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Classiques Garnier

MacIntyre’s critique of the myth of interiority A fortress in the face of barbarians and cosmopolitans

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Éthique, politique, religions
    2020 – 1, n° 16
    . Mythes de l'intériorité, du métaphysique au politique ?
  • Author: Lelong (Corentin)
  • Abstract: This paper extends the epistemic critique of the interiority myth at a political level. To this end, it takes as its starting point the work of Alasdair MacIntyre rooted in the Wittgensteinian critique of solipsism. Rather than opting for a cosmopolitan option, MacIntyre lambasts those who claim to rise above communities and traditions. In doing so MacIntyre engages himself wrongly on a middle road between an exclusionary communitarianism and an overinclusive cosmopolitanism.
  • Pages: 123 to 140
  • Journal: Ethics, Politics, Religions
  • CLIL theme: 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
  • EAN: 9782406105732
  • ISBN: 978-2-406-10573-2
  • ISSN: 2271-7234
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10573-2.p.0123
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 06-08-2020
  • Periodicity: Biannual
  • Language: French
  • Keyword: MacIntyre, interiority myth, cosmopolitanism, communitarianism, solipsism
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MacIntyre critique
du mythe de lintériorité

Une citadelle face aux barbares et aux cosmopolites

La tentation cénobitique

Le mythe de lintériorité épistémique refuse à autrui laccès aux états mentaux du sujet et fait de lincommunicabilité des expériences un principe. Cet obstacle à la communication, mis en exergue par Jacques Bouveresse dans son ouvrage dédié à la critique wittgensteinienne du mythe de lintériorité psychologique1, engendre chez le sujet la tentation de se soustraire à toute forme de discussion. Pour cela, il lui suffit de décréter lineffabilité de son monde intérieur, alors hors de portée de ses semblables et par extension de la polis. Or, lhypothèse centrale de ce numéro dÉthique, politique, religions suppose que la critique du « langage privé » peut être reconduite de sorte à contrer les formes politiques de solipsisme2. Daucuns auraient pu imaginer que la philosophie de MacIntyre permette de consolider cette proposition, puisquil se place explicitement dans le sillage de la critique wittgensteinienne du mythe de lintériorité épistémique afin de déployer une critique du solipsisme moral3. Cette impression persiste en raison de sa plaidoirie en faveur de communautés ouvertes et de sa contestation de la forme même de lÉtat. Pourtant, ce cheminement naboutit pas, à linstar de Jürgen Habermas, à une critique totale du mythe de lintériorité politique. Ce mouvement 124inachevé peut prêter à certains malentendus et ces confusions peuvent expliquer que MacIntyre soit convoqué dans une entreprise religieuse quasi séparatiste.

Nous devons nous consacrer à la construction de formes locales de communautés où la civilité et la vie intellectuelle morale pourront être soutenues à travers les ténèbres qui nous entourent déjà. Si la tradition des vertus a pu survivre aux horreurs des ténèbres passés, tout nest pas perdu. Cette fois, pourtant les barbares ne nous menacent pas aux frontières ; ils nous gouvernent déjà depuis quelque temps. Cest notre inconscience de ce fait qui explique en partie notre situation. Nous nattendons pas Godot, mais un nouveau (et sans doute fort différent) saint Benoît4.

Ces quelques phrases qui viennent clore After virtue ont notamment été reprises par Rod Dreher afin dexhorter les chrétiens à un repli communautaire dans un monde qui sest écarté du christianisme5. Cet appel na pas été sans connaître un certain écho parmi les franges les plus rigoristes du christianisme, que ce soit en Amérique ou de ce côté-ci de lAtlantique. Les laïques et les croyants plus modérés craignent que ces sanctuaires, ces citadelles ou ces forteresses, selon le regard que lon porte sur elles, naient dautre but que de créer des espaces où sexerce une éthique sexuelle conservatrice, hostile aux femmes et aux personnes LGBT6. Dautres sétonneront que linvitation à lexil intérieur passe sous silence les questions raciales dans une Amérique où la communauté de croyants afrodescendants est grandissante. En somme, Rod Dreher ne semble pas imaginer que des croyants qui ne lui ressemblent pas trait pour trait puissent le rejoindre dans ce retrait de la vie publique.

Ce serait pourtant se méprendre que de souscrire à une interprétation qui réduirait MacIntyre à un communautarien borné, défenseur de bastions fermés et sources dexclusion7. Cette erreur se comprend néan125moins à la lumière de son réquisitoire face à ses adversaires modernes, libéraux et cosmopolites qui affirment se détacher des traditions et des communautés (que celles-ci soient locales ou nationales). Ces attaques répétées peuvent nourrir limpression que la critique du mythe de lintériorité dinspiration wittgensteinienne mène à une forme de communautarisme qui reconduit à un degré plus large ce quelle dénonce à léchelle du sujet. En somme, cela laisse penser, à tort, que MacIntyre succombe à un « mythe de lintériorité politique8 », ce qui justifierait quil soit lobjet de récupérations par des franges politiques réactionnaires.

Afin dappréhender pleinement ce point, il convient, tout dabord, de mettre au jour le chemin qui conduit de la critique du solipsisme menée par Wittgenstein jusquau communautarisme de MacIntyre. Ce parcours a pour vocation de dégager le sens premier du « mythe de lintériorité » selon lequel le sujet enfermé en lui-même se place en dehors de la communauté, des traditions, des pratiques et des règles.

