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Classiques Garnier

Les données personnelles au cœur des rapports entre employeur et travailleur L’enjeu de sécurité

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Études digitales
    2016 – 2, n° 2
    . Le gouvernement des données
  • Auteur : Blandin (Annie)
  • Résumé : La question du numérique et des données personnelles en particulier est au cœur de relations de pouvoir renouvelées entre employeur et travailleur. L’article met en évidence la difficile conciliation entre l’obligation de sécurité de l’employeur et la liberté du travailleur. Outre une mise en évidence de l’emprise du droit du travail sur le corps humain, l’article pose aussi la question du statut du travailleur, tour à tour patient et responsable du traitement dans le cadre des usages du quantified-self.
  • Pages : 157 à 167
  • Revue : Études digitales
  • Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
  • EAN : 9782406070641
  • ISBN : 978-2-406-07064-1
  • ISSN : 2497-1650
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07064-1.p.0157
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 12/08/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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LES DONNÉES PERSONNELLES
AU CŒUR DES RAPPORTS
ENTRE EMPLOYEUR ET TRAVAILLEUR

Lenjeu de sécurité

INTRODUCTION

La question des données personnelles et de la vie privée a fait irruption dans la sphère du travail et de son droit, à propos de la surveillance que les technologies de linformation et de la communication permettent à lemployeur de mettre en œuvre.

On a dabord redouté une mainmise sur les dossiers, les mails, une géolocalisation des véhicules puis des salariés eux-mêmes. On sest aussi beaucoup inquiété de la perméabilité croissante entre vie professionnelle et vie personnelle, celle-ci donnant lieu à des comportements nouveaux et souvent mal maîtrisés, comme la connexion permanente, la « joignabilité » totale, la confusion entre un discours dordre privé ou public sur les réseaux sociaux.

Cest dire que la perception du rôle du numérique par le droit a dabord été plutôt négative. Les règles ont évolué cependant et la jurisprudence a clarifié les choses progressivement. De même, les pratiques ont démontré que les travailleurs avaient une aptitude à lautorégulation, acceptant par exemple dêtre joignables en dehors de la sphère professionnelle en contrepartie dune plus grande autonomie sur le lieu de travail et pendant les heures de travail1.

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Il apparaît donc que la question du numérique et des données personnelles en particulier est au cœur de relations de pouvoir renouvelées entre employeur et travailleur.

Si lon se réfère à des publications récentes sur le travail et le numérique2, on constate que la question des rapports de pouvoir, et plus particulièrement celle du pouvoir de direction de lemployeur, est traitée en filigrane à propos de la fin supposée du salariat, à propos de limpact du numérique sur le cadre de travail à travers lévolution des notions de lieu et temps de travail qui transforme le lien de subordination.

Les généralités et généralisations semblent faire loi lorsquil sagit dappréhender les transitions numériques au travail. À lopposé, la jurisprudence constitue un miroir parfois déformant de la réalité, lorsquelle met en lumière certains problèmes très spécifiques et ponctuels.

Pour concilier ces deux approches en vue de saisir la complexité de lévolution de ces rapports de pouvoir, il est utile de se référer à un cas. Nous nous intéresserons ici à un dispositif technique dassistance à personne en danger potentiel, analysé et expérimenté dans le cadre dun projet collaboratif3. Loriginalité du dispositif vient du fait quil concentre des fonctionnalités habituellement éclatées et notamment celles dun dispositif dalarme pour travailleur isolé (DATI).

Il sagira de rendre compte de son acceptabilité juridique dans la perspective de la prévention de certains risques professionnels. Ce dispositif est fondé sur le traitement de données personnelles particulièrement sensibles puisquil sagit de données physiologiques. Il sagit dun cas emblématique dans la mesure où il révèle un conflit potentiel entre une utilisation imposée par lemployeur et le refus possible par le travailleur du traitement de ses données personnelles.

On sintéressera donc successivement aux traitements de données en tant quils permettent à lemployeur de satisfaire à son obligation 159de sécurité de résultat (I), puis on verra dans quelle mesure la mise en œuvre de ces traitements est subordonnée à lexercice des libertés du travailleur (II).

LE TRAITEMENT DES DONNÉES PERSONNELLES
AU SERVICE DE LOBLIGATION DE SÉCURITÉ

Le traitement de données personnelles par lemployeur peut répondre à plusieurs finalités dans le cadre de la mise en œuvre de son pouvoir de direction. Lusage quil fait des données est perçu le plus souvent comme une menace pour lautonomie du travailleur voire comme une source de stress nouvelle. Cest évidemment la surveillance et les nouvelles formes quelle revêt qui sont en jeu.

