Aller au contenu

Classiques Garnier

Entre « maladie naturelle de [l’]esprit » et « passion studieuse » curative Polysémie de la « curiosité » dans les Essais

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Éthique, politique, religions
    2021 – 2, n° 19
    . varia
  • Auteur : Martic (Rebekka)
  • Résumé : À travers le double prisme de la maladie et de la cure, cet article réinterroge les équivoques de la « curiosité » sous l’angle moral, comme élément de la crise des valeurs héritées ; politique, comme maladie contagieuse et délicieuse en temps de « troubles » ; anthropologique, comme condition naturelle et originelle de l’homme ; médical, comme symptôme de morbidité et de vitalité mentale ; et épistémologique, comme expérience des limites et des possibilités dans un monde en perpétuel mouvement.
  • Pages : 59 à 77
  • Revue : Éthique, politique, religions
  • Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
  • EAN : 9782406126232
  • ISBN : 978-2-406-12623-2
  • ISSN : 2271-7234
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12623-2.p.0059
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 15/12/2021
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : curiosité, polysémie, cure, antipéristase, passion, hybris, irrésolution
59

Entre « maladie naturelle de [l]esprit » et « passion studieuse » curative

Polysémie de la « curiosité » dans les Essais

Empreint de la « menace de la démesure1 » que la prolifération de livres imprimés, la circulation croissante de textes anciens, la multiplication de points de vue religieux et lexploration du Nouveau Monde font planer sur lécriture, le mouvement antipéristatique2 de la pensée montanienne travaille les multiples facettes contradictoires de la « curiosité ». Sa richesse sémantique et sa réversibilité axiologique ont souvent été escamotées par les critiques qui, à force de priviléger les définitions modernes au détriment des sens rattachés à létymon latin cura, diparus à présent, tels que « souci, soin3 », « zèle », « minutie », « attention au détail4 », « recherche5 », « diligence6 », « inquiétude7 », « sollicitude » et « anxieté8 », lont traitée comme une catégorie étique9 et en ont 60présupposé la cohérence, voire limmuabilité conceptuelle10. Afin de voir comment Montaigne problématise les dynamiques ambivalentes de la curiosité, métaphorisée comme maladie ou cure, elle doit donc être étudiée en tant que catégorie émique, propre à la manière dont il la ploie dans toute sa plasticité.

À la fois tourment et plaisir, cupidité et marque de générosité, humeur et complexion, opinion et volonté de savoir, habitus honestus et irrespectueuse pulsion indiscrète11, la curiosité transgresse constamment les limites définitionnelles que lon voudrait lui fixer. Cette ambiguïté structurelle quil convient de lire comme partie intégrante du penchant montanien à procéder « sans definition sans partition sans conclusion trouble12 », a fait couler beaucoup dencre ces dernières années13. Dune part, Montaigne se lance dans une critique violente de cette irrésistible pulsion fiévreuse et hubristique, telle quelle a été épinglée par la tradition philosophique et patristique, et la blâme aussi bien comme marque de pernicieuses errances dun esprit tombé dans le piège de loptimisme gnoséologique que comme source dinstabilités sociales et 61politiques. Dautre part, cet auteur qui étudie tout – ce quil lui faut fuir autant que ce quil lui faut suivre14 –, ouvre son dernier chapitre, à linstar de la Métaphysique dAristote, avec le constat qu« [i]l nest desir plus naturel que le desir de connoissance15 » et semble reconnaître une dignité propre à la « naturelle curiosité16 » qui, de même que les autres dons de Nature, ne mérite dêtre ni refusée, ni annulée, ni défigurée17. Estimant que de nos « maladies la plus sauvage18 » est de mépriser notre être, il envisage la curiosité, si on en use à propos, comme une nécessité ontologique face à la « branloire perenne19 » du monde, et un remède efficace contre les maladies les plus calamiteuses de son temps.

Afin dexpliquer le statut paradoxal de la curiosité dans les Essais, Françoise Charpentier a proposé une hypothèse évolutive, selon laquelle le Bordelais partirait des positions traditionnelles qui condamnent la curiositas, pour détourner ensuite les sentences quil trouve dans ce matériau doxographique et se les approprier, de manière à passer du réquisitoire contre la curiosité à son apologie20. Daprès Nicola Panichi, ce mouvement de la pars destruens à la pars construens lui aurait permis daffiner la notion dignorance, décarter le discours sur la curiosité de la controverse religieuse et de léloigner de lenquête savante, au point den faire le stimulus de son esprit et le moteur de létude de soi21. La critique sest alors demandée dans quelle mesure Montaigne faisait partie des penseurs dits « modernes » qui ont légitimé le droit à une curiosité intellectuelle dissociée de toute préoccupation du salut22. Selon Philippe Desan, il distingue la sphère publique de la sphère privée, où la curiosité 62est « un mode opératoire pour sobserver [] soi-même23 », solidaire de lexercice du jugement, et donc essentielle à sa démarche d« essayiste24 » qui lui fait tempérer sa curiosité par lindécision et ne chercher des vérités que pour soi. Au-delà du privé, cette passion devient symptôme de la maladie du dogmatisme, lorsquil sagit de se vouloir résoudre, et de généraliser ses découvertes au détriment du statu quo social et politique25. Tandis que cette lecture insiste sur les qualités méritoires de lirrésolution au point den mettre à lécart les connotations négatives, lhypothèse de Charpentier présente linconvénient dun présupposé téléologique qui cache que Montaigne adopte simultanément des attitudes radicalement différentes à légard de la curiosité, et que son va-et-vient entre lopinion commune et des positions hétérodoxes introduit des perturbations dans la logique du texte, qui sont, selon Terence Cave, caractéristiques des « troubles épistémologiques26 » au seuil de la Modernité. Cependant, ces deux études critiques ont incité à sinterroger sur lapport du Bordelais à la réévaluation de la curiosité dun vice traditionnel en une vertu probable de lesprit humain, qui a, comme on le sait grâce à Neil Kenny, profondément marqué la culture européenne du xviie siècle27.