Ce nest quune fois cette étape accomplie quil est possible dexaminer si la communauté macintyrienne devient le lieu dun solipsisme politique qui la conduirait à ignorer les règles et les traditions qui ne sont pas les siennes. Cette investigation nécessite, dune part, de circonscrire et de situer la communauté, et, dautre part, dinterroger lautonomie des traditions. Ce processus engagé, il apparaîtra que MacIntyre peut accompagner une critique du mythe de lintériorité politique qui décèle certaines défaillances propres aux libéraux et aux cosmopolites.

Néanmoins, cette dynamique rencontre certaines limites qui tiennent précisément à la philosophie du langage développée par le philosophe écossais. Parce quil accorde un poids prépondérant à la question des intraduisibles, MacIntyre prend le risque de faire dune communauté et de sa tradition une entité opaque à ceux qui lui sont extérieurs.

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Formes de vie et traditions

Sans pour autant être inane, une lecture qui négligerait linfluence du philosophe autrichien amputerait fortement la pensée de MacIntyre. Cette dernière incarne les principaux arguments de Wittgenstein qui ont trait aux conditions nécessaires à lintelligibilité de nos actions pour les autres comme pour nous-mêmes. Plus exactement, les fondements théoriques de son œuvre reposent sur le concept wittgensteinien de forme de vie, présent notamment au paragraphe 241 des Philosophische Untersuchungen9 : « Cest ce que les êtres humains disent qui est vrai et faux ; et ils saccordent dans le langage quils utilisent. Ce nest pas un accord dans les opinions, mais dans la forme de vie. »

Ces Lebensformen prennent, sous la plume de MacIntyre, le nom de traditions et guident son enquête sur la rationalité. Aussi, nest-il pas surprenant que son étude de la nature sociale de la rationalité repose en dernier lieu sur limpossibilité du langage privé. Face au solipsisme mentaliste qui confère au sujet un accès exclusif à la signification des termes psychologiques, Wittgenstein récuse lhypothèse selon laquelle des expériences comme « avoir mal aux dents », « penser », « comprendre », « avoir peur » puissent avoir des significations privées. En lieu et place de cela, Wittgenstein avance que « la signification dun mot est son utilisation dans la langue10 ». Le sens dun mot ne saurait donc être appréhendé abstraction faite de son contexte. Ceci est explicité dès le Blaue Buch où « la signification dun mot » est abordée par ses usages, par ce que nous en faisons. Aussi, nous faut-il observer les jeux de langage, car seul cet examen permet de saisir comment au sein dune communauté linguistique les individus emploient un mot11.

Les emprunts répétés de MacIntyre à la philosophie du langage de Wittgenstein ne se bornent pas à la seule forme de vie, mais recouvrent également les concepts de règle et de communauté de langage12. Comme 127jouer, parler est une activité guidée par les règles, de sorte que se comporter et agir de certaines manières revient à suivre la règle. Dès lors, lactivité commune devient le pont qui conduit de Wittgenstein à MacIntyre. Chez le premier, lactivité commune constitue le fondement du langage et prend chez le second le nom de pratiques partagées et compose lassise de sa philosophie politique. Dans le vocable macintyrien, les pratiques sont transmises et transformées au sein de traditions vivantes marquées par des conflits. Autrement dit, ce terme de pratique englobe toute forme cohérente et complexe dactivité humaine coopérative socialement établie. En particulier, il désigne les activités par lesquelles les biens internes à ces activités sont réalisés en tentant dobéir aux normes dexcellence appropriées13.

Quelle importance alors accorder aux concepts de règles et de pratiques ? Pour reprendre lexemple bien connu des échecs, déplacer les pions de façon erratique nest pas bien jouer, ni même jouer du tout, car ne sont pas respectées les « contraintes fixées par la pratique », autrement dit, les règles du jeu ne sont pas suivies. La proximité est alors flagrante avec la critique wittgensteinienne de la conception mentaliste selon laquelle une règle pourrait être satisfaite par des critères édictés par le seul sujet14. Si cette possibilité est écartée, cest en partie, car elle reviendrait à effacer toute distinction entre le fait de réellement suivre une règle et se figurer quon la respecte, comme en témoigne lexemple célèbre du journal intime et de la marque S destinée à désigner une sensation récurrente. Dans un langage privé, il ny a que des semblants de règles, la justification subjective nayant que lapparence de la justification. En labsence de règles véritables, le sujet ne peut déterminer si son usage de « S » est correct ou non. Cela tient en dernière instance au caractère intrinsèquement public de lusage dune règle. En effet, si la règle est privée, quelle soit respectée ou transgressée ne fait aucune réelle différence ; analyse que MacIntyre applique à la sphère morale.

De même que lanalyse wittgensteinienne du mentalisme expose au grand jour des simulacres de justifications, lentreprise critique portée par MacIntyre à lendroit des émotivistes tels que A.J. Ayer ou G.E. Moore15 128révèle la possibilité dune moralité vidée de toute substance. Selon lémotivisme, tout jugement évaluatif nest rien dautre que lexpression dune préférence, dune attitude ou dun sentiment. En dautres termes, cette perspective réduit toute évaluation morale à la seule expression dun assentiment du type « japprouve cela » ou « bravo pour cela ». Aux yeux de MacIntyre, lémotivisme qui ne conserve en réalité de la moralité que ses atours, efface la distinction entre les relations sociales désintéressées et celles qui procèdent dun calcul égoïste16. Dans un cadre émotiviste, il devient donc impossible de persuader autrui et dœuvrer ensemble à un bien commun qui ne soit pas purement temporaire et fondé en dernière instance sur des désirs individuels. En définitive, dans ce contexte, la seule relation sociale qui demeure est celle où tout un chacun tente dutiliser ses semblables afin datteindre ses buts égoïstes.

