Topologies de l’immersion
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Études digitales
2017 – 2, n° 4. Immersion - Auteur : Lescop (Laurent)
- Résumé : L’approche topologique de l’immersion permet de déterminer les types d’espaces en jeu dans les expériences immersives. On oppose le réel au virtuel mais la question est plutôt de type diégétique. Il existe bien des espaces construits ou symboliques, continus ou disjoints. La topologie proposée souligne les processus de transition d’un espace à l’autre pour appréhender la frontière entre le réel et le virtuel. Une fois ces espaces établis, il faut inventer une grammaire 360° .
- Pages : 21 à 52
- Revue : Études digitales
- Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
- EAN : 9782406092889
- ISBN : 978-2-406-09288-9
- ISSN : 2497-1650
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09288-9.p.0021
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 06/08/2019
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : 360° , panorama, réalité virtuelle, perspective, récit, art, jeu vidéo, hors-champ, mimèsis
TOPOLOGIES DE L’IMMERSION
Présentation
La réalité virtuelle est passée, depuis une vingtaine d’années, des sphères académiques et techniques aux industries du loisir ouvertes au grand public. L’avènement des digital natives dans l’espace marchand, la généralisation d’un matériel et d’applications accessibles et faciles d’utilisation, créent un contexte favorable à la diffusion rapide de contenus dits immersifs et popularise la notion d’immersion qui va se trouver mobilisée dans de nombreux champs de la pensée savante (voir contribution de Jacques Athanase Gilbert). Cette diffusion rapide et l’emballement qu’elle suscite doivent, soit nous interroger sur l’hypothèse d’un changement de paradigme concernant les questions de narration, de représentation et d’immersion, soit au contraire, nous inviter au développement d’une nouvelle itération, dans la continuité des théories et des pratiques. Il nous faut dès lors soit consolider les connaissances autour des paradigmes en cours, soit détecter, voire influencer, ceux qui renouvelleront les pratiques actuelles. La notion d’immersion est généralement traitée par ses contenus dont on interrogera la nature et les relations avec ce qui est considéré comme le réel, soit par les instruments en évaluant leur puissance à tromper les sens et laisser croire à l’utilisateur que ce qu’il voit ou perçoit est proche d’une expérience du réel. Assez rarement est pris en compte et étudié ce que l’on peut nommer dispositif, à savoir la scénographie d’une expérience immersive depuis les rives du réel jusqu’aux « bains » d’immersion. Une scénographie implique des espaces qui s’articulent dans une démarche narrative ce qui implique une maîtrise de la temporalité ainsi qu’un certain nombre d’effets : la qualité de la scénographie découle donc la réussite de l’expérience illusionniste de l’immersion. L’approche proposée ici est donc celle de la topologie et la description 22des espaces impliquant l’immersion. Celle-ci, en effet, définit plusieurs espaces qu’il s’agit de caractériser et de comparer. Le premier espace est, de façon évidente, celui du récit auquel répond celui du réel, mais ce ne sont pas les seuls, et la partition de ces deux espaces ne définit pas précisément les spécificités et la nature de chacun d’entre eux, ni la façon dont ils s’articulent et communiquent, la manière dont ils sont conçus et vécus. Pour parvenir à les catégoriser, savoir ce qui va différencier ces types et niveaux de spatialités, il est nécessaire d’investiguer la question de l’immersion à travers l’analyse de ses dispositifs et de déterminer, par ceux-ci, ce que ces espaces ont de commun ou de différenciant. Une telle posture induit un postulat fort : le contenant qualifie le contenu ; les conditions de diffusion des images, leurs circonstances mêmes.
Cette investigation devrait donner quelques éléments pour apprécier l’apport des technologies numériques aux récits immersifs. En effet, à partir de la compréhension des topologies de l’immersion il sera possible d’esquisser les premiers éléments d’une grammaire narrative immersive applicable pour l’écriture des contenus à 360°.
Les appuis historiques
Les coupoles des églises toscanes, dans lesquelles les anges et les nuages semblent flotter au-dessus de nous, pourraient être tenues pour un modèle des systèmes immersifs, en tant que dispositifs conçus pour projeter un spectateur dans un monde en trompe-l’œil. Mais il est plus juste de voir dans l’invention du panorama par Baker en 1787 en Écosse le véritable ancêtre de tout ce qui s’est développé ensuite. Sa première réalisation est une immense toile représentant Édimbourg tendue à l’intérieur d’un cylindre au centre duquel se trouve le spectateur, hissé sur une plate-forme. Par effet trompeur de synecdoque, le panorama est souvent ramené à sa simple toile peinte. C’est pourtant un dispositif illusionniste total comme le montre bien la description des brevets1. Celui de Barker date de 1796, celui de Fulton du 6 floréal an VII (26 avril 1799). Il faut être attentif au fait que la conception d’un panorama répond à 23un cahier des charges extrêmement précis, articulant et enchaînant des espaces plongés dans des ambiances lumineuses contrastées. Dans son Essai sur l’histoire des panoramas et de dioramas, Germain Bapst précise que la construction se fait ainsi, selon des « lois scientifiques » : «
Le panorama est une peinture circulaire exposée de façon que l’œil du spectateur, placé au centre et embrassant tout son horizon, ne rencontre que le tableau qui l’enveloppe […] Pour établir l’illusion, il faut que l’œil, sur quelque point qu’il se porte, rencontre partout des figurations faites en proportion avec des tons exacts et que, nulle part, il ne puisse saisir la vue d’objets réels qui lui serviraient de comparaison ; alors qu’il ne voit qu’une œuvre d’art, il croit être en présence de la nature. Telle est la loi sur laquelle sont basés les principes du panorama2.
Fig. 1 – LESCOP-COUPE-PANORAMA-02 :
coupe de panorama générique du xixe siècle.
Du point de vue constructif, Bapst donne également des indications rigoureuses : « On construit une rotonde à toit conique […] dans l’intérieur 24s’élève, au centre, une plate-forme isolée, de la hauteur de la moitié de l’édifice ; c’est là que se place le spectateur, qui est maintenu à une certaine distance du mur circulaire entièrement recouvert par la toile du tableau. La toile est en quelque sorte sans fin, ses deux extrémités se raccordant et se confondant en un même point.
Les objets y doivent être représentés selon les règles de la perspective, en prenant comme point central la plate-forme où se tient le spectateur.
Une zone vitrée large d’un mètre, placée à la partie basse du toit conique, au-dessus et à l’intérieur de la toile, laisse passer le jour qui tombe directement sur elle, la partie centrale du toit restant pleine. Un parajour situé au-dessus du spectateur lui cache ce qui est au-dessus de sa tête, l’empêche de voir l’extrémité supérieure de la peinture et l’ouverture circulaire par où pénètre le jour ; l’éclat de la lumière est ainsi amorti, et l’ombre du spectateur ne peut plus se dessiner sur la toile ; enfin le ton gris de cet appareil forme contraste avec les tons lumineux de la peinture et les fait paraître plus éclatants. Dans les premiers panoramas, une étoffe de même couleur que le parajour était tendue en pente depuis le bord de la plate-forme jusqu’au bord du tableau ; elle en dérobait l’extrémité et tenait lieu de premier plan situé dans l’intervalle compris entre le spectateur et le tableau3. »
Les premiers concepteurs de panoramas ont bien compris, dès l’origine, que la seule toile peinte, fût-elle immense et d’un réalisme parfait, ne peut garantir à elle seule l’illusion immersive. Il faut créer une scénographie depuis l’entrée, à l’achat du ticket, jusqu’à la plate-forme d’observation, laquelle contribue, par sa forme même, à faire entrer les spectateurs dans le dispositif. Il est donc rapidement apparu que l’immersion ne pouvait reposer que sur sa dimension visuelle et sur ce que nous pourrions qualifier de « pari synesthésique » selon lequel l’image est capable d’activer un ensemble de stimuli sensoriels. Louis-Jacques Mandé Daguerre, ancien assistant de Pierre Prévot lui-même acquéreur du brevet de Barker, transforme le dispositif en 1822 en y ajoutant de la lumière mais surtout du son. Il mobilise ainsi une autre dimension sensorielle pour parachever ses reconstitutions des batailles napoléoniennes selon un procédé qu’il nomme Diorama. Le succès de Daguerre est tel qu’il réunira assez de fonds pour financer et faire aboutir ses recherches sur la photographie. Mais ce n’est pas lui qui réalisera 25le premier panorama photographique. On doit celui-ci à Girault de Prangeyqui qui, en 1842, montrera Rome depuis les collines du Palatin. Jean-Pierre Alaux lui, tente, en 1827, un travail sur les ambiances lumineuses avec son Néorama qui représente, en quelque sorte, la première tentative d’animation d’une perspective intérieure.
