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Classiques Garnier

Actes Lectures et repères

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Études digitales
    2016 – 1, n° 1
    . Le texte à venir
  • Auteurs : Mayer (Ariane), Arnaud (Maxime), Arnaud (Wilfried), Harmand (Florian), Geoffroy (Paul-Émile), Vignon (Daphné)
  • Pages : 295 à 304
  • Revue : Études digitales
  • Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
  • EAN : 9782406061939
  • ISBN : 978-2-406-06193-9
  • ISSN : 2497-1650
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06193-9.p.0295
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 29/09/2016
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
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Actes

Lectures et repères

Maryanne Wolf, Proust et le Calamar, Abeille et Castor, 2015 (éd. originale 2008, Harper).

La thèse déterminante de Maryanne Wolf se trouve consignée dès la première phrase : nous ne sommes pas nés pour lire. Lhistoire de lespèce comme de la genèse individuelle en témoigne : le cerveau humain se définit comme une « architecture ouverte ». Son essentielle plasticité lui a permis au fil du temps de soutiller lui-même pour la lecture. Loin dêtre innée, la capacité à lire est donc le fruit dune histoire neuronale et intellectuelle par laquelle le cerveau, toujours à même de reconfigurer sa structure, sest peu à peu appareillé pour devenir « cerveau lecteur ». De cette thèse matricielle découle une conception double de la lecture quillustre le titre de louvrage. Sappuyant à la fois sur la vision proustienne dune lecture qui ouvre, au cœur de lenfance, le plaisir de mondes imaginaires et sur les mécanismes complexes de la transmission neuronale que le calamar offre en énigme aux neuroscientifiques, Maryanne Wolf fait dialoguer lherméneutique de la lecture avec ses défis cognitifs. Quest-ce que lire ? Quel est cet acte si mystérieux qui noue le spirituel au corporel ? Quest-ce qui en explique lapparition, mais aussi léchec et les mutations ?

Dune écriture toujours claire et riche dexemples éclairants, Wolf démêle ces questions à travers trois enquêtes successives, dont chacune forme une partie de louvrage. Sintéressant à la manière dont le cerveau a appris à lire, elle se demande dans un premier temps comment lécriture – simple invention culturelle datant dil y a moins de six mille ans –, a changé les connexions cérébrales de notre espèce tout en élargissant miraculeusement ses possibilités intellectuelles. Les chapitres 2 et 3 retracent ainsi la grande histoire de la lecture indissolublement liée à 296celle du langage écrit, depuis les cunéiformes sumériens et les hiéroglyphes égyptiens jusquà la naissance de lalphabet grec et les critiques formulées par Socrate contre la culture écrite.

Passant comme en anamorphose de léchelle de lespèce à celle de lindividu, Maryanne Wolf examine dans un deuxième moment les processus par lesquels le cerveau juvénile sinstrumente pour la lecture – non plus en deux mille ans, mais en à peine « deux mille jours » – et continue dévoluer à son égard tout au long de la vie. Distinguant plusieurs types de cerveaux lecteurs selon leur degré dhabituation à la pratique, elle analyse avec précision, aux chapitres 4, 5 et 6, les mécanismes psychophysiologiques à lœuvre dans notre rapport aux mots, depuis le simple déchiffrage jusquà limmense champ des possibles ouvert par linterprétation.

Wolf met en garde : si la lecture na pas existé de tout temps, elle est également susceptible de disparaître. La troisième partie de Proust et le Calamar est ainsi consacrée aux situations où la lecture est en péril, dans le cas de la dyslexie (le cœur de ses recherches) et, plus largement, lorsque le modèle précédemment décrit se trouve remis en question alors que la lecture électronique bouleverse le dispositif attentionnel et rétentionnel instauré par la culture papier. Sinterrogeant sur les conséquences des modes de lecture émergents sur le cerveau lecteur des jeunes générations, Maryanne Wolf adresse à la société contemporaine un appel à la vigilance, non pour condamner tel le Platon du Phèdre la transition vers une nouvelle technique symbolique, mais pour veiller à une coexistence harmonieuse entre nos différentes approches de la communication. Cette dernière peut en effet accepter pleinement lévolution digitale du texte sans tomber dans l« illettrisme » numérique que redoute Edward Tenner.