Le rapprochement entre les deux auteurs saccentue également à mesure quest considérée linteraction entre les concepts de règle et de communauté. En effet, le respect des règles qui entourent les pratiques est crucial chez MacIntyre, ne serait-ce que pour distinguer les biens externes et internes. Les premiers désignent les biens attachés à la pratique par des accidents liés aux circonstances sociales (comme un bonbon offert à un enfant qui remporte une partie déchecs). Les seconds, quant à eux, englobent des qualités telles par exemple la discipline, la concentration, lanticipation qui ne peuvent être obtenues que par participation à la pratique. Or, le lien entre le respect des règles et la communauté naît du constat quune partie bien menée profite à tous, non seulement au vainqueur et au perdant, mais également à lensemble de la communauté. Au sein de ce collectif, un même individu peut occuper alternativement les positions denseignant ou dapprenant. Ce cheminement oblige tout naturellement celui qui débute à se soumettre à lautorité des plus expérimentés, plus à même de transmettre les règles et les stratégies et de porter un regard sur les progrès nécessaires. Limportance de la communauté tient donc à son rôle de formation, de conseil et dencouragement garants de lamélioration et de la valorisation des compétences de chacun. Par 129conséquent, en tant que débutant, un individu ne peut pas déterminer seul ses propres règles, pas plus que sautoproclamer expert sans risquer de se placer en dehors de la communauté, car cela reviendrait à oublier lhistoricité qui façonne les pratiques grâce auxquelles un sujet entre en relation avec ceux qui lont précédé.

En définitive, lautorité accordée par MacIntyre à la communauté procède bel et bien de la critique wittgensteinienne du langage privé. De la forme de vie à la tradition, de la communauté de langage à celle de la pratique, ces deux trajectoires ont une même intersection : le désenclavement du sujet. Tous deux condamnent le surhomme épistémique nietzschéen qui affirme transcender le monde social pour trouver ses lois uniquement en lui-même17. Selon MacIntyre, il est manifeste que :

le soi moderne, le soi émotiviste, en acquérant la souveraineté dans son propre royaume, a perdu ses frontières traditionnelles fournies par une identité sociale et une vision de la vie humaine ordonnée en direction dune fin donnée18.

Ainsi, celui qui ne cherche pas à se détacher de lensemble de la société et de son histoire ne peut succomber au mythe de lintériorité. MacIntyre redouble cette conviction dans Three rival versions of moral enquiry par son opposition aux généalogistes qui comme Nietzsche ou Foucault affirment que le sujet peut se rendre extérieur à son enquête.

Ce nest que par lappartenance à une communauté engagée systématiquement dans une entreprise dialectique dans laquelle les normes sont souveraines par rapport aux parties en conflit que lon peut commencer à apprendre la vérité, en commençant par apprendre la vérité sur son erreur, et non une erreur de 130tel ou tel point de vue, mais lerreur en tant que telle, lombre portée par la vérité en tant que telle : la contradiction en ce qui concerne un propos touchant aux vertus19.

Lillusion consiste pour le sujet à souhaiter sextirper de son contexte historique et de sa situation dauteur. Parce que le sujet refuse de sexaminer dans sa recherche « de tel ou de tel point de vue », il tombe dans lerreur, car il ignore la communauté (temporelle) à laquelle il appartient. En somme, la critique du mythe de lintériorité du sujet chez MacIntyre se fait toujours au regard de la communauté dans laquelle il sinscrit, mais quid de cette communauté ? Néglige-t-elle les règles, les traditions et les formes de vie qui lui sont extérieures ? Sont-elles conçues comme des vases clos, des entités homogènes et fermées ? Un mythe de lintériorité politique se serait-il substitué au mythe de lintériorité du sujet ?

Communautés et traditions ouvertes

Deux éléments principaux laissent suggérer que MacIntyre ne prolonge pas à un niveau politique les illusions propres au solipsisme. Le premier tient à un manque dintérêt pour la forme étatique et le second dépend de sa conception des traditions comme ouvertes sur lextérieur. Ces deux points signalent quil ne sagit pas pour MacIntyre de senfermer au sein dune communauté réifiée, aveugle et sourde à ce qui lentoure.

En premier lieu, les commentateurs saccordent à voir chez MacIntyre un aristotélisme apolitique20 qui ramène lÉtat-nation à une forme de mystification21. Ce discrédit apparaît clairement lorsque MacIntyre examine quel type de société politique permet à ses membres de travailler conjointement au bien commun22.

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Il existe bien évidemment un autre aspect de lÉtat moderne où il se présente comme le gardien de nos valeurs et nous invite de temps en temps à mourir pour lui. Cette invitation est lancée par tout pouvoir en place qui affirme sa souveraineté politique et juridique légitime et justifiable sur ses sujets. En effet, aucun État ne peut justifier cette affirmation sil ne peut offrir à ses sujets une sécurité minimale vis-à-vis des agressions extérieures et de la criminalité intérieure. [] quand lÉtat-nation se fait passer pour le gardien du bien commun, le résultat est forcément ridicule ou désastreux, ou les deux. Car la contrepartie de lÉtat-nation ainsi mal conçu en tant que communauté est une conception erronée de ses citoyens comme constituants, un Volk, un type de collectivité, dont les liens doivent simultanément sétendre à tout le corps des citoyens et être aussi contraignants que les liens de sang et de localité. Dans un État-nation moderne et de grande envergure, une telle collectivité nest pas possible et prétendre le contraire pare de sinistres réalités dun déguisement idéologique23.

