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Classiques Garnier

The religiosity of the Vietnamese Internet. @ from the origin of technology in the West to the contemporary belief in ICT and the digital in Vietnam

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Études digitales
    2018 – 1, n° 5
    . Religiosité technologique
  • Author: Hoang (Anh Ngoc)
  • Abstract: This study highlights the religiosity of information and communication technologies (ICT) and of the Vietnamese Internet. First, a historical and philosophical analysis will deal with the religiosity of digital technology when it originated. Then, the question of the religiosity of the Vietnamese Internet will be addressed by an anthropological approach looking at the long term, followed by a communicational approach that will highlight a process contributing to the “Vietnamization” of the Internet.
  • Pages: 117 to 142
  • Journal: Digital Studies
  • CLIL theme: 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
  • EAN: 9782406092902
  • ISBN: 978-2-406-09290-2
  • ISSN: 2497-1650
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09290-2.p.0117
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 08-13-2019
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
  • Keyword: Information and communication technologies, Internet, Vietnam, religiosity, media
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Religiosité de lInternet vietnamien

@ de lorigine de la technique en Occident à la croyance contemporaine en TIC et en le numérique au Vietnam

Introduction

Nombreux travaux et statistiques ont montré un développement exceptionnel de lInternet au Vietnam (Kelly & Minges 2002 ; Duy Le, Vaughn & Dandass 2007). En effet, depuis sa connexion officielle au réseau internet mondial le 19 novembre 1997, le Vietnam est passé, en vingt et un ans, de 204 125 internautes (soit 0,3 % de la population) à 64 millions dinternautes (soit 67 % de la population)1. Cette croissance fulgurante représente lun des taux de pénétration dInternet les plus élevés en Asie du Sud-Est, faisant ainsi de ce pays le quatorzième plus grand marché Internet du monde (Abuza 2015, p. 41). Au regard de ces statistiques, il va sans dire que lInternet et les technologies numériques ont contribué à opérer des mutations importantes dans la société vietnamienne contemporaine, notamment dans le domaine médiatique, étant entendu que les médias en général, et lInternet en particulier, sont placés sous le plus strict contrôle et la plus étroite surveillance du Parti et du gouvernement du Vietnam. En effet, le régime communiste considère les médias comme des « organes de propagande » (ibid., p. 37)

Par ailleurs, force est de constater que le développement initial et actuel de lInternet au Vietnam est principalement attribué aux facteurs politiques et économiques caractéristiques de la société vietnamienne tels quils se déploient depuis le début des années quatre-vingt-dix à 118la suite de ladoption de la politique de « Đi Mi » (« Renouveau », « Réforme ») adoptée par le régime communiste vietnamien. En effet, lInternet vietnamien a été notamment interprété comme le résultat du processus de libéralisation économique et des politiques gouvernementales qui le considèrent comme « un instrument puissant de recherche et de développement économique » (Kelly & Minges 2002, p. 18) et comme « une partie de la modernisation globale et dune stratégie de lintégration au monde » (Surborg 2008, p. 374).

Je propose, dans cette étude, un déplacement de regard pour tenter de fournir une compréhension plus nuancée du phénomène de lInternet vietnamien par opposition à une approche purement techniciste ou économiste. En effet, ne le réduisant pas aux seuls facteurs technologiques, politiques et économiques, mon investigation propose détudier un certain « esprit dInternet » vietnamien, dans la lignée des travaux de Patrice Flichy (Flichy 2001), en articulant, dans une épistémologie de la complexité, différentes dimensions de ce phénomène, à savoir technologique, historique, politique et symbolique (Hoang 2005, 2017).

Par ailleurs, ce travail vise un regard réflexif qui cherche à dépasser une posture critique dominante qui dénonce le rapport de lêtre humain à la technique, position qui exploite largement le paradigme de laliénation, de la manipulation et de laveuglement des usagers et des publics. Dans le sillage dune sémiotique des objets de croyance telle quelle est formulée par Frédéric Lambert (2013) à la suite des travaux de Michel de Certeau (1990) et de Jean-Claude Schmitt (2001), javance lhypothèse que lInternet, ou le numérique, fonctionnerait comme un totem, cest-à-dire un objet qui nous raconte des mythes et des légendes auxquels nous avons envie dadhérer pour « être ensemble », un objet qui nous procure des « raisons de croire ensemble » (Schmitt, 2001, p. 78).

Dans cette perspective, mon étude sinspire en particulier de lanalyse anthropologique et philosophique denvergure de Pierre Musso sur « une généalogie de lentreprise » en Occident (Musso, 2017), quoiquelle soit beaucoup plus modeste. Elle tente ainsi de proposer une analyse généalogique de lInternet au Vietnam en mettant en lumière laspect constitutif de sa religiosité.

Cette étude comportera donc deux parties principales. Dans un premier temps, une analyse historique et philosophique traitera des origines de la religiosité de la technique digitale par lexamen de lévolution de la 119matrice chrétienne de la technique en Occident jusquà lémergence de la croyance technoscientifique contemporaine. Cette lecture sera croisée avec celle du techno-imaginaire religieux américain de la communication instrumentale qui inscrit la vision technophile contemporaine du numérique et des technologies de linformation et de la communication (TIC) dans un récit cosmogonique fondateur (Pucheu, 2009). Dans un second temps, jappréhenderai la question de la religiosité de lInternet vietnamien selon une double approche : dune part, une approche anthropologique dans le temps long situera la dimension religieuse de lInternet vietnamien dans le rapport historiquement établi entre les croyances religieuses et la technique au Vietnam ; dautre part, une approche communicationnelle mettra en lumière un processus de « vietnamisation » de lInternet qui a été incorporé à la croyance technoscientifique universelle comme aux croyances religieuses traditionnelles vietnamiennes.

Religiosité de la technique digitale
à ses origines

En tant quhomo faber, lhomme ne cesse de fabriquer des outils artificiels, autrement dit des objets techniques, afin de modifier et de transformer son environnement. Mais, comme « lhomme symbolise comme il respire2 », il investit toujours les objets techniques de représentations et dimaginaires sous forme de discours, de fictions, de récits. De la sorte, le caractère indissociable de la fonctionnalité et de la fictionnalité des objets techniques a déjà été largement souligné par lanthropologie et la sociologie des techniques.

À ce titre, il est intéressant de noter une réflexion de Gilbert Simondon qui présente la technicité, en tant que rapport de lêtre humain au monde, comme intimement liée à dautres dimensions majeures telles que la magie ou la religion. En effet, pour le philosophe, technicité et religiosité forment un couple indissociable : « Nous supposons que la technicité résulte dun déphasage dun mode unique, central et originel dêtre au 120monde, le mode magique3 ». Cest pourquoi, la technicité exige dêtre complétée et équilibrée par « un autre mode de pensée ou dexistence sortant du mode religieux4 ».

