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Classiques Garnier

Les contraintes du verbal

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Étude sur la langue romanesque de Victor Hugo. Le partage et la composition
  • Pages : 209 à 210
  • Collection : Études romantiques et dix-neuviémistes, n° 48
  • Série : Hugo, n° 1
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812433382
  • ISBN : 978-2-8124-3338-2
  • ISSN : 2258-4943
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3338-2.p.0209
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/04/2015
  • Langue : Français
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Dans leur étude sur la langue littéraire telle quelle se développe de 1850 à 20001, Gilles Philippe et Julien Piat expliquent que la deuxième partie du xixe siècle marque le divorce de la langue littéraire et de la langue commune : dans limaginaire de lépoque, sinstaure le credo que le français ne serait pas une langue adaptée à la création littéraire. Alors quau xviiie siècle cest plutôt linadaptabilité du français au rythme poétique, pensé sur le modèle du vers latin, qui pose problème, lidée dune distinction entre langue commune et langue littéraire émerge au début du xixe siècle2.

Remontant au xviiie siècle, lidée que le caractère du français nest pas bien adapté à lexpression littéraire se poursuit au xixe, où elle trouve de nombreux échos, prenant la forme dune doxa qui justifiera lidée moderniste que lécrivain ne peut écrire que dans une « autre langue » voire en se préservant de la langue commune, comme cest le cas chez un Mallarmé. Ce nest pas la position de Hugo, qui ny voit pas une loi générale de la langue, mais le simple retour du dogme classique de la clarté du français. On le sait, cest contre ce dernier quil a construit son esthétique à partir de la Préface de Cromwell. Il y oppose la « correction de surface » du français classique, que « tient en laisse la grammaire » et la « correction intime, profonde, raisonnée, qui sest pénétrée du génie dun idiome, qui en a sondé les racines, fouillé les étymologies » grâce à quoi « elle peut oser, hasarder, créer, inventer son style3 ». Ce postulat selon lequel une « langue ne se fixe pas » se trouve réaffirmé au moment de lexil avec une portée nouvelle. Sous le Second Empire, la classe dominante cherche dans le retour aux règles classiques une manière dasseoir sa légitimité et trouve dans lutopie du français comme langue nationale un nouveau mode de contrôle politique4.

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Hugo se refuse à en prendre acte : la langue nexiste pas en dehors des individus qui la font, au premier rang desquels le génie créateur, dont le rôle nest pas seulement de refléter léclat dun idéal, mais de contribuer à la formation dune matière historique. Car la langue pour Hugo nest ni un système, ni un outil, mais bien un matériau, avec ses propriétés spécifiques.

À côté des règles de la grammaire officielle et des idéaux de la langue littéraire, Hugo choisit une troisième voie, celle des contraintes de la langue de tous. Nul besoin en ce sens de faire la guerre aux structures linguistiques5 ; il suffit, résistant à lépuration grammaticale, de retrouver le principe de sa formation populaire, en faisant résonner lécho étymologique qui relie langue romane et langue romanesque. Selon le principe du bricolage révolutionnaire qui, comme lexplique David Charles6, consiste à faire du retournement de lobstacle le principe même du progrès, Hugo se concentre alors tout particulièrement sur trois types de contraintes du langage verbal, lisibilité, signification et forme.

1 La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, dir. G. Philippe et J. Piat, Paris, Fayard, 2009.

2 « Benjamin Constant écrit encore Adolphe dans le même style, la même “langue” que celle quil emploie pour son journal et ses lettres à Germaine de Staël, non Chateaubriand, qui nécrit pas Atala comme il écrit à Fontanes. Chateaubriand dans son œuvre littéraire nécrit pas seulement mieux que le commun des hommes, il écrit autrement, jargonne une langue étrangère », comme lexplique Claude Millet (« Le jargon romantique », art. cité).

3 PC, p. 30.

4 Voir Jacques-Philippe Saint-Gérand, « Langue et langages du xixe siècle », Nouvelle histoire de la langue française, dir. J. Chaurand, Paris, Seuil, 1999, p. 379-504.

5 Cest en ce sens quon peut comprendre le célèbre vers des Contemplations, rhétorique et syntaxe renvoyant, par métonymie, aux règles du bon goût classique pour la première et à lorganisation plastique de la langue pour la seconde.

6 La Pensée technique dans lœuvre de Victor Hugo, Paris, PUF, 1997.