Mais les finalités de tels traitements peuvent aussi consister à assurer une meilleure sécurité au travailleur, une meilleure santé, un réel bien-être. Ces finalités nous placent demblée au cœur du droit du travail puisque lobjectif de sécurisation des personnes est à lorigine de tous les droits du travail européens auxquels on assigne la tâche de civiliser les relations de travail4.

Le dispositif technique qui nous intéresse a plus particulièrement pour objectif de prévenir les risques pesant sur certains travailleurs. Il sagit dun boîtier composé de capteurs qui permet denregistrer des données physiologiques comme le rythme cardiaque, le rythme respiratoire, la température corporelle, les mouvements et inclinaisons du corps. Outre ces données, le système permet aussi de traiter des données contextuelles comme lenvironnement sonore ou visuel du travailleur.

Le recours à un tel dispositif permet de détecter une situation de stress anormale dans lexercice dun métier, comme celui de pompier ou de convoyeur de fonds, et dactiver une alerte de manière plus rapide et sûre que celle que lintéressé pourrait activer de sa propre initiative.

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Quoi de plus naturel alors que dutiliser un tel système lorsquon est employeur et comment imaginer par ailleurs quun travailleur ny trouve pas avantage ou pire sy oppose ?

Lobligation de sécurité de résultat
comme limitation du pouvoir de direction

Pour lemployeur, lusage de tels systèmes permet de se conformer à lobligation de sécurité de résultat. Après une première formalisation par la Cour de Cassation, cette obligation va trouver sa source en droit de lUnion européenne dans une directive de 1989 qui impose à lemployeur dassurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Lobligation est transposée en droit français dans larticle L4121.1 du Code du travail.

Le résultat ainsi attendu nest pas labsence datteinte à la santé mais lensemble des mesures prises par lemployeur dont les actions vont sinscrire dans une perspective de prévention sur la base de lévaluation des risques professionnels. Dans notre cas, lenjeu consiste à assurer dabord la protection individuelle du travailleur et par ricochet de ceux qui interviennent avec lui.

Mais la particularité du dispositif étudié tient au fait quil ne se limite pas à prévenir les lésions physiques. Il sapparente aussi à tout ce qui tend au respect des rythmes du vivant puisquil donne des informations sur la manière dont le corps du travailleur réagit et agit dans le cadre dune mission déterminée. Si sa vie est réellement menacée, lalerte devrait naturellement conduire à mettre le travailleur en vacance de sa mission.

Le dispositif apparaît en tout comme étant adapté à la prévention des risques et toutes les conditions sont donc réunies pour inciter lemployeur à lutiliser. Il sera tenté déquiper ces corps, soulignant ainsi que ceux-ci sont déjà objectivés dans le contrat de travail qui « tire le corps humain du côté des choses5 ». Lenvironnement numérique ly invite aussi dès lors que lexigence de sécurité saccroît lorsque les moyens de la renforcer existent dans un contexte de recherche du « mieux » technologique.

La question est alors plutôt de savoir si lemployeur peut se voir imposer lutilisation de tels dispositifs ou sil doit se limposer à lui-même. Pour répondre à cette question, il convient de mesurer létendue 161de la responsabilité de lemployeur si celui-ci se prive volontairement des techniques à sa disposition.

Dune manière générale, en matière de sécurité au travail, la mise en exergue de la notion de risque va de pair avec un régime de responsabilité objective fondé sur la notion de risque et non de faute. Cest ce qui explique la position des juges lorsquils condamnent le tabagisme passif en labsence de dommages.

La responsabilité de lemployeur peut donc être civile, administrative et aussi pénale. Les deux premiers régimes répondent à la même logique. Est susceptible dêtre sanctionné à ce titre le manquement à lobligation de sécurité de résultat dans le cadre soit dun contrat de travail (droit du travail) soit du fonctionnariat ou dun contrat de droit public. À cela sajoute la possibilité dune sanction pénale pour les atteintes involontaires à la vie ou à lintégrité des personnes, faute davoir pris notamment les mesures de sécurité adéquates.

Lobligation de sécurité de résultat ainsi conçue peut donc se voir comme une limitation au pouvoir de direction de lemployeur. Du côté du travailleur, est attendue néanmoins la mise en œuvre dune obligation de sécurité de moyen.