La curiosité, soin pestilentiel
et agent causal de la maladie du temps

Encore que Montaigne déclare explicitement ne pas se situer en théologien, il épouse à maintes reprises la tonalité des Pères de lÉglise. Ainsi 63il sappuie sur la distinction augustinienne entre sapientia et scientia, la connaissance de choses divines et de choses humaines28, lorsquil appelle la curiosité, conformément au goût de lépoque pour les définitions étymologisantes, un « soing de saugmenter en sagesse & en science29 ». Se confondant avec lorgueil, cette cure néfaste, dont il sait que « [l]es Chrestiens ont une particuliere cognoissance, combien elle est un mal naturel & originel en lhomme30 », est la « premiere ruine du genre humain, [] la voye, par où il sest precipité à la damnation eternelle31 », et, comme dans la doctrine de Clairvaux, qui en a fait le premier des douze degrés de la superbia32, « sa perte & sa corruption33 ». « [P]este de lhomme34 », « premiere tentation qui vint à lhumaine nature de la part du diable35 » et « sa premiere poison36 », lopinion de savoir, crime de lèse-majesté divine que lHippone condamne sous le nom du péché de lambitio saeculi37, devient sous la plume de Montaigne le corrélat intime de la curiosité qui traîne, comme la subtilité et le savoir, « la malice à [sa] suite38 ». Tare héréditaire du genre humain et opératrice de morbidité, la curiosité est le symptôme de la présomption malvenue de lhomme sans foi. Si lauteur peint la curiosité sous forme dun venin de la malveillance et de cette épidémie délétère quest la peste, il puise dans limagerie de lessai « De la curiosité » de Plutarque39, où la curiosité (polypragmosunè) apparaît sous les traits dun « serpent venimeux [qui] se nourrit & tient tousjours en lieux pestilens40 » pour trouver « ruines dhommes, pertes de bien [et] corruptions de femmes41 ». Tout en 64empruntant au Chéronéen lassociation entre curiosité, perte, ruine et corruption, Montaigne la situe dans le registre augustinien qui tisse des liens indissociables entre curiosité et présomption42. Cette affinité est explorée notamment dans un passage du « Discours à la Royne » de Ronsard, où est évoquée limage de Jupiter, qui,

[] faché contre la race

Des hommes qui vouloient par curieuse audace

Envoyer leurs raisons jusquau Ciel, pour sçavoir

Les haults secrets divins que lhomme ne doit voir

Un jour estant gaillard choisit pour son amye

Dame Presomption, la voyant endormie

Au pié du mont Olympe, et la baisant soudain

Conçeut lOpinion, peste du genre humain43.

En plus de recopier ce dernier vers quasiment ad verbum dans l« Apologie », Montaigne fait sienne la teneur de cette attaque virulente du poète contre la « prétention protestante à la raison indépendante44 », quand il distingue les « esprits simples, moins curieux & moins sçavansinstruits45 » dont se font de « bons Chrestiens46 », des esprits médiocres où « sengendre lerreur des opinions47 ». Ni ignorants des lettres ni sages clairvoyants, ces « mestis » sont « dangereus ineptes importuns48 », parce quils ne suivent que « lapparence du premier sens49 ». Cette allusion à la pratique protestante de suivre le texte sacré ad litteram, fait de la curiosité lapanage du mauvais chrétien et la sœur germaine de lorgueil qui nous « fait embrasser les nouvelletez, & aimer mieux estre chef dune trouppe errante, & desvoyée au sentier de perdition, aymer mieux estre regent & precepteur derreur & de mensonge, que destre 65disciple en leschole de verité, se laissant mener & conduire par la main dautruy à la voye batuë & droicturiere50 ». La réprobation de la curiosité ressortit dune méfiance foncière envers toute force innovante dans le domaine politique et religieux, dautant que sur le plan rhétorique, trois polyptotes (perte/perdition ; désvoyée/voye ; errante/erreur) accentuent de manière efficace le danger posé par les « voyes extravagantes51 ». La curiosité devient donc en tant que signe de la présomption, cette autre « maladie naturelle & originelle52 » de lhomme, lagent causal de la maladie du temps53.

Et pourtant, lauteur avoue succomber à sa tentation pour voir de ses propres yeux « ce notable spectacle de nostre mort publique, ses symptomes et sa forme54 ». Le sensationnalisme qui pousse lhomme à assister aux spectacles trahit selon Augustin55 la cruauté morbide de la concupiscentia oculorum qui porte principalement sur les « choses fâcheuses et désagréables56 », comme des cadavres déchiquetés57. Certes, le plaisir que Montaigne éprouve à « esveiller [son] desplesir58 » face à ces pitoyables « jeus tragiques de lhumaine fortune59 », est un exemple parfait de cette « aigre-douce poincte de volupté maligne60 » que lhomme ressent à voir dans la souffrance de lautre les maux qui lépargnent61. Mais vu que le spectacle ne satisfait Montaigne que dans la mesure où il linstruit sur lagonie du corps social, il finit pourtant par renverser léthique augustinienne, où la curiosité du spectacle est définie par opposition à lédification.

66

La curiosité, fléau de notre âme

En revanche, dans « De la Presumption », le curieux est lérudit ridicule : « Ces gens, qui se [] perchent à chevauchons sur lepicycle de Mercure62 », et qui ignorent que « la cognoissance de ce que nous avons entre mains, est aussi esloignée de nous, & aussi bien au dessus des nues, que celle des astres63 », amènent lauteur à corroborer sa critique par un argument dautorité : « [l]a curiosité de connoistre les choses à esté donnée aux hommes pour fleau, dit la sacrosaincte parole64 ». Nous entraînant « à mettre le nez par tout65 », elle est un châtiment divin, une calamité qui sabat sur nous afin de nous tourmenter. La transposition dune sentence de lEcclésiaste que Montaigne a fait peindre sur la deuxième poutre à lentrée de sa bibliothèque, le lui rappelle, comme une mise en garde contre la démesure, chaque fois quune « cupidité [l]espoinçonne66 à lestude des livres67 » : « Cognoscendi studium homini dedit Deus eius torquendi gratia68 » (« La recherche passionnée du savoir : une torture que Dieu a infligée à lhomme »). Mais torquere signifie aussi bien « torturer » que « mettre à lépreuve », sens que lauteur na certainement pas ignoré, vu quil est compris dans exagium, létymon du mot essai. Une analogie céréalière69 du chapitre ii, 12 élucide dans quelle mesure la curiosité constitue une épreuve divine :

Il est advenu aux gens veritablement sçavans ce qui advient aux espics de bled : ils vont seslevant & se haussant la teste droite & fiere tant quils sont vuides, mais quand ils sont pleins & grossis de grain en leur maturité, ils commencent à shumilier & à baisser les cornes. Pareillement les hommes ayant tout essayé & tout sondé, nayant trouvé en tout cet amas de science & provision de tant de choses diverses, rien de massif & de ferme, & rien 67que vanité, ils ont renoncé à leur presomption, & reconneu leur condition naturelle70.