À la lumière de ces éléments, il est possible de comprendre la formule « techno-imaginaire » que forge lanthropologue Georges Balandier pour définir la technologie dans sa dualité substantielle technicité/imaginaire. Quant à Pierre Musso, il soutient que « lessence de la technique serait dinclure la religiosité et de produire des fictions5 ».

Dans cette perspective, il me semble important dexaminer le rapport entre la technique et la religion en Occident sous un angle historique avant dappréhender les TIC en particulier et de procéder ainsi à une étude généalogique de la religiosité de la technique en Occident.

De la matrice chrétienne dorigine de la technique
en Occident à la croyance technoscientifique contemporaine :
une généalogie de la « religion industrielle » contemporaine

Il a été démontré dans nombreux travaux que le développement de la technique et de la science en Occident trouve sa source dans le christianisme. Par exemple, Pierre Bourdieu soutient que « la culture sort des monastères6 ». Lhistorien David Franklin Noble a établi, dans son livre The Religion of Technology (1999), que lenchantement de lhomme moderne par les choses technologiques était inspiré et fondé sur des attentes religieuses au premier rang desquelles la quête de la transcendance et du salut7. Le sociologue américain Rodney Stark, affirme quant à lui : « Le succès de lOccident, y compris lessor de la science, a reposé entièrement sur des fondements religieux ». Dans la lignée de Max Weber, il soutient ainsi que lessor du monde moderne senracine dans la conception chrétienne de la raison :

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Le fondement véritable non seulement du capitalisme mais aussi de lessor de lOccident a été lextraordinaire foi de ce dernier dans la raison [] Tandis que les autres religions du monde mettaient laccent sur le mystère et lintuition, seul le christianisme a ouvert les bras à la raison et à la logique comme guides fondamentaux vers la vérité religieuse8.

Mais, Pierre Musso, dans la lignée de Pierre Legendre, nuance cette idée en précisant que « cest bien le nouage des deux dimensions, en apparence contraires, le mythe et la rationalité, qui a fabriqué lesprit industriel9 ». En effet, le christianisme, selon ses arguments, « réhabilite la raison, le travail et la technique10 » en changeant radicalement la vision du travail et de la technique propre à lAntiquité, et ce sur un double registre : dune part, la croyance en lIncarnation permet de passer de la contemplation à laction ; dautre part, sinstaure une rationalité de la mesure rigoureuse et du calcul du temps et de largent.

En effet, les textes bibliques chrétiens donnent à voir limage de lhomme créé à limage et à la ressemblance de Dieu. Il est donc destiné à participer à la Création en tant que créature créatrice par son travail :

Dieu créa lhomme à son image, à limage de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. » (Genèse 1, 27-28)11.

Le Seigneur Dieu prit lhomme et le conduisit dans le jardin dÉden pour quil le travaille et le garde. (Genèse 2, 15)12

Nous sommes des collaborateurs de Dieu, et vous êtes un champ que Dieu cultive, une maison que Dieu construit (Premiers Corinthiens, 3, 9)13

Dans la foi chrétienne, lêtre humain poursuit donc la création divine par son activité, ce qui a amené Clément Brockmöller à percevoir dans la vision chrétienne du monde la matrice de la vision industrielle :

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Le Créateur a mis pour son service toute la création entre les mains de lhomme [] Aussi nest-ce pas leffet du hasard que la technique industrielle se soit développée justement dans le monde chrétien, alors que les conditions et le point de départ de ce développement étaient donnés également dans dautres civilisations et dautres religions, même en partie, plus anciennes. [] Car Dieu a créé lhomme comme une personne, et comme tel, lhomme est essentiellement un collaborateur du Dieu créateur. En tant que collaboration avec le Créateur, [] le travail technique de lhomme est religion14

Cette nouvelle image du monde inscrite dans le texte sacré du christianisme sest formulée et sest développée au fil des siècles à travers la pensée théologique. En effet, dès le ve siècle, la réflexion de Saint Augustin, notamment sur le mystère de lIncarnation, a permis de « valoriser le travail, la technique, lindustrie et une forme de progrès15 ». Huit siècles plus tard, au xiiie siècle, empruntant à laristotélisme, Saint Thomas dAquin a élaboré une « théologie rationnelle » qui concilie la foi et la raison. Cette combinaison « propre au christianisme » semble avoir joué, selon Musso, un « rôle majeur en Occident – donc bien avant lavènement du protestantisme – dans la promotion dun capitalisme industriel16 ».

Cest à partir de cette matrice chrétienne, soutient Musso, quest née et sest formulée sur huit siècles, entre le xie et le xixe siècle, une foi dans lindustrie en Occident. Il la nomme, en se basant sur les travaux de Pierre Legendre17, « la religion industrielle » qui a procuré à lOccident une « structure fiduciaire », cest-à-dire une foi (fides), une confiance collectivement partagée qui fait tenir la société18.

Cette « religion industrielle », en tant quelle est « un produit dérivé du christianisme », articule comme le christianisme un mystère (celui de lIncarnation) et une rationalité (technoscientifique). Cette « architecture 123dogmatique de lOccident » résulte « dune série de bifurcations caractéristiques de lOccident chrétien et de sa vision du monde19 ».

Ainsi, pensée, fabriquée, façonnée en Occident dans le sein du christianisme, lindustrie a réussi à nouer la foi et la raison, « les règles du croire » et « les préceptes du vivre ». Elle a marqué « le passage du pouvoir spirituel – la Foi céleste – vers le pouvoir incarné et agissant sur terre, sur la Nature et dans la Cité20 ».

En ce sens, la « religion industrielle » est une « religion séculière » (Raymond Aron), « une religion à hauteur dhomme, où le créateur tout-puissant est lhomme lui-même, sauto-accomplissant, et non plus un Dieu supra-céleste21 ». Proche du Weltanschauung de Freud et de la « cosmologie » de Whitehead ou de Jung, la « religion industrielle » opère « un déplacement du sacré, un transfert de sacralité qui sest portée sur la technoscience appliquée au travail et à la production “efficace” de biens et dobjets utilitaires22 ». Ainsi, elle « a produit un Dieu matérialisé, technologisé, voire usiné, et selon le mot de Renan, elle la “organisé”, mis en scène dans des machines et des usines produites par la technoscience pour transformer le monde23 ».

Si la matrice chrétienne a donc permis lélaboration lente et progressive dune « religion industrielle » en Occident qui infuse aujourdhui une croyance universelle dans la technoscience, elle a réussi à construire aux États-Unis, dans ce Nouveau Monde, un techno-imaginaire particulièrement puissant des techniques de communication.