Les panoramas connaissent un véritable engouement au xixe siècle qui ne se démentira pas jusqu’au début du xxe siècle. Ils deviennent de plus en plus impressionnants, couvrant de nombreuses thématiques depuis la découverte paysagère jusqu’à la fresque historique4. On construit des « rotondes », objets architecturaux conçus non seulement pour abriter les panoramas mais également pour maîtriser la scénographie de l’illusion. Parmi les plus célèbres et les plus spectaculaires de ces constructions, le Colosseum de Thomas Hornor, édifié en 1827 à Londres, à l’est de Regent Park, restera longtemps la plus imposante. En plus du spectacle intérieur que le public a pu admirer depuis une plate-forme centrale et des passerelles périphériques, le Colosseum donnait accès à sa partie sommitale d’où les visiteurs pouvaient jouir du panorama réel de la ville en tant que telle. Cette vision totale de la ville ne pouvait qu’aboutir à une vision synoptique du monde, surtout à une époque où les puissances européennes, qui se donnent pour des empires, ont imposé une occidentalisation du monde à travers leur concurrence aussi féroce que planétaire. L’appropriation passe ainsi également par l’édification de mappemondes intérieures, véritables « terres-creuses5 », pour oser la référence à Edmund Halley, dans lesquelles les visiteurs vont découvrir une projection cartographique monumentale. On peut citer le Géorama de Charles Auguste Guérin (1840) qui se présente sous la forme d’une sphère de dix mètres de diamètre à l’intérieur abritant une carte au 1/770 000. À Londres, James Wyld conçoit le Wyld’s Great Globe, connu aussi sous le nom de Wyld’s Globe ou Wyld’s Monster Globe, qui est installé au Leicester Square entre 1851 et 1862. Le panorama accompagne ainsi les thématiques qui traversent le xixe siècle : le paysage est donné comme représentation de la nation et des d’identités culturelles6 ; les grandes scènes d’histoire structurent le roman national ; l’imprégnation culturelle de la machinerie et de la technique triomphe et la vision synoptique du monde avec elle.
26Précisément, les panoramas se nourrissent des dernières avancées technologiques pour parfaire l’illusion et offrir des sensations de plus en plus fortes. L’observation passive, la contemplation s’ouvrent désormais à l’immersion en action. De la sorte, le panorama Le Vengeur, mis au point par Théophile Poilpot en 1891, propose aux spectateurs ni plus ni moins que de vivre un combat naval. Le public, installé sur un véritable pont de navire, se trouve ballotté par une houle mécanique qui donne à certains un authentique mal de mer. Les propositions les plus innovantes sont formulées lors de l’Exposition Universelle de 1900. En préparation de cet événement, Raoul Grimoin-Sanson brevette en 1897 le Cinéorama qui permet aux spectateurs d’expérimenter un voyage virtuel en ballon. Dix projecteurs synchronisés projettent à l’intérieur d’un cylindre le film d’une ascension tandis que le public est installé sur une plate-forme construite à l’image d’une nacelle. Le système est hélas très vite fermé : la très forte chaleur dégagée par les projecteurs met la sécurité en péril. Plus étonnant encore, le Méréorama7 crée l’illusion d’un véritable voyage en bateau qui décuple l’expérience proposée par Le Vengeur. Les passagers, embarquant sur le pont faisant cinquante mètres de long sur neuf mètres de large, ressentent les effets de la houle. Le paysage est donné par un jeu de doubles toiles panoramiques mesurant chacune sept cent cinquante mètres de long pour quinze mètres de haut. Les visiteurs de l’Exposition Universelle parisienne peuvent encore prendre le Transsibérien et s’offrir ainsi un voyage immersif à travers l’Europe imaginé par l’architecte Georges Chedanne. Là encore les paysages défilent sur des toiles peintes qu’un ingénieux mécanisme met en mouvement. On comprend dès lors que l’immersion nécessite un dispositif physique réel raccordé à un dispositif figurant le réel. C’est le parfait raccord entre l’un et l’autre qui détermine le succès de l’effet.
Au cours du xxe siècle, d’incessantes améliorations chercheront à rendre la sensation d’immersion plus puissante encore, sans toutefois connaître le succès massif des panoramas du xixe siècle. Si Girault de Prangey était parvenu à assembler des photographies pour créer un panorama à 360°, les frères Lumière ont parfait l’invention. Ils déposent en 1900 un brevet pour la prise de vue à 360° sur une seule plaque : l’image continue ainsi obtenue permet un véritable tour d’horizon. C’est le Photorama.
Mais en ce début de xxe siècle, le cinéma remplace déjà les grands panoramas. Les rotondes ne tardent pas à être détruites ou converties. 27Néanmoins, le désir d’une grande image immersive, enveloppante, continue de motiver les recherches et les développements techniques. Cette idée de rendre le mouvement, de suivre l’action partout où se porte le regard, se retrouve dans le projet du Napoléon d’Abel Gance, réalisé en 1927. Chaque séquence donne lieu à une projection à la fois distincte et simultanée sur trois écrans grâce au système Polyvision mis au point par Émile Vuillermoz. Possédant un aspect au ratio de 4/1, il s’est révélé trop complexe à mettre en place et à maintenir. Il a fini par être abandonné. Malgré cet échec, on va toutefois voir se multiplier les projets de multi-écrans qu’il serait ici trop long d’énumérer, mais on peut avoir en tête le Vitarama (1939, onze caméras), le Cinérama (1952, trois caméras), le Circlorama (1958, onze caméras), l’Hexiplex (1992, six caméras)8 . Chez Disney, c’est le Circarama qui offre aux visiteurs une rotonde immersive avec onze écrans disposés en couronne9.
Le numérique relance l’intérêt pour le panorama grâce au développement de ce qui sera baptisé la « réalité virtuelle ». Si l’image peinte ou filmée est ici remplacée par une image entièrement générée par un ordinateur, le principe même de l’immersion via un dispositif et un protocole reste somme tout identique. Et il le restera jusqu’à l’introduction de l’interaction appelée à devenir une des caractéristiques fondamentales de l’immersion virtuelle et de ses développements. Si la réalité virtuelle s’épanouit dans un premier temps dans et pour le monde industriel, la diffusion des technologies, la simplification de leur usage et la baisse des coûts des matériels et des logiciels a permis au théâtre de se ressaisir de la notion de théâtre immersif comme le Théâtre sphérique de Weininger10. Juste retour des choses finalement puisque le terme de « réalité virtuelle » aurait été proposé en premier par Antonin Artaud en 1938 dans Le théâtre et son double. Artaud écrit ainsi :
Et cette perpétuelle allusion aux choses et au principe du théâtre que l’on trouve dans à peu près tous les livres alchimiques, doit être entendue comme le sentiment (dont les alchimistes avaient la plus extrême conscience) de l’identité qui existe entre le plan sur lequel évoluent les personnages, les objets, les images, et d’une 28manière générale tout ce qui constitue la réalité virtuelle du théâtre, et le plan purement supposé et illusoire sur lequel évoluent les symboles de l’alchimie11.
Les dispositifs de réalité virtuelle reprennent, du Cave12 au cylindre, la dialectique cube/sphère d’Étienne Souriau13 pour qui, le cube coupe une fraction de réel alors que la sphère crée un espace sans limites. L’artiste australien Jeffrey Shaw14, directeur fondateur du ZKM à Karlsruhe, crée un dispositif cylindrique qui sera utilisé par des artistes tels que Bernd Lintermann, Joachim Böttger, Torsten Belschner pour Globorama ou Jean-Michel Bruyère pour CaMg (Co3)². On pense aussi au Wooster Group qui, avec There Is Still Time Brother (2007)15, propose des installations grâce auxquelles le spectateur explore le panorama à travers un judas virtuel16. Dans cette même veine, la Spherecam17, assemblage génial, permet la réalisation d’un panoramique animé. L’un des premiers dispositifs immersifs cylindriques numérique est l’Hemispherium construit en 1999. L’écran, monté verticalement, est un dôme de six mètres de large. Il offre une authentique ouverture à 180° dans les deux plans verticaux et horizontaux. Le dôme est une solution particulièrement intéressante : l’image y apparaît comme tridimensionnelle en ce qu’elle enveloppe et outrepasse le champ de vision. Capable d’imiter la voûte céleste, le dôme devient naturellement la figure des planétariums. Celui de Moscou a ouvert ses portes le 5 novembre 1929. Le bâtiment, d’une architecture avant-gardiste, a été conçu par les architectes Mikhaïl Barch et Mikhaïl Siniavski. Surmontée d’une coupole de dix-sept mètres, la salle principale a accueilli, dans les années 1980, le Théâtre fantastique dont les spectacles étaient adaptés d’œuvres de célèbres écrivains de science-fiction. Les dômes consacrés à la projection se répandent à travers le monde. Nous pensons, par exemple, à la Géode du parc de la Villette à Paris. Inaugurée le 6 mai 1985, elle a été construite par l’architecte Adrien Fainsilber et l’ingénieur 29Gérard Chamayou. Son écran hémisphérique fait vingt-six mètres de diamètre et mille mètres carrés de superficie. Les autres exemples de dômes immersifs sont nombreux. On peut retenir, à Montréal, le Satosphère ou Sensorium18 de la Société des Arts Technologiques (SAT) qui vient occuper un ancien bâtiment industriel en bordure du Quartier des Arts ; à Magdeburg, l’Elbe Dôme qui illustre le savoir-faire du Fraunhofer. Mais il existe bien d’autres systèmes encore et à toutes les échelles.
Avant d’aller plus loin, faisons une révélation. L’expression « réalité virtuelle » n’apparaît pas pour la première fois sous la plume d’Antonin Artaud. Une occurrence plus ancienne existe dans Histoire de La Philosophie Allemande Depuis Kant Jusqu’à Hegel, volume II écrit par Joseph Willm. On y voit apparaître la phrase suivante : « Dans le système de Fichte, le moi n’est plus une simple faculté de sentir et de penser, un simple sujet, subissant l’action des choses selon sa nature, et réagissant sur elles par la pensée : il est virtuellement tout la réalité, et travaille à la produire pour soi, à s’en donner la conscience actuelle. De son côté, le non-moi est en soi vide de toute réalité ; ce n’est que la réalité virtuelle du moi, considéré comme posée hors de lui, et il ne se réalise véritablement qu’autant qu’il est posé dans le moi, qu’il est déterminé par le sujet19. ». Il va sans dire que Wilm pose ici, dans son analyse de l’idéalisme de Fichte, quelques arguments essentiels à la compréhension de la topologie de l’immersion.