Par une telle entreprise, Maryanne Wolf apporte de précieux éléments aux études digitales, en particulier dans le contexte francophone qui voit se multiplier les études sur les nouveaux modes de lecture et leurs conséquences neuronales, psychologiques, sémiotiques et philosophiques. Loin de se limiter à la France, où la dernière étude importante sur les usages et perceptions du livre numérique fut publiée à lautomne 2014 sous légide dHadopi et dIFOP, la recherche francophone sétend également en Suisse (Infolipo) comme au Québec (laboratoire NT2 sur les nouvelles formes de textualité et de lecture numériques).

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Loriginalité de lapproche de Wolf rend son œuvre fructueuse pour une méditation sur la transition numérique : elle maintient ouvert le dialogue entre les disciplines, sans entrer dans un réductionnisme cognitiviste ou techniciste, sans non plus promouvoir une vision idéaliste de lopération lectrice.

Dans le droit fil de la thématisation par Jack Goody, dans La Raison graphique (1979), de linfluence de la « technologie intellectuelle » quest lécriture sur les formes historiques de pensée, Maryanne Wolf étaye cette même intuition anthropologique dans le champ du neuro-développement individuel et de lévolution de lespèce. Une interrogation sur le rôle du médium de communication se résout ainsi par la mise en évidence dune causalité circulaire, où tout déterminisme est écarté au profit dune coévolution technologique et intellectuelle.

Outre cette interprétation épistémologique dune lecture aux confins du neuronal et du mental, le travail de Wolf nourrit les débats actuels sur leffet du numérique grâce à ladoption dune perspective à long terme.

Une telle mise à distance nous rappelle que la lecture en elle-même na rien déternel ni de nécessaire. De même, sa métamorphose actuelle nous met en face de sa contingence essentielle, contingence qui en fait toute la beauté. Elle en est aussi le danger : puisquelle est nôtre, acquise et non innée, il relève de notre responsabilité de la préserver et, au-delà, daccompagner librement et avec clairvoyance son devenir inconnu.

Maryanne Wolf est professeur et directrice du Centre de Recherche sur la Lecture et le Langage à lUniversité Tufts, près de Boston (MA, États-Unis). Ses principaux thèmes de recherche sont létude du « reading brain », du point de vue des neurosciences cognitives comme de la psycholinguistique comportementale, mais aussi le développement de lalphabétisation et la dyslexie. Louvrage qui la fait connaître, Proust and the Squid, est sur le point de paraître dans sa traduction française.

Ariane Mayer

Institut de recherche
et dinnovation (IRI)

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Nicholas Carr, The Glass Cage, W. W. Norton & Company, 2014, 288 pages, 22 euros, ISBN (13) : 978-1469292021.

Lœuvre de Nicholas Carr se construit autour de la critique de lautomatisation omniprésente et omnipotente de notre société. Il mène à bien cette charge grâce au concept de « cage de verre » idéalement illustré par létude du cockpit dun avion. Le pilote, disposant dune multitude dinstruments de navigation qui sont autant dinterfaces, se voit réduit au rôle dopérateur chargé de surveiller lautomate. Lenvironnement saturé dinformations transforme structurellement son savoir-piloter et le démunit progressivement de tout libre arbitre.

Dénonçant à travers cet exemple la fuite des compétences et des savoirs humains vers la machine, Carr interroge le paradoxe de notre aspiration prométhéenne : « Et si le prix à payer pour des machines qui pensent était des hommes qui ne pensent pas ? ». Greffé au cœur du processus de production, le traitement automatique des tâches destitue le travailleur de son savoir-faire métier. De la sorte, la notion de « cage de verre » réactualise le concept marxiste de prolétarisation : lautomatisation généralisée érode nos facultés cognitives et notre position dacteur autonome.

De fait, Carr juge que la déréliction du travail a précipité la perte des savoir-faire. Le taylorisme a structuré lusine mécanisée « dans laquelle louvrier et la machine se fondent en une parfaite unité de production étroitement contrôlée. » Les vagues suivantes dautomatisation perpétueront ce sacrifice « de compétences et dindépendance » du travailleur.