Le techno-imaginaire religieux américain
de la communication instrumentale

Ce nest pas un hasard si lInternet est dorigine américaine24. En effet, sur le plan historique, force est de constater que les technologies de communication occupèrent une place centrale dans la révolution 124industrielle américaine, car « à la différence des vieilles nations, le développement technologique de la communication instrumentale aux États-Unis – de laménagement du territoire (les routes et les canaux) au développement des réseaux techniques de la communication (les réseaux ferrés et télégraphiques) – sest confondu littéralement avec la création nationale, tant sur un plan matériel que symbolique25 ». Ainsi, le concept de « réseau » (network) sest trouvé « dès le départ au centre des discours prophétiques sur les vertus des technologies26 » aux États-Unis.

Il existe donc, comme Pucheu la montré, un récit cosmogonique que la société américaine a produit sur elle-même, qui a façonné limaginaire national américain et qui explique limportance cruciale des TIC dans le montage symbolique états-unien27. Ce récit cosmogonique sappuie fondamentalement sur un argument providentialiste qui sous-tend le nationalisme américain. En effet, le peuple américain interprétait lavancée technologique, notamment dans le domaine de la communication instrumentale, en lien avec le développement territorial et la construction symbolique de leur nation, comme une manière daccomplir la « mission providentielle » quils estimaient avoir reçue de Dieu afin de renouveler le monde. Ainsi, dès lorigine, une véritable croyance religieuse américaine inscrivait la domestication du wilderness (le désert et tout ce qui se trouve encore dans létat sauvage) dans leur vocation à participer à un renouvellement de lhistoire de lhumanité. Cet imaginaire fondateur est affirmé, par exemple, par Thomas Paine dans son célèbre pamphlet, Le Sens Commun :

Nous avons en notre pouvoir de commencer une nouvelle fois le monde. Une telle situation ne sest pas présentée depuis les jours de Noé jusquà aujourdhui28

Ainsi, le développement technologique fait sens dans la « structure fiduciaire » américaine car il est intimement destiné à cette « seconde création » du monde (Nye 2003) pour laquelle les Américains sont convaincus dêtre choisis par Dieu. Cest ainsi que le « Grand Réveil » 125américain, à travers la figure son instigateur, Jonathan Edwards, a contribué à « placer les technologies de communication au centre du scénario millénariste américain29 ». Cette vision providentialiste américaine qui fait converger la technologie, la foi et lexpansionnisme « civilisationnel » se révèle ainsi pleinement dans des discours millénaristes, tels que celui prononcé par un révérend presbytérien lors de linauguration dune ligne de chemin de fer :

Dun point de vue moral et religieux, aussi bien social que commercial, il y a quelque chose pour moi dintéressant, de solennel et de grand dans louverture de cette voie de communication. Il y a quelque chose de sublime à ce propos, indiquant non seulement la marche de lesprit et dune plus valeureuse société, mais aussi lévolution vers un but divin, infini, éternel – connectant les révolutions sociales avec le progrès du Christianisme et lavènement du règne du Christ30

Au xixe siècle en Amérique, alors que « lenthousiasme pour la religion et pour la technologie se nourrissait et samplifiait mutuellement31 », leffort technologique pour mettre en œuvre une société réticulaire, que ce soit par le train ou le télégraphe, vise non seulement des biens matériels mais surtout des progrès spirituels et religieux :

Lunion des États de lAmérique du Nord dépend, bien plus que lon ne se limagine, de ces grandes routes qui facilitent le libre et rapide échange du commerce et de linformation entre les habitants. La civilisation et le christianisme suivent les grandes routes commerciales vers la frontière32

Grâce au télégraphe atlantique, le globe est maintenant rentré en union électrique33

Cest à partir de cet héritage techno-imaginaire spécifiquement américain que lInternet a été façonné au xxe siècle. On retrouve justement à lorigine de lutopie dInternet des années soixante-dix des métaphores dont le champ sémantique renvoie à ce nouage entre une 126croyance et une rationalité telles que « la nation câblée », « les autoroutes de linformation », « une société en réseau34 ».

En résumé, cette première analyse historique et anthropologique nous a permis de situer lInternet, en tant que technique de communication de notre époque, dans un héritage très ancien de culture chrétienne occidentale. Il est né de la matrice chrétienne qui valorise la technique grâce à laquelle lêtre humain trouve la dignité et la vocation de poursuivre la création divine. En tant que dernier produit technologique de communication instrumentale américaine, lInternet renvoie à un imaginaire fondateur états-unien qui articule profondément progrès technologique et mission providentielle de « seconde création » du monde qui suppose de domestiquer le wilderness et de repousser sans cesse la frontier. Mais lInternet incarne aussi cette croyance universelle contemporaine – « la religion industrielle » – par laquelle lhomme croit en la puissance technoscientifique et cherche son propre auto-accomplissement dans un paradis terrestre.

Maintenant la question est de savoir comment cette technique occidentale a été ajustée par les Vietnamiens dans leur propre vision du monde.

Religiosité de linternet vietnamien

Afin dappréhender au mieux la question de lInternet vietnamien contemporain, il semble important de remonter dans le temps pour examiner, sur le plan historique et anthropologique, la question de la technique au Vietnam, notamment en rapport avec la dimension des croyances religieuses vietnamiennes.

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Rapport entre technique
et croyances religieuses au Vietnam

Dans de nombreux travaux portant sur lhistoire et la culture vietnamienne, il est généralement admis que la science et la technique ne sont pas très développées dans le Vietnam traditionnel. En 1944, Nguyen Van Huyen soutient dans son ouvrage La Civilisation annamite qui est devenu un incontournable des études vietnamiennes :

Le rôle que joue lAn-Nam dans le domaine des sciences est faible. Les Annamites nont pas lesprit scientifique. Prisonniers de leur langue faite dun vocabulaire propre à traduire les sentiments et de moules rigides, de leur méthode de raisonnement basée sur des comparaisons concrètes et des allusions historiques, de leur culte du passé totalement hostile à tout progrès matériel, les Annamites navaient guère dactivité que pour les travaux littéraires et artistiques35.

En fait, un autre chercheur vietnamien en la personne de Dao Duy Anh cherchait déjà en 1938 à expliquer « Pourquoi la technique nest-elle pas développée36 ? » au Vietnam, dans son livre Vit Nam Văn Hóa S Cương [Esquisse dHistoire de la Civilisation Annamite]. Il argumente que :

Notre pays est un pays agricole, lÉtat ne soccupe donc que des activités agricoles. Quant au secteur de lartisanat, lÉtat non seulement ne lencourage pas, mais en plus opprime les artisans, cest pourquoi la technique na jamais pu se développer. [] Mais la raison la plus fondamentale de labsence du développement technique de notre pays [] réside dans le fait que lartisanat nest quun secteur second, un secteur dappoint pour le secteur agricole37.

Ce mépris de la société traditionnelle vietnamienne pour la technique se traduit dans le classement des catégories sociales hérité du confucianisme chinois, à savoir, par ordre dimportance : « Lettrés » (), « Paysans » (Nông), « Artisans » (Công), « Marchands » (Thương)38.