Ce passage qui fait écho à une maxime cusanienne71, suggère que la sentence de sa bibliothèque prend un autre sens lorsque la polysémie du mot « fléau » est prise en compte : si les vrais sages reconnaissent leur ignorance congénitale en baissant leurs têtes comme les épis de blé mûrs, et si la curiosité est la flagelle qui bat lâme humaine comme le blé pour séparer le bon grain de livraie, lépreuve consisterait à voir si lhomme, dans sa quête de connaissance, se décide pour la présomption ou la voie de lhumilité qui suppose une « forte et genereuse ignorance72 ». Les curieux « mestis » qui continuent à s« outrecuider » au lieu de guérir de lignorance en la confessant73, sont tourmentés, flagellés par leur opinion74 et font, en tant que fruits immatures, partie de livraie. De ce fait, la curiosité nest pas forcément une punition pénible, mais peut aussi être lue comme une épreuve qui fait appel à la conscience des limites épistémologiques posées par notre condition naturelle.

Et pourtant, cette « complaisance voluptueuse qui nous chatouille par lopinion de science75 », ne cesse de nous lancer dans dinfinies « inquisitions et contemplations philosophiques76 », qui nont, comme lobserve Emmanuel Naya, quune « vocation “alimentaire”, vitale pour le régime dun esprit marqué par la vanité77 », lincoercible désir dinterpréter78 ou le besoin de « samuser79 ». Alors quil est à peine « en son pouvoir par sa condition naturelle, de gouter un seul plaisir entier & pur80 », lhomme se met à corrompre par son « attouchement infect81 » les choses belles et bonnes. Indispensable pour former une « teste bien faite82 », et pourtant 68située aux antipodes de ce « dous et mol chevet et sain » de « lignorance et [] incuriosite83 » qui lui sert de repos, la curiosité est un véritable Janus bifrons84. Lincuriosité devient synonyme du comble de la sagesse, car le germe de la naturelle curiosité risque sans cesse de devenir pathogène par contamination avec la gloire, cet autre fléau de notre âme qui, en « nous defan[dant] de rien laisser irresolu & indecis85 », nous fait oublier que nous ne sommes que « nais à quester la vérité86 », et non à la posséder.

Alors même que Montaigne paraît souvent enclin à partager les idéologèmes théologiques sur la curiositas, ses renvois explicites à la perspective « des Chrestiens » ou à la Bible peuvent aussi être lus comme une prise de distance avec la doxa. Jamais pénétré par la dimension sotériologique de la diatribe augustinienne, il se soucie moins de lhonneur de Dieu, que du potentiel de la curiosité de nuire à lhomme quil croit « [i]ncapable de moderation87 ».

La misère de linsatiable caméléon

La curiosité épistémophile pose la question de la mesure, justement parce quelle est, comme la curiositas thomasienne, un « immoderatus appetitus sciendi88 » : « Quoy que ce soit qui tombe en nostre connoissance & jouïssance, nous sentons quil ne nous satisfaict pas, & allons beant apres les choses advenir & inconnuës89 », car tout ce qui appartient au hic et nunc est saisi « dune prise malade & desreglée90 » qui nous fait « embrasse[r] plus qu[e nous] ne p[ouvons] estreindre91 » et nous détourne de nous-mêmes : « Regardez dict chacun, les [] branles du ciel, regardez au public, à la querelle de cestttuylà, au pouls dun tel, 69au testament de cet autre, somme regardez tousjours haut ou bas, ou à costé, ou devant, ou derriere vous92 ». Ce polypragmonein, maladie propre à lhomme qui se décentre de soi, est une agitation spontanée, une insatisfaction avec soi-même, et une distraction sans orientation ni objet spécifique. Linsatisfaction pathologique de cet « estre insatiable, vagabond et versatile93 » quest lesprit, résulte de lirrésolution de lappétit humain qui « mesprise & outrepasse ce qui luy est en main, pour courir apres ce quil na pas94 ». Si « [n]ous ne pensons ce que nous voulons, quà linstant que nous le voulons, & changeons comme cet animal, qui prend la couleur du lieu, où on le couche95 », le caméléon nexprime pas, comme chez Pic de la Mirandole96, la nature indéfinie de lhomme qui peut, par son libre arbitre, se façonner à sa guise, mais linfinie passivité de sa condition, car sa volonté même est soumise aux intempérances de son appétit capricieux. Lirrésolution apparaît donc empreinte dambiguïté – tantôt positive quand elle est une forme de doute passivement subi par lhomme qui conduit à remettre en question les vérités reçues et à pallier les tendances malsaines de la curiosité, tantôt négative quand elle est une forme de « paralysie de la raison97 » qui vient de lagitation vaine de lesprit et devient signe clinique dune vicieuse curiosité. Cette ambiguïté confronte lauteur au paradoxe du célèbre précepte de Lucain98 : comment, par rapport à cette curiosité et irrésolution naturelles en nous, faudrait-il concilier limpératif de régler ses actions et le principe de suivre la nature ?