Toutefois, les communautés où se pratiquent les vertus morales ne peuvent pas saffranchir dun État-nation qui demeure indépassable (ineliminable)24. Aussi, la philosophie mactyrienne incarne-t-elle une forme de nostalgie ou duchronie dans la mesure où elle demande dopérer un retour à des formes de vies semblables à celles des communautés de pêcheurs de la Nouvelle-Angleterre, des communautés minières galloises ou encore des coopératives agricoles du Donegal. Trajectoire rendue difficile, si ce nest impossible, car la division extrême du travail a mis fin aux communautés de pratiques citées dans Dependent Rational Animals25.

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La préférence de MacIntyre pour les communautés ne repose pas sur un amour du local en tant que tel, le motif principal tient plutôt aux conditions dans lesquelles une délibération commune est rendue possible26. Dès lors, la taille même de lÉtat moderne fait barrage à ce que sa politique fasse lobjet de délibérations communes27. Par ailleurs, MacIntyre précise que la politique conçue et réalisée en tant que pratique nécessite lexistence dune culture partagée. Toutefois, cette dernière ne confère pas sa valeur à la communauté, elle constitue seulement la condition sine qua non dune enquête rationnelle commune concernant le bien. Lunique culture commune qui soit nécessaire nest autre que celle de la délibération, autrement dit, celle qui permet de remettre en question sa propre tradition.

Si ces communautés sont politiques dans le sens où elles impliquent la hiérarchisation de différentes pratiques et la recherche collective de biens internes aux pratiques, pour autant cette description ne laisse pas penser que MacIntyre succombe au mythe dune communauté parfaitement homogène dont la culture serait la seule qui vaille. Plutôt que dinviter à retrouver un idéal national fantasmé, MacIntyre enjoint à reprendre le chemin des monastères. En outre, la barbarie dont il sagit de se prémunir nest pas simplement celle de létranger, du non-grec, mais de celui qui na pas de polis et qui, de ce fait, est incapable dentretenir des relations politiques. Selon MacIntyre, le barbare nest autre que celui qui fait du moi à la fois le sujet politique et le souverain. Or, lÉtat libéral ne permet pas de nouer des relations politiques véritables au sens macintyrien. Il réduit donc collectivement les citoyens à la barbarie à moins quils ne se retranchent vers des lieux où des relations authentiques sont rendues possibles.

En second lieu, on pourrait craindre que les traditions, telles que conçues par le philosophe écossais, ignorent les récits et les revendications des traditions rivales28. Ce risque est particulièrement prégnant au sein des théologies post-libérales notamment celles développées par Lindbeck29 et Hauerwas, auteurs qui sinscrivent dans le sillage des 133travaux de MacIntyre. En effet, tous deux sécartent du libéralisme pour défendre un communautarisme qui peine à reconnaître ceux qui existent en dehors de lÉglise.

Si ces successeurs succombent au mythe de lintériorité politique, cela ne semble pas être le cas de MacIntyre. Pour reprendre les mots de Gordon Baker à propos du sujet, le « nous » pas plus que le « je » ne doit être conçu comme un « royaume secret30 ». Le « nous » ne peut pas prétendre à une compréhension interne, facilitée et immédiate, refusée aux étrangers. Or, MacIntyre ne se prête pas à ces formes de solipsismes politique ou culturel qui seraient le calque du solipsisme linguistique. Au contraire, on peut déceler chez MacIntyre le passage qui mène de la critique du mythe de lintériorité du sujet à celui du politique par une critique du solipsisme culturel.

Selon Vincent Descombes, MacIntyre sappuie sur Wittgenstein pour soutenir que les traditions ne doivent pas être conçues comme des totalités closes dès lors quelles sexpriment dans le langage31. Cette lecture est en partie corroborée par le chapitre xviii de Quelle justice ? Quelle rationalité ? où MacIntyre reconnaît ne serait-ce que pour des raisons historiques que deux communautés distinctes peuvent fusionner par des processus migratoires ou belligérants32. Par conséquent, il ne succomberait pas à un communautarisme méthodologique primaire qui concevrait les traditions comme stables et exemptes de toutes contributions extérieures.

Toutefois, ce refus dune conception proprement politique et la conception des traditions ne permettent pas de parachever le processus de démystification politique. MacIntyre, certes, ne senferme pas dans une vision grossière dune communauté hermétique et pleinement autonome, pour autant, il esquisse un tableau peu crédible des traditions à mesure quil soppose à ses adversaires cosmopolites.

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La polis et le cosmopolitisme

Alors quau niveau du sujet MacIntyre partage la critique wittgensteinienne du solipsisme sémantique, il déploie au niveau politique une philosophie du langage qui refuse que lon tire de ses travaux des conclusions cosmopolites ou internationalistes. Ces limites ne tiennent-elles pas en définitive de lunité politique choisie ? Les vertus ne pouvant être déterminées que dans le cadre des formes institutionnalisées concrètes dune polis donnée, existe-t-il des normes extérieures qui permettraient dévaluer la justice qui prévaut en son sein ? Seuls les membres dune communauté disposent-ils des ressources nécessaires afin de juger si leur communauté réussit ou échoue à remplir son rôle ?