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Mais, les « conditions défavorables au développement de la technologie39 » au Vietnam traditionnel sappuient sur des éléments plus enfouis qui sont dordre culturel, spirituel et religieux. Ainsi, comme pour la question de la technique en Occident qui a été analysée précédemment, il est important de mettre en lumière les soubassements philosophiques et religieux de la technique au Vietnam. Autrement dit, ma thèse consistera à soutenir quune vision cosmologique vietnamienne, façonnée aussi bien par les croyances animistes primitives que par une foi syncrétique empruntée au taoïsme, au bouddhisme et au confucianisme expliquera, sur un mode négatif, linsuccès technique dans le Vietnam traditionnel.

En effet, on constate chez les Vietnamiens primitifs une croyance de type animiste, comme le remarque Nguyen Van Huyen :

Les Annamites vivent dans un pays tropical, à la nature sauvage et aux manifestations atmosphériques violentes. [] Cette nature a depuis toujours beaucoup impressionné le peuple annamite qui na pas manqué de la couvrir dun vaste manteau de mythes dont les uns sont locaux, les autres empruntés à limagination chinoise. Chaque site, montagnes, forêts, fleuves, etc. a sa légende ou son génie. Toutes les manifestations de la nature sont dues au pouvoir dune divinité40

Selon cette cosmologie animiste « lhomme, lanimal, le végétal, le minéral sont des résumés de lUnivers dont ils contiennent lâme et la matière. Réciproquement, lUnivers est doué déléments et dune âme identique à celle de lHomme et de ses frères animaux, végétaux et minéraux ». De la sorte le Vietnamien traditionnel « considère que lhomme est à lintérieur du monde et que, dès lors, un rapport constant lie le comportement du Macrocosme et du Microcosme41 ». Cette vision cosmologique primitive et populaire a généré chez le peuple vietnamien, selon Huard et Durand, « une mentalité prémachiniste » qui consiste à accorder une grande importance au caractère rituel et magique de toute technique : lartisan, incapable de trouver une explication scientifique aux causes de son échec, est poussé à « douer dune âme les instruments de son activité42 ». Ainsi, « à toute réalisation matérielle est associée une fin spirituelle43 ».

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Dautres éléments philosophiques, spirituels et religieux dorigine chinoise ont été intégrés à la vision cosmologique vietnamienne au cours du millénaire doccupation du Vietnam (de 111 av. J.-C. à 939 ap. J.-C.). Durant cette période, le Vietnam a connu des « conditions défavorables au développement de la technologie propres aux cultures sinoïdes » selon largument de Huard et Durand. À la lumière des travaux de Needdham, il semblerait que le cadre religieux et philosophique chinois ait empêché les intellectuels de croire aux lois de la nature44. Huard et Durand étendent cette analyse aux cultures sinisées, soutenant que la technologie a été « freinée par le bouddhisme axé sur la négation du monde matériel » et par le confucianisme « qui a étouffé toute possibilité de développement du Droit en opposant à une solution juridique des conflits sa conception paternaliste de la justice45 ». Par ailleurs, cette sagesse extrême-orientale considère peu le travail manuel au point que « les élites dirigeantes ont également dédaigné lactivité commerciale et industrielle46 ».

Cette présentation succincte montre le rapport particulier que le Vietnamien traditionnel entretenait avec la technique dès lors quil la placée dans une vision cosmologique et religieuse spécifique où le monde matériel est toujours doué de ou lié à une présence spirituelle. Loin de lidée chère à lOccidental chrétien dune vocation de lhomme à poursuivre la création divine par la transformation du monde, lhomme vietnamien traditionnel cherchait à être en harmonie avec lordre naturel universel. Le travail manuel et technique y était par conséquent peu considéré.

Cest sur la base de ces soubassements cosmologiques et religieux anciens et enfouis quil est possible dappréhender autrement, selon mon hypothèse, la genèse et le développement des TIC et de lInternet au Vietnam.

Religiosité des techniques digitales au Vietnam :
vietnamisation dune technique occidentale

Inscrite dans une « épistémologie de la complexité » en sciences de linformation et de la communication (2017) qui est « à la recherche dune 130possibilité de penser à travers la complication, à travers les incertitudes et à travers les contradictions » (Morin, 2014), cette analyse47 a pour but dappréhender le processus dappropriation progressive des TIC et de lInternet au Vietnam, depuis la phase initiale d« enthousiasme » jusquà celle de la diffusion de cette nouvelle technique48. Pour ce faire et afin de prendre en compte « linscription de la matérialité des supports de communication dans les pratiques sociales49 », jai construit un corpus reflétant la diversité des acteurs de lélaboration des imaginaires de lInternet vietnamien, dans la lignée de Flichy50, à savoir :

Les « grandes organisations publiques ». Dans le cas du Vietnam, ce sont le Parti communiste dirigeant et lÉtat vietnamien qui ont produit des discours encadrant la vision de « modernisation et dindustrialisation » du pays, et par conséquent, des discours sur les « TIC ». Ainsi, le corpus comportera des « grands textes » politiques officiels tels que les récapitulatifs des plans quinquennaux des quatre Congrès du Parti Communiste vietnamien (1986, 1991, 1996, 2001) et les trois textes officiels initiaux portant spécifiquement sur les TIC et lInternet51. Ces dates correspondent à la période de genèse et de diffusion de lInternet vietnamien.

Les « littérateurs » : il sagit des acteurs médiatiques qui contribuent à produire un imaginaire social de linnovation technique. Dans le cas vietnamien, jai identifié trois médiateurs significatifs :

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*Le magazine e-CHIP. Créé en 2003 et spécialisé dans le domaine des TIC, il relève de la Société Générale des Postes et des Télécommunications du Vietnam (VNPT) et a pour objectif de vulgariser linformatique et les NTIC auprès du public vietnamien.

*Le Concours des produits de logiciels intitulé « Intelligence vietnamienne » [Trí tu Vit Nam]. Ce grand événement est coorganisé annuellement par le journal Lao dong (le Travail), la Télévision vietnamienne et la compagnie FPT depuis lan 2000.

*La « Semaine de découverte dInternet », tenue à la Maison de la Culture et des Jeunes dHo Chi Minh Ville en novembre 2004. Coorganisée annuellement depuis lan 2001, par cet organisme qui émane de lUnion de la Jeunesse Communiste, par la compagnie VDC (Vietnam Data Communication Company) et par le journal Tuoi Tre (la Jeunesse), cette « fête dInternet » a choisi pour sa quatrième édition le thème : « Avec Internet, changer la vie ».

Adoptant un pluralisme méthodologique (analyse lexicométrique, argumentative, sémio-linguistique et analyse de contenus), cette étude conjointe du contenu et de la forme, des soubassements cosmologiques et des enjeux politiques, des représentations et de la force symbolique, de la rhétorique médiatique et de la matrice culturelle, qui sont autant de niveaux de réalité tous hétérogènes et tous irréductibles les uns aux autres, a permis de mettre en lumière lélaboration de limaginaire de lInternet vietnamien lors de son émergence au début des années 2000. Cette élaboration sappuie, comme on le verra dans les lignes qui suivent, sur un recours aux différentes ressources religieuses empruntées soit à la « religion industrielle » universelle, soit à une vision chrétienne, soit aux croyances animistes populaires.