Lobligation de moyen
comme expression du pouvoir de direction

Lemployeur retrouve une certaine latitude lorsquil sagit de rappeler au travailleur lobligation de moyen qui pèse sur lui. Quil sagisse du droit du travail ou du droit de la fonction publique, les travailleurs doivent se conformer aux instructions données par lemployeur. Ces instructions peuvent porter sur lusage de certains moyens propres à garantir la sécurité et la santé.

Larticle L4122-1 du Code du travail est très explicite lorsquil prévoit quil « incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. Les instructions de lemployeur précisent, en particulier lorsque la nature des risques le justifie, les conditions dutilisation des équipements de travail, des moyens de protection, des substances et préparations dangereuses. Elles sont adaptées à la nature des tâches à accomplir ».

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Lusage déquipements de travail est mentionné et correspond au cas qui nous intéresse puisque les capteurs constituent de tels équipements, intégrés de surcroît aux vêtements de travail. On notera par ailleurs que lévaluation du risque constitue un préalable qui guidera lemployeur dans sa réflexion sur ladaptation de ses instructions à la nature des tâches à accomplir.

Refuser de porter par exemple des équipements de protection pourra donc légitimement conduire lemployeur à sanctionner le travailleur comme la jurisprudence la reconnu. Et cest presque dun devoir de sanction quil conviendrait de parler au regard de lobligation de sécurité incombant à lemployeur.

Ainsi renforcé par lobligation de moyen, le pouvoir de lemployeur peut toutefois trouver ses limites dans celui du travailleur, tel quil sexprime dans le consentement à voir ses données personnelles traitées. A pouvoir de lemployeur sopposent donc les libertés du travailleur.

UN TRAITEMENT SUBORDONNÉ
À LEXERCICE DES LIBERTÉS DU TRAVAILLEUR

Le pouvoir du travailleur sur ses données personnelles

Le dispositif juridique de protection des données personnelles et de la vie privée est déjà ancien, 1978 pour la France avec sa grande loi dite « informatique et libertés », 1995 pour lUnion européenne avec la directive désormais remplacée par le règlement adopté en 20166.

Ce dispositif évolue lentement mais on observe certaines tendances très significatives comme celle qui consiste à donner à la personne concernée par le traitement de ses données un contrôle de plus en plus important. On parle à ce propos dautodétermination informationnelle. Il nest donc pas étonnant que le consentement de la personne soit devenu au fil du temps un principe directeur en matière de protection des données. Ce consentement est désormais si important quil peut non seulement être donné mais quil pourra également être retiré ce qui fragilise, lavenir 163nous le dira, la position des responsables de traitement de données, parmi lesquels les employeurs.

Sagissant des données concernées dans notre cas, il conviendra dabord de sinterroger sur leur statut, avant de pouvoir déterminer le régime juridique qui leur est applicable. Les données traitées sont des données physiologiques et des données de géolocalisation. Il ne fait pas de doute quil sagit de données personnelles dans la mesure où elles permettent didentifier la personne concernée.

En ce qui concerne les données physiologiques, la législation ne les définit pas alors quelles font lobjet de traitements de plus en plus intenses, notamment avec lémergence du quantified self (auto-mesure de soi). Larticle 4 (1) du règlement européen précise que les données personnelles qui permettent didentifier directement ou indirectement une personne peuvent être constituées déléments spécifiques propres à lidentité physiologique dune personne.

Le terme de physiologique apparaît plus précisément dans la définition des données dites génétiques, de telles données pouvant porter sur des informations relatives à la physiologie dune personne. Il est aussi fait mention des données physiologiques dans la définition des données biométriques qui permettent didentifier une personne de manière unique.

Les données traitées par notre dispositif nentrent dans aucune de ces deux catégories spécifiques, même si la question se pose à propos de certaines données physiologiques comme le rythme cardiaque dont on se peut se demander sil pourrait être propre à une seule personne.

La seule certitude, cest que les données traitées dans le cadre de la prévention des risques professionnels correspondent à la catégorie des données dites de santé. En les définissant, le règlement européen ne fait pas référence aux données physiologiques. En revanche, on retrouve une mention des données physiologiques dans le considérant 26 du règlement qui indique que létat physiologique dune personne peut être constitutif dune donnée de santé.

La particularité de ce type de données au sein de lensemble des données personnelles, cest leur sensibilité. Par principe, le traitement de telles données est interdit, sauf à sinscrire dans le cadre dune exception. Dans notre cas, la seule possibilité sera le recueil préalable du consentement du travailleur.