Pour trancher ces questions, il faut revenir à ces ressources que sont les traditions, creusets de la conversation, de la coopération, et du conflit. Puisque les échanges se font en première instance avec ceux qui appartiennent à une même tradition, elles demeurent le lieu originel dinvestigation, de réfutation et dévaluation des conceptions de la rationalité. Or, MacIntyre soutient que les points de vue rivaux de chaque tradition ne peuvent être partagés en raison dune « incompatibilité et dune incommensurabilité logiques simultanées33 ».

Cette proposition liée à la thèse centrale de Whose Justice ? Whose rationality ? soppose à laffirmation selon laquelle des personnes suffisamment éclairées pourraient saccorder sur une forme de rationalité et constituer un ensemble de normes universelles permettant de juger des croyances et des enjeux propres à chacune des traditions intellectuelles. En raison dincompatibilités insurmontables, un accord sur les prémisses serait aussi illusoire quun accord sur le type dargument qui permettrait de parvenir à un tel consensus.

Lidée dune incommensurabilité des traditions résiste-t-elle à une approche historique ? Cette question est dautant plus pertinente que laristotélisme, le thomisme, laugustinisme et la philosophie écossaise sont autant de traditions qui se sont divisées pour devenir rivales. Or, lincommensurabilité survient lorsquune affirmation vraie au sein de tradition de départ ne peut être traduite dans une autre, sans que soit ajouté 135à cette traduction un commentaire qui vise à expliquer les raisons pour lesquelles la proposition de base serait erronée. Par exemple, le concept de justice peut certes être traduit dune tradition à une autre, mais nécessite toutefois dêtre accompagné dexplications et de réfutations. Même si deux traditions conviennent de traductions (communes) et reconnaissent traiter dun même concept, leurs croyances relatives à ce concept nen demeurent pas moins irréconciliables. Autrement dit, cette traduisibilité nest pas synonyme de lexistence de normes communes dévaluation rationnelle.

De nombreux commentateurs ont mis en doute lanalyse faite par MacIntyre de la question de lincommensurabilité et du problème connexe de lidentification des frontières entre traditions34. Alors que MacIntyre met principalement laccent sur lappartenance à une tradition unique et clairement définie, ne sommes-nous pas membres de traditions multiples ? Comment identifier les frontières qui séparent les traditions ? La tradition thomiste est-elle distincte de la tradition aristotélicienne ou est-elle simplement une continuation de celle-ci35 ? Outre ces indéterminations, son raisonnement souffre dune insuffisance logique. Rien ne justifie méthodologiquement que MacIntyre accorde un rôle positif au désaccord au sein dune tradition, mais considère les désaccords entre traditions comme incommensurables. Autrement dit, il omet de justifier pourquoi les désaccords internes sont loués alors que les désaccords externes sont décriés. Aussi, laffirmation dune incommensurabilité, qui exprime des difficultés dappréhension et de comparaison, conduit-elle inexorablement à un mythe de lintériorité ? 136Cette question ne peut être élucidée sans sintéresser à la relation entre traduction et interprétation qui occupe la fin de louvrage.

Un premier élément de réponse consiste à souligner que MacIntyre ne souscrit pas à un relativisme linguistique qui ferait de chaque langue le support de la pensée dun peuple et de son monde propre. Au contraire, MacIntyre affronte le défi relativiste qui constitue un obstacle à tout débat entre traditions rivales :

Si chaque tradition porte en soi ses propres critères de justification rationnelle alors, dans la mesure où les traditions dinvestigation sont véritablement distinctes les unes des autres, aucune tradition ne peut entrer dans un débat rationnel avec une autre, et par conséquent aucune tradition ne peut justifier de sa supériorité rationnelle sur ses rivales. [] si tel était le cas, il nexisterait pas de bonne raison de souscrire au point de vue dune tradition plutôt quà celui dune autre36.

Cet extrait illustre la critique macintyrienne de la modernité ; il est pour lui illusoire de postuler un point de vue neutre, « de nulle part », doù le libéralisme examinerait chaque tradition en toute impartialité. Selon lui, il nexiste pas

un lieu de la rationalité en tant que telle, disposant de ressources rationnelles suffisantes pour mener une investigation indépendante de toute tradition [] être en dehors de toute tradition revient à être étranger à linvestigation et à être dans un état dindigence morale et intellectuelle doù il est impossible de lancer le débat relativiste37.

La position de MacIntyre ouvre une troisième voie dont les postulats tiennent à la possibilité dun débat entre traditions, tout en insistant sur les intraduisibles. Aussi sattaque-t-il à ceux qui se laissent aller à croire que tout peut être traduit dans leur langue. Lhubris des tenants de la modernité et de ses traducteurs consiste à croire quaucun mode de vie traditionnel, culturel ou intellectuel ne leur est inaccessible. Il y aurait chez ceux qui réduisent les intraduisibles à un conte philosophique, cette tendance naïve à supposer quils peuvent tout comprendre dune culture, même ses aspects les plus étranges et étrangers. Si lintraduisible dérange, cest parce quil devient la marque dune opacité et dune obscurité potentiellement indépassables pour létranger.

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Cest pourquoi langlais internationalisé de la fin du xxe siècle devient chez MacIntyre le véhicule dune illusion. Comme toutes les langues internationalisées, il se serait développé de sorte à paraître accessible à tout un chacun, et ce, indépendamment de toute appartenance communautaire. En somme, son défaut consiste à se présenter frauduleusement comme une langue dépourvue dintraduisibles38.