Devenue générale, lautomatisation saboterait in fine, selon Carr, la capacité de lindividu lui-même à se réaliser comme être singulier. Cet accomplissement se nourrit dexpériences et dapprentissages perpétuels. Construisant une « expertise », ils sont au-delà source de subjectivation. Ainsi, lautomatisation (artificielle) menace lautomaticité (naturelle), cette « automatisation intériorisée » qui « nous permet une rapide et inconsciente perception, interprétation puis action ».

Lexpérience Inuite, comme de nombreux cas décole relatés dans The Glass Cage, exemplifie cette passivité que lusage des dispositifs automatiques entraîne sur le système cognitif. En effet, la démocratisation du GPS a balayé les rites initiatiques de transmission du sens aigu de la navigation dont les Inuits disposaient jusquà peu, sens qui leur permettait de parcourir sans instrument la toundra glacée. Ces « maîtres de la perception » ont vu disparaître un savoir millénaire et quasi-instinctif en quelques générations.

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Notre dépendance à loutil saccroît. Lutilisateur lui fait démesurément confiance (automation complacency) et sen remet à sa réputation dinfaillibilité (automation bias). De la sorte, lobjet technique court-circuite notre expérience du monde au lieu dassurer une médiation entre lhomme et son environnement. Lextériorisation de fonctions, qui jusqualors sous-tendait lhominisation, semble se retourner contre elle.

Pour soutenir cette théorie, The Glass Cage sappuie principalement sur des analyses comportementales, des recherches en psychologie cognitive et neurosciences, des études des facteurs humains et de lergonomie. Malgré labondance et la qualité de ce corpus, on regrettera que le travail de Nicholas Carr évoque si peu les théories des penseurs contemporains de la technique. On pourrait penser en particulier à des accointances possibles avec les concepts dobjet et de médiation technique (Simondon), de système technique (Gille), dautonomie et dautoaccroissement de la technique (Ellul), de pensée organologique de lhumain dans son rapport aux systèmes automatisés (Stiegler), etc.

The Glass Cage pose néanmoins des questions éminemment pertinentes. Louvrage incite à repenser léquation homme-machine sous la forme dune symbiose et non dune relation maître-esclave, qui attise le clivage stérile opposant progressistes et luddites. Nicholas Carr invite donc à tendre vers une technologie émancipatrice dont la condition première est de revendiquer « nos outils comme des parties de nous-mêmes, comme des instruments dexpérience plutôt que des moyens de production ».

Nicholas Carr est un essayiste américain et ancien rédacteur en chef de la Harvard Business Review dans laquelle il a publié en 2003 son premier article “IT doesnt matter”. Depuis, il nous livre régulièrement son analyse de linfluence des technologies de linformation sur nos modes de vie. Après The Shallows en 2010, qui tente de comprendre comment lutilisation dInternet altère nos façons de penser, Nicholas Carr réaffirme avec The Glass Cage son statut de figure de proue du mouvement technocritique américain.

Maxime Arnaud,
Wilfried Arnaud,
Florian Harmand

Membres du collectif Controverse

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Jussi Parikka, The Anthrobscene, University of Minnesota Press, 2014.

Avec ce livre, annoncé comme prélude à un projet plus vaste (A Geology of Media, à paraître), Jussi Parikka cherche à dégager des alternatives dans la pensée de la matérialité des supports technologiques.

La notion dAnthropocène fonde lidée dune période géologique nouvelle ouverte par les effets de la technologie humaine sur lenvironnement. Cependant, pour Parikka, la seule analyse des conséquences de la technologie sur le biologique et le géologique est insuffisante. Une telle démarche sappuie en effet sur une opposition tronquée, Parikka considérant la Terre et ses souterrains comme étant au cœur de la technologie elle-même, à un point que lon ignore ou que lon refuse de prendre en compte. Dans cette perspective, la technologie nest pas une simple extension de lhumanité, elle est également un agrégat des matériaux bruts de la Terre.

À lappui de cette thèse, convoquant les prémisses de la Révolution industrielle (Novalis) comme la science-fiction de Conan Doyle, Parrika démontre que le xixe siècle percevait déjà la Terre comme un média, autrement dit comme un dispositif denregistrement. Mais la planète était également considérée comme une matière inorganique vivante, dont les pulsations (en anglais, throbs : on retrouve cette idéedans le mot Anthrobscene) participaient activement au processus dindustrialisation. Or, si jusquau milieu du xxe siècle nos sociétés fonctionnaient avec un nombre réduit de matériaux, elles dépendent aujourdhui de la puce électronique composée de 60 éléments distincts. Sa fabrication et son continuel remplacement requièrent des matériaux métalliques et chimiques toujours plus rares.