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Pour consentir, celui-ci devra disposer dun certain nombre dinformations, la plus importante étant la finalité du traitement tel quil sera déclaré par lemployeur. Il ne fait pas de doute que la finalité première est bien la prévention des risques professionnels, étant entendu que lon ne peut sen écarter sans enfreindre la loi.

Quelles sont les chances pour lemployeur dobtenir le consentement du travailleur ? Les travaux réalisés sur lacceptabilité sociale de ce type de dispositif ont montré que les travailleurs étaient plutôt enclins à accepter de séquiper. Cependant, au regard des finalités, certaines inquiétudes ont été exprimées. La crainte est réelle de voir la finalité première détournée, en toute illégalité bien sûr. Il est vrai quun tel dispositif fournit des informations utiles, sur le niveau de stress dun travailleur par exemple. Si le seuil dalerte est relativement faible, on pourrait en déduire que le travailleur est trop émotif ou inapte pour le poste. De la même manière, grâce aux données physiologiques, on peut avoir des renseignements sur une consommation excessive dalcool ou sur la prise de stupéfiants. Le dispositif est donc potentiellement un mouchard.

À supposer que ces craintes débouchent sur un refus dutilisation du dispositif, on pourra se demander si lemployeur serait fondé à contraindre le travailleur à consentir, jusquà lui imposer des sanctions disciplinaires. Mais celles-ci seraient aisément contestables car elles sanalyseraient comme une manière de forcer le consentement requis par la loi « Informatique et libertés ».

Il nen reste pas moins, en cas de refus dusage, que lemployeur risquerait de voir sa responsabilité engagée pour avoir manqué à son obligation de sécurité de résultat.

Face à cette contradiction potentielle entre les obligations de lemployeur et les droits du travailleur, on pourrait arguer du fait que proposer léquipement suffit à satisfaire à lobligation de sécurité, dès lors que les mesures disciplinaires ne pourraient être déclenchées. À limpossibilité de sanctionner lemployeur répondrait ainsi limpossibilité de sanctionner le travailleur7.

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La question de laccès du médecin
et du travailleur lui-même

Les choses se compliquent encore si lemployeur ajoute une seconde finalité au traitement, en loccurrence la protection de la santé du travailleur par une meilleure surveillance médicale. La durée de conservation des données se trouverait affectée par une telle extension des finalités puisque dans le schéma initial, leffacement est prévu à très court terme. La question se pose alors de savoir qui doit ou peut avoir accès aux données conservées, en dehors de lemployeur.

Sagissant du médecin du travail, son accès aux données se justifie dans le cadre de sa mission de prévention quant à laltération de la santé du travailleur. Lintérêt principal semble résider dans laide aux actions de surveillance, surtout pour les métiers appelant une surveillance renforcée dont les modalités sont librement fixées par les médecins eux-mêmes. Le risque est alors que le médecin déclenche un dépistage spécifique de drogue et dalcool ou tout autre examen non souhaité, sur la base dun accès à des données physiologiques.

Si les données de santé sont traitées à des finalités de santé, se pose parallèlement la question de la qualification juridique du dispositif lui-même. Sil sagit dun dispositif médical, ce qui nest pas le cas dans une optique de prévention des risques, de nouvelles contraintes apparaissent. Un dispositif médical est qualifié comme tel sil est destiné par le fabricant à être utilisé à des fins de diagnostic et/ou thérapeutique. Lutilisation doit alors se faire dans un contexte médical. Cependant, la requalification du dispositif peut aussi intervenir a posteriori en considération de sa nature réelle.

Et si le dispositif change de nature, cest aussi le statut du travailleur qui a vocation à être reconsidéré, celui-ci se transformant alors en patient. Cest ainsi quil pourrait se percevoir lui-même sil était amené à contrôler ses données, au-delà du droit à consentir. Cela supposerait que la carte mémoire où sont stockées les données physiologiques soit la propriété, non pas de lemployeur, mais du travailleur. Survient alors une nouvelle finalité de type quantified self. Dans cette configuration, le travailleur deviendrait le responsable du traitement au sens de la loi de 1978, définissant les finalités et les modes daccès, y compris celui du médecin.

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On séloigne ici de la protection de la santé au sens strict pour aller vers la promotion du bien-être au travail. Or, la personne nest pas nécessairement à même de mesurer toute limportance des données la concernant. La CNIL relève ainsi que « la frontière peut être floue entre le médical et le simple suivi de son bien-être. Une donnée peut sembler anodine pour un utilisateur au moment où il la partage, mais receler beaucoup dinformations pour un spécialiste qui pourrait y avoir accès par la suite. À titre dexemple, une fois interprété, le rapport poids/tour de taille peut être utilisé à lappui dune évaluation du risque cardio-vasculaire8 ».

