Digital versus numérique

Le comité de rédaction a souhaité commencer une rubrique qui sera consacrée à des problèmes de terminologie et des débats par une opposition de termes : numérique ou digital. L’emploi d’un vocable n’est jamais neutre et il paraît souhaitable de s’interroger sur d’adoption du mot qui vient qualifier nos « études » dans une revue qui s’intitule précisément Études digitales. Si le terme « études », du latin studere qui indique une recherche et une application, qualifie aujourd’hui le travail intellectuel du chercheur, le terme digital ne va pas de soi en français. Son emploi n’est pas stabilisé par l’usage et il peut paraître un emprunt à l’anglais, voire le signe d’une certaine complaisance linguistique face à la domination culturelle des « géants du Web ». Le numérique revendique fort son appartenance aux nombres. Il porte avec lui son identité informatique et mathématique. Pourquoi avoir choisi Études digitales plutôt que Études numériques ? Il y a là un enjeu qui n’est pas seulement de vocabulaire mais qui recouvre une façon d’aborder, si ne n’est de penser, notre relation aux technologies de l’information et à l’acte de numérisation.

Rappelons que digital s’entend en français avec une certaine ambiguïté comme ce qui relève des doigts et de la main. Cela se comprend dans un mouvement de toucher, de préhension qui permet le faire de la fabrication manuelle et aussi celui de l’approche de l’Autre. Le geste du toucher est en effet celui du contact. Il est censé décider de la réalité d’une chose tangible. Que le doigt, le pouce le plus souvent, ait fini par devenir une unité de mesure, comme le pied et le coude conserve en français un parfum d’Ancien Régime. La France a adopté le système métrique, elle est passée au « numérique », mais la taille de nos écrans se mesure toujours en pouces anglo-saxons. Il n’est pas question de nier ni de minimiser l’importance du calcul ou du code dans la production de la « réalité digitale », mais la question demeure de savoir comment 252se saisir de cette « matière calculée », de connaître le rapport que nous entretenons avec elle. Plusieurs membres du comité de rédaction ou du comité scientifique ont bien voulu se prêter au jeu à partir de la question : pourquoi « digital » plutôt que « numérique » ? Voici le résultat de l’enquête.

Franck Cormerais
et Jacques Athanase Gilbert