Par conséquent, procéder à une traduction dune langue en usage vers ce type de langue de la modernité est particulièrement problématique en raison de la dimension historique des traditions. Une tradition, à chaque étape de son développement, porte en elle une histoire incarnée dans des justifications rationnelles successives. La langue dans laquelle sont forgées ces justifications est elle-même inséparable dune histoire des transformations et des traductions conceptuelles et linguistiques39.

Ainsi, lorsque deux traditions rivales saffrontent, la seule approche culturelle et linguistique qui vaille est dadmettre la possibilité que la tradition adverse soit rationnellement supérieure à la sienne. Alors que la reconnaissance du fait que tout ne peut être traduit est une condition nécessaire du dialogue rationnel, depuis la perspective de lhégémon anglo-saxon, lexistence même des intraduisibles représente une menace.

Ce refus de lintraduisible caractéristique de la langue anglaise modernisée sincarne dans ce que MacIntyre désigne comme un cosmopolitisme sans racines. Ce cosmopolitisme est le fait de ceux qui aspirant à se trouver chez eux nimporte où, sont dans une large partie des citoyens de nulle part. Telle est la destinée à laquelle nous condamne la modernité : un cosmopolitisme qui nous modernise et modernise les autres en nous arrachant à nos spécificités linguistique, culturelle et sociale, et donc extirpe tout un chacun de ses traditions au nom dun point de vue supposément surplombant40.

De nombreux libéraux ont en effet supposé un sujet détaché de ses appartenances multiples, autrement dit un sujet capable de se hisser au niveau de luniversel, grâce à la neutralité et à limpartialité. Contre ceux qui prétendent se placer à lextérieur de leurs traditions, MacIntyre 138oppose que la moralité ne peut être appréhendée quen lien avec les communautés, car cest par elles et en elles que les principes moraux sont inculqués. Or, tout se passe comme si les libéraux oubliaient la distinction hégélienne entre Sittlichkeit et Moralität, ne faisant du cosmopolitisme rien dautre que le cheval de Troie de leur propre tradition41.

Si Beitz, Caney, Pogge42 ou Held, pour ne citer queux, ne sintéressent que peu à ces questions, cest parce que langlais mondialisé, le globish, fait office de lingua franca43. De ce fait, la parabole de la paille et de la poutre sapplique donc à ceux qui dénoncent lattachement aux communautés particulières tout en ignorant quils ne font que participer à lhégémonie de leur propre communauté linguistique et culturelle sur la scène internationale. Ils ouvriraient ainsi la porte à un autre type de mythe de lintériorité politique qui amènerait à se penser comme complet, capable de tout assimiler et qui nierait ainsi toute forme daltérité.

Toutefois, MacIntyre place le cosmopolitisme sur un lit de Procuste. Il feint dignorer que le cosmopolitisme est le fruit de traditions multiples comme le cynisme, le stoïcisme ou le kantisme. De même, ce courant ne peut être limité à la pensée occidentale puisquil existe également un cosmopolitisme chinois et africain. En outre, au sein de la pensée anglo-saxonne certains philosophes, comme Kwame Appiah, plaident pour ce qui semble être une contradiction dans les termes : un cosmopolitisme enraciné (rooted cosmopolitanism) qui récuse lopposition, catégorique et définitive, entre communauté et universalité44. Loin de porter un sabir mondialisé, les cosmopolites reconnaissent lexistence des intraduisibles sans pour autant en faire des impossibles à traduire. Ces achoppements nécessitent des retours répétés, parfois au prix de contresens 139et dappauvrissements, mais ne font pas obstacle à la communication. Pour sauver MacIntyre dun mythe de lintériorité qui rendrait des pans de traditions inaccessibles à ceux qui leur sont étrangers, il suffit de reconnaître que lintraduisibilité radicale, de même que la traduction parfaite, relève de la chimère.

Conclusion

La critique sémantique du mythe de lintériorité menée par MacIntyre permet de dissiper un triple malentendu. Le premier veut que la communauté soit le lieu paradigmatique du solipsisme. Loin des caricatures du cloître hermétique, autonome et autocentré, MacIntyre esquisse le portrait dune communauté en dialogue avec les autres traditions. Non seulement les communautés ne sont pas enfermées sur elles-mêmes, mais la localité propice à la pratique dun langage moral commun devient un remède au solipsisme individuel. Pris dans un tissu social composé de règles, de pratiques et dhistoire, le sujet reconnaît que ses sensations ne peuvent avoir de significations privées.

Le second présume que le symptôme du solipsisme propre à lÉtat libéral réside essentiellement dans ses dérives nationalistes. Or MacIntyre par une critique du langage privé, qui sétend vers le solipsisme moral et culturel, pointe également du doigt lindividualisme excessif des libéraux. Il reproche notamment à lÉtat moderne de ne pas permettre une communication véritable, garante de lexercice collectif des vertus. Ce défaut a pour conséquence directe que le développement des biens internes est impossible au sein de lÉtat libéral, car le sujet se voit accorder toujours plus de liberté jusquà décréter ses propres règles et ignorer la possibilité dun telos commun. En dautres termes, parce que lÉtat se cache derrière une apparente neutralité et se contente de devenir un simple fournisseur de services publics, il abandonne le développement des biens internes au profit des seuls biens externes.