Linternet vietnamien
ou la foi industrialiste contemporaine vietnamienne

Il est important de situer la genèse des TIC et de lInternet vietnamien dans le contexte socio-politique de ce pays des années quatre-vingt-dix. En 132effet, en inaugurant officiellement la politique du Đi Mi (Renouveau, Réforme) en 1986, politique conçue à la fois comme un projet économique et politique, le pouvoir vietnamien a tenté de sortir de la grave crise qui affectait lensemble du pays depuis la fin des années soixante-dix jusquau milieu des années quatre-vingt.

Ainsi, lobjectif majeur qui ressort des quatre Congrès du PCV pour la période 1986-2001 est léconomie et le développement du pays. Ces termes constituent une sorte de fil conducteur traversant lensemble des textes de Congrès. Ils traduisent une idéologie de la modernité, dont la fonction consiste, dans la lignée de Paul Ricœur52, à légitimer le pouvoir en place. Il est, à ce titre, intéressant de noter que les termes « sciences », « industrialisation », « techniques » et « modernisation » sont peu utilisés dans le texte du sixième Congrès (1986), alors quils sont très fréquemment utilisés à partir du septième Congrès (1991), de telle sorte quon les rencontre régulièrement au sein de textes ultérieurs (1996, 2001). Ils feront ensuite fortune pour devenir une sorte de slogan officiel omniprésent.

Les réalisations importantes obtenues ont déjà constitué et sont en train de constituer des prémisses pour conduire progressivement le pays vers une nouvelle époque de développement, celle de lindustrialisation et de la modernisation du pays (Commission du mi-mandat du septième Congrès)53.

Le texte du septième Congrès donne également une définition de la perspective d« industrialisation et modernisation » quil entend favoriser :

Lindustrialisation et la modernisation sont un processus de transformation fondamentale et complète des activités de production, de commerce, de services et de gestion socio-économique, qui consiste à passer de lutilisation essentielle du travail manuel à lutilisation massive de la force de travail accompagnée par des technologies, des moyens et des méthodes avancés, modernes, basés sur le développement de lindustrie et sur des progrès scientifiques et technologiques pour créer une productivité élevée54.

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Notons que cet ensemble sémantique autour des « technologies », des « moyens et méthodes avancés », de l« industrie », du « progrès scientifiques et technologiques » renvoie à la sémantique de la « religion industrielle » analysée précédemment. Ainsi, la modernité que visent les dirigeants vietnamiens est synonyme de progrès techniques et technologiques. Elle sera le triomphe de la science et de la raison. Elle est mesurée par la performativité et lefficacité de production.

À cette vision d« industrialisation et modernisation », le pouvoir vietnamien associe les « TIC » ainsi que latteste la rubrique intitulée « les technologies dinformation au service de lœuvre dindustrialisation et de modernisation » [Công ngh thông tin vi s nghip Công nghip hóa – Hin đi hóa] du site web du PCV de lépoque (2005). Le premier texte officiel consacré à ce sujet, la Directive No 14 – CT/TW du bureau politique du PCV datée du 9 avril 1997, affiche un « credo » techniciste :

À lépoque actuelle, le développement des technologies dinformatique est une nécessité inéluctable pour les pays dans le monde.

Pour notre pays, les échanges dinformations via Internet apporteront une quantité dinformations riches, variées et contribueront au développement de multiples activités dans des secteurs scientifiques, éducationnels, économiques, sociaux, etc.

Trois ans plus tard, la Directive No 58 – CT/TW du bureau politique du PCV, datée du 17 octobre 2000 et intitulée « Lintensification des applications et du développement des technologies dinformation au service de lœuvre dindustrialisation, de modernisation », confirme et renforce cette « foi » des dirigeants vietnamiens dans les TIC :

La mise en application et le développement des technologies dinformation dans notre pays permettront de libérer les forces matérielles, intellectuelles et spirituelles de tout le peuple, daccélérer le « đi mi », de développer rapidement et de moderniser des secteurs économiques, de renforcer la capacité de concurrence des entreprises, de soutenir efficacement le processus dynamique dintégration à léconomie internationale, daméliorer la qualité de vie de la population, de garantir la sécurité et la défense nationale, de créer la possibilité de faire du raccourci et de lanticipation pour mener à bien lœuvre dindustrialisation et de modernisation.

134

En un mot, fonctionnant comme « une baguette magique », les TIC en général et lInternet en particulier incarnent une croyance des dirigeants vietnamiens contemporains dans la toute-puissance technoscientifique qui leur permettrait de réaliser leur « œuvre de dindustrialisation et de modernisation » afin de construire « un pays fort, avec un peuple riche et une société juste et civilisée ».

Objet dune croyance techniciste et industrialiste contemporaine, les TIC ont également généré le transfert dune figure exemplaire dorigine occidentale chrétienne : la figure du « chevalier des technologies dinformation » [Hiep si Cong nghe thong tin].

Linternet vietnamien ou lexemple dun transfert
dune vision chrétienne de la technique

Le numéro 12 du magazine e-CHIP publié le 15 mai 2003, soit trois mois après sa naissance, lance un dossier spécial sur les « Chevaliers des technologies de linformation » (TI). Ce sujet sera traité par la suite dans de nombreux numéros pour culminer dans le numéro 21 qui consacre un reportage à la remise du symbole « Chevalier des TI » à quelques lauréats, événement médiatisé qui permet la première rencontre officielle entre le magazine et ses lecteurs. Simultanément un ouvrage, intitulé « Contes de fées à lère de la numérisation55 » a été publié par la collection e-CHIP pour raconter « des contes de fées concernant des exemples de la manière de surmonter les difficultés de lautoapprentissage de linformatique et des histoires révélant le grand cœur des Chevaliers des TI ainsi que leurs œuvres ».

Il est important de noter comment le magazine e-Chip définit lui-même la figure de « chevalier des TI » :

Ce sont des Vietnamiens qui semploient silencieusement à concevoir des logiciels, ou à promouvoir des applications ou à favoriser laccès et lexploitation des TI auprès de nos compatriotes de façon que ce soit le plus efficace possible. Ce sont également des Vietnamiens qui mettent en valeur leur savoir ainsi que leur compétence en matière de TI pour soulager, soutenir des handicapés en leur donnant plus de chances de sintégrer à la société. [] Même sils nont pas besoin dune reconnaissance de leur mérite, même si le feu de leur ferveur et de leur geste chevaleresque et désintéressé – eux qui sont devenus 135de plus en plus rares et précieux – ce feu mérite dêtre maintenu et attisé par le souffle afin quil gagne davantage et que la communauté des TI en particulier et notre société en général aient de plus en plus de « Chevaliers des TI » mettant toute leur faculté intellectuelle et toutes leurs forces au service de lintérêt du pays56.

