre circulation des hommes et des marchandises, la mobilité parfaite, la fluidité infinie, est lhorizon dun monde liquide. Internet constituerait ainsi une étape majeure dans la liquéfaction du monde.

Lavènement dune société liquide ne peut aller sans la constitution dun « individu liquide13 » accompagnant le déploiement dun monde dans lequel tout doit être « “liquide” pour fluidifier le commerce et linextinguible soif denrichissement des riches []14 ». Cette fluidité affecte lindividu et les rapports humains : « Contrairement aux corps solides, les liquides ne peuvent pas conserver leur forme lorsquils sont pressés ou poussés par une force extérieure, aussi mineure soit-elle. Les liens entre leurs particules sont trop faibles pour résister… Et ceci est précisément le trait le plus frappant du type de cohabitation humaine caractéristique de la “modernité liquide”15 ». Dans un tel monde aucune position nest jamais établie et il y a toujours des garde-fous (on pourrait dire garde-foules !) pour éviter toute cristallisation. Les dispositifs de notation dont usent les plateformes sont un bon exemple de ces garde-fous. Chacun est soumis, et se soumet, en permanence au jugement dautrui et ce jugement est réciproque : certes le client note la prestation mais le fournisseur du service note aussi le client, cest le cas pour Airbnb par exemple. La menace perpétuelle de perdre, avec sa réputation, les moyens de satisfaire ses besoins, est un puissant moyen pour ne pas figer des situations, pour ne pas créer de rentes, pour maintenir la fluidité du système. Cette volonté dempêcher toute cristallisation est caractéristique du monde liquide. Elle empêche également toute projection dans le temps – pendant empirique de latemporalité du modèle de concurrence pure et parfaite – lindividu liquide est cantonné au présent puisque le 47futur ne cesse de séloigner et est toujours plus incertain. Tout projet de vie devient illusoire, la rapidité empêche toute cristallisation dans des routines ou toute solidification dans des institutions16. Lindividu est seul, devant sans cesse optimiser ses choix dans tous les champs de la vie sociale y compris dans ses relations amoureuses17. Lextension du domaine du marché et de lidéologie politique qui la promeut génère ainsi un « [] homo œconomicus entrepreneur de lui-même, étant à lui-même son propre capital, étant pour lui-même son propre producteur, étant pour lui-même la source de ses revenus18 ». Le capitalisme de plateforme, dont les exemples emblématiques sont Uber ou Deliveroo, use ainsi dindividus entrepreneurs, libres, statut entériné par le droit, qui vendent leurs services via la plateforme. Le paradoxe ici repose sur le caractère libre de tels individus dans la mesure où ils sont enserrés dans un réseau de dépendances contraignant : dépendance technique vis-à-vis des algorithmes et des procédures liés aux plateformes et dépendance psychologique via les dispositifs dévaluation qui permettent dêtre valorisé au miroir des autres19.

Une économie morale ?