Expérience individuelle
versus expérience collective
Aujourd’hui, un panorama se crée en un clic à l’aide de caméras 360 très économiques telles que la Samsung Gear ou la Theta de Ricoh, la liste de ce matériel s’allongeant par ailleurs de jour en jour. Tenant dans la poche, reliées à un téléphone portable, ces caméras donnent à chacun les moyens de saisir le monde à 360° puis de l’observer dans un casque tel que le Google CardBoard que l’on acquiert pour le prix d’un café en terrasse. 30Cette facilité, déclenchant une économie de l’offre très abondante, laisse croire que l’avenir se trouve dans les dispositifs individuels. Toutefois, en regardant en arrière, on rencontrera la même alternative à la naissance du cinéma. En 1889, le génial Thomas Edison invente le Kinetoscope : il s’agit d’une sorte de meuble dans lequel un spectateur, pour autant que le terme soit juste, peut regarder un film à travers une binoculaire placée sur la partie supérieure. Si l’on ouvre le meuble, on peut apercevoir le film perforé qui défile sur des systèmes de rouleaux et passe devant une lampe équipée d’un obturateur fonctionnant à grande vitesse. Peu de temps après, en 1894, W. K. L. Dickson and Herman Casler proposent le Mutoscope, une sorte de grosse bobine également équipée d’une optique binoculaire. Ici, point de film : les images sont enfichées sur un moyeu dont la rotation rapide restitue l’animation. Les frères Lumière adoptent un système proche avec le Kinora en 1895. Ces dispositifs sont précisément adressés à une seule personne à la fois. Il est difficile de ne pas voir une étonnante correspondance avec les images des utilisateurs du Mutoscope, installés en batterie et celles des salons ou musées où les visiteurs assis en grappes s’essaient au plaisir du virtuel. L’analogie va même plus loin puisque déjà à l’époque, des naughty films, de petits films coquins, pouvaient irriter les plus prudes comme cela arrive aujourd’hui avec les promesses des masques immersifs.
De fait, le Kinetoscope et le Mutoscope ont disparu au profit de l’expérience collective qu’offre le cinéma. Aujourd’hui, la même alternative se rejoue entre des dispositifs collectifs, disponibles sous la forme de nombreuses attractions, et les dispositifs individuels, solitaires tels que l’Oculus Rift, le HTC Vive, le Sony PlayStation VR ou le Samsung Gear VR pour n’évoquer pour l’instant que les casques fermés les plus célèbres.
Les topologies de la perspective
Avant l’invention de la perspective, les images semblaient pouvoir se développer indéfiniment, tant que la surface pouvait les porter. La tapisserie de Bayeux, composée au xie siècle, eut pu se poursuivre au-delà de ses soixante-dix mètres et poursuivre ainsi son récit indéfiniment. Cela signifie que le regardeur, pour reprendre le terme de Régis Debray, 31parcourt l’image et la met en mouvement grâce à sa propre dynamique. Il se construit donc un espace en avant de l’image qu’il contient, un espace qui détermine une dynamique longitudinale parallèle à la grande largeur. L’image plane, crée donc un espace en avant d’elle et la peinture de Pierre Soulage est peut-être l’une des expériences immersives les plus sublimes et dont l’argument illustre parfaitement notre propos :
Une toile […] c’est une organisation de lumière. De lumière réfléchie par le noir bien entendu, transformée par le noir, ce qui entraîne des conséquences importantes, parce que, ce que l’on voit, c’est du noir, certes, mais c’est aussi de la lumière qui vient de la toile vers nous qui la regardons. Dans ce cas-là, l’espace de la toile, n’est plus, sur la toile, ni dernière la toile comme c’est le cas de la perspective, l’espace de la toile est devant la toile, et moi qui la regarde, je suis dans l’espace de la toile20.
La perspective de Brunelleschi, centrale et monofocale, induit un tout autre espace. Le plan de projection, autrement dit le tableau, est assimilé à une fenêtre. Le sujet représenté appartient donc à un monde situé de l’autre côté d’une frontière physique. Les deux espaces situés de part et d’autre du plan de projection fonctionnent en symétrie et non pas en miroir : en effet, si ce qui y est représenté n’est pas identique, la construction géométrique de l’un des côtés conditionne néanmoins celle de l’autre. C’est ainsi que fonctionne, par exemple, l’illusion du trompe-l’œil. La perspective centrale impose, contrairement au dispositif mis en œuvre par la tapisserie de Bayeux, une position d’observation fixe qui fait dire à Francastel que la perspective organise le monde et le rend commensurable.
Le théâtre va hériter de la perspective. Au Moyen Âge, le théâtre de foire place les comédiens sur une scène surélevée dont le fond est fermé par un décor faisant référence au récit joué. Le public se dispose autour de l’estrade et en profondeur, sur les trois faces ouvertes. Le spectacle est donc vu depuis un demi-espace tandis que le lieu du récit est strictement contenu dans le périmètre de la scène. Le théâtre dit à l’italienne va profondément changer les choses. On en doit le premier modèle à Andrea Palladio qui livre le teatro olimpico de Vicence en 1580. La disposition du public est désormais frontale, c’est-à-dire face à la scène. La perspective est mobilisée pour donner de la profondeur à l’espace construit sur le 32plateau. Cette fois-ci, le public est contenu dans une boîte fermée, orientée, organisée, hiérarchisée, tandis que l’espace du récit s’étire en profondeur, à l’infini. Les premiers plans des décors sont construits en dur, mais les arrière-plans s’échelonnent sur des toiles peintes que l’on appelle feuilles, décorées pour simuler une perspective centrale qui donnera l’illusion de la profondeur. Au xixe siècle, alors que les panoramas explosent le modèle de la frontalité et de la perspective monofocale, l’illusion perspectiviste produite par les feuilles de décor va également être remise en cause. Elle est d’abord ébranlée par la scénographie qu’Adolphe Appia concevra des « paysages de lumière ». Plus fondamentalement encore, elle sera renversée par les architectes du Bauhaus : on pense au Kugeltheateer (1926, 1927) d’Andor Weininger, l’Endlosen Theater de Kiesler en 1924, mais surtout au Total Theater de Gropius. Conçu en 1927 pour Piscator, ce théâtre qui se veut synthétique, installe le spectacle dans un volume composé d’une scène mobile qui peut entrer en interaction avec la salle mobile. Ces projets, bien qu’ils soient restés utopiques, correspondent à l’abandon de la frontalité. Ils inspireront Jacques Poliéri, qui dans les années soixante-dix et quatre-vingt, va concevoir des projets de salles comme le Théâtre du Mouvement Total à Osaka (1970), où gradins et scène bougent, interagissent et plongent plus encore les spectateurs dans l’action.
Il est intéressant de décrire les organisations des espaces qui prévalent dans ce que nous allons qualifier ici de dispositif à récits, que ce soit un théâtre, un cinéma, une salle d’exposition ou un panorama. La première discrimination spatiale évidente est celle qui sépare l’espace accueillant le public de celui contenant le récit. Or, dès le théâtre grec antique, cet espace du récit est lui-même scindé en deux : l’espace visible d’une part et l’espace invisible d’autre part. Ce dernier a deux fonctions. D’ordre symbolique, la première est l’établissement d’un hors-champ qui étend l’action hors des limites de la scène. Il nourrit le spectacle d’un extérieur duquel arrivent et repartent les personnages, où se déroulent les actions lointaines et d’où proviennent les actions passées. La seconde fonction de l’espace invisible est une fonction technique qui consiste à machiner les décors, à cacher les accessoires, le mobilier et les acteurs. L’espace visible est l’espace de jeux : il produit une image qui sera vue du public. Entre l’espace du récit et l’espace où se tient le public, il existe une frontière, conceptuellement très importante, une « ligne de partage des eaux » ainsi que la qualifiait le scénographe Josef Svoboda. Elle délimite la forme 33de la scène ou de l’écran, décrit l’échelle du spectacle mais également, protège le spectateur des effets du récit. La fiction se déroule d’un côté, le spectateur se tient de l’autre. Mais les créateurs comme le public nourriront toujours la tentation de traverser cette ligne de partage, de passer de l’autre côté du miroir : c’est tout l’enjeu de l’immersion que de vouloir créer, pour le public, l’illusion de passer cette frontière intangible.
Dans le théâtre grec antique, l’espace visible du récit se décompose également en deux sous-espaces : l’avant-scène ou proskenion accueille les acteurs et les éléments de décor. Si elle est éloignée du public, l’orchestra vient à son contact. C’est là que se tient le chœur. Supprimant l’orchestra, le théâtre romain va avancer la scène, appelée proscenium, et proposer ainsi un dispositif frontal. Cette organisation de la confrontation joue également de la modification du rapport entre le théâtre proprement dit et son environnement naturel. Les Grecs articulent leur dialogue, laissant le paysage formé le fond de scène. Au contraire, les romains construisent un mur de scène, comme à Orange, mur dont la nature et la modénature feront partie de la définition spatiale du lieu. Au Moyen Âge, la tendance s’inverse à nouveau : les mystères sortent des enceintes des églises pour se déployer dans la rue. Le public déambule d’une scène à l’autre et se masse face aux tableaux qui lui sont proposés. Chacun d’eux se juche sur une estrade enrichie d’un décor peint ou partiellement construit qui permet d’esquisser la thématique du récit proposé. Le mystère en tant que genre théâtral perdure jusqu’à l’aube du xxe siècle et d’une certaine manière, se perpétue, dans la forme sinon dans le fond, dans certaines pratiques de théâtre de rue.
