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Classiques Garnier

The Artvertiser : improved reality de Julian Oliver

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Études digitales
    2016 – 1, n° 1
    . Le texte à venir
  • Auteur : Fourmentraux (Jean-Paul)
  • Pages : 243 à 248
  • Revue : Études digitales
  • Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
  • EAN : 9782406061939
  • ISBN : 978-2-406-06193-9
  • ISSN : 2497-1650
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06193-9.p.0243
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 29/09/2016
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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The Artvertiser :
improved reality1 de Julian Oliver

The Artvertiser est un projet de Julian Oliver, membre du Free Art Technology (FAT), une organisation qui à pour but lenrichissement du domaine public par lusage créatif des médias et technologies numériques. Le réseau FAT engage les artistes, ingénieurs, scientifiques, juristes, musiciens, à défendre les valeurs douverture propres aux licences libres et à ouvrir de nouvelles pistes de réflexion critiques autour de lesprit dentreprise, de la culture du secret et du monopole induit par les droits dauteur et les brevets2. Dans ce cadre, le projet Artvertiser confronte lart et ladvert, lartistique et la publicité de masse quil dénonce. Apparu entre 2008 et 2010 dans des expositions de rue à Berlin (Transmédiale) et à Bruxelles (Festival des Façades) ou encore à Rotterdam (Festival de lImage) à pour but de sapproprier les espaces publicitaires en les détournant par un dispositif numérique de « réalité augmentée » qui révèle des œuvres dart à la place des panneaux publicitaires.

Il sagit ainsi doccuper un espace public de plus en plus privatisé par les campagnes marketing en transformant des places comme Time Square ou Picadilly Circus en véritables galeries dart. Pour en faire lexpérience, lœuvre propose aux citoyens un dispositif technique – le « Billboard Intercept Unit » (en français : unité dinterception daffichage) – sortes de jumelles spécialement conçues, équipées de caméra à lavant et de lentilles oculaires à larrière. Pilotées par un algorithme, les jumelles fonctionnent via un logiciel de recherche dimages dans lenvironnement urbain.

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Fig. 1 – Julian Oliver, The Artvertiser (2010), http://julianoliver.com.

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LArtvertiser substitue aux images publicitaires une production plastique qui interroge de façon critique le débat sur la privatisation grandissante de lespace public. En plus des jumelles, The Artvertiser et également disponible comme logiciel gratuit qui fonctionne sur les systèmes de Linux, Windows, OS X et les Androïds. Ce logiciel permet donc aux systèmes de la machine de reconnaître et identifier certaines publicités comme des publicités « à remplacer » via la Web Cam de lordinateur ou la petite caméra des téléphones. Et ensuite il doit remplacer instantanément limage par une autre image qui vient saccoler par dessus (toujours un autre contenu virtuel en 2D). Le code de ce programme a été développé à la base par Julian Oliver puis amélioré par Damian Stewart (le code de lArtvertiser est licencié sous GPLv3, et disponible). Si une connexion internet est disponible à proximité, la substitution peut sarchiver directement ou être publiée en ligne sur des sites tels que Flickr et Youtube, proposant et construisant ainsi une « mémoire » alternative de la vision de la ville. En ce servant du média dinternet comme levier, lidée est également tournée vers une sorte de « mécanisme de redistribution ». The Artvertiser propose de voir la ville comme un site que lon peut repenser comme une grande exposition dart pour les piétons et den conserver une trace pour ceux qui ne sont pas dans la rue et ne se servent pas du logiciel. Une autre utilisation du logiciel est également possible, en effet il a une fonctionnalité vidéo (non live) qui peut être utilisée. Elle permet à ceux qui le souhaitent de faire comme les artistes, de remplacer la publicité de leur choix par une « œuvre » quils font ou quils choisissent, de filmer et de partager la vidéo avec leurs amis ou sur les réseaux de leurs choix. Cela permet à tous de participer et lart en devient encore plus public. Le logiciel gratuit est disponible peut être trouvé sur le site officiel de lArtvertiser, il suffit davoir une Web Cam pour pouvoir lutiliser.

LArtvertiser donne la possibilité de voir le temps dun instant nos villes comme un espace négociable qui nest pas uniquement destiné à la consommation et à la lecture, mais sur lequel on peut écrire, une ville dans laquelle on peut sexprimer. Lenjeu est aussi de bousculer lidée despace public en questionnant lhybridation et/ou larticulation réel-virtuel à lère numérique :

un espace public réel : la rue, le métro, les transports en communs etc. ;

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un espace public numérique : les forums, les communautés en ligne, les espaces médiatiques, espaces daffichages, les réseaux, les émissions au contenu diffusé sur le net ;

un espace privé réel : lhabitation, lintimité ;

un espace privé numérique : le téléphone, la page personnelle sur un réseau social ou une communauté en ligne. Tous les espaces accessibles grâce à un login et mot de passe.

Julian Oliver parle alors ici de réalité améliorée, ou réalité augmentée. La réalité augmentée désigne les systèmes informatiques qui rendent possible la superposition dun modèle virtuel à la perception que nous avons naturellement de la réalité et ceci en temps réel. Elle désigne les différentes méthodes qui permettent dincruster de façon réaliste des objets virtuels dans une séquence dimages. Exploitant cette technologie, le projet Artvertiser questionne les frontières entre espaces publics et espaces privés, entre présence et intrusion, séduction et manipulation. LArtvertiser défend ainsi une forme de média-activisme en réalisant des interventions temporaires ou permanentes dans la sphère médiatique urbaine.