Cette définition est à « lire » en lien avec celle, plus générale, proposée par le dictionnaire vietnamien : un chevalier est « quelquun qui est doué de la force et dun cœur magnanime, qui place la bonne morale et les beaux sentiments au-dessus des biens et des richesses matérielles, qui protège les faibles et combat les méchants tyranniques57 ». La figure du « Chevalier des TI » se trouve en parfait accord avec cette vision orthodoxe vietnamienne.

La force est plutôt une force « intellectuelle » qui se traduit en « savoirs » et en « compétences » dans le champ des technologies dinformation.

Lesprit de magnanimité recouvre la disposition intérieure à « semployer » à travailler, à souvrir aux « handicapés », à se mettre « au service de lintérêt du pays ».

La ligne de conduite se lit à travers la célébration de la « ferveur », des « gestes chevaleresques et désintéressés », de la gratuité de lacte puisque les Chevaliers TI agissent « silencieusement » et qu« ils nont pas besoin de reconnaissance de leur mérite ».

La mission consiste à combattre ladversaire, le méchant qui est en loccurrence lignorance des TI autant que lapplication dune logique marchande aux produits TI, qui seraient autant dobstacles au développement des savoirs et, plus généralement, de la société vietnamienne. Ladversaire peut ainsi être considéré, dans une perspective élargie, comme des handicaps à surmonter ou un destin à vaincre.

Cette fabrication de la figure des « Chevaliers des TI » par les médiateurs vietnamiens donne à voir un phénomène de transfert culturel très intéressant. Comme le souligne Michel Espagne, « le terme de transfert 136implique certes une dynamique dimportation et dexportation de biens culturels, quils soient matériels ou correspondent seulement à des modes de pensée. Mais le point essentiel est la question de la réinterprétation liée au déplacement dans lespace ou dans le temps58 ». Ce qui est à lœuvre dans linvention de la figure de « Chevalier des TI » au Vietnam, cest la réinterprétation de la figure de « chevalier » à la fois dans un autre temps et un autre espace.

En effet, il va sans dire que la figure du chevalier vient de lOccident chrétien. Ces combattants professionnels du xie siècle, qui nétaient à leur début que « des auxiliaires militaires rassemblés autour des maîtres du pouvoir, les aidant à défendre le pays et à maintenir la paix », se sont peu à peu sacralisés. Ils ont été investis « de valeurs spirituelles », leur mission consistant à « hâter, par la force de leurs armes, la réalisation du royaume de Dieu59 ».

Une fois « importé » au Vietnam, « lesprit chevaleresque » abandonne le « service du royaume de Dieu » pour se mettre au « service du pays » vietnamien, bien terrestre celui-là. Lesprit « guerrier », « combattant » restant intact, les « armes » du « chevalier » ont changé de nature : désormais les savoirs, les compétences techniques en TIC fournissent la force nécessaire pour combattre ladversaire. Par ailleurs, la « vietnamisation » de cette figure du « chevalier » sappuie sur une exaltation des vertus chevaleresques grâce à leur association à des figures dexemplarité vietnamiennes traditionnelles qui peuplent tout un imaginaire collectif vietnamien :

[Linitiative des] « Chevaliers des TI » a apporté un souffle nouveau aux contes de fées à notre époque de numérisation : une Tm60 qui soulage les souffrances des malheureux, un Luc Van Tien61 qui apporte la lumière des savoirs aux enfants malvoyants, une bonzesse – une figure de Bouddha compatissant tendant ses bras pour sauver des vies souffrantes62.

137

Enfin, lappropriation de cette nouvelle technique dorigine occidentale a pour objectif de lutiliser afin de célébrer un sentiment de fierté nationale, une certaine vietnamité. Ainsi on a soigneusement consacré des « Chevaliers des TI » pour leur contribution à la valorisation de la culture et de la langue vietnamiennes à travers ces nouvelles technologies.

Ils sont porteurs dune fierté, dun respect de soi et dune confiance en soi, mais également dune prudence afin de créer des logiciels portant la langue vietnamienne, lécriture Nôm à aller au-delà des frontières. Porteurs donc dun Vietnam nouveau, dynamique et non dépourvu des talents, des bonnes volontés (ibid.)

Ce souci de vietnamisation des TIC et de lInternet actualise « un constant désir dimprimer aux techniques étrangères un caractère national63 », comme le soulignent déjà Huard et Durand au xxe siècle.

En résumé, linvention de la figure de « Chevaliers des TI » a permis de façonner une certaine religiosité des TIC et de lInternet vietnamien, par le biais dun double mouvement, constitutif de tout phénomène de transfert culturel. Dune part, elle « importe » une vision chrétienne dun « combattant » consacré au service du royaume de Dieu sur terre. Cette figure renvoie à une conception anthropologique chrétienne plus fondamentale telle que nous lavons analysée précédemment, à savoir la vocation de lhomme à participer, par son action, à la poursuite de lœuvre de création divine. Dautre part, elle « vietnamise » cette figure en lassociant/assimilant à un ensemble des figures exemplaires vietnamiennes bien ancrées dans limaginaire collectif de la population vietnamienne. Ce faisant, elle marque une continuité avec lhistoire, crée donc un sens dans larticulation entre « héritage » et « innovation ».

Enfin, limaginaire de lInternet vietnamien puise également ses sources dans un imaginaire cosmologique plurimillénaire.

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Linternet vietnamien ou lactualisation
dune cosmologie vietnamienne traditionnelle

Dans le cadre de mon corpus, lanalyse se borne au magazine e-Chip via létude dun numéro complet (le numéro 3), de lensemble des titres de la rubrique « Dossier spécial » parus pendant la première année (2003-2004) et des articles portant exclusivement sur la question de « Chevaliers des TI » dans les numéros 12 et 21.

Lhypothèse de recherche que javance ici consiste à soutenir que ce magazine producteur des imaginaires de lInternet vietnamien (comme le cas de Wired pour limaginaire de lInternet américain) a cherché à vulgariser les nouveaux savoirs et savoir-faire en TIC auprès de la population vietnamienne en actualisant une certaine vision cosmologique vietnamienne traditionnelle. Celle-ci est nourrie dune conscience religieuse et de pratiques cultuelles empruntant aussi bien aux croyances populaires primitives quaux croyances venant de la culture chinoise (taoïsme, bouddhisme, confucianisme)64.

Demblée, on constate le choix du magazine e-Chip daborder le nouveau domaine technique des TI, non pas sous langle des terminologies « savantes », « techniques », mais au contraire par le biais des références culturelles, littéraires, mythologiques très « parlantes » au « peuple » vietnamien.