L’invention de la perspective va opérer des changements importants dans le contrôle de l’espace du récit et de l’espace du public. Ainsi que nous l’avons décrit, l’espace visible du récit se joue dès lors de ses proportions réelles en se déployant, visuellement, mais non physiquement, en profondeur. Le trompe-l’œil, l’illusion, donne à voir un espace visible mais virtuel. Toutefois, pour que l’effet fonctionne, il faut que le spectateur soit bien placé. La position de chacun doit donc être précisément réglée alors même que l’on sait qu’il n’existe qu’un seul point idéal d’observation : la place du prince. Plus on s’éloigne de cette position, moins l’illusion optique fonctionne, plus l’astuce géométrique est trahie. La mise en œuvre de la perspective déploie l’espace du récit en profondeur, en ouvrageant de l’immatériel sur du matériel.
34D’un côté, donc, le dispositif grec, auquel succèdent les processions médiévales et les pièces sur estrades, constituent des solutions où le spectacle est vu de façon centrifuge, selon plusieurs angles. L’effet de participation est important : le spectacle est visible par tous les spectateurs répartis autour de l’espace du récit qu’ils soient ou non face à la scène. De l’autre côté, le théâtre à l’italienne oriente les regards dans une même direction. Focalisant l’attention sur des points déterminés, il propose une image unique à tous.
Unités de lieux, unités de temps
Il est commun, de nos jours, de saisir en une image un instant donné figeant une unité de temps, une unité de lieu et une unité d’action. De fait, il est pertinent de s’interroger sur la possibilité d’avoir plusieurs temporalités dans un même espace ou plusieurs espaces dans une même temporalité. Au-delà de cette question, il reste à déterminer s’il est envisageable de réunir plusieurs actions dans le même espace-temps. L’historienne britannique Frances Yates21 indique que les arts visuels d’avant le xive siècle contiennent des structures mnémoniques qui peuvent nous être difficiles à décrypter. Dans les tableaux de Masaccio ou de Lippi un même espace accueille une action en train de se dérouler : un même personnage peut apparaître trois fois dans le tableau à trois instants clés du récit. Dans le Banquet d’Hérode (ou Festin d’Hérode), peint entre 1452 et 1465, Fra Filippo Lippi place dans une même scène Salomé à trois moments de sa danse. Un exemple plus récent de cette superposition des temps, des espaces et des actions concerne les panoramas. Celui de la bataille de Reichshoffen, peint par Poilpot et Jacob et présenté en 1881 à Paris, présente à 360° une action qui n’est pas un instant figé. En balayant du regard la toile d’un côté à l’autre, le spectateur voit les évènements se développer, mais des événements relativement distants dans le temps, ce qui rend l’image ambiguë aujourd’hui. La chronophotographie mise au point par Eadweard Muybridge en 1878, puis selon un procédé un peu différent par Français Étienne-Jules Marey en 1882, a rendu populaire la vision continue du temps dans un 35même espace. La démarche a fasciné les peintres. Le Nu descendant l’escalier (1912) de Marcel Duchamp en témoigne, tout autant que les productions du Futurisme italien telles que celle d’Umberto Boccioni, associées à la notion de vitesse, ou celles de Giacomo Balla qui se présentent comme des appropriations du concept. Montrer le mouvement en décomposant les positions du corps est un procédé graphique que l’on retrouve en peinture comme dans le Cycliste (1913) de la peintre russe Natalia Gontcharova et qui deviendra très courant en bande dessinée. L’archéologue Marc Azéma pense même détecter ces principes d’expression dynamique dans l’art pariétal22.
Au cinéma, deux temporalités peuvent se dérouler dans le même espace grâce à l’invention du Bullet Time popularisé en 1999 par John Gaeta dans le film Matrix. Le Bullet Time fige le temps en un volume au sein duquel il est possible de se déplacer, créant de la sorte une deuxième ligne temporelle. Héritier de la camera path que John Gaeta a mis au point en 1997, le procédé a été réellement conçu en 1994 par Emmanuel Carlier pour un court-métrage intitulé Temps Mort autour de Caro & Jeunet et présenté en 1995 à la troisième biennale de Lyon.
Être présent dans deux espaces simultanément peut sembler plus difficile à concevoir. Pourtant, un exemple trivial peut aider à approcher des solutions : assis dans un train, nous sommes bien simultanément dans deux espaces distincts, celui du train et celui du paysage, qui sont différenciés grâce au référentiel vitesse. Nous nous déplaçons à une vitesse de 300 kilomètres heure, traversant ainsi l’espace du paysage à toute allure ; pour autant nous sommes immobiles dans le wagon, ou nous nous déplaçons en marchant lentement. Le regard nous fait passer d’un espace à l’autre, du paysage défilant par la fenêtre à l’intérieur de la voiture. Si nous saisissons un livre, nous pouvons même emboîter un troisième espace dans la même temporalité, celui de la fiction décrite par la lecture. Cette simultanéité spatiale est un enjeu majeur de la réalité virtuelle. En effet, celle-ci consiste bien souvent à faire croire au corps qu’il est dans une autre dimension spatiale alors que le sujet reste parfaitement conscient du lieu auquel il appartient. Cette illusion s’obtient par une saturation sensorielle et par une tentative de substitution de la perception de l’espace à la perception de l’espace de la fiction. L’immersion serait donc parfaite si l’ensemble de nos sens était mobilisés, saturés et détournés de la perception ambiante. Si cela semble 36acquis pour l’adresse des cinq sens, l’audition, la vision, le touché et l’odorat ont même des solutions grand public, cela l’est moins pour la perception de l’environnement, en particulier, les effets aérauliques ou thermiques. Plusieurs équipes scientifiques se sont penchées sur ce sujet et ont proposé, pour y répondre, différentes approches multisensorielles. Par exemple, Nobuyoshi Yabuki et son équipe23 ont mis au point un système low-cost, le VRATE System, qui permet de reproduire des sensations de vent et de chaleur. Un avatar de l’utilisateur est entouré d’un nuage de particules représentant les mouvements aérauliques et leur composante thermique. Pour peu que l’on accepte de se voir représenter ainsi, le système à la vertu de montrer l’invisible. S’écarter de la suggestion visuelle, c’est tenter de reconstruire la réalité sans la réalité ; c’est construire un environnement maîtrisé, contrôlé, pour distiller à des cobayes consentants des stimuli censés être la reproduction de cette réalité. Le WindCube de Moon et Kim24 reproduit ainsi la sensation d’être exposé aux vents. Le Winddisplay25 de Kosaka poursuit le même objectif, en imposant à l’utilisateur d’être assis, tout comme le Treadport Active Wind Tunnel26 par lequel Sandip Kulkarni allie l’utilisation d’un large écran à de généreuses turbines à air. Antérieurement, d’autres systèmes ont été proposés parmis lesquels le célèbre Sensorama (1961) de Morton Heilig27 qui se présente comme une cabine équipée d’un écran stéréoscopique grand-angle, d’un siège dynamique et vibrant, d’enceintes stéréophoniques et de neuf ventilateurs soufflant du vent qu’il est possible de parfumer. Le Sensorama apparait de presque toutes les littératures consacrées au virtuel comme l’ancêtre magnifique de tout ce qui viendra ensuite. Au-delà, les brevets de Morton Heilig, disponibles sur le site www.mortonheilig.com, sont une source inépuisable de surprises et d’admiration : ils se présentent maintenant comme détaillant les premiers dispositifs de réalité virtuelle.
37Le jeu vidéo peut être considéré comme la forme la plus aboutie des variations sur l’espace et le temps. L’immersion que procure le jeu se vit comme une formalisation d’un double espace dans une même temporalité : l’espace d’usage et l’espace diégétique du jeu. Plus intéressant est la multiplicité des dimensions temporelles au sein d’un même espace. Dans le jeu GTA (Grand Theft Auto), dont la version 3 en 3D à la troisième personne est sortie en 2001, une heure dure deux minutes et la journée complète se déroule en quarante-huit minutes. Bien entendu, le joueur ne s’en rend pas compte. L’ensemble des évènements n’est pas accéléré, tout semble se dérouler en « temps réel ». Il existe donc deux chronologies simultanées : celle du temps qui passe, qui est accélérée, et celle du temps des actions, qui est en temps réel. On peut ajouter à cela une troisième temporalité plus intéressante encore. Il n’est pas réellement possible dans une narration à 360° temps réel de faire des ellipses temporelles. Or, toute narration use de ce procédé pour rendre le propos intéressant : elle sacrifie régulièrement le temps continu pour un temps discret qui sélectionne les points importants de l’intrigue. En temps réel qui, est celui du jeu, une ellipse est envisageable fût-ce au prix de la convention instaurant le déroulé continu. Précisément, les jeux de la série Assassin’s Creed, développés par Ubisoft depuis 2004 y parviennent en compressant, non pas le temps mais les espaces moins intéressants. Alors que l’argument est de se déplacer dans des reproductions fidèles d’espaces réels, il apparaît, en comparant les plans des villes où se déroule l’action, que les aires les plus scénographiées ont été rapprochées aux dépens de zones qui le sont moins. Dès lors, l’ellipse narrative consistant à aller d’un point d’intérêt à un autre a été résolue en convertissant le temps en espace.