Or, léternel inassouvissement de la curiosité est aussi une maladie de la civilisation moderne : « Jay peur que nous avons99 les yeux plus grands que le ventre [] et plus de curiosité, que nous navons de capacité100 », écrit Montaigne au début du chapitre i, 31, en faisant de lhumanité la synecdoque toto pro pars des explorateurs du Nouveau Monde. Linsatiabilité de notre curiosité, trouvant son corrélat dans linfinité 70dun « païs » qui soffre dorénavant à nos yeux101, linquiète, car elle nous fait oublier « combien [est] chetive & racourcie [] la cognoissance des plus curieux102 », et que dans un monde en « continuelle mutation & branle103 », il nous « eschappe cent fois plus, quil n[e] vient à nostre science104 ». Lhomme qui, de même quon le pensait – certes dans un sens moins figuré que littéral – des caméléons, ne se nourrit que de vent105, devrait se modeler sur lincuriosité des bêtes106 qui « montrent assez combien lagitation de nostre esprit nous apporte de maladies107 ». Ou bien encore l« admirable simplicite et ignorance108 » des Tupinambas, dont la vie se passe en toute « tranquillite et serenite109 », lui devrait servir dexemple. Même si Montaigne les croit curieux par nature110, ils sont « descharge[s] de toute passion111 », dautant quils ont « receu fort peu de façon, [sic] de lesprit humain & [sont] encore fort voisin[s] de leur naifveté originelle112 ». En revanche, de « limpression de lopinion, & science que nous pensons avoir des choses113 » naissent non seulement « la crainte, lavarice, lenvie, les desirs immoderez, lambition, lorgueil, la superstition, lamour de nouvelleté, la rebellion, la desobeissance, lopiniatreté », mais aussi « la pluspart des maux corporels114 ». Le physique et le psychique se trouvant liés par une « estroite cousture115 », « les excez fievreux de [l]esprit116 » dogmatiquement curieux saccompagnent forcément de linquiétude corporelle et de la souffrance117.

71

Mus in pice

De plus, la curiosité est une menace de folie et de mélancolie. Si lesprit du Tasse se trouve « en si piteux estat118 » lorsque le Bordelais rencontre le poète autrefois ingénieux et judicieux à Ferrare119, ne le doit-il pas « à la curieuse & laborieuse queste des sciences, qui la [sic] conduit à la bestise120 » ? Partant du rapport constamment réversible entre sagesse et folie, Montaigne fait ressortir la fragilité de nos facultés mentales par lidée qu« il ny a quun demy tour de cheville121 » à passer du génie à la frénésie. Bien quil ny ait « [a]ucune eminente & gaillarde vertu [] sans quelque agitation desreglée122 », loxymore « vivacité meurtrière123 » illustre pourtant la contiguïté invisible entre « les gaillardes elevations124 » dun esprit libre et sa soudaine déperdition en pleine élévation, entre vitalité et hébétude, mesure et démesure. La curiosité fait basculer lexcellence de lesprit en bêtise, sa vertu extraordinaire en vice ordinaire, sa souplesse en lourdeur, son acuité en aveuglement et son agitation et allégresse en trouble et torpeur. « [Q]ui acquiert science », sait Montaigne de lEcclésiaste, « sacquiert du travail & tourment125 » et qui sélève trop haut, se brûle et entraîne, à linstar dIcare, sa propre chute. Là où lhomme quête curieusement et laborieusement, il va, comme le dit une autre sentence de sa bibliothèque, « erre[r] dans les ténèbres, aveugle [parce quil] ne peut discerner le vrai126 ». Il en va de même de la jalousie : « La curiosité est vicieuse partous, mais elle est pernicieuse icy127 », car dès que lhomme cherche à s« esclaircir dun 72mal, auquel il ny a pas de medecine128 », il sombrera dans la folie. Toutefois, qui se châtie pour vaincre le vice inhérent à la curiosité agit comme ces médecins qui, en cherchant à « guarir le mal par le mal129 », importunent plus leurs patients par les remèdes que ne fait la maladie. Sopposant au retranchement de nos voluptés naturelles130, lauteur croit que plus on sen abstient par art, plus on les cultive, car « [n]ous defendre quelque chose cest nous en donner envie131 ».

Fort conscient du nombre dhommes qui se sont « abestis par temerere avidite de sciance132 », Montaigne se prémunit contre une application immodérée à létude en laissant libre cours à son esprit « primsautier133 » et compare létude à la chasse, où il faut se garder de dépasser les « derniers limites du plaisir [] ou la peine commence à se mesler parmy134 ». Dans un monde perçu comme « escole dinquisition135 », se conduire mal à la chasse nest pas « faillir à la prise136 », mais ignorer limpossibilité de la capture. Lanecdote de Démocrite qui, pour ne pas se priver de son plaisir cynégétique et de sa fébrilité mentale, continue à chercher la cause de la douceur de ses figues quoiquon lui en ait déjà révélé le secret, illustre bien que cette « passion studieuse, qui nous amuse à la poursuite des choses137 » est essentielle à la vitalité de lesprit, car la chasse vaut dabord pour elle-même, sans quelle soit subordonnée au progrès dune connaissance. Mais la curiosité devient un obstacle au bien-être, lorsque « [l]es hommes mescognoissent la maladie naturelle de leur esprit138 », qui

ne faict que fureter & quester,. &Et va sans cesse, tournoiant, bastissant, & sempestrant en sa besongne, : comme nos vers de soye, : & sy estouffe : 73mMus in pice. Il pense remarquer de loing, je ne sçay quelle apparence de clarté & verité imaginaire, : mais pendant quil y court, tant de difficultez luy traversent la voye, dempeschemens & de nouvelles questes, quelles lesgarent & lenyvrent139.

Tant que lhomme se laisse aveugler par la lumière trompeuse de la science, son esprit restera « [u]ne souris dans la poix140 » qui senfonce à proportion de ses efforts. Aux prises avec la curiosité épistémophile, lesprit devient « fureteux », car à limage des perpétuelles virevoltes des vers à soie, il va ça et là, parcourant divers sens. Mais alors que ceux-ci « produi[sent] un papillon, & de là un autre ver141 », il est ce papillon qui, attiré par la lumière, se précipite dans la flamme142. De cette maladie naturelle de lesprit à la « maladive curiosité143 » dEudoxe qui, pour voir une fois le soleil de près, risque dêtre brûlé, il ny a quun pas infime. Aussi consanguines semblent la « vivacité meurtrière » de lesprit du Tasse et la « volonté meurtrière » de lastronome. La curiosité débride lesprit en le lançant dans une fiévreuse course fatale, quitte à en faire un être à part entière, doté de mains (il « basti[t] »), de pieds (il « court ») et même dune faculté intellectuelle propre (« pense remarquer »). En dépit de cette anthropomorphisation, lesprit reste « un corps vain [] divers & difforme144 » auquel il est « malaisé d[e] joindre lordre & la mesure145 » ou de donner bornes, car « il est curieux & avide, & na point occasion de sarrester plus tost à mille pas qua cinquante146 ». Comment lhomme peut-il donc apprendre à se construire ses propres confins, même si sa curiosité le fait « estend[re] lutilité du sçavoir autant quest sa matiere147 » ?