Ces considérations, aujourdhui largement dévoilées, népuisent pas la question. En effet négliger à la fois la morale – comme cest le cas de la perspective néolibérale et du texte dArthur de Graves – et la foule, cest oublier que léconomie ne se résume pas à des mécanismes doffre et de demande sur des marchés. Léconomie collaborative est ainsi porteuse didéaux parmi lesquels le bien-être des parties prenantes et la production dune valeur sociale et pas simplement utilitaire20. Le recours instrumental 48à la foule via des plateformes ne doit pas masquer quelle est porteuse également de menaces, notamment parce quelle marque leffacement – temporaire – de lintérêt personnel qui fonde lordre économique21. Si lon tape lexpression économie de la foule sur un moteur de recherche usuel22 on est renvoyé à léconomie morale de la foule, expression forgée par lhistorien britannique Edward Palmer Thompson à propos des révoltes frumentaires23. La question centrale qui animait ces foules de la fin du xviiie siècle était la justice : face à laugmentation du prix du pain du fait de sa libéralisation, les foules se révoltaient et fixaient elles-mêmes un prix juste tout en permettant aux commerçants dêtre rémunérés. Ce nétait donc pas du vol mais une organisation du marché permettant à tous de vivre dignement. Ce caractère de révolte face à des situations considérées comme injustes, immorales, nest pas absent de léconomie dite collaborative, en témoignent les révoltes périodiques animant les globules homogènes employés par ces plateformes comme cela a été le cas chez Uber ou Deliveroo face à des décisions unilatérales des plateformes de modifier les modalités de rémunération. Mais ces mouvements sporadiques ont souvent un caractère limité. Lhistorien Samuel Hayat soulignait ainsi sur son blog, à propos de la révolte des gilets jaunes, la proximité de celle-ci avec les caractères de léconomie morale de la foule évoqués par Thompson. Cependant « [] léconomie morale nest pas seulement un ensemble de normes partagées passivement par les classes populaires. Elle est aussi le résultat dun pacte implicite avec les dominants et sinsère donc toujours dans des rapports de pouvoir24. » Pour le dire autrement, cest linjustice liée à un élément du système (le prix par exemple) qui génère la foule morale mais pas linjustice du système lui-même25. Les rapports de pouvoirs fondamentaux ne sont pas remis en cause et le caractère disruptif demeure limité. Léconomie 49morale de la foule revêt ainsi un caractère conservateur lié notamment à un ancrage communautaire visant au rétablissement dun ordre antérieur considéré comme plus juste.

Cependant, léconomie morale de la foule ne peut seule résumer la question morale liée au fonctionnement de léconomie. Elle nest quun épiphénomène ponctuel dont limpact est limité dans le temps et dans lespace et qui peut participer dun ordre établi. Léconomie morale décrit un paysage plus vaste qui manifeste le fait que léconomie ne peut être réduite à la représentation de mécanismes automatiques et asociaux mais quelle est traversée de multiples courants, par des rapports de pouvoir, par des considérations de justice, par des pratiques coutumières, et plus généralement par un ensemble de relations et de rapports sociaux. Par exemple, comme lévoque Gabriel Tarde26, le prix est « [] en réalité déterminé, non par une prétendue loi naturelle qui fonctionnerait automatiquement comme les lois de léquilibre des liquides, mais par la volonté prépotente dune centaine de grands financiers qui imposent à des millions de producteurs de blé, de coton, de laine, etc., des prix souvent désastreux. » Ce que met en scène léconomie morale sur le plan empirique cest le fait que le fonctionnement de léconomie est irrigué continuellement par des considérations morales et par des normes qui surdéterminent les comportements des acteurs et le jeu des marchés. Sur le plan analytique, léconomie morale apparaît comme : létude des modalités selon lesquelles les activités économiques de toute sorte sont influencées et structurées par les dispositions morales et les normes, et comment en retour ces normes peuvent être compromises, dépassées ou renforcées par les pressions économiques, si lon suit la définition quen donne Andrew Sayer27. Une des caractéristiques fondamentales de léconomie morale est la réciprocité, une règle qui « [] veut que chaque faveur exige une forme de remboursement, même sil nest pas spécifié quand et sous quelle forme28 ». Dans la vision dAndrew Sayer, léconomie morale apparaît comme « alternative à un ordre ou système 50hégémonique29 » et sintéresse aux conditions de la production. Goran Hyden, suite notamment à ses études sur lAfrique et des économies qui nont pas encore été affectées par léconomie capitaliste, y a ajouté le concept déconomie de laffection pour mettre laccent sur la reproduction sociale au-delà de la seule production. Dans ce cadre, linformel apparaît également essentiel. Si on résume, deux éléments indissociables définissent léconomie morale30 : un système déchange et de prestations et un système de normes et dobligations impliquant des normes de réciprocité, des considérants dordre moral. Léconomie collaborative ou du partage évoquée par Arthur de Graves répond à de telles considérations. Philippe Béraud et Franck Cormerais31 ont ainsi souligné les enjeux de réciprocité de léconomie de la contribution. Ce serait donc cela qui serait fini, ses normes étant compromises par les pressions économiques pour paraphraser Andrew Sayer.

