Aller au contenu

Classiques Garnier

Le numérique se pratique avec les doigts

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Études digitales
    2016 – 1, n° 1
    . Le texte à venir
  • Auteur : Proulx (Serge)
  • Pages : 267 à 268
  • Revue : Études digitales
  • Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
  • EAN : 9782406061939
  • ISBN : 978-2-406-06193-9
  • ISSN : 2497-1650
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06193-9.p.0267
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 29/09/2016
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
267

Le numérique se pratique
avec les doigts

Dans un texte publié le 14 janvier 2014 dans le journal Le Monde, Marlène Duretz raconte sa quête de sens à propos du couple digital/numérique. Interrogeant son moteur de recherche, lencyclopédie Wikipédia linforme que « bien que les terminologies officielles française et québécoise préfèrent “numérique”, lusage de “digital” en français se perpétue ». Pour ladjectif “digital”, écrit-elle, le Trésor de la langue française propose deux pistes définitionnelles : « relatif au doigt » (digitus) ou « qui est exprimé par un nombre » (numerus). De son côté, le Grand Robert définit “digital” comme ce « qui appartient aux doigts » : ici nulle trace dune synonymie avec le “numérique”. En langue française, le terme “digital” semble décidément relié au “doigt”…

Le même Grand Robert définit ladjectif “numérique” comme étant « ce qui est représenté par un nombre, qui concerne les nombres arithmétiques ». Sans doute sous lemprise dun esprit du temps qui saffirme très souvent « numérique », coup de théâtre en 2013 : le Larousse.fr indique que ladjectif “digital” est considéré dorénavant comme un « synonyme de numérique ». Puis, en 2014, nouveau saut qualitatif : le Petit Larousse illustré (version papier) déconseille le terme “digital” et propose lusage de ladjectif “numérique”. Marlène Duretz – comme dailleurs Thibaut de Jaegher de lUsinedigitale qui rappelle que « le numérique se pratique avec les doigts » (clavier, souris, écran tactile) – aurait tendance à penser quil sagit dun « faux combat » sémantique : lAcadémie française na-t-elle pas rappelé, dans une note du 7 novembre 2013, de ne pas confondre « ces deux adjectifs qui appartiennent à des langues différentes et dont les sens ne se recouvrent pas ».

Ce faux combat sémantique écarte pourtant la question du traitement technique du signal électrique dans les réseaux de transmission, dabord en téléphonie puis en télécommunication. Dans le prolongement des 268travaux réalisés dans les années 1940 par lingénieur et mathématicien Claude Shannon – un théoricien de lentropie encore davantage que de linformation – des ingénieurs des Bell Labs mettent au point un mode de traitement automatisé du signal qui consiste à transformer limpulsion électrique en chiffre (“digit”), donc à numériser le signal (en anglais, on dira “digital” en opposition à “analog”) afin daccroître la performativité des réseaux techniques de communication. Ici se trouve peut-être la racine de la confusion entourant lusage en français du terme « digital » : ladjectif deviendrait un anglicisme lorsquil serait considéré comme synonyme de « numérique ». Cest ce processus de digitalisation (numérisation) du signal qui rendra possible, dans les décennies 1960-1970, la formidable convergence entre les technologies du transport (télécommunication) et celles de la computation (informatique).

Serge Proulx

Université de Québec à Montréal