74

La curiosité comme cure de soi

Afin détouffer le pouvoir pathogène de la curiosité dans lœuf, le Bordelais suit la proposition de Socrate den faire un outil dintrospection. Cest ainsi que le chapitre iii, 9 se clôt sur une formulation remarquable du commandement de Delphes, indispensable pour connaître ses maux et sen délivrer148 : « Regardez dans vous, reconnoissez vous, tenez vous à vous, : vostre esprit, & vostre volonté qui se consomme ailleurs, ramenez là en soy149 ». Sadressant à nous avec une urgence qui signale le péril dune irrémédiable perte ontologique, Montaigne, quant à lui, « replie [s]a veue au-dedans150 », « [s]e roulle en [s]oy mesme151 », « [s]e recherche jusques aux entrailles152 », en ayant « les yeux incessamment tendus sur [s]oy153 », et rend « si continuellement, si curieusement154 » compte de soi, que sa curiosité devient, conformément à lexhortation antique epimele seautou, une véritable cure de soi. Or, lexploration de soi lui révèle trois paradoxes du gnothi seautou : premièrement, que la découverte de la richesse de formes diverses en lui-même ne lui apprend que combien il lui reste à apprendre ; deuxièmement, que « plus [il s]e hante & [s]e connoi[t]155 », plus il découvre sa monstruosité, et moins il se comprend ; et troisièmement, quil ne se trouve pas là où il se cherche, ou, voudrait-on ajouter, par une curiosité nonchalante plutôt que par une curiosité inquisitive156.

Le deuxième garde-fou157 contre la curiosité délétère est de limiter létude aux matières « utiles158 ». Lhistoire peut certes être le ressort dune vaine curiosité lorsquelle ne consiste quà remplir la mémoire, mais 75aussi bien « de fruit inestimable159 » quand on cherche à « converser » avec le passé160, comme Montaigne, qui a « une singuliere curiosité [] de connoistre lame & les internesnaïfs jugemens de [s]es autheurs161 ». Soucieux de cerner lhomme derrière lauteur, il cherche à connaître leurs « humeurs privées162 », notamment pour « mirer [s]a vie dans celle dautruy163 ». Ce nest quà travers ce regard réflexif que le rapport dialectique entre extrospection curieuse et introspection studieuse peut être assoupli et que létude du monde, « [c]e miroüer, où il nous faut regarder, pour nous connoistre de bon biais164 », devient fructueuse. Alors même que voyager témoigne dinquiétude et dirrésolution165, parcourir le monde participe à la formation de léthique du sujet, si son âme y est continuellement tenue de « remarquer des choses incogneuës & nouvelles166 », et son « corps ny est ny oisif ny travaillé167 ». Le goût pour le nouveau et linconnu nest plus un symptôme alarmant, car en saccordant au rythme de la « moderée agitation168 » du corps, lesprit du pérégrin curieux trouve le juste milieu entre les deux pôles extrêmes du travail et de loisiveté, les conditions de possibilité pour que la pernicieuse libido sciendi se développe. De cette inquiétude tempérée, principe vital de la saine curiosité qui laisse lâme du voyageur goûter la « perpetuelle varieté de formes de nostre nature169 », se tire une « merveilleuse clarté pour le jugement humain170 », si lhomme va « frotter et limer [sa] cervelle contre celle dautruy171 », cest-à-dire se laisser « corriger avec soin172 » au contact de lautre, afin de « reconnoistre son imperfection & sa naturelle foiblesse173 ». L« honeste curiosité174 », coïncidant avec 76une attitude « enquesteuse non resolutive175 », est sans limite : même « [l]a sottise [] & foiblesse dautruy176 » servent à former lesprit. Ce nest donc plus la matière qui détermine pour Montaigne si une curiosité est futile ou utile, vaine ou saine, mais la manière dont le curieux regarde et appréhende ses objets. La curiosité de celui qui sait se conformer à sa condition naturelle – à savoir dêtre homo quaerens plutôt quhomo sapiens – revêt une fonction thérapeutique et prémunit contre la tendance à avoir « la veuë racourcie à la longueur de nostre nez177 », ou, pire encore, davoir lesprit raccourci :

Cest signe de racourciment desperit quand il se contante : etou de lassete []. Nul esperit genereus ne sarrete en soi Il pretand tousjours & va outre ses forces. [] Sil ne savance et ne se presse et ne saccule178 et ne se choque il nest vif qua demi. LSes poursuites [] sont sans terme, & sans forme : sSon aliment, cest doubte &admiration chasse ambiguité179.

Toujours en chasse et insatisfait, lesprit généreux a tous les attributs de lesprit curieux. Et pourtant, le Bordelais renonce à ce mot trop négativement connoté. Si la curiosité est une expression de générosité, qui est dans son éthique la vertu centrale180, lesprit curieux est noble, justement parce que son dynamisme est inépuisable et sa propension naturelle à franchir ses limites la marque dun élan tendu vers de nouvelles possibilités. Lextension de lesprit nest plus symptôme de morbidité, mais de vitalité, car la qualité de la générosité soppose non seulement aux subtilités et aux finesses qui estompent lâme, mais aussi à lavidité nocive de la vaine curiosité. Lardeur des courses de lesprit généreux lemporte, conformément au perpetuum mobile de la zététique montanienne, sur les résultats quil génère, dautant que les objets quil admire et chasse se présentent comme un mystère toujours équivoque. Enfin, la triade « admiration chasse ambiguïté » rappelle, par son insistance 77sur le mouvement de léternel inachèvement des inquisitions de lesprit généreux, que la curiosité ne déploie sa vertu curative que lorsquelle est aussi généreuse que notre ignorance.