Cependant, ce que montrent ces travaux cest que léconomie morale nest pas un élément exogène dun système économique qui pourrait sen passer, elle en est un élément intrinsèque, dont la prégnance peut être plus ou moins forte, mais qui est sans cesse présente et se réincarne constamment. Ainsi, pour Gabriel Tarde lidée dun juste prix pèse comme une force attractrice sur les marchés, et les normes et les coutumes ne constituent pas des frottements mais des éléments constitutifs du système32. Le concept de capitalocène, outre le fait quil tend à négliger la diversité culturelle sous les oripeaux dune homogénéité factice33, tend également à négliger ce fait constitutif.

La foule et le public

Ce fait est aussi sous-jacent dans la référence à la foule, omniprésente quand on parle de ces nouvelles formes déconomie liées au numérique 51et aux plateformes. Le concept de foule mobilisé est en effet souvent problématique et ne capture quune partie de sa richesse. Sous un angle critique, la référence à la foule est ainsi mobilisée pour évoquer une forme dexploitation et de privatisation générée par le rôle dintermédiation des plateformes, par exemple dans le cas de modèles dopen innovation. Les plateformes privatiseraient et marchandiseraient des communs (internet, certaines formes de connaissance…) pour en capter la valeur34. Certes, mais cela nest pas toute laffaire.

Si lon suit le « Vocabulaire technique et critique de la philosophie » dAndré Lalande35, le terme foule est renvoyé à trois éléments : 1) à « une opération consistant à fouler le drap ou le feutre ; lieu où lon foule », cela évoque la « pression qui se produit par la réunion dun grand nombre dindividus », ; 2) à « une masse dindividus réunis mais non intentionnellement, sur un point où ils se trouvent serrés les uns contre les autres : un groupe réuni sur convocation nest pas une foule » ; 3) au « commun des hommes, en tant quil soppose à lélite intellectuelle, aux esprits délicats, aux personnages connus, etc.36 » Au-delà du premier aspect étymologique, les deux autres renvoient à des éléments signifiants, notamment le fait de la non-intentionnalité dune part, et le caractère dopposition à un ordre dominant dautre part. La question de la non intentionnalité marque dune certaine façon un mésusage du terme « foule » pour décrire ce qui se passe dans léconomie numérique. La foule mobilisée dans le cadre dopération de crowdfunding ou dans lopen innovation y est bien présente du fait dune convocation : un appel à la participation, un concours37 ou autre. Lusage même du terme foule dans la littérature pose question puisquelle semble être en elle-même dotée dune intentionnalité ; par exemple Kevin Boudreau et Karim Lakhani38 évoquent la différence entre une organisation traditionnelle 52structurée et le caractère fluent et souple de la foule qui peut opérer à une échelle beaucoup plus vaste que des firmes. La foule apparaît comme personnifiée et capable daction. Rien nest véritablement dit sur la nature et lorigine de cette foule que lon semble prendre comme une donnée, sauf à en évoquer des modalités de mobilisation : concours, places de marché, communautés collaboratives autour de la résolution de problèmes etc. Les enjeux posés sont dordre technique et organisationnel, dans une logique damélioration de lefficience. Les enjeux moraux sont négligés car lintérêt, essentiellement instrumental, est centré sur la production et non sur la reproduction. Cela tient également à un biais technologique. Par exemple Kevin Boudrau et Karim Lakhani évoquent le fait que le crowdsoursing ne serait pas un phénomène nouveau mais aurait existé depuis des siècles, le changement central récent résiderait dans la technologie, transformant la foule en une institution durable disponible sur demande39. Ces éléments nécessitent une mise en perspective intellectuelle du concept de foule.