Topologie du corps dans un dispositif à 360°
Dans la culture occidentale, l’héritage de la perspective place le corps dans un espace situé et mesuré, mais qu’en est-il dans un environnement à 360°. Dans un panorama, qu’il soit peint comme celui de Barker, ou projeté comme celui du SAT de Montréal ou de l’ElbeDom de Magdeburg en Allemagne, l’espace de l’immersion est un espace réel qui se raccorde 38avec un espace d’illusion. Cette absence de rupture permet au corps du spectateur d’être présent et agissant. La question devient plus intrigante lorsque des casques immersifs sont utilisés. Il existe ainsi un premier corpus de films où le corps du spectateur est totalement absent. Réduit à une présence fantomatique, ce corps s’apparente à un spectre dont la présence n’interfère plus dans l’espace du récit. Il peut être vu ou non. Outre de très nombreux exemples de fictions ou de documentaires, des bandes annonces de films à grand spectacle tels que Ben-Hur réalisé par Timur Bekmambetov en 2016 ou un an avant Star Wars, Le réveil de la Force (The Force Awakens) de J. J. Abrams ont placé le spectateur au cœur de l’action – comme s’il était pris dans un environnement à 360°. Pour autant, la question demeure : de quel point de vue s’agit-il ? L’immersion induit-elle de fait une subjectivité imposée ? Dans une salle de cinéma, quelles que soient l’intention du réalisateur et l’importance du recours à la 3D, le code de la perspective de Brunelleschi s’applique : l’espace du récit se déroule au-delà d’un tableau/fenêtre. Au contraire, dans le cas d’une immersion VR à l’aide d’un casque, le spectateur est au centre de l’action, géométriquement et symboliquement parlant, sans pour autant y participer, ou simplement sous la forme d’une interpellation. Dans l’univers des jeux vidéo à la première personne, les FPS (First Person Shooter), une solution originale, fondée sur les codes graphiques, a été trouvée pour donner une résolution à la mise en scène de la subjectivité du joueur. Ces codes en ont été établis par Wolfenstein 3D28 en 1992. Une partie du corps représentant le joueur dans l’espace du jeu est visible. Il s’agit essentiellement des avant-bras et des mains, éventuellement des pieds. Il arrive parfois que le personnage subisse des blessures, dans ce cas l’image se couvre de traces de sang, parfois la vue se brouille signalant un stress physique important. Un principe similaire est mis en scène dans le film Gatorade de Rama Allen et de Westley Sarokin datant de 201529 : le spectateur voit les bras d’un joueur de baseball comme si c’étaient ses bras. Ce procédé introduit un second corpus de films à 360° qui, eux-mêmes, ne font apparaître qu’une partie du corps. Dans ses deux films Catatonic30 et Mule31 Guy Shelmerdine fait subir 39au spectateur les pires désagréments. Toutefois, l’effet ne fonctionne que si ce dernier est allongé dans la même position que le protagoniste : son regard peut dès lors confondre son propre corps avec celui de la fiction, il sera alors découpé puis incinéré ! Bien entendu, l’industrie pornographique propose également des expériences de ce type : invariablement, il convient de prendre la position d’un protagoniste dont on perçoit les extensions en avant-plan de sollicitations visuelles les plus diverses… Le lecteur se chargera de trouver les nombreux et créatifs exemples en la matière…
Cette subjectivation du point de vue narratif est intéressante quand elle est perturbée. Dans la proposition expérimentale Gender Swap, l’homme est invité à être dans le corps d’une femme et inversement. L’expérience est montée par BeAnotherLab32 qui a mis au point The Machine to Be Another33. Ce dispositif visuel et haptique se veut capable de stimuler l’empathie, avec pour présupposé que le meilleur moyen de partager et de comprendre ce que l’autre peut ressentir et vivre est d’habiter son corps. C’est ce même argument que Alejandro Gonzalez Iñarritu défend résolument dans Carne y arena34 présenté à Cannes en 2017. Le spectateur devient le témoin incarné de la chasse aux réfugiés mexicains sur la frontière des États-Unis.
Ces expériences empathiques ouvrent sur de formidables possibilités de changements d’échelles et d’appréhension de l’espace selon des points de vue encore inconnus comme celui d’un insecte, d’un oiseau ou d’un chat. C’est précisément l’objet de l’application « In the Eyes of the Animal » développée par le studio londonien Marshmallow Laser Feast en partenariat avec la Forestry Commission England. Équipé d’un casque suggérant grossièrement la tête d’un insecte, l’expérimentateur part à la découverte de la forêt de Grizedale à l’échelle et avec la vision d’un moucheron, d’une libellule, d’une grenouille ou d’un hibou35.
40Narration en VR à 360°
Quelle que soit l’échelle du point de vue, l’espace de narration compris comme une sphère au centre de laquelle se trouve le spectateur peut se décliner en quatre configurations : le spectateur et l’espace à l’entour sont fixes comme dans les panoramas ; l’observateur est mobile, la sphère est fixe comme dans les anciennes cartes de jeux vidéo ; l’observateur est fixe et la sphère est mobile comme dans les montagnes russes pour prendre un exemple spectaculaire ; enfin la sphère est immersive et le spectateur est mobile voire agissant comme dans les applications virtuelles les plus récentes. Dans tous les cas, la narration en VR à 360° va se confronter à deux problèmes que la narration filmique a résolus depuis un siècle : construire une valeur de cadre qui restitue un point de vue et poser dans l’image les éléments qui font avancer l’histoire.
Dans une narration filmique classique, la grammaire se décline classiquement en valeurs de plans qui vont du plan d’ensemble au très gros plan en passant par toutes les échelles intermédiaires. Outre que chacune de ces valeurs recèle une composition et une densité d’informations spécifiques, l’enchaînement de ces différents plans donne au spectateur des indications précises sur sa relation au protagoniste : plus le cadrage est serré, plus on est en empathie avec le personnage ; inversement, plus la caméra s’éloigne, plus le spectateur est distant. Pour une même valeur de plan, placer le sujet sur un bord du cadre ne revêtira pas le même sens si le regard du personnage s’ouvre sur du vide ou s’il se tourne vers le bord de l’image. Dans le premier cas, il dispose de solutions pour résoudre sa situation ; dans le second, il est acculé par les évènements. Notre objet n’est pas de détailler ici toute la grammaire filmique qui occupe par ailleurs des ouvrages entiers. Il est néanmoins possible de rappeler que la direction des axes donne des indications qui sont généralement bien connues : la contre-plongée magnifie, la plongée écrase, le basculement indique une perte de repères. L’art du montage est ce qui fait du cinéma un genre à part entière. Découvert par hasard par Méliès lorsque la bobine se bloque quelques instants durant la prise de vue de l’omnibus Madeleine-Bastille le faisant ainsi se transformer en corbillard36, l’art du 41montage apparaît rapidement comme un moyen de créer des sentiments empathiques à partir de sources strictement identiques. C’est tout le sens de la théorie de Koulechov que son disciple, Sergei Eisenstein, approfondira en définissant quatre types de montage : le montage métrique, le montage rythmique, le montage tonal, et le montage obertonal37…
Le problème est qu’en VR 360°, aucune de ces solutions ne peut être directement transposée.
À l’intérieur d’un casque VR, le cadrage est donné par la direction du regard et l’ouverture visuelle de l’appareil. Selon la qualité de l’appareil, cette ouverture visuelle va du carré à un champ rectangulaire plus large, qui peut presque atteindre 100°. Une image équirectangulaire classique, comme celles obtenues par les caméras 360°, donne une image à quatre points de fuite répartis aux quatre points cardinaux. À partir de ces quatre points, il est possible de restituer toutes les configurations soit que le point de fuite soit central, soit qu’on joue sur deux points de fuite latéraux. Contrairement à ce que l’on fait avec une caméra classique, la valeur de plan ne peut, quant à elle, être modifiée sans procurer une sensation étrange dès lors que le principe est de restituer la vision « naturelle » : une telle contrainte interdirait par conséquence, les gros plans comme les plans d’ensemble. Elle est pourtant résolue dans bon nombre de jeux vidéo grâce à la superposition des affichages tels que l’« affichage tête haute » dont les pilotes d’avions de chasse ou les voitures les plus avancées sont dotés. Objets, cartes, vues alternatives viennent dès lors se placer dans le champ de vision indépendamment ou non de la direction du regard. Lorsque le point de vue est fixe, inciter le spectateur à regarder dans la bonne direction est une gageure. Dans le film My Brother’s Keeper38 de Connor Hair et Alex Meader, le choix a été fait de flouter les parties non déterminantes pour la narration : seule la zone à enjeu est nette. Dans le court-métrage Lock Your Doors, tourné en 2015 par Jeremy Sciarappa, la direction du regard est induite par le son alors que deux évènements simultanés surviennent de part et d’autre de la sphère immersive. Le spectateur, dont la présence est fantomatique, est placé au centre de la scène. Selon la direction donnée à son regard, il sera surpris par des évènements surgissant de derrière lui ou il accompagnera dans un mouvement de panneautage le déplacement 42des personnages. Cet élément, à lui seul, contrarie la notion même d’écriture filmique. En effet, le montage donne trois grandes solutions narratives pour décrire un évènement : soit le spectateur est en avance sur le protagoniste de l’histoire et sait avant lui ce qui va se passer, soit le spectateur est synchrone et découvre avec le protagoniste ce qui est en train de se passer, soit le spectateur est en retard et cherche à savoir ce que le protagoniste a découvert avant lui. Il suffit de revoir les films d’Alfred Hitchcock pour les voir mobilisées toutes les trois. Dans un environnement à 360° dans lequel l’action se déroule tout autour, il est impossible de privilégier l’une des trois solutions, soit à jouer d’un artifice sonore qui drainerait l’attention vers un point déterminé. De fait, la narration à 360° induit une forme d’abandon, d’acceptation que des évènements appartenant à la narration se dérouleront hors du champ visuel. Cela replace au centre de la réflexion la nature du dispositif. Lors d’une expérience solitaire avec un casque virtuel, ce qui n’est pas vu est perdu sauf à renouveler l’expérience. Lors d’une expérience collective, les spectateurs multiplient les regards et donc les chances de saisir un évènement. Il suffit dès lors qu’un spectateur interpelle les autres pour que l’ensemble des regards soit orienté vers une direction précise.