Rebekka Martic

Université de Bâle

1 Michel Jeanneret, « Débordements rabelaisiens », Nouvelle Revue de Psychanalyse, vol. 43, 1991, p. 106-132, ici p. 110.

2 Lantipéristase, terme dorigine médicale, désigne dans lanalyse littéraire un mouvement de va-et-vient entre « une idéologie religieuse, un système de censure, un enseignement officiel » dune part, et de lautre « une stratégie épistémologique étrange, inquiétante, et qui ne se laisse que difficilement apprivoiser ». Terence Cave, Préhistoires. Textes troublés au seuil de la modernité, Genève, Droz, 1999, p. 49.

3 Walther von Wartburg, « curiositas », Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW), t. II, J.-P. Chauveau (dir.), Basel, Helbing und Lichtenhahn, 1946, p. 1564. Les sens de « coquetterie », et de « délicatesse [] (p. ex. dans le style) » sont moins pertinents pour la présente étude.

4 Gabriel-André Pérouse, En Filigrane des Essais, Paris, Champion, 2008, p. 104.

5 Edmond Huguet, « curiosité », Dictionnaire de la langue française du seizième siècle, t. II, Paris, Didier, 1932, p. 688.

6 Neil Kenny, « “Curiosité” and Philosophical Poetry in the French Renaissance », Renaissance Studies, vol. 5, no 3, 1991, p. 263-276, ici p. 264.

7 Huguet, « curieux », op. cit., p. 687.

8 William Rothwell et al. (dir.), « curios », Anglo-Norman Dictionary, t. I, London, Maney, 2005, p. 136.

9 Marvin Harris, « Emics and Etics Revisited », Emics and Etics : the Insider/Outsider Debate, T. N. Headland et al. (éd.), N.Y., Sage, 1990, p. 48-61, p. 48.

10 Neil Kenny, « Interpreting Concepts After the Linguistic Turn : The Example of Curiosité in Le Bonheur des Sages / Le Malheur des curieux by Du Souhait (1600) », (Ré)interprétations : Études sur le seizième siècle, J. OBrien (éd.), Ann Arbour, Michigan Romance Studies, 1995, p. 241-270, ici p. 264.

11 Puisquelle présente le mérite de respecter les nombreuses indications autographes que lauteur a apportées au texte de 1588 (biffures, ajouts transcrits en italique), nous avons choisi comme édition de référence lédition de lExemplaire de Bordeaux (Paris, Chez Abel lAngelier, 1588), telle quelle a été établie par Marie-Luce Demonet et Alain Legros (projet porté par le programme “Bibliothèques Virtuelles Humanistes”, CESR de Tour, 2015, notice voir http://xtf.bvh.univ-tours.fr/xtf/view?docId=tei/B330636101_S1238/ B330636101_S1238_tei.xml&doc.view=notice ;) : Essais, II, 4, fo 149ro. Par souci de lisibilité, nous avons ici renoncé aux couleurs et aux caractères exposants utilisés dans la transcription de certains ajouts manuscrits. Chaque renvoi à lEB sera doublé dune référence à léd. Villey-Saulnier, Paris, PUF, « Quadrige », 1988, p. 364, couche A. Soit : II, 4, 149ro / 364 A.

12 II, 17, 280vo / 637 C.

13 Françoise Charpentier, « Les Essais de Montaigne : curiosité/incuriosité », La Curiosité à la Renaissance, J. Céard (dir.), Paris, CDU et SEDES, 1986, p. 111-121 ; Idem, « Curiosité », Dictionnaire Montaigne [DM], P. Desan (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 440-443 ; Bénédicte Boudou et Nadia Cernogora, « Montaigne et la curiosité nonchalante », Camenae, no 15, 2013, p. 1-15 ; Daniel Ménager, « Curiosité et erreur religieuse chez Montaigne », BSAM, no 62, 2015, p. 87-99 ; Alexander Roose, La Curiosité de Montaigne. [], Paris, Honoré Champion, 2015 ; Zahi Zalloua, « Montaigne on Curiosity », The Oxford Handbook of Montaigne, P. Desan (dir.), N.Y., Oxford University Press, 2016, p. 663-678 ; Gianni Paganini (dir.), Curiosity and the Passions of Knowledge from Montaigne to Hobbes, Actes du Colloque de Rome, 7-8 octobre 2015, Rome, Bardi Edizione, 2018.

14 III, 13, 484r/ 1076 B.

15 Ibid., 478r/ 1065 B.

16 II, 12, 222r/ 512 A.

17 III, 13, 503r/ 1113 B.

18 Ibid., 501v/ 1110.

19 III, 2, 358v/ 804 B.

20 Art. cité, p. 111, 114 et 121.

21 « Montaigne tra curiositas sciendi e généreuse ignorance », Curiosity and the Passions of Knowledge, op. cit., p. 37-59, ici p. 49.

22 Roose (op. cit.) discute cette question en se fondant sur lhypothèse de Hans Blumenberg (Die Legitimität der Neuzeit, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1988), selon lequel la légitimation du droit à une « curiosité théorique » libérée des anciennes réserves aurait fondé le sujet moderne. De par sa perspective philosophique sur la curiosité intellectuelle dans le « processus scientifique » (263), létude de Blumenberg accuse des limites importantes, dans la mesure où elle exclut largement la dimension morale et sociale de la curiosité, centrale dans les Essais (pour une discussion récente des enjeux liés à ce travail voir Paganini (dir.), op. cit., p. 11, 49, 56 sq., 77-96).

23 Philippe Desan, « “La curiosité, ce fléau de notre âme”, ou lirrésolution retrouvée de Montaigne », Curiosity and the Passions of Knowledge, op. cit., p. 61-76, ici p. 74.

24 Nous nous limitons ici de signaler que lidée de considérer Montaigne comme un essayiste avant la lettre est loin de faire lunanimité dans les études montaignistes. Voir Francis Goyet, « Humilité de lessai ? (Réflexions sur Montaigne) », LEssai : Métamorphoses dun genre, P. Glaudes (éd.), Toulouse, PU du Mirail, 2002, p. 201-215.