Un biologiste cité dans le « Vocabulaire » de Lalande, Étienne Rabaud40, évoque une différence majeure entre la foule et la société. Étudiant les sociétés animales, il évoque des rassemblements, par exemple dabeilles Halictes ou de fourmis, au sein desquels chacun ne semble soccuper que de lui-même et pour lesquels on ne perçoit pas ce qui maintient les individus groupés. Lexplication de ces « rassemblements » est à rechercher dans un phénomène spécifique : « Une interattraction sexerce donc doù résulte la constitution dune Société41 ». La société est donc caractérisée par ce phénomène dinterattraction dont Étienne Rabaud na pas dexplication précise mais quil associe à la vision. Lattraction réciproque durable des individus constitue un trait qui distingue la société de la foule42. Mais il existe dautres rassemblements qui ne présentent pas ce caractère de durée, une fois linfluence ayant conduit au rassemblement achevée, le groupe se disperse, cest cela que lon peut appeler foule43. La foule est donc caractérisée par une 53influence extérieure aux individus composant le groupement, il faut donc un catalyseur externe ; linterattraction quant à elle représente une influence intérieure44. De façon allusive, Étienne Rabaud évoque alors la « sympathie45 » et la conscience de lexistence de ses « congénères » et, même si on ne peut attribuer ce dernier trait aux animaux, il existe bien des similitudes entre sociétés humaines et animales. On retrouve de telles considérations chez Gustave Le Bon dans sa Psychologie des foules46. Pour Étienne Rabaud les foules sont des groupements danimaux au sein desquels les individus nexercent aucune influence les uns sur les autres (le phénomène dinterattraction ne joue pas) mais il existe malgré tout des foules « durables » permettant dobserver des phénomènes de masse résultant dun tropisme (quon nomme plutôt aujourdhui taxie) comme la thermotaxie. Chez Gustave Le Bon47 on retrouve le caractère dinfluence extérieure caractéristique de la foule.

Le caractère animal des foules est aussi relevé par Gabriel Tarde48, la contagion psychique qui sy manifeste étant la résultante des contacts physiques : « Mais toutes les communications desprit à esprit, dâme à âme, nont pas pour condition nécessaire le rapprochement des corps» Contrairement aux foules animales de Rabaud ou aux foules psychologiques de Le Bon, les publics peuvent se passer de la proximité et du contact physique. Les « fleuves sociaux » sont sujets à une « invisible contagion » par laquelle passions et volontés peuvent être partagées : « [] au même moment par un grand nombre dautres hommes49. » On peut alors relever une proximité avec le crowdfunding : la foule en question nest ainsi pas composée dindividus isolés mais dun ensemble cohérent uni par des convictions communes, des références partagées, des passions50… De telles questions renvoient aussi aux références 54de léconomie collaborative ou de léconomie de la contribution à léconomie coopérative et mutualiste issue du xixe siècle51. Gabriel Tarde considère donc moins des foules que des publics manifestant une cohésion « [] toute mentale52 ». La formation dun public suppose une évolution sociale plus avancée que le côté animal attribué à la foule. Chez Tarde le public sarticule avec la question économique, les individus ne sont en effet pas que des rivaux mais aussi des semblables liés les uns aux autres et cherchant à la fois à conforter leur similitude et à se distinguer. Il évoque alors les rapports sympathiques qui les unissent53. Or, le fait sympathique est lié au caractère moral de léconomie. Andrew Sayer54 évoque ainsi Adam Smith et sa Théorie des sentiments moraux55 comme une des références centrales de léconomie morale. Selon lui, Smith montre que les individus ne sont pas simplement économiquement dépendants les uns des autres mais ils sont également psychologiquement dépendants ; ils sont continuellement en recherche de la compagnie et de lapprobation ou de la reconnaissance des autres, cest aussi ce qui rend la dimension morale inévitable et intrinsèque à toute forme déconomie. Cela ne signifie pas que lune et lautre ne peuvent pas être en tension, cest même le contraire avec le capitalisme, mais simplement que cette mise en tension est la preuve du caractère inévitable de la référence morale. Si la foule peut être limitée à la production, le public a trait à la reproduction et ouvre sur une économie morale.