Le regard-cadrage devient déterminant dans le film Pearl tourné en 2017 par Patrick Osborne. Ce film, primé d’un Emmy Award pour « Outstanding Innovation In Interactive Storytelling » (extraordinaire innovation dans la narration), restitue la vie d’une jeune femme. L’action se passe entièrement dans une voiture et semble apparemment se dérouler en temps réel. Néanmoins, selon que le spectateur regarde dans une direction plutôt que dans une autre, il voit se déployer des histoires différentes. Comme dans le panorama de la bataille de Reichshoffen évoqué plus haut, l’espace à 360° n’est donc pas dans une même unité de temps. Des évènements différents, temporellement distants, peuvent se dérouler dans le même espace, multipliant en conséquence les fils narratifs, selon la direction qu’emprunte le regard. Le film Pearl va plus loin encore. Le spectateur peut choisir de s’asseoir à l’avant ou à l’arrière de la voiture et être ainsi dans une plus ou moins grande proximité, dans une plus ou moins grande empathie, avec les personnages du film. Un autre exemple offre une solution spatio-temporelle fascinante : dans « cave paintings 360°39 », la narration se déroule 43de façon circulaire autour de nous, il faut donc tourner sur soi pour suivre les évènements. Mais ces derniers laissent comme une trainée temporelle, ils subsistent un moment avant de se dissiper, il est alors possible d’inverser le sens de giration, pour revenir en arrière et apercevoir ce qui s’est écoulé et qui reste, un temps, figé avant de disparaitre.
À terme, la notion de regard-cadrage va reconditionner la question de la dialectique. Dans un montage classique alternant les plans en champ et en contrechamp, le cadre illustre la distribution de la parole. Les règles des débats électoraux lors des joutes politiques ont montré l’importance et l’effet que pouvait avoir la moindre variation de la mise en image de l’argumentation. Les plans de réaction, par exemple, qui consistent à cadrer le débatteur qui ne parle pas, ont été interdits. Montrer des mimiques de dédains ou de lassitude, donner à voir une recherche frénétique de notes ou de références ont été jugés désastreux si tant est que l’on s’attache à rendre l’équilibre de l’échange. Dans le film à 360° Marriage Equality40 tourné en 2015 par Céline Tricart, le cadrage-regard permet, alors que l’on est plongé au cœur d’un débat public sur le mariage pour tous, de choisir d’écouter les arguments d’une famille de pensée ou d’une autre ou bien des deux en alternance, sous une forme qu’on peut donner pour dialectique. Toutes ces configurations donnent au spectateur le loisir de se faire son opinion, de se confronter à ses certitudes ou encore de se conforter dans ses convictions. Dans ces configurations où le spectateur est fixe, la vitesse du panneautage du regard-cadrage devient lui-même un élément d’écriture. Rapide, il est presque l’équivalent d’un cut de montage ; lent et ample, il imprime une majesté contemplative. Reste à déterminer comment le corps réel s’inscrit dans cette dynamique purement intellectuelle et narrative.
Un problème important reste désormais à résoudre : où se situe le hors-champ dans une narration à 360° ? En effet, nous avons vu que le cadre, au théâtre ou au cinéma, détermine un espace en hors-champ occupé par la suggestion d’une poursuite de l’environnement et de l’action du côté des spectateurs et par la technique du côté de la réalisation. Si le cadre bouge, le hors-champ bouge également. La continuité spatiale41, perçue par le spectateur se fait par le montage en ce qui concerne le cinéma. À 360°, il semble impossible de déterminer un hors-champ semblable, ce qui pose, 44pour un tournage réel, des problèmes techniques très aigus. Comment en effet, cacher la technique et l’équipe de tournage ? La pratique montre que le hors-champ à 360° se résout en travaillant en profondeur. En effet, si la caméra reste assez fixe, il est possible de déterminer des zones masquées par les éléments de premiers plans. Dans ces ombres visuelles, il est possible de cacher les éléments techniques tout en laissant au spectateur le loisir de croire à la cohérence spatiale et narrative de l’ensemble. La complexité est plus grande s’il y a des déplacements, mais la résolution restera la même, déterminer les ombres visuelles et y placer la technique.
Fig. 2 – Espaces filmés et hors-champs avec une caméra ratio (haut) Espaces hors-champs déterminés par lancé de rayon et matérialisés par des cônes de visibilité (bas - 1). (1) Plugin de calcul des Isovist : K. Hartwell and T. Leduc. T4SU : analyses et représentations des vues du ciel , du soleil et des saillances paysagères dans le contexte d’un outil de CAO. In S. Bimonte, T. Devogele, and A. Hassan, editors, Atelier session démonstration – Conférence Spatial Analysis and Geomatics – SAGEO 2016, page 7, Nice, France, 2016.
Dans les jeux vidéo, le corps est libre de mouvement et de nouvelles conditions narratives se mettent en place. Le déplacement étant potentiellement libre, il peut se déployer dans n’importe quelle direction et à n’importe quel rythme. De la sorte, l’espace des possibles narratifs se formalise en de multiples chemins, il se diffuse dans toutes les directions. En effet, la narration procède des promesses et des récompenses qu’elle 45dispense : promesses d’objectifs, d’épreuves et de découvertes ; récompenses de succès, de victoires et d’accomplissement. Ce fil de l’histoire ne doit pas se sentir pour le lecteur ou le spectateur. Bien au contraire, il doit s’entrecroiser avec de multiples chemins narratifs qui se laissent entrevoir comme dans la nouvelle de Borges Le Jardin aux sentiers qui bifurquent42. Toutefois, cette infinité narrative est une illusion. Le fil tire bien le lecteur ou le spectateur d’un point à un autre dans un ordonnancement maîtrisé. Dans un récit à 360° immersif, le défi consiste à guider le spectateur d’un point à un autre afin qu’il y retrouve les étapes des promesses et récompenses. Pour y répondre, l’auteur et réalisatrice Jessica Brillhart43 développe le concept de Probabilistic Experiential Editing (montage expérientielle probabiliste) qui consiste à placer dans le champ de vision des points d’intérêt qui invitent le spectateur à aller d’une étape à l’autre en ayant, entre les deux, un espace de liberté. Ce procédé permet d’imprimer à l’ensemble de l’expérience un sentiment d’un déterminisme invisible. Finalement, le montage séquentiel du cinéma devient un montage « conséquentiel » en VR, montage qui joue sur un enchaînement de causes et d’effets autour de déclencheurs narratifs situés aux points d’intérêt44.
Ces investigations supposent une primauté du visuel sur les autres sens qui est tout à fait caractéristique des cultures occidentales modernes. Or, cette primauté n’a rien d’évident, pour ne pas dire de naturel. Dans des sociétés en contact permanent avec une nature non domestiquée, l’ouïe est le sens premier car c’est celui de l’alerte. Il nous en reste des traces : un son violent nous fera réagir avant même que le regard n’ait pu en identifier la source ou la direction. La caractérisation de l’espace sonore implique une phénoménologie d’une perception multidirectionnelle dans un ensemble discontinu. Les sons émergent, créent des évènements pouvant provenir de toutes les directions. Au contraire, l’espace visuel est uniforme, continu et connecté ainsi que le remarque MacLuhan45. La prédominance du visuel dans notre culture contemporaine n’est pas sans effet sur notre réception des images pariétales. Habitués à la lecture, à l’enchaînement logique et ordonné des informations, nous recherchons dans ces figures des logiques narratives, des lignes assemblant ce qui 46est connexe plus que ce qui est en vis-à-vis à travers l’espace. La cohérence semble dépendre du continuum qui se dessine. Se placer dans une phénoménologie du sonore plutôt que du visuel serait une expérience immersive assez différente de ce qui est actuellement proposé. En l’espèce, l’expérience empathique la plus bouleversante et la plus créative de ces dernières années est probablement celle proposée par Notes on Blindness sous la forme d’un film classique46 mais surtout d’une application VR immersive47 : le récit est celui de la perte progressive de la vision qu’expérimente le théologien John Hull. L’environnement spatial tient dans l’univers sonore perçu par l’auteur. Sa voix décrit ce monde à nous inconnu, nous le donne à comprendre par des nuages sonores très précisément posés dans l’espace grâce au son binaural.
Transgression
La plus grande difficulté dans la topologie de l’immersion est peut-être de décrire et de qualifier ce que chacun entend comme étant le réel, le vrai, l’ici et maintenant que l’on opposerait à l’espace diégétique du récit, que l’on dit virtuel, idéel, l’espace de la narration ou de la fonction. Suivant cette logique, il y aurait d’un côté le subjectif et de l’autre l’objectivable et le quantifiable. Pourtant, l’expérience du réel n’est qu’une construction. Le neurologue Lionel Naccache en saisit ainsi la logique dans le Nouvel Inconscient48 : Il écrit :
Sommes-nous tous les romanciers de notre propre vie ? (…) Aussitôt la question posée, il ne nous est pas difficile de comprendre que chaque minute de notre vie consciente se traduit en interprétations que nous ne cessons d’élaborer. Vous attendez quelqu’un qui est en retard à un rendez-vous ? Immédiatement, des scénarios qui vous permettent d’envisager les causes de son retard sont joués sur la scène de votre conscience49.