25 Desan, art. cité, p. 66.

26 Op. cit., p. 24-50.

27 Curiosity in Early Modern Europe. Word Histories, Wiesbaden, Harrassowitz, 1998, p. 44. Cette réévaluation nétait pourtant ni absolue ni universelle, vu que dans des contextes théologiques et moraux, le terme restait doté dune connotation négative (ibid., p. 15). Voir aussi id., The Uses of Curiosity in Early Modern France and Germany, Oxford, Oxford University Press, 2004.

28 La Trinité / De Trinitate, Œuvres de Saint Augustin, t. XVI, P. Agaësse (trad.), Paris, Études augustiniennes, 1991, XII, XIV, 22 et XIV, I, 3.

29 II, 12, 216v/ 498 A.

30 Ibid.

31 Ibid.

32 Le schéma est cité dans Thomas dAquin, Somme théologique, t. X, F. Lachat (trad., annot.), Paris, L. Vivès, 1858, II, II, q. CLXXII, art. IV.

33 II, 12, 216v/ 498 A.

34 Ibid., 211v/ 488 A.

35 Ibid. B.

36 Ibid.

37 Confessions, A. dAndilly (trad.), P. Sellier (éd.), Paris, Gallimard, 1993, X, XXXVI, p. 390 sq.

38 II, 12, 216v/ 498 A.

39 Les Œuvres morales et meslees [], Paris, M. de Vascosan, 1562, p. 63-68. Cf. Alexander Roose, « Le remède est dans le mal : Montaigne lecteur de lessai Sur la curiosité de Plutarque », NBSIAM, Ire série, no 1, 2007, p. 83-96.

40 Plutarque, op. cit., 65A.

41 Ibid.

42 Bien que la curiosité ne soit pas un mal par définition, Augustin ne cesse de la doter dune série dattributs dépréciatifs (audax, noxia, periculosa, insana, pestifera, etc.). Gunther Bös, Curiositas. Die Rezeption eines antiken Begriffes durch christliche Autoren bis Thomas von Aquin, Paderborn/Zürich etc., Ferdinand Schöningh, 1995, p. 98 sq.

43 Ronsard, Discours des misères de ce temps, M. Smith (éd.), Genève, Droz, 1979, p. 69, v. 127-135.

44 Jacques Pineaux, « Transformations protestantes dun thème ronsardien : la naissance dOpinion, fille de Jupiter et de Présomption », CAIEF, no 10, 1958, p. 30-43, ici p. 31.

45 I, 54, 130r/ 312 B.

46 Ibid.

47 Ibid.

48 Ibid. 130v/ 313 C.

49 Ibid., 130r/ 312 B.

50 II, 12, 216v/ 498 A.

51 Ibid., 241vo / 558 A. « Extravaguer » signifie littéralement « sécarter de la route » et « de ce qui est bon, juste et légitime ». Huguet, « extravaguer », op. cit., t. III, 1946, p. 796.

52 Ibid., 190r/ 452 A.

53 Cf. Blandine Perona, « “La plus universelle et commune erreur des hommes”. Philautie et/ou présomption dans les Essais », BSAM, no 62, 2015, p. 159-175.

54 III, 12, 471ro / 1046 C.

55 Confessions, op. cit., I, X, 44 ; VI, VIII, p. 198 sqq.

56 Ibid., X, XXXV, p. 387.

57 Idem, De Vera religione, Œuvres de Saint Augustin, 8, J. Pegon (trad., annot.), Paris, Desclée de Brouwer, 1982, XL, XCIV, p. 164 sq. et LI, C, p. 170 sq.

58 III, 12, 471ro / 1046 C.

59 Ibid.

60 III, 1, 352vo / 791 B.

61 Cf. Lucrèce, De rerum natura Libri sex, éd. D. Lambin, Paris et Lyon, G. et P. Rouillé, 1563, v. 5 sq.

62 II, 17, 279ro / 634 A.

63 II, 12, 231vo sq. / 538 A.

64 II, 17, 279vo / 635 A.

65 I, 27, 69ro / 182 A.

66 « Pique, pousse ».

67 III, 12, 468vo / 1039 B.

68 Eccl. 1:13 ; Alain Legros, « Sentences peintes au plafond de la bibliothèque de Montaigne, éd. revue et augmentée », BVH – 20/11/2015, p. 1-24, ici p. 2.

69 Montaigne emprunte cette métaphore à Plutarque (« Comment lon pourra apparcevoir si lon amende [] », op. cit., 116E-117A), mais en modifie profondément le sens.

70 II, 12, 217vo / 500 A.

71 Cognitio ignorantiae humiliat et humiliando exatat et doctum facit. Nicolas de Cuse, « De Genesi », Nicolai Cusae Cardinalis Opera, Aedibus Alceusianis, Paris, 1514, fo 73vo.

72 III, 11, 464ro / 1030 B.

73 Ibid. Acte dont lauteur sait quil est fort douteux en soi.

74 Cf. la captatio benevolentiae du chapitre i, 14, 16ro / 50 A.

75 III, 12, 468vo / 1039 B.

76 Ibid. / 1039 C.

77 « Inquisition sceptique », DM, op. cit., p. 951.

78 I, 31, 85ro / 205 A.

79 I, 11, 13vo / 41 A ; II, 12, 221vo / 511 A ; II, 12, 231vo / 538 A ; III, 11, 462ro / 1026 B.

80 I, 30, 82vo / 200 A.

81 Ibid., 81vo / 197.

82 III, 13, 482vo / 1073 C.

83 Ibid.

84 Panichi, art. cité, p. 43.

85 I, 27, 69ro / 182 A.

86 III, 8, 416ro / 928 B.

87 III, 12, 468ro / 1038 B.

88 « Désir immodéré de savoir ». « Comm. in Lib. II Sententiarum », Opera Omnia, t. VIII, S. é. Fretté, P. Maré (dir.), Paris, L. Vivès, 1873, II, q. I, art. 1, 5, p. 287.