La fin annoncée de léconomie collaborative manifeste ainsi un trait commun de toutes les formes déconomie, la tension permanente et intrinsèque entre lordre économique et lordre moral. Ce que les jésuites de lÉcole de Salamanque pensaient avoir tranché au xvie siècle en laissant la détermination du juste prix au marché, le « vrai prix » mathématique nétant connu que de dieu56, ne cesse de ressurgir sous dautres formes. On retrouve ainsi à travers les communs la logique 55relationnelle fondamentale évoquée par John Dewey57 quand il soulignait que le lien qui unit les mots communs, communiquer, communauté et communication nest pas seulement verbal. La collaboration présentée comme alternative au néolibéralisme, au capitalisme, à la marchandisation, à lidéologie propriétaire… implique la constitution dun espace public de délibération qui, au-delà dun aspect fonctionnel relève dun « [] ensemble dattentes morales58 ». Dautre part, le lien avec la démocratie, ou la gouvernance, apparaît comme un point essentiel. La ligne de démarcation entre des communs réappropriés par la foule ou le public et dautres logiques plus entrepreneuriales et individualistes, comme La ruche qui dit oui par exemple, sarticule autour de la fixation du prix et des règles de partage dune part, et des processus de décision dautre part59. Sont ainsi en jeu à la fois des questions de réciprocité et de communauté articulées autour denjeux moraux comme la justice ou encore légalité. Ce qui apparaît essentiel dans ces communautés ce sont au final moins les ressources partagées ou mises en commun (un code source par exemple) que des représentations collectives qui animent la foule, ou le public. Comme le soulignent Robert Ezra Park et William Burgess60 cela implique des points de contact avec la vie dun autre. Or, léconomie morale telle que lenvisage Gabriel Tarde61 mobilise aussi ces points de contact avec la vie dun autre symbolisés notamment par le spectateur impartial. De plus, le partage ou la collaboration mobilisent également un autre élément négligé : la conversation et son rôle central dans la socialité, léchange économique nétant quun épiphénomène dun phénomène plus large déchange. La conversation renvoie directement à la question morale : « Au point de vue moral, elle lutte continuellement, et avec succès le plus souvent, contre légoïsme, contre le penchant de la conduite à poursuivre des fins tout individuelles []62 ». Cest en ce sens que de telles considérations méritent dêtre envisagées pour appréhender les phénomènes liés à léconomie des plateformes. Cela nempêche pas de penser les formes de liquéfaction et de liquidation dont elles peuvent 56être des vecteurs, mais cela empêche de croire que ces phénomènes sont univoques. La revendication morale dun ordre plus juste ne cesse de sincarner dans des formes alternatives, dans des résistances, porteuse denjeux moraux.

Michel Renault

Université de Rennes

1 Ouishare magazine, 23 juin 2016 https://www.ouishare.net/article/leconomie-
collaborative-cest-fini

2 Milton Friedman, Theres No Such Thing as a Free Lunch – Essays on public policies, Chicago, Open Court Publishing Company, 1975.

3 Plus généralement les questions liées à la valeur sont essentielles. Voir : Philippe Béraud, « Digitalisation et redistribution des raretés Qui paie pour la gratuité ? », Études digitales, no 1, 2016, p. 231-240.

4 Myriam Bouré, « Système alimentaire 3.0 : les voies de la disruption », Ouishare, 2016, https://www.slideshare.net/OuiShare/systme-alimentaire-30-les-voies-de-la-disruption.

5 Par exemple sur notre alimentation pour Open Food Network. Voir : Myriam Bouré, « Réappropriation des systèmes alimentaires par les citoyens : une logique de Communs urbains », Netcom, 31-1/2, 2017, p. 175-192.

6 Michel Renault, « Analogie formelle et analogie substantielle en économie : léconomique néo-classique, lénergétique et la physique des champs », Économie Appliquée, Tome XLV no 3, 1992, p. 55-90.