47Au-delà de la perception, Naccache explique que chacun parvient à « incorporer les autres données du monde réel et à les utiliser pour corriger sans cesse ces scénarios mentaux50 ». Ce travail de mise à jour perpétuel de la part qu’occupent les interprétations dans la construction du réel s’accompagne de croyances. Naccache précise : « Notre réalité mentale consciente est avant tout un univers fictionnel que nous construisons à la lumière de la réalité objective, mais qui lui préexiste et qui ne se résume pas à elle51. » Les sciences cognitives se sont emparées avec force de cette dimension permettant à Alain Berthoz d’affirmer : « Le privilège de l’homme est, dans une certaine mesure, de pouvoir créer des mondes d’avoir au moins l’illusion qu’il peut échapper à son Umwelt52 ! »
Pour un architecte ou un spécialiste de l’espace, l’enjeu est de savoir comment les récits que nous produisons et qui solidifient nos existences prennent comme support la ville et le bâti. En retour, ils interrogent les modalités de création des mondes imaginaires et des récits susceptibles de faciliter l’immersion. Dans un célèbre article publié dans la revue Urbanisme53, Paul Ricoeur tente de construire un lien entre « architecture et narrativité », expression qu’il retient d’ailleurs comme titre de son article. Dans un premier temps, il met en place un parallélisme par lequel il donne l’architecture pour l’espace et le récit pour le temps. Formant ainsi le socle d’une opération dite « configurante » Ricœur trace un triptyque préfiguration, configuration, refiguration qu’il définit ainsi :
Je place toute mon analyse sous les trois rubriques successives que j’ai parcourues dans Temps et Récit, que j’avais placé sous le titre très ancien de la mimesis, − donc la recréation, de la représentation créatrice – en partant d’un stade que je nomme « préfiguration », celui où le récit est engagé dans la vie quotidienne, dans la conversation, sans s’en détacher encore pour produire des formes littéraires. Je passerai ensuite au stade d’un temps vraiment construit, d’un temps raconté, qui sera le deuxième moment logique : la « configuration ». Et je terminerai par ce que j’ai appelé, dans la situation de lecture et de relecture, la « refiguration54 »
48Dans notre investigation topologique, il apparait ici que, comme en architecture, les enjeux se situent moins dans les espaces que dans les transitions, dans la façon de passer d’un univers à un autre. L’espace diégétique n’est en fait plus un aboutissement mais une étape intermédiaire entre deux espaces du réel dont les accès configurent à la fois la nature de l’expérience et sa conséquence. L‘immersion pourrait être aussi qualifiée de transgression au sens où elle suppose un passage, la traversée d’une limite, permettant d’aller vers un monde infini. La première transgression est celle d’un franchissement pour rejoindre un espace diégétique, celui du récit proposé. Mais le fait d’avoir la capacité d’agir sur le récit ouvre à un autre type de transgression, peut-être bien plus stimulant semble-t-il, celui d’être invité à franchir les cercles limitatifs de la réalité physique et de la moralité. Il est possible, grâce aux jeux vidéo par exemple, d’être plus rapide, plus fort, plus agile, d’être capable de voler, et, au-delà, de ne plus avoir à respecter les codes moraux : le joueur s’en tient à son objectif égocentré dans l’ignorance d’autrui. Nonobstant ces possibilités nouvelles, la transgression, la traversée vers l’espace diégétique, n’aboutit jamais à couper le fil qui unit la personnalité réelle et la personnalité virtuelle. On entre dans le virtuel avec son bagage cognitif et technique. De la sorte, on agit en projection exponentielle du réel, mais toujours depuis ses propres aptitudes. Le joueur n’investit donc dans le jeu vidéo que les connaissances qu’il a du réel, d’autant plus que le virtuel ne lui en procurerait que très faiblement de nouvelles55. Cette projection du réel, via la reconfiguration dans le récit, a donné l’idée à l’armée américaine de recruter des soldats via le jeu America’s Army qu’elle a édité la première fois en 200256. L’argument de promotion de ce jeu repose sur son supposé réalisme puisqu’il a été conçu à partir des témoignages de soldats envoyés sur le terrain. Au final, comme le rappelle Christian Salmon dans son ouvrage Storytelling :
L’hypothèse n’a pas été retenue, mais les joueurs demandant des informations sur les carrières militaires révèlent leur pseudonyme aux recruteurs et peuvent voir leurs performances corrélées à leur identité réelle dans le but de faciliter leur incorporation dans l’armée57.
49La question est dès lors de savoir si l’aptitude au jeu détermine un véritable talent en situation réelle, ce que tendent à laisser croire les détracteurs des offres ludiques. Nous pouvons spéculer qu’il existe une autre forme de transgression qui, elle, implique davantage la topologie. Il a été montré au début du propos que le dispositif conditionne aussi bien la mise en forme du propos que sa réception par l’utilisateur. Il détermine, par conséquent, le succès de l’illusion narrative. Pour être plus puissante, elle peut posséder une ressemblance mimétique avec un système existant : un bateau, un ballon captif ou un train. Demandons-nous désormais si la métaphore doit conditionner les figures narratives ou s’il est possible de s’en écarter. La narration à partir d’un train doit-elle forcément induire un mouvement de translation, respecter la physique du véhicule ? Dans beaucoup de jeux, le récit combiné à la recherche de sensations ou de saturation sensorielle finissent par s’affranchir des contraintes de réalisme. La ressemblance au modèle devient une métaphore d’amorce qui lance l’utilisateur depuis un point connu vers un monde imaginaire.
La plus grande transgression est peut-être par conséquence une inversion de ce que l’on a pu exposer plus haut. Pour dire les choses simplement, elle ne consiste pas simplement à aller du réel vers le virtuel. Plus fondamentalement, elle est décelable dans le franchissement du virtuel vers le réel. Les dispositifs, qui n’ont cessé d’évoluer depuis les panoramas aux générations numériques les plus récentes, parviennent à convaincre de l’immersion en opérant trois mouvements : le premier est l’enveloppement du spectateur par débordement de son espace visuel ; le second est le détachement du monde réel par sidération en le saturant de nouvelles informations sensorielles ; le troisième est l’engagement dans le monde virtuel, par le moyen d’interfaces d’interaction réelles ou non. La conjonction des trois donne l’illusion d’entrer dans un espace diégétique, de passer de l’autre côté de l’écran. La plupart du temps, les dispositifs reposent sur les capacités synesthésiques des usagers, les laissant réélaborer mentalement les informations sensorielles manquantes. Le retour peut être plus complexe qu’il n’y paraît ainsi qu’en témoigne le syndrome du voyageur. Dans le déjà presque démodé Ready Player One, Ernest Cline fait dire à son personnage qui cherche à échapper à son désespérant quotidien dans un univers virtuel nommé l’OASIS :
50Mes souvenirs de gamin les plus heureux sont liés à l’OASIS. Lorsque ma mère n’était pas contrainte de travailler, on se connectait simultanément et on jouait à des jeux ou à des aventures romanesques interactifs. Il fallait qu’elle me force à me déconnecter tous les soirs, car je ne voulais jamais revenir à la réalité. Le monde réel, c’était vraiment trop nul58.
S’il y a bien une transgression à passer de l’autre côté du miroir, à entrer dans l’espace diégétique, le retour peut se vivre comme une régression, comme un rétrécissement des possibles ou comme une inadaptation aux faits du réel. Comme l’évoque Christian Salmon dans la suite de son exemple concernant America’s Army, si le jeu peut aider à soigner les syndromes post-traumatiques en donnant la possibilité de gérer virtuellement ce qui ne l’a pas été dans le réel, il est à se demander comment les ex-joueurs, placés en situation de combat, pourront discriminer la situation dans laquelle ils se trouvent et ne pas agir comme des combattants virtuels surentrainés dépourvus de toutes émotions. Ce thème conduit à interroger les modes et les espaces de transition lorsque le diégétique interagit fortement avec le réel. La guerre moderne, numérisée et délocalisée, ouvre des paradigmes nouveaux sur les simultanéités spatiales et temporelles de lieux et de temporalités multiples. L’ubiquité du pilote de drone, simultanément aux États-Unis et au-dessus du ciel afghan associe à la puissance de l’action l’apparente déresponsabilisation due à la distance qui devient absence. Ce lien entre deux espaces réels via un écran a été traité au cinéma et à la télévision avec un film comme Good Kill d’Andrew Niccol sorti en 2014 et inspiré de l’histoire réelle de Brandon Bryant ou dans la série télévisée américaine Jack Ryan, créée par Carlton Cuse et Graham Roland et diffusée à partir de 2018, dans lesquels, pour les deux histoires, un pilote de drone, tueur réel mais virtualisé dans un espace de représentation rappelant ceux des jeux vidéo, se trouve submergé par le doute et fini par dénoncer le filtre virtuel qui permet de faire accepter des crimes réels. Mais les témoignages recueillis au fil des années59 montrent que si le corps peut être absent des lieux des combats, l’âme des soldats est bien projetée sur place et subit, ressent et incorpore l’ensemble des traumas que produit ce type de situations.
51La topographie de l’imitation
Les flux de questionnements interrogeant les topologies de l’immersion convergent donc vers le bassin d’une seule question : qu’est-ce que l’immersion cherche à imiter ?
La réponse très souvent donnée peut jaillir d’elle-même. L’immersion, pour fonctionner, doit imiter la réalité ou le réel. Seulement le réel ne peut se résoudre comme valeur absolue. C’est un ensemble de représentations dont les nuances dépendent autant du contexte culturel que des moments de perception individuels. De l’expérience partagée au solipsisme, le monde qui se donne à assembler et à réassembler cognitivement possède autant de facettes que de narrations potentielles.