Julian Oliver va faire appel à de nombreux artistes qui laisseront libre court à leur imagination pour détourner les publicités : le rendu peut être grotesque, féerique ou choquant, le but étant dinterpeller le passant. Tous ces artistes sont engagés contre la dictature de la publicité, qui pollue visuellement notre environnement. Leurs actions sintègrent toujours dans un lieu spécifique, pour leur résonance particulière :

Devant un panneau publicitaire de la banque BNP Paribas indiquant quatre bureaux à louer et leur superficie, lartiste Adélaïde François accole dessus par réalité augmentée une photo dun champ de blé : jouant sur lexpression « se faire du blé », questionnant aussi la lutte de la nature contre la ville polluée.

Lartiste Alec De Busschère remplace une publicité pour un jeu vidéo par une photo de Julian Oliver en train de scruter les passants via ses jumelles Artvertiser : une mise en abyme de lingénieur et une réflexion sur notre société placée sous surveillance et conditionnée par la publicité.

Le projet Artvertiser entre ainsi en résonance avec dautres travaux dartistes qui ont également travaillé sur la question de la réappropriation de lespace public. En voici quelques exemples dactions, de contextes ou dœuvres :

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Christoph Steinbrener & Rainer Dempf : Delete ! (2006) : Dans une artère centrale de Vienne, tout signe publicitaire, slogan, pictogramme, nom de compagnie ou logo est recouvert dun monochrome jaune pour une période de deux semaines. Ce détournement vise à faire réaliser aux passants que lespace urbain est pollué par les publicités qui dictent leur conduite, et leur consommation. Le citadin est un consommateur sous pression, influençable. Par leur activisme, ces deux artistes dénoncent une dictature du consumérisme. URL : http://www.steinbrener-dempf.com/public-projects/delete/

Graffiti Research Lab : Laser Tag (2007-2008) : Il sagit dun dispositif de tag lumineux, dun graffiti éphémère tracé à distance (projeté) à laide dun crayon-laser « tracké » par une caméra. La démarche est en « open source » : le Graffiti Research Lab met à disposition le manuel et le code de toutes leurs inventions, invitant chacun à fabriquer et améliorer leurs outils. Ce détournement de lespace public comporte souvent un message politique engagé. URL : http://www.graffitiresearchlab.com/blog/projects/laser-tag/

Jason Eppink : Pixelator (2007) : Lartiste réalise une intervention urbaine utilisant une « grille » en carton-mousse recouverte dune feuille translucide (feuille de gélatine utilisée dans léclairage photo ou au cinéma) pour détourner des écrans publicitaires convertis inopinément en œuvre dart vidéo. Cette œuvre fait figure danti-publicité en remplaçant cet encart publicitaire par un Do-It-Yourself, encourageant la création virtuelle. URL : http://jasoneppink.com/pixelator/

Mark Callahan : Internet Soul Portraits (2005) : Les sites de Yahoo, Google, MSN, Amazon, CNN, eBay, The Weather Channel, MapQuest, Best Buy, ou encore MySpace sont ici réduits à leur structure, en une vision picturale permettant de percevoir lidentité « silencieuse » dune grille graphique dépouillée de signes familiers. Labstraction de ce web-design épure la toile et la décharge des publicités intrusives qui envahissent nos écrans au quotidien. URL : http://mazamedia.com/isp.html

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Ces pratiques interventionnistes révèlent des arts médiactivistes qui investissent et critiquent lordre social, politique et économique dominant. À lère des « lunettes intelligentes » développées par la firme Google, ce projet critique, héritier des Hacker Space, est également avant-coureur dans larchéologie des médias : un courant de recherche qui rassemble aujourdhui de nombreux chercheurs en media studies se désignant eux-mêmes comme « archéologues des médias » dans une approche influencée par larchéologie du savoir de Michel Foucault. Influencés par les théories des médias, ces chercheurs sintéressent aux machines médiatiques (qui communiquent ou mémorisent) quils cherchent, comme des archéologues, à exhumer en même temps que leur environnement social, culturel et économique. Ces recherches se développent aujourdhui en lien étroit avec lhistoire de lart qui questionne la pérennité (matérielle et intellectuelle) dœuvres dart qui, depuis plusieurs décennies, font largement appel aux machines médiatiques et numériques. Dans ce contexte, au-delà de la démarche artistique et à linstar de Julian Oliver, les praticiens des nouveaux médias sengagent dans une politique esthétique de perturbation, dintervention et déducation visuelle.

Jean-Paul Fourmentraux

1 URL : http://theartvertiser.com

2 Les membres du FAT Lab sont Evan Roth, James Powderly, Theo Watson, Bennett Williamson, Mike Baca, Jamie Wilkinson, Borna Sammak, LM4K, Tobias Leingruber, Becky Stern, Michael Frumin, Steve Lambert, Jonah Peretti, Randy Sarafan, Aram Bartholl, Geraldine Juárez, Greg Leuch, Magnus Eriksson, Golan Levin, Kyle McDonald, Addie Wagenknecht, KATSU, Les FFFFFrères Ripoulain (David Renault & Mathieu Tremblin). URL : http://fffff.at.