7 Irving Fisher, Mathematical Investigations in the Theory of Value and Prices (1892), reprint, New York : Augustus M. Kelley, 1965.

8 Matthieu de Nanteuil et Marc Zune, « Économie collaborative et (in)justice sociale », Revue Française de Socio-Économie, no 17, 2016, p. 5-12, p. 5.

9 Thorstein Veblen, « Why is economics not an evolutionary science ? », Quarterly Journal of economics, July, p. 373-397, 1898, p. 389-390. Notre traduction. Un article du Monde consacré au mouvement social chez Deliveroo décrivait ainsi la situation : « Les 11 000 coursiers à la tenue de travail turquoise de Deliveroo sont en concurrence les uns avec les autres. Ils se croisent mais ne se rencontrent pas. Ils nont pas de lieu où se retrouver et pas de représentation syndicale en bonne et due forme. Ils nont pas de contact humain avec leur donneur dordre. » Voir : « Deliveroo, la révolte des tâcherons », Le Monde, 9 Août 2019, https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/08/09/deliveroo-la-revolte-des-tacherons_5497985_3232.html

10 Thorstein Veblen, The Engineers and the Price System, New York, B. W. Huebsch, 1921, p. 389-390.

11 Friedrich August Hayek, The Constitution of Liberty, Chicago, University of Chicago Press 1960.

12 Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Cours au collège de France (1978-1979), Paris, Gallimard-Seuil, 2004, p. 265.

13 Zygmunt Bauman, La Vie en miettes. Expérience postmoderne et moralité, Chambon, Éditions du Rouergue, 2003 ; Le Présent liquide. Peurs sociales et obsession sécuritaire, Paris, Seuil, 2007.

14 Thierry Sallantin, « Ni anthropocène, ni capitalocène le problème cest le mégalocène », 2018, https://www.partage-le.com/2018/04/9279/

15 Zygmunt Bauman, « Vivre dans la “modernité liquide” », entretien avec Z. Bauman, Propos recueillis par Xavier de la Vega, Sciences Humaines, no 165, novembre 2005.

16 Bauman 2005, op. cit.

17 Bauman 2003, op. cit.

18 Foucault 2004, op. cit., p. 232.

19 Nous ne retenons ici que les dépendances pertinentes pour notre propos.

20 Pascale Charhon, « Plateformes numériques - Mobilisation collective, innovation et responsabilité sociales », Études et Dossiers, Juin, Pour La Solidarité/Up, 2018, https://www.sharersandworkers.net/wp-content/uploads/2018/01/ed-2018-plateformes-numeriques-FIN.pdf, p. 11.

21 Gustave Le Bon, Psychologie des foules, édition électronique, première publication, 1895. Nouvelle édition, Paris, PUF 1963 Bibliothèque de philosophie contemporaine), 2e tirage, 1971, http://classiques.uqac.ca/classiques/le_bon_gustave/psychologie_des_foules_PUF/psychologie_des_foules.html, p. 19.

22 « Léconomie du crowd, du partage & de la relation » : https://www.cap-lehub.com/leconomie-du-crowd-du-partage-de-la-relation/

23 Edward Palmer Thompson, « Économie morale de la foule », dans : Didier Fassin et al., La question morale, Paris, PUF « Hors collection », 2013, p. 311-316.

24 Les Gilets Jaunes, léconomie morale et le pouvoir, 5 décembre 2018, https://samuelhayat.wordpress.com/2018/12/05/les-gilets-jaunes-leconomie-morale-et-le-pouvoir/

25 Ainsi, face à la domination de certaines plateformes des formes de résistances ont pu se mettre en place, cest le cas par exemple de Türkopticon pour noter les employeurs des travailleurs de lombre dAmazon Mechanical Türk, semblant ainsi admettre le principe même de la notation. Voir : Charhon 2018, op. cit.

26 Gabriel Tarde, Psychologie économique, T. 2, Paris, Alcan, 1902, http://classiques.uqac.ca/classiques/tarde_gabriel/psycho_economique_t2/psycho_eco_t2.html, p. 39.