Le troisième suppose que le cosmopolitisme simpose comme un remède naturel au solipsisme politique en raison de son ouverture sur le monde. Cette dernière nest toutefois quapparente, car MacIntyre 140révèle les impasses propres aux ambitions cosmopolites. La position de surplomb à laquelle ils aspirent est hors de portée, car il est impossible de sextraire de sa propre tradition. Cette tentative conduit plutôt à déguiser sa propre tradition sous les traits de luniversel. Ainsi, le cosmopolitisme ne peut donc pas prétendre incarner une forme de rationalité supérieure et se positionner en tant quarbitre entre les communautés. Aussi faut-il abandonner lidée dun cosmopolitisme capable de réconcilier toutes les traditions. Une approche théorique viable doit plutôt accepter les différends, lincompatibilité et lincommensurabilité.

En somme, le passage qui mène dune critique sémantique du solipsisme vers luniversalisme nest pas directement accessible. Les obstacles mis en évidence doivent obliger les cosmopolites à opérer un retour réflexif. Loriginalité de la critique macintyrienne se situant dans sa philosophie du langage, il apparaît que les tenants de la modernité et du libéralisme ne peuvent sextirper du solipsisme quau prix dune réflexion prolongée sur la communication, la communauté de langage et la traduction.

Corentin Lelong

1 Jacques Bouveresse, Le mythe de lintériorité. Expérience, Signification et langage lrivé chez Wittgenstein, Paris, Les Éditions de Minuit, 1987.

2 Isabelle Delpla, « Cosmopolitisme ou internationalisme méthodologique ». Raisons politiques, 2014, 54 (2), p. 87-102.

3 MacIntyre critique notamment le solipsisme moral de lapproche nietzschéenne. Alasdair MacIntyre, After Virtue, Notre-Dame, University of Notre Dame Press, 3rd ed. 2007, p. 258.

4 Ibid., p. 263.

5 Rod Dreher, The Benedict option : a strategy for Christians in a post-Christian nation, Penguin, 2017.

6 Rod Dreher, éditeur chez The American Conservative, a publié quelques colonnes ouvertement homophobes. Cette appropriation est dautant plus étonnante que MacIntyre aide à articuler certaines questions relatives à lhomosexualité. Voir notamment : W. McDonough, « Alasdair MacIntyre as Help for Rethinking Catholic Natural Law Estimates of Same-Sex Life Partnerships », The Annual of the Society of Christian Ethics, 2001, 21, p. 191-213.

7 Bien quil se défende, et ce, dès les premières lignes de After Virtue dappartenir au courant communautarien, une certaine proximité est pourtant perceptible (After Virtue, op. cit., p. xiv). MacIntyre précise quil naccorde aucune valeur à la communauté en tant que telle. Par ailleurs, il reconnaît que la communauté peut être vectrice doppression. Cela ne signifie pas pour autant que le rapprochement opéré soit indu. Voir notamment, A. MacIntyre, « Im Not a Communitarian, But », The Responsive Community, 1991, 1 (3), p. 91–92.

8 Jemprunte cette expression à Isabelle Delpla, dont les travaux ne portent pas sur MacIntyre (« Cosmopolitisme ou internationalisme méthodologique », Raisons politiques, 2014, 54 (2), p. 87-102.

9 L. Wittgenstein, L., Recherches philosophiques, Paris, Gallimard, 2014, § 241.

10 Ibid. § 43.

11 L. Wittgenstein, Le cahier bleu et le cahier brun, Paris, Gallimard, 1965.

12 Sandra Laugier, « Wittgenstein : politique du scepticisme », Cités, 2009 no 2, p. 109-127. Laugier précise que ces trois pôles ne suffisent pas à définir la pensée politique de Wittgenstein, il faut aussi lui ajouter la question de lautorité du sujet sur lui-même et sur autrui.

13 After Virtue, op. cit. p. 146.

14 S. Laugier, « Règles, formes de vie et relativisme chez Wittgenstein », Noesis, 2008, no 14, p. 41-80.

15 J.E. Mahon, MacIntyre and the Emotivists in Fran ORourke : What Happened In and To Moral Philosophy in the Twentieth Century ?, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2013, p. 167-201.

16 Voir notamment le chapitre 2 : « The Nature of Moral Disagreement Today and the Claims of Emotivism » et le chapitre 3 : « Social Content and Social Context ». Bruce Waller considère que ces deux chapitres font du cœur de Après la vertu une attaque à lencontre de lémotivisme (« The Virtues of Contemporary Emotivism », Erkenntnis, 1986, 25(1), p. 61-75.

17 Dans After virtue MacIntyre critique le retour quopère Nietzsche à léthique aristocratique de la Grèce homérique et lui oppose lapproche téléologique de léthique aristotélicienne. Selon MacIntyre, « Nietzsche remplace les fictions de lindividualisme des Lumières, dont il est si méprisant, par un ensemble de fictions individualistes » (p. 129) MacIntyre interprète le concept de surhomme comme révélant léchec du projet épistémologique des Lumières et de sa recherche dune morale à la fois subjective et universelle. Selon lui, Nietzsche néglige toutefois le rôle de la société dans la formation et la compréhension de la tradition et de la moralité, et de ce fait, le surhomme nietzschéen ne peut pas entrer dans des relations médiatisées par des normes ou par des vertus ou des biens partagés ; le surhomme est sa seule autorité morale et ses relations avec les autres se résument à des exercices de cette autorité. Aussi la grandeur nietzschéenne est-elle selon MacIntyre une condamnation au solipsisme moral (p. 258). Concernant Wittgenstein, « Le mythe du surhomme épistémique » est le titre dune intervention donnée par Vincent Descombes lors dun séminaire dédié au philosophe autrichien en 2018-2019 à la Sorbonne.

18 After Virtue, op. cit., p. 34.

19 A. MacIntyre, Three rival versions of moral enquiry : Encyclopaedia, genealogy, and tradition, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 1994, p. 200.