Examinons quelques exemples à partir des « rubriques » articulant les contenus (Mc lc) de ce média. Les deux rubriques consacrées exclusivement à la question technique sont nommées « Túi càn khôn IT » et « H lô biến ». La première expression « Túi càn khôn » renvoie à une vision taoïste présente, par exemple, dans le Livre des Mutations (Kinh Dch) : elle désigne larticulation du ciel et de la terre, du Yin et du Yang et, à travers eux, « tous les savoirs de lhumanité, les principes de vie de tout être dans lunivers65 ». Ainsi lexpression inventée « Túi càn khôn 139IT » évoque un puissant imaginaire de la « magie » contemporaine (des TI), ce qui semble plus parlant que lexpression « boîte à outils » par exemple. La deuxième expression (H lô biến), qui est encore située dans limagerie du taoïsme, désigne une gourde de boisson alcoolisée prisée des dieux taoïstes. Dans la croyance populaire, cet objet magique est investi du pouvoir de chasser ou de prévenir les « souffles maléfiques66 ». De nouveau, lexpression actualise tout un univers magique de la croyance populaire vietnamienne.

Une autre formulation « Nuôi hn Robot » est aussi très intéressante. Signifiant littéralement « nourrir lâme de robot », elle renvoie à cette croyance animiste primitive du peuple vietnamien selon laquelle toute technique est animée dun dieu, dun esprit.

Dans la même optique, lInternet est censé véhiculer « lâme du pays natal67 », notamment pour les Vietnamiens expatriés, car il est comme « un courant transportant des souvenirs, leur permettant de séchanger des sentiments. Lâme vietnamienne reste alors diffuse dans ce monde qui continue à bouger violemment : le pays natal demeurera présent à jamais dans lesprit ».

Par ailleurs, la mise en récit des « Chevaliers des TI » sénonce comme « un conte de fées » qui va à la rencontre de notre « ère de numérisation ». Paradoxalement, ce monde des « technologies dinformation », qui semble très « technique », très « scientifique », a besoin de se formuler sur un mode féerique : les puissances magiques, surnaturelles, seraient mises au service du bien, du beau et du vrai grâce aux bonnes œuvres des « Chevaliers des TI ».

En un mot, ce recours à un imaginaire cosmologique traditionnel vietnamien, nourri à différentes sources religieuses populaires pour diffuser une vision denchantement des TIC et de lInternet auprès du peuple vietnamien, confirme le lien indissociable entre la technicité et la religiosité que Simondon a bien souligné.

140

Conclusion

Cette étude contribue à questionner lindépassable besoin d« enchantement du monde » alors même que notre ère de lhypertechnicisation semble nêtre quun processus « désenchantant » selon la thèse discutable weberienne.

Chemin faisant, sur le plan épistémologique, ce travail montre la force heuristique dune herméneutique critique chère à Ricœur. Celui-ci ne propose-t-il pas une dialectique permettant darticuler une « herméneutique du soupçon » dénonciatrice des illusions de la conscience avec « une herméneutique de la confiance » facteur de récollection et de restauration du sens (Paul Ricœur, 1969) ? Finalement, la religiosité des TIC et de lInternet vietnamien est à saisir dans cette tension productive entre le « besoin de croire ensemble » et le « besoin de voir avec lucidité ».

Enfin, cette étude donne à voir un exemple du phénomène de transfert culturel opéré par les acteurs vietnamiens via la vietnamisation dune technique dorigine étrangère. En creux, un tel phénomène met en évidence une sorte d« aptitude vietnamienne » quon peut donner pour une poïétique socioculturelle à lœuvre grâce à laquelle ce peuple, tout au long de son histoire, a fait sienne beaucoup de choses venant des « grandes » civilisations.

Anh Ngoc Hoang

Université Catholique de lOuest

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1 Voir les statistiques des « Usagers dInternet au Vietnam », 2000-2016 sur http://www.internetlivestats.com/internet-users/viet-nam/, et le rapport « Digital 2018 » par Hootsuite We are social : https://wearesocial.com/blog/2018/01/global-digital-report-2018.

2 Formule de Pierre Legendre, cité par Pierre Musso, 2009, p. 1.

3 Gilbert Simondon, Du mode dexistence des objets technique, Aubier, 1958, p. 160. Cité par Pierre Musso, 2009, p. 3.

4 Pierre Musso, Ibid.

5 Ibid.

6 Pierre Bourdieu, postface au livre dErwin Panofsky, Architecture gothique et pensée scholastique, p. 150. Cité par Pierre Musso, 2017, p. 146.

7 « Technology had come to be identified with transcendence, implicated as never before in the Christian idea of redemption. The worldly means of survival were now redirected toward the other-worldly end of salvation. Thus the emergence of Western technology as a historic force and the emergence of the religion of technology were two sides of the same phenomenon », David Franklin Noble, The Religion of Technology, 1999, p. 9.

8 Rodney Stark, Le Triomphe de la Raison. Pourquoi la réussite du modèle occidental est le fruit du christianisme, 2007, p. 6, cité par Pierre Musso, 2017, p. 7-8, p. 134.

9 Pierre Musso, Ibid., p. 133.

10 Ibid. p. 132.

11 La Bible selon la traduction de lAssociation Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones : https://www.aelf.org/bible/Gn/1

12 https://www.aelf.org/bible/Gn/2

13 https://www.aelf.org/bible/1Co/3

14 Clément Brockmöller, Civilisation industrielle et religion, Paris, Desclée de Brouwers, 1968, p. 79-80. Cité par Pierre Musso, 2017, p. 136.

15 Pierre Musso, 2017, p. 138.

16 Ibid. p. 141.

17 « Lindustrie se répand, inévitablement, sur le mode religieux », Pierre Legendre, Leçons ii. LEmpire de la Vérité. Introduction aux espaces dogmatiques industriels, Paris, Fayard, 1983, p. 41. Cité par Pierre Musso, 2017, p. 43.

18 « Toute la structure sociale est fondée sur la croyance ou sur la confiance [] On peut dire que le monde social, le monde juridique, le monde politique sont essentiellement des mondes mythiques » (Paul Valéry, « La politique de lesprit », in Œuvres, Paris, Gallimard, 1957, tome 1, p. 1033. Cité par Pierre Musso, 2017, p. 52.

19 Ibid. p. 40-41.

20 Ibid. p. 31.

21 Ibid. p. 49.

22 Ibid. p. 44-45.

23 Ibid. p. 706.

24 « Lorigine dinternet vient dune initiative dune agence du département américain de la défense à la fin des années 1960, la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency, soit Agence pour les projets de recherche avancée de défense) visant à réaliser un réseau de transmission de données (transfert de paquets) à grande distance entre différents centres de recherche sous contrat », http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/d000512-internet-dans-le-monde/historique-du-reseau

25 Pucheu, 2009, p. 25.

26 Ibid.

27 Ibid. p. 26.

28 1983 : 163, cité par Pucheu, 2009, p. 27.