27 Andrew Sayer, « Moral Economy », published by the Department of Sociology, Lancaster University, Lancaster, 2004, https://www.lancaster.ac.uk/fass/resources/sociology-online-papers/papers/sayer-moral-economy.pdf, notre adaptation.

28 Goran Hyden, « Léconomie de laffection et léconomie morale dans une perspective comparative : quavons-nous appris ? », Revue du MAUSS, no 30, 2007, p. 161-184, p. 168.

29 Ibid., p. 167.

30 Didier Fassin, « Les économies morales revisitées », Annales. Histoire, Sciences Sociales, no 6, 2009, p. 1237-1266, p. 1243.

31 Philippe Béraud et Franck Cormerais, « Économie de la contribution et innovation sociétale », Innovations, no 34, 2011, p. 163-183.

32 Tarde, 1902, op. cit., p. 32.

33 Sallantin, 2018, op. cit.

34 Isabelle Liotard et Valérie Revest, « Innocentive Un modèle hybride dinnovation basé sur lappel à la foule et lInnovation Ouverte », dans : Benjamin Coriat, Le retour des communs : la crise de lidéologie propriétaire, Paris, les liens qui libèrent, chap. 7, 2015.

35 André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie (1926), Paris, PUF (coll. Quadrige), 1991.

36 Cet aspect anti-élitiste et anti-système de la foule est assez largement négligé, par exemple dans le cas de lanalyse du mouvement des gilets jaunes par Hayat, 2018, op. cit.

37 Voir par exemple Isabelle Liotard et Valérie Revest, 2015, op. cit., sur le cas dInnocentive une plateforme dédiée à lopen innovation.

38 Kevin J. Boudreau et Karim R. Lakhani, « Using the Crowd as an Innovation Partner », Harvard business Review, April, 2013, p. 61-69, p. 62.

39 Op. cit. p. 64.

40 Etienne Rabaud, « Sociétés humaines et sociétés animales », Lannée psychologique, vol. 50, XV, 1949, p. 263-272 ; https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_1949_hos_50_1_8450, p. 266.

41 Ibid. p. 266.

42 Ibid., p. 268.

43 En ce sens les plateformes dominantes génèreraient des groupes et non des foules.

44 Ibid. p. 269.

45 Ibid., p. 270.

46 Op. cit.

47 Op. cit. p. 17.

48 Gabriel Tarde, LOpinion et la foule, Paris, Les Presses universitaires de France, 1989, 1re édition, Collection Recherches politiques, 1901, http://classiques.uqac.ca/classiques/tarde_gabriel/opinion_et_la_foule/opinion_et_foule.html, p. 9.

49 Ibid.

50 Voir : Sophie Renault, « Crowdsourcing : la foule en question », Annales des Mines - Gérer et comprendre, no 129, 2017, p. 45-57, p. 47 et : Jérôme Méric et Al., « La Foule - Levier de gestion, projet de société ou idéologie ? », Revue française de gestion, no 258, 2016, p. 61-74, p. 64.

51 Philippe Béraud et Franck Cormerais 2011, op. cit., p. 165.

52 Gabriel Tarde 1901, op. cit. p. 8/9.

53 Ibid., p. 15.

54 Op. cit.

55 Adam Smith, Théorie des sentiments moraux (1759), Trad. Française, Paris, PUF (Quadrige), 2014.

56 Emilie Hache, Ce à quoi nous tenons. Pour une écologie pragmatique, Paris, La Découverte, 2011, p. 109.

57 John Dewey, 1975, Démocratie et éducation (1916), Paris, A. Colin (Coll. U), 1975.

58 Matthieu de Nanteuil et Marc Zune, 2016, op. cit., p. 7.

59 Myriam Bouré, 2017, op. cit.

60 Robert E. Park et William Burgess, Introduction to the science of sociology (1921), The University of Chicago Press, Chicago, (3è ed.), 1922, p. 38.

61 Gabriel Tarde, 1902, op. cit.

62 Ibid.