Cest dire que de telles données peuvent présenter un intérêt plus général, justifiant ainsi une démarche de type Open Data. En effet, une fois anonymisées, elles peuvent constituer une ressource pour la gestion des politiques publiques de santé, dans une optique également de réalisation déconomies. Mais ce qui est au cœur du débat sur lOpen Data de santé, relancé récemment par la ministre Marisol Touraine, na pas nécessairement vocation à sappliquer aux données traitées à linitiative de lemployeur.

CONCLUSION

Le traitement de données personnelles sensibles apparaît donc bien comme un enjeu dans les rapports de pouvoir entre employeur et travailleur. Ce dernier tire a priori toute sa force de sa capacité à consentir aux traitements. Même si lhypothèse du refus est envisageable, il est indéniable que celui-ci sera difficile à exprimer, surtout lorsquil sagit de missions collectives comme celles assignées aux pompiers. Cest donc plus au niveau des instances de représentation du personnel que peuvent remonter certaines décisions.

Par ailleurs, le cas examiné pose un problème bien connu, celui du rôle du consentement dans le système juridique de protection des données personnelles et de la vie privée. Si la vision « micro-juridique » permet daffirmer que le consentement est une véritable clé de voûte 167de lédifice, une approche éthique conduit à douter du fait que ce soit le consentement qui puisse faire la validité de tels projets. LAutorité néerlandaise de protection des données a ainsi estimé dans une affaire récente concernant des bracelets électroniques, que le consentement est sans valeur dans la mesure où il nest pas libre compte tenu de la relation de dépendance du salarié vis-à-vis de lemployeur9. Ce qui est en jeu en effet, cest le contrôle généralisé, la mise en acceptabilité dune gestion biopolitique des relations10, ici les relations de travail.

Au problème de la conciliation entre les obligations de lemployeur et les droits du travailleur, sajoute enfin une tension entre la protection des données dans une logique de fermeture et les perspectives douverture de ces mêmes données dans le contexte de lOpen Data de santé et du Big Data. Cette question relativement nouvelle interfère alors avec celle du rapport de pouvoir entre employeur et travailleur et représente pour ce dernier une source de légitimité évidente pour revendiquer plus dautonomie dans son travail via un réel contrôle sur ses données11.

Annie Blandin

Professeur à lIMT Atlantique, chaire Jean Monnet

1 A. Blandin, synthèse des résultats des travaux MAC « Lusage du téléphone par les cadres en milieu professionnel : une analyse socio-juridique », URL : http://www.marsouin.org/article103.html

2 B. Mettling, Transformation numérique et vie au travail, rapport à Mme Myriam El Khomri, La documentation française, sept. 2015. – Travail emploi, numérique, nouvelles trajectoires, rapport du Conseil national du numérique, janvier 2016.

3 Il sagit dun projet FUI intitulé S_Pod, labellisé par le pôle image et réseaux et dont le porteur était lentreprise ERYMA. Pour un aperçu des résultats du lot juridique, V. A. Blandin, E. Juet, « La prévention des risques professionnels à lépreuve de la loi informatique et libertés : lexemple du dispositif S_Pod », Colloque « Innovations technologiques en milieu professionnel », Journées détudes de la MSHB, 26 et 27 juin 2014. Enregistrement : URL : http://wikiradio.ueb.eu/broadcast/15407-conferences-scientifiques-par-patrice-bardel-et-annie-blandin

4 Sur la notion de sécurité, V. A. Supiot, Critique du droit du travail, PUF, 3e éd., 2015. P.-Y. Verkindt, « Les obligations de sécurité du chef dentreprise », Semaine sociale Lamy 2006, no 1286, suppl.

5 A. Supiot, précit.

6 URL : http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-5455-2016-INIT/en/pdf

7 La paternité de la formulation de cette contradiction revient à Éric Juet.

8 URL : https://www.cnil.fr/fr/quantified-self-comment-mieux-se-connaitre-grace-ses-donnees

9 http://www.numerama.com/politique/151021-des-wearables-imposes-au-travail-la-cnil-neerlandaise-dit-non.html

10 Néologisme de Michel Foucault.

11 N. Paquel, D. Berthault, « Open Data – Données de santé : Quoi ? Pour quoi ? Pour qui ? Comment ? », La Gazette des Communes, juin 2013 : URL : http://www.lagazettedescommunes.com/170839/donnees-de-sante-quoi-pour-quoi-pour-qui-comment/