20 Ronald Beiner, « Community versus citizenship : MacIntyres revolt against the modern state », Critical Review 2000, no 14 (4), p. 474.

21 V. Descombes, « Alasdair MacIntyre en France », Revue internationale de philosophie, 2013 no 2, p. 135-156.

22 « Les États-nations modernes sont régis par une série de compromis entre une série dintérêts économiques et sociaux plus ou moins conflictuels. Le poids accordé aux différents intérêts varie en fonction du pouvoir de négociation politique et économique de chacun et de sa capacité à faire en sorte que les voix de ses protagonistes soient entendues aux tables de négociation pertinentes. Ce qui détermine à la fois le pouvoir de négociation et cette capacité, cest en grande partie largent, largent utilisé pour fournir les ressources nécessaires au maintien du pouvoir politique : ressources électorales, ressources médiatiques, relations avec les entreprises. [] Mais toute relation des gouvernés avec le gouvernement des États modernes exige que les individus et les groupes pèsent les avantages et les coûts de leur enchevêtrement, du moins en ce qui concerne cet aspect des États en ce quils sont et se présentent comme des entreprises géantes de services publics » (A. MacIntyre, Dependent rational animals : Why human beings need the virtues, 1999, vol. 20, Open Court Publishing. p. 131.

23 Ibid., p. 132.

24 MacIntyre précise que les vertueux auront une double attitude envers lÉtat-nation. Ils reconnaîtront quil sagit dune caractéristique inéluctable du paysage contemporain et ne mépriseront pas les ressources quil offre. Toutefois, ils reconnaîtront également que lÉtat moderne ne peut pas fournir un cadre politique approprié. Dependent rational animals …, op. cit. p. 133.

25 Ibid. p. 143.

26 M.C. Murphy. « MacIntyres Political Philosophy ». Alasdair MacIntyre, 2003, p. 152.

27 A. MacIntyre, Dependent rational animals …, op. cit., p. 131.

28 S. Holmes. The Anatomy of Antiliberalism, Harvard University Press, 1996, p. 88. Holmes opère également ce rapprochement pour ensuite lécarter.

29 D. Trenery. Alasdair MacIntyre, George Lindbeck, and the nature of tradition, Wipf and Stock Publishers, 2014.

30 G.P. Baker, Wittgensteins method : Neglected aspects, John Wiley & Sons, 2008, p. 118.

31 V. Descombes, V., « Alasdair MacIntyre en France », op. cit.

32 A. MacIntyre, Whose justice ? Which rationality ?, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 1988, p. 355.

33 Ibid., p. 351.

34 J. Porter, « Openness and constraint : moral reflection as tradition-guided inquiry in Alasdair MacIntyres recent works », The Journal of Religion, 1993, 73 (4), p. 514-536. Porter offre une solution charitable à ce problème. « Lidentification des limites dune tradition donnée variera dans une certaine mesure avec le point de vue de lobservateur chargé de lidentification, de sorte que celui qui sintéresse à lhistoire de la science choisira un ensemble de traditions quelque peu différent, par exemple dans lEurope du dix-septième siècle, de celui qui sintéresse à lhistoire de la culture populaire. Mais ce flou ne doit pas créer de problème tant que nous sommes conscients que le concept de tradition dépend pour son application du point de vue de celui qui lutilise. Il ne sensuit pas que le concept de tradition puisse légitimement être appliqué de quelque manière que ce soit pour répondre aux objectifs de celui qui lapplique. Selon lanalyse du concept faite par MacIntyre, lidentification dune tradition impliquera, au minimum, de donner une approche narrative du développement de cette tradition de ses débuts à ses derniers stades, par le biais dune réflexion continue, et des disputes, sur les points de départ partagés, probablement (mais pas nécessairement) incorporés dans des textes canoniques » (p. 519).

35 J.A. Herdt. « Alasdair MacIntyres “Rationality of Traditions” and Tradition-Transcendental Standards of Justification », The Journal of Religion, 1998, 78 (4), p. 524-546.

36 Ibid., p. 366.

37 Ibid., p. 379.

38 Ibid., p. 401.

39 Ibid., p. 411.

40 Certains pourraient vouloir ici distinguer entre cosmopolitisme culturel et cosmopolitisme politique. Or, cette distinction nest pas nécessaire dans le cadre dune critique du cosmopolitisme libéral en tant que tendance hégémonique. En effet, ces deux formes agissent conjointement notamment à travers le soft power.

41 A. MacIntyre, « Is patriotism a virtue ? », D. Matravers, D. & J. Pike, J. (éd.), Debates in contemporary political philosophy : an anthology. Routledge, 2003.

42 T. Pogge, « Accommodation Rights for Hispanics in the United States », W. Kymlicka & A. Patten (éd.), Language Rights and Political Theory, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 105–122. La question du langage est posée dans le contexte multiculturel nord américain et non au sein dun paradigme proprement cosmopolite.

43 P. Ives, « Cosmopolitanism and global English : Language politics in globalisation debates », Political Studies, 2010, 58 (3), p. 516-535. Ives note quen dépit des citations fréquentes de largument de Benedict Anderson selon lequel la normalisation linguistique fait partie intégrante de la formation historique des États-nations modernes, les débats actuels en science politique ne fournissent que des compréhensions superficielles de lévolution des contextes linguistiques.

44 W. Kymlicka & K. Walker (éd.)., Rooted cosmopolitanism : Canada and the world, UBC Press, 2012.