29 Ibid., p. 27.

30 Charles Aiken, « Moral view of Railroads », Hunts Merchant Magazine, 26,5:579,1852. Cité par Pucheu, p. 29. Cest moi qui souligne.

31 Erik Davis, 1998 : 58. Cité par Pucheu, Ibid. p. 29.

32 Whitney, Asa. 1849. « The Great Pacific Railroad », The American Whig Review, vol. 11, 30 : 71. Cité par Pucheu, Ibid. p.

33 Ezra Gannett, p. 31.

34 Par exemple, le livre intitulé The Wired Nation. Cable TV : the Electronic Communication Highway, Raph Lee Smith, Harper & Row, New York, 1972. La thématique des « autoroutes de linformation » sera largement mobilisée par la campagne électorale dAlbert Gore en 1992. Flichy, 2001, p. 22-29.

35 Van Huyen Nguyen, 1944, p. 274. « An-Nam » était lancien nom du Vietnam.

36 « Ti sao công ngh không phát đt ? », Dao Duy Anh, 2006, p. 65. Ma traduction.

37 « Nước ta là mt nước canh nông nhà nước ch chăm vào bn nghip, đi vi công ngh không nhng không khuyến khích mà li còn áp chế nhà ngh, cho nên công ngh xưa nay không phát trin được. [] Nhưng nguyên nhân trng yếu khiến công ngh nước ta không phát đt [] bi vì nó ch là nghip ph, mt nghip b tr cho nông nghip ». Ibid., p. 65-66. Ma traduction.

38 Voir Huard & Durand, 1954, p. 121.

39 Ibid. p. 57.

40 Van Huyen Nguyen, 1944, p. 222.

41 Huard & Durand, 1954, p. 63.

42 Ibid. p. 58.

43 Ibid.

44 http://www.newworldencyclopedia.org/entry/History_of_science_and_technology_in_China, dernière visite le 18 juin 2018.

45 Huard & Durand, op. cit., p. 57.

46 Ibid.

47 Cette analyse sappuie en grande partie sur mon travail de recherché effectué dans le cadre de mon mémoire de DEA intitulé « Processus de construction des imaginaires dInternet au Vietnam. Internet comme utopie et idéologie de la modernité ? », CELSA, 2005.

48 Victor Scardigli distingue « trois temps de linsertion sociale des techniques » : un, le temps des discours prophétiques ; deux, le temps de la diffusion de linnovation ; et trois, le temps de lappropriation socio-culturelle de linnovation. « Nouvelles technologies : limaginaire du progrès », in Limaginaire des techniques de pointe. Au doigt et à lœil, sous la responsabilité dAlain Gras et Sophie Poirot-Delpech, LHarmattan, Paris, 1989, p. 97-114. Cité par Pierre Musso, 2009, p. 7.

49 Monnoyer-Smith, 2008.

50 Patrice Flichy, Linnovation technique, p. 89. La Découverte. Paris. 1995.

51 Voici ces trois textes importants : Directive No 14 – CT/TW, datée du 9 avril1997, du Bureau politique du PCV au sujet de la « Direction de la gestion et de lutilisation du réseau Internet au Vietnam » ; Directive No 58 – CT/TW, datée du 17octobre 2000, du Bureau politique du PCV au sujet de l« Intensification des applications et du développement des technologies dinformation au service de lœuvre dindustrialisation, de modernisation » ; Décision du Premier Ministre : Approbation du Plan de développement dInternet au Vietnam pendant la période 2001-2005, datée du 08 février 2002.

52 Paul Ricœur, Lidéologie et lutopie, Seuil, 1997.

53 « Nhng thành tu quan trng đt được “Đã và đang to ra nhng tin đ đưa đt nước chuyn dn sang mt thi kỳ phát trin mi, thi kỳ đy ti mt bước công nghip hoá, hin đi hoá đt nước”. Lược s Đi hi Đi hi Đi biu toàn quc ln th VII. » Ma traduction. Cest moi qui souligne.

54 « Công nghip hoá, hin đi hoá là mt quá trình chuyn đi căn bn, toàn din các hot đng sn xut, kinh doanh, dch v và qun lý kinh tế, xã hi, t s dng lao đng th công là chính sang s dng mt cách ph biến sức lao đng cùng vi công ngh, phương tin và phương pháp tiên tiến, hin đi, da trên s phát trin ca công nghip và tiến b khoa hc - công ngh, to ra năng sut lao đng cao ». Ibid. Cest moi qui souligne.

55 C tích thi s hóa, Nhiu tác gi, T sách e-CHIP, NXB Mũi Cà Mau, 2003.

56 e-CHIP numéro 12, p. 16. Ma traduction.

57 « Ngưi có sc mnh và lòng hào hip, trng nghĩa, hay bênh vc cho k yếu, chng k cường bo ». Nguyn Như Ý. Đi t đin tiếng Vit : NXB Văn hóa Thông tin, 1999. Ma traduction.

58 Michel Espagne, 2015, p. 16.

59 Georges Duby, « CHEVALERIE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 28 mai 2018.

60cô Tm” : héroïne du conte de Cendrillon dans sa version vietnamienne (Truyn Tm Cám)

61 Lc Vân Tiên, héros dun grand classique de la littérature vietnamienne du même nom de Nguyen Dinh Chieu, au milieu du xixe siècle. Il incarne les vertus de générosité et de magnanimité des Vietnamiens méridionaux, et la foi simple dinspiration bouddhiste selon laquelle « tout comportement de bienveillance sera récompensé » («  hin gp lành »).

62 « Hip sĩ CNTT đã thi mt lung gió mát t trong truyn c tích vào thi s hoá : mt cô Tm l lem xoa du ni đau cho nhng người bt hnh, mt chàng Lc Vân Tiên mang li ánh sáng tri thc cho tr em khiếm th, mt Ni-sư – hình nh ca Bt t bi bác ái dang tay cưu mang nhng mnh đi đau kh », e-CHIP, no 21, p. 16. Ma traduction.

63 Huard et Durand, 1954, p. 60.

64 Effectivement, Nguyen Van Huyen soutient : « La grosse majorité des gens du pays ont une religion populaire très souple et très malléable, caractérisée par un certain nombre de pratiques, rattachées les unes au confucianisme, les autres au taoïsme ou au bouddhisme, que lon suit de façon automatique aux occasions différentes de la vie », 1944, p. 232.

65 « Càn khôn là thiên,đa,là âm dương. [] Túi can khôn » ch mi tri thc ca nhân loi,qui lut sinh tn ca ca loài ngưi và vn vt trong vũ tr. », http://tapchitintuc.com/c%C3%A0n-kh%C3%B4n. Ma traduction.

66 http://dodongviet.net/su-tich-bat-tien-va-y-nghia-ho-lo-bat-tien-trong-phong-thuy-ns165/

67 « Hn quê trên Net », e-Chip no 63-64.