La mimesis aristotélicienne, que l’on comprend parfois trop rapidement comme l’imitation de la nature, a été traduite à partir de la renaissance italienne par « représentation » sans pour autant résoudre la question de la relation entre représentant et représenté. L’imitation doit-elle capturer tout ce qui caractérise le sujet ou se garder une distance (ou une mise à distance) qui en permet le contrôle ? Jacques Athanase Gilbert rappelle que « Diderot défend la distance représentative qui permet d’en contrôler la production, Rousseau récuse la césure de la représentation qu’il considère aliénante60. » Si le déploiement de ce paradigme dans le domaine de l’esthétique est connu et bien référencé, il doit également être observé dans le domaine de la physique et de la compréhension des phénomènes de la nature. L’imitation de la nature, engagée afin d’en anticiper les caprices ou les potentialités, passe par la conception de modèles dont la qualité dénote tout autant la distance qu’ils entretiennent avec le phénomène de référence que la fidélité avec ce qu’ils sont censés imiter. Ainsi, la représentation du système stellaire, relève pour Galilée d’une substitution d’un visible immédiat par une « visibilité calculée61 ».
L’imitation indécelable, celle qui tromperait suffisamment nos sens pour qu’ils ne puissent déceler l’artifice qui les dupe, est le fantasme de l’immersion parfaite. Cela présupposerait une imitation qui s’adresserait 52à chacun de nos sens via des dispositifs mécaniques afin qu’aucune trace de contexte ne puisse perturber l’expérience. La distance qui toujours demeure distingue donc un espace imitant, celui qui n’est pas réel, que l’on reconnaît comme espace diégétique, de l’espace imité, qui est l’espace du vécu. Concevoir l’immersion comme devant nous plonger complètement, par tous nos sens, dans l’espace diégétique est quelque peu naïf. Une telle position néglige en effet les immenses capacités synesthésiques de notre attirail perceptif, lequel, par compensation et substitution, est capable de nourrir un sens par les informations d’un autre en faisant appel à la mémoire. Pour reprendre l’analyse développée par Nelson Goodman62, la représentation procède du choix : si l’on cherche à imiter, l’on n’imite pas un tout, mais des éléments saillants, caractéristiques, qui font sens ou sensation. Un tel argument rejoint la proposition d’Erich Auerbach selon laquelle il faut traquer les expressions non pas de la représentation de la réalité mais de la réalité représentée63, démarche qui suppose de prendre en compte de l’ensemble des filtres culturels, voire techniques, qui s’appliquent. Or, la construction d’un espace immersif procède de cette logique de représentation, si bien que la caractérisation de l’espace diégétique se fait prioritairement par la mobilisation d’un jeu de références. Les topologies de l’espace immersif concernent donc autant les dispositifs que les univers proposés à la découverte. Il apparaît toutefois que le franchissement de la ligne de partage des eaux est impossible, puisque ce franchissement consisterait à réellement perdre la conscience d’un espace de départ pour être intégralement plongé dans un espace réceptacle.
Laurent Lescop
CRENAU/AAU –
UMR CNRS 1563
École Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes
1 Bernard Comment, The Painted Panorama, Harry N. Abrams ; Revised, Expanded edition, 2000.
2 Germain Bapst, Essai sur l’histoire des panoramas et de dioramas, p. 8.
3 Op. cit. p. 9.
4 François Robichon, Les Panoramas en France au xixe siècle. Thèse de doctorat, Nanterre, 1982.
5 Yann Rocher, Le Globe et L’Architecte, Norma Éditions ; 01 édition, 2017.
6 Anne-Marie Thiesse, La Création des identités nationales : Europe xviiie-xxe siècle, Seuil, 1999.
7 www.worldfairs.info/expopavillondetails.php?expo_id=8&pavillon_id=2414
8 Michaux E., Du panorama pictural au cinéma circulaire : Origines et histoire d’un autre cinéma, 1785-1998, Éditions L’Harmattan, 2000.
9 http://www.waltdisney.org/blog/plussing-disneyland-1955
10 Marcel Freydefont, « Les contours d’un théâtre immersif (1990-2010) », Agôn [En ligne], Déborder les frontières, (2010) No 3 : Utopies de la scène, scènes de l’utopie, Dossiers, mis à jour le : 10/01/2011, URL : http://agon.ens-lyon.fr/index.php?id=1559.
11 Antonin Artaud, Le théâtre et son double suivi de Le théâtre de Séraphin, Collection Folio essais (no 14), Gallimard, 1966.
12 C. Cruz-Neira, D. Sandin, T. DeFanti, J. Kenyon R. & Hart, The CAVE : Audio Visual Experience Automatic Virtual Environment, ACM, vol. 35(6), 1992, p. 64–72.
13 Étienne Souriau, Le cube et la sphère, in André Barsacq, Étienne Souriau et al, Architecture et Dramaturgie, Bibliothèque D’Esthétique, Flammarion, Paris, 1950.
14 http://www.jeffrey-shaw.net/ et http://www.icinema.unsw.edu.au/
15 http://thewoostergroup.org/blog
16 Pour les relations dispositifs immersifs et théâtre voir : Marcel Freydefont, Les contours d’un théâtre immersif (1990-2010), Revue Agon, http://agon.ens-lyon.fr/index.php?id=1559
17 http://www.icinema.unsw.edu.au/technologies/spherecam/project-overview/
18 http://sat.qc.ca/fr/satosphere
19 J. Willm, Histoire de La Philosophie Allemande Depuis Kant Jusqu’à Hegel, Volume 2, Librairie Philosophique de Ladrange, 1847, p. 345.
20 Pierre Soulages, Le Noir Et La Lumière, film de Jean-Noël Cristiani, Éditions du Centre Pompidou, POM film, France 5, 2009.
21 Frances Yates, L’art de la mémoire, Gallimard, 1975.
22 P. Azéma, L’art des cavernes en action : Tome 1 et 2, Éditions Errance, 209 et 2010.
23 N. Yabuki, T. Onoue, T. Fukuda & S. Yoshida., A heatstroke prediction and prevention system for outdoor construction workers, Visualization in Engineering 2013, 1:11.
24 T. Moon, G. J. Kim, Design and evaluation of a wind display for virtual reality, VRST ‘04 Proceedings of the ACM symposium on Virtual reality software and technology, 2004, Pages 122-128.
25 http://www.kosaka-lab.com/kosaka_laboratory/2008/11/wind-stage.php
26 S. Kulkarni et al, Wind Display Device for Locomotion Interface in a Virtual Environment, Third Joint Eurohaptics Conference and Symposium on Haptic Interfaces for Virtual Environment and Teleoperator Systems Salt Lake City, UT, USA, March 18-20, 2009.
27 http://www.mortonheilig.com/InventorVR.html
28 Wolfenstein 3D est développé par id Software et publié par Apogee Software, il est conçu par John Romero et Tom Hall en 1992.
29 http://www.themill.com/millchannel/538/gatorade-enters-the-game-with-its-first-vr-experience
30 http://www.imdb.com/title/tt4417036/?ref_=nm_knf_i3
31 http://www.imdb.com/title/tt5834146/?ref_=nm_knf_i4
32 http://beanotherlab.org/
33 http://www.themachinetobeanother.org/
34 http://www.imdb.com/title/tt6212516/?ref_=nm_flmg_dr_1
35 https://www.marshmallowlaserfeast.com/
36 Pierre Arias, Méliès et la naissance du spectacle cinématographique, Klincksieck, 1984, p. 169.
37 Térésa Faucon, Théorie du montage, Armand Colin, 2013.
38 Écrit et dirigé par Connor Hair et Alex Meader, 2017.
39 Iseult Gillespie, cave paintings 360°, https://ed.ted.com/lessons/explore-cave-paintings-
in-this-360-animated-cave-iseult-gillespie
40 https://www.celine-tricart.com/fr/portfolio/marriage-equality-vr
41 Éric Rohmer, L’organisation de l’espace dans le Faust de Murnau, Cahiers du Cinéma, 2000.
42 Jorge Luis Borges, Fictions, Gallimard, 1983.
43 http://filmmakermagazine.com/96090-look-into-the-cut/
44 John Bucher, Storytelling for Virtual Reality : Methods and Principles for Crafting Immersive Narratives, Taylor & Francis, 2017.
45 MacLuhan M., Message et Massage, un inventaire des effets, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1968.
46 http://www.imdb.com/title/tt5117222/
47 http://notesonblindness.arte.tv/fr/vr
48 Lionel Naccache, Le nouvel inconscient : Freud, le Christophe Colomb des neurosciences, Odile Jacob, 2009.
49 Op. cit., p. 396.
50 Op. cit., p. 397.
51 Op. cit., p. 398.
52 Alain Berthoz, La simplexité, Odile Jacob, 2009.
53 Paul Ricœur, « Architecture et narrativité ». Urbanisme, 1998, no 303, p. 44 – 51. Le texte est accessible sur le site de la Fondation Ricœur : http://www.fondsricoeur.fr/uploads/medias/articles_pr/architectureetnarrativite2.PDF
54 Ricœur, OP.Cit.
55 Serge Tisseron, Qui a peur des jeux video ?, Albin Michel, 2008.
56 https://www.americasarmy.com/
57 Christian Salmon, Storytelling : La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte, 2013.
58 Ernest Cline, Ready Player One, Michel Lafond, 2013.
59 https://www.knowdrones.com/references
60 Jacques Athanase Gilbert, Environnements immersifs : écologie et esthétique du numérique, Digital Intelligence 2014, Interactions #2, Nantes, 19 Septembre 2014.
61 Gilbert, Op. cit.
62 Goodman N., Les langages de l’art, Op. cit., p. 52.
63 Auerbach E., Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Gallimard, 1977.