89 I, 53, 129ro / 309 A.

90 Ibid.

91 III, 12, 468ro / 1038 B.

92 III, 9, 450ro / 1000 B sq.

93 III, 13, 500vo / 1106 C.

94 II, 15, 270vo / 613 A.

95 II, 1, 138ro / 333 A.

96 De la Dignité de lhomme, Y. Hersant (trad., annot.), Paris, éditions de léclat, 2016, p. 7 sqq.

97 Sylvia Giocanti, « Irrésolution », DM, op. cit., p. 968.

98 Pharsale, II, 381, cité dans II, 12, 467vo / 1037 B.

99 Notons que lindicatif enlève le doute de la proposition.

100 I, 31, 84ro / 203 A.

101 Ibid. Montaigne fait de nouveau écho au livre IX des Confessions, où la curiosité est située entre le plaisir de la vue et la tentation de lorgueil (chap. xxxiv-xxxvi).

102 III, 6, 405vo / 908 B.

103 II, 12, 264ro / 601 A.

104 III, 6, 405vo / 908 B.

105 Idée héritée dAristote et de Pline. Elle se retrouve encore chez André Thevet (Cosmographie universelle, Paris, G. Chaudiere, 1575, I, fo 116ro), mais sera réfutée par Pierre Belon.

106 Pensons au pourceau de Pyrrhon mentionné dans I, 14, 17vo / 55 A.

107 II, 12, 213vo / 491 A.

108 Ibid. C.

109 Ibid.

110 I, 31, 90ro / 213 A. Il en est de même pour les Aztèques et les Incas (III, 6, 406vo / 910 B).

111 Ibid., 213 C.

112 Ibid., 86ro / 206 A.

113 II, 12, 218vo / 503 A.

114 Ibid.

115 I, 21, 36vo/ 104 A.

116 III, 12, 468vo/ 1039 B.

117 Cest déjà chez Thomas que linquietudo corporis est comptée parmi les symptômes principaux de la curiositas (Somme, op. cit., t. VIII, II, II, q. XXXV, art. IV, 3).

118 II, 12, 214ro / 492 A.

119 Pour une discussion brillante de cet épisode sur lequel le Journal de voyage reste curieusement silencieux, voir Jean Balsamo, « Montaigne et le “saut” du Tasse », Rivista di Letterature moderne e comparate, vol. 54, no 4, 2001, p. 389-407.

120 II, 12, 213vo sq./ 492A.

121 Ibid., 213vo.

122 Ibid., 247ro / 567 A.

123 Ibid., 213vo / 492 A.

124 Ibid.

125 Ibid., 215vo / 496 A ; Ecc. I, 18.

126 Sentence attribuée à Michel de lHospital : « Nostra vagatur / In tenebris, nec caeca potest mens cernere verum ». Cf. Legros, op. cit., p. 17 (sentence no 51/75).

127 III, 5, 388vo / 869 B.

128 Ibid.

129 III, 13, 489vo / 1086 B.

130 Voir p. ex. II, 12, 261ro / 595 A.

131 II, 15, 270vo / 613 A.

132 I, 26, 60vo / 164 C.

133 II, 10, 169vo / 409 B. Autre mot pour « précipité dans ses actions, présomptueux, prompt, empressé » (Frédéric Godefroy, « primsautier », Dictionnaire de lancienne langue française [], t. VI, Paris/Abbeville, Chartres, 1881-1902, 411), « primsautier » se disait plus particulièrement dun chien de chasse qui se lance « dun bond, au premier élan » après sa proie. Wartburg, « primus », op. cit., Bonn/Basel, F. Klopp, R. G. Zbinden, 1959, p. 382.

134 I, 39, 102vo / 246 A.

135 III, 8, 416ro / 928 B.

136 Ibid.

137 II, 12, 221vo / 510 A.

138 III, 13, 480ro / 1068 B.

139 Ibid.

140 Proverbe latin emprunté aux Adages (II, III, 68) dÉrasme.

141 II, 12, 224vo / 519 A.

142 Religions de lantiquité [], F. Creuzer (trad.), t. III, Paris, Cabinet de lecture allemande, 1838, p. 400-404.

143 II, 12, 221vo / 511 B.

144 Ibid., 242ro / 559 A.

145 Ibid., 241vo.

146 Ibid., 242vo / 560 A.

147 III, 12, 468ro / 1039 C.

148 Plutarque, « De la curiosité », op. cit., 64B.

149 III, 9, 450vo / 1001 B. Voir Jean-Yves Pouilloux, « “Connois-toi toi-meme”. Un commandement paradoxe », Lire les Essais de Montaigne, Actes du Colloque de Glasgow 1997, N. Peacock, J. J. Supple (dir.), Paris, Honoré Champion, 2001, p. 91-106.

150 II, 17, 290vo / 657 A.

151 Ibid., 658 A.

152 III, 5, 378ro / 847.

153 II, 12, 246ro / 565 A.

154 II, 18, 293vo / 665 C.

155 III, 11, 463vo / 1029 B.

156 I, 10, 13vo / 40C.

157 Montaigne sappuie ici sur Plutarque, « De la curiosité », op. cit., 66H.

158 I, 26, 59ro /159 C.

159 Ibid., 57vo / 156 A.

160 Ibid.

161 II, 10, 172ro / 414 A sq.

162 Ibid., 172vo / 414 A.

163 III, 13, 484ro / 1076 B.

164 I, 26, 58vo / 157 A.

165 III, 9, 444vo / 988 B.

166 Ibid., 437ro / 973 B.

167 Ibid., 974 B.

168 Ibid.

169 Ibid.

170 I, 26, 58ro / 157 A.

171 Ibid., 56vo / 153 A.

172 Sens du verbe « limer ». Wartburg, « limare », op. cit., t. V, p. 338.

173 I, 26, 58vo / 158 A.

174 Ibid., 57vo / 156 A.

175 III, 11, 464ro / 1030 C.

176 I, 26, 57vo / 156 A.

177 Ibid., 58ro / 157 A.

178 Se disait notamment dun « cheval qui, maniant sur ses voltes, n[allait] pas assez en avant, de sorte que sa croupe sapproch[ait] du centre de la volte ». Wartburg, « culus », op. cit., t. II, 1512. Lauteur recourt donc de nouveau à une métaphore hippique pour peindre le mouvement de lesprit curieux.

179 III, 13, 480ro /1068 C, B.

180 Bernard Sève, Montaigne. Des règles pour lesprit, Paris, PUF, 2007, p. 58 et 323.