Pour penser ce bouleversement techno-géologique, Parikka sappuie sur la récente théorie des médias et notamment sur lidée de temps profond développée par Siegfried Zielinski. Promouvant une conception non-linéaire du progrès, le temps profond des médias est une archéologie de la relation entre les manières de penser, dentendre et de voir et les lignées techniques traduites dans les appareillages médiatiques. Cette démarche, Parikka veut encore lapprofondir afin de révéler la matérialité des supports. À travers lidée dun temps profond alternatif, il propose dobserver la rencontre entre lhistoire de la terre (et non plus seulement celle des pensées) et lhistoire des médias. Ce faisant, il condamne les rêves dimmatérialité et les tentations doubli du hardware.

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Ce dernier ne meurt pas : il est abandonné, oublié, et Parikka en appelle à une pensée du sous-terrain à lâge de lépuisement des ressources. Ce geste théorique apparaît essentiel alors que sest engagée une course à lénergie qui nest pas sans rappeler la Guerre Froide et que des investissements massifs sont réalisés dans lexploitation des fonds marins et des pays anciennement colonisés. Parrika dévoile ainsi la dimension géopolitique de lAnthropocène quengagent tout autant la gestion des déchets technologiques, toujours plus nombreux, et laccès aux ressources énergétiques. Lobscénité de lAnthropocène se caractérise selon Parikka par lignorance plus ou moins volontaire de ce qui palpite au cœur de cette nouvelle ère. La matérialité des supports technologiques fondant lAnthropocène repose en effet sur les profondeurs dun terrain malmené par lAnthropos. Combattre cette ignorance reviendrait alors à entreprendre une géologie des médias et à « creuser » un temps profond alternatif.

Un tel support conceptuel et méthodologique permettrait de faire le pont entre les études digitales et les matériaux métalliques et chimiques nécessaires au fonctionnement des médias digitaux.

Jussi Parikka est un théoricien finlandais des nouveaux médias. Il enseigne la Culture technologique et lEsthétique à la Winchester School of Art (Université de Southampton). Il est aussi titulaire dun doctorat en Histoire Culturelle de lUniversité de Turku (Finlande). Il a travaillé et écrit sur lart et la culture numériques ainsi que sur la théorie de la culture. Il est notamment lauteur de Insect Media : An Archaeology of Animals and Technology (University of Minnesota Press, 2010) et What is Media Archaeology ? (Polity, 2012). Il publiera en 2015 chez Minnesota University Press A Geology of Media dont The Anthrobscene est en quelque sorte lintroduction. Il est possible de suivre ses recherches à travers son blog : http://jussiparikka.net/.

Paul-Émile Geoffroy

Institut de recherche
et dinnovation

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A. Marie Petitjean et Violaine Houdart-Merot (dir.), Numérique et écriture littéraire. Mutations des pratiques, Paris, éditions Hermann, 2015, 176 pages.

Numérique et écriture littéraire est un recueil de huit articles qui, conformément à la promesse du sous-titre, proposent une analyse kaléidoscopique des « mutations des pratiques » quengage la généralisation des outils digitaux dans le champ littéraire. Mutations plurielles donc, que les contributeurs envisagent selon des expériences circonstanciées dont ils livrent une description critique rigoureuse. Si, selon le postulat de AMarie Petitjean, nous assistons à une « mutation de la société de lécrit en une société de lécriture », louvrage a ceci de particulièrement intéressant quil se désengage de toute posture a priori pour tenter une incursion dans la fabrique même de cette écriture. Il offre ainsi un terrain de réflexion concret sur les enjeux de production, de diffusion, de réception et de médiatisation du texte à lère digitale.

Lun des deux principaux axes dexpérimentation étudiées explore lusage du numérique au sein des ateliers décriture. Cette mise en perspective pédagogique est portée tour à tour par AMarie Petitjean, Marc Quantara, Romain Badouard et Julien Longhi. Elle permet dinterroger la spécificité réelle ou supposée du récit numérique grâce à des résultats détudes et de projets de « recherches-actions ». Ce panorama, tout empirique quil soit, révèle les potentialités comme les difficultés quengagent la production sous contraintes de fictions, en particulier via Tweeter, la modification de la relation professeurs/étudiants ou la gestion dun auteur collaboratif. Au-delà de la mise en œuvre de cette technicité particulière, les pratiques étudiées révèlent lenjeu politique que sous-tend la maîtrise des outils informatiques par des publics pluriels. Car, avec elles, paraît émerger une culture distincte de celle de « lécrit » traditionnel – émergence qui questionne non seulement le texte lui-même mais également sa reconnaissance et sa prise en charge par linstitution au sens le plus large du terme.

Les contributeurs saccordent sur ce point : lautorité de lauteur unique est ébranlée par la mise en œuvre dun processus décriture dautant plus prégnant quil mobilise des éléments sémiotiques excédant la lettre elle-même, éléments qui plus est engagés dans une discrétisation radicale dont la maîtrise nappartient plus strictement au scripteur. Lanalyse de 303la place des auteurs « de profession » et de leur production au sein de la sphère digitale, qui fait le second axe de réflexion de louvrage, propose précisément une appréhension dialectique de ce processus novateur. Cette réflexion conjure toute opposition radicale entre tradition et « modernité » pour mettre au cœur de son propos à la fois la relation du lecteur au texte et à lauteur et les ressorts proprement fictionnels de lécriture en général et de lécriture numérique en particulier.

Le dynamisme que le numérique offre à lécriture lui confère une plasticité riche en potentialités. Ainsi, le lecteur, au fil de parcours digitaux conçus comme une installation plastico-littéraire, peut être appelé à produire lui-même un texte ainsi que lanalyse Isabelle Garron et Isabelle Daltouche. À linverse, grâce à des outils tels que Facebook, Tweeter, les sites internet ou les blogs, les auteurs ont la possibilité de sengager dans une procédure de médiatisation, voir de mise en œuvre dune véritable politique éditoriale alternative. Brigitte Chapelain et Pierre-Louis Fort offrent un panorama de ces stratégies, dont les plus affirmées, entendues comme des actes de résistance, bouleversent pour le moins le statut du texte créatif.

Toutefois, cette interactivité du récit est-elle fondamentalement novatrice ? Luc DallArmellina met à mal cette tentation de la nouveauté radicale démontrant que, de longue date, de nombreux auteurs, au premier rang desquels Marc Saporta, Julio Cortázar ou Michaël Joyce, ont mis en place des dispositifs narratifs jouant de laléatoire. Soit par jeu avec un support matériel, soit par exploitation des ressources stylistiques de lécriture elle-même, la littérature sait déjà, avec la complicité du lecteur, combiner des fragments et rendre sensible la réversibilité des intrigues. Le digital lui offre une chance de déployer totalement cette possibilité ainsi que lillustre parfaitement Un roman de réseau dont Laurent Loty relate lhistoire éditoriale. Cette fiction romanesque de Véronique Taquin a précisément pour sujet les relations purement digitales. Mariant la forme épistolaire – rompue par la tradition – et le modèle du roman par épisodes cher au xixe siècle, Véronique Taquin produit une poétique de lambigu : au jeu didentité des personnages qui se cachent derrière des pseudos sajoute les réactions des lecteurs plus ou moins « experts », plus ou moins prolixes. Il en résulte un texte proprement réticulaire, qui transite de Médiapart à lédition la plus classique, esquissant ce que pourrait être lécriture numérique de demain. Finalement toute une littérature. 304Car, au-delà de la mécanique de cette œuvre toute particulière, « Un roman de réseau fait voir comment toute réalité humaine, numérique ou non numérique, est médiatisée par limaginaire ».

A. Marie Petitjean est maître de conférences en langue et littérature françaises à luniversité de Rouen. Ses travaux portent sur la comparaison internationale des cursus de formation à lécriture créative et se sont développés dans le cadre du CRTF de luniversité de Cergy Pontoise.

Violaine Houdart-Merot est professeure de littérature de langue française à luniversité de Cergy Pontoise. Ses recherches portent sur la culture littéraire et sa transmission, les processus de création littéraire et les littératures française et francophones contemporaines.

Daphné Vignon

Université de Nantes

